"Messire d'Ancenis,
J'ai eu le vif déplaisir d'apprendre que vous aviez bafoué les règles les plus élémentaires en frappant et séquestrant un messager, il y a de cela fort peu de temps. Je ne reviendrais pas sur vos edits concernant l'armée des divins, vous faites loi sur votre fief et le menez comme bon vous semble. Le seigneur d'Actellys s'est montré fort maladroit, mais de grâce, ne faites pas la même erreur.
Je vous prie donc de libérer ce messager, qui n'aurait jamais du être incarcéré de par sa fonction, protégée de tous temps. Et de faire vos excuses publiques quant à ce comportement inadapté.
De son côté le seigneur d'Actellys s'engage à respecter votre volonté, mais de grâce, ne refusez pas tout dialogue avec lui s'il vous en fait la demande.
Votre coup d'éclat aurait bien pu déclencher une guerre avec l'armée des divins, et cela n'aurait pas été tant dérangeant si plusieurs nobles ne faisaient partie de cette organisation, risquant de transformer cette guerre en guerre civile.
Il me semble que cela n'est pas dans vos intentions de saigner notre royaume en ces temps troublés quand nos adversaires, les drows, n'attendent qu'une faille pour s'y engouffrer.
Salutations."
La lettre n'avait pas surpris le baron, qui savait que tout au tard, le baron d'Actellys allait flagorner auprès du roi. Aemon percevait mal les courtisans, mais comprenait leur attitude. Parfois, il se félicitait de la mort de son frère avant d'adresser, dans un souffle, une excuse au malheureux décédé, se disant qu'il n'avait point à user de ces manigances pour vivre. Les olives d'Ancenis suffisent au sage, disait quelque vieux fou que la populace avait pendu puis sanctifié.
"Sire,
Comme vous le soulignez, l'armée des divins pourrait porter atteinte à la Péninsule quand bon lui semblera, pourrait attaquer les Hommes. Cette armée est aux ordres d'un homme qui nous est étranger, sire, et je ne laisserai pas une telle oste s'établir sur mes terres, car elle pourrait exercer quelque contrainte (insidieuse - et c'est la pire - comme franche) sur mes gens voire sur mes décisions, comme le démontrent les menaces à moitié dissimulées d'Aranel d'Actellys, qui tenta, par provocation et injure, de forcer mes édits et mes terres.
Je libérerai ce messager, sire, car vous me le demandez. Quant aux lois de l'hospitalité, croyez bien que je les honore comme il plaît aux dieux. Mais aux lois des dieux, il est les lois des Hommes. Tout homme de l'Armée des Divins n'est pas le bienvenu dans l'Ancenois, comme les brigands et les mercenaires, qui composent, dit-on, les principaux effectifs de cette troupe, et je n'avais point à me montrer bienveillant envers un homme qui osait violer mes lois au sein même d'Ancenis."
L'un des clercs d'Aemon d'Ancenis donna cette missive à l'un des fidèles du baron, un ancien héraut des joutes du coeur de la Péninsule, qui partit, avec une demi-douzaine de chevaliers et autant d'écuyers en direction de Diantra. Il y avait le prisonnier avec eux, revêtu de son armure et ferré, qui avait été mis dans une charrette. On l'emmena donc dans la capitale royale, où on montra bien le prisonnier. Une fois arrivé sur la place la plus animée de la cité, le héraut s'arrêta et excita la curiosité de la foule.
Le peuple s'amassa, regardant le malheureux qui avait été mis dans une charrette, et qui fut bientôt détaché, aux yeux et au vu de tous. Ceci fait, le héraut commença à rugir d'un air guilleret.
"Bonne gent ! Voi ici la mansuétude du roi. Mon seigneur, Aemon d'Ancenis, a interdit aux hommes d'Actellys de traverser encore ses terres, mais ce malandrin ne prit pas compte des paroles du seigneur ! Grand-mal lui en fasse ! Il passa quelques temps dans les appartements frais d'Ancenis. Mais notre roi, Trystan d'Erac, a décidé de sa libération, aussi le voilà devant vous."
Sans rien dire de plus, il fit un geste à ses compagnons et se dirigea en direction du château, où il devait donner la lettre à Sa Majesté.