[parvis] A vot' bon coeur m'sieur dames!

Gobor n'aimait rien tant que se promener près de l'immense cathédrale de Diantra. Il était fasciné par cette architecture si coutumière des humains. haut, toujours plus haut. Pourquoi élever des tours si fines et orgueilleuses? Quelque tirs de balistes auraient sans doute vite fais de réduire le vain monument en poussière. Mais cela, je vous l'avoue, n'était pas dans les projets du nain. En effet, la cathédrale était son lieu de prédilection pour partir en quête d'un bon samaritain et quoi qu'il puisse dire, il ne possédait aucune baliste de guerre.

Poussons plus loin notre logique, même si il avait fait l'acquisition d'un tel engin, (nous nous perdons ici dans l'utopie la plus pure, Gobor ayant déjà du mal à trouver de quoi entretenir son estomac), il aurait été confisqué par les forces de l'ordre, tant il est vrai que des machines de guerre de plusieurs metre font mauvais effet quand ils sont la propriété d'un nain. On pourra aussi arguer que d'un point de vu purement technique, le déplacement de la baliste dans les rues endommagerait serieusement les habitations, et les pauvres bougres qui vivent à Diantra sans demander de compte à personne se verraient bien lésés par un acte d'une telle virulence.

Donc Gobor ne possédait pas de balistes et ses velléités de destruction du monument principal de la cité étaient proches du néant. Il se baladait entre les passants avec sa petite écuelle à la main.

Oh le beau sire avec sa toge brodée d'argent! Il conviendrait de le délester de son trop plein de monnaie! Gobor décida de s'acquitter de cette noble tâche, il s'adressa au personnage avec toute la courtoisie dont il était capable et qui, vous le constaterez avec moi, est admirable.

"Oh monsieur! Que vous avez bonne mine ce matin! Vous me charmez! " fit il avec sa voix la plus mielleuse.
L'homme leva un sourcil et laissa tomber une petite piece ronde de cuivre. Le nain se jeta dessus. Il la regarda et constata qu'elle n'avait quasiment aucune valeur. Les gens riches n'étaient plus ce qu'ils étaient ! Qu'est donc devenu le bon temps ou les opulents seigneurs distribuaient des repas, de l'argent et autres cadeaux dans les rues pour être bien vu de la populace grouillante. Peut être aussi que cet homme vigoureux n'appréciait pas le fait de charmer les nains... Hypothèse douteuse, je l'accorde, mais qu'on se doit de garder en mémoire.

Le nain sentit alors une main se poser sur son épaule. Un hideux personnage doté d'un grain de beauté qui lui mangeait littéralement le visage dévisagea Gobor.
"Donne ta pièèèèce" gémit il comme un damné.
Il semble évident que Gobor n'allait pas résister à l'envie d'aider ce nécessiteux qui réclamait l'aumône avec une politesse des plus rare. Cédant à son bon coeur et peut être un peu à la frayeur que cette vision lui causa, Duk donna la pièce à son nouvel ami. Ce dernier le remercia et le salua avant de courir dans tout les sens en claudiquant. Singulier personnage.

C'est quand il voyait de pareils pitres que Gobor se sentait chanceux, riche et beau. On a tous besoin de ces parasites pour se sentir supérieur. Mais alors qu'il réflechissait au rôle social des rebus dans le monde, un gargouillis lui rappela qu'il était là pour gagner un peu d'argent. Il entreprit alors de flatter les dévôts et les passants afin de leur extorquer un peu de monnaie, cela n'était pas très efficace, comme toujours. Peut être finalement que c'était le peuple de Diantra qui était en tort. Ces bourgeois tous plus avares les uns que les autres... Ce cruel constat fit bouillir les nerfs de Gobor qui ne put contenir bien longtemps un cri de douleur qui se traduisit par un modeste :

" Bande de PINGRES"

Tout les regards se tournèrent vers lui. Il était plutôt mal à l'aise et il sentait que sa journée ne serait pas aussi fructueuse qu'il l'ésperait. Il pouvait même prévoir qu'il serait bientôt frappé et molesté par quelque indélicat de passage. Mais c'était son quotidien.

Gobor n'avait pas remarqué la jeune fille avant qu'elle ne l'aggresse et tombe expressément près de lui pour l'humilier. Peut être son intention n'était pas telle, mais le nain ne chercha pas plus loin l'explication d'une telle chute. Il se releva, épousseta sa tunique, devrais-je dire ses loques d'un air désinvolte. Au moins la jeune fille avait attiré l'attention des badauds sur elle.
Elle était plutôt mignonne quoi que pour un nain, il était ardu de juger de ces choses là, mais même pour lui, ce visage était fin et harmonieux. Elle ressemblait, dans ses manières, dans sa façon de murmurer son "désolée" à un avatar de la douceur. Cela dit, toute timide qu'elle puisse sembler, cela n'empêcha pas le nain d'avoir beaucoup de ressentiment à l'encontre de sa personne. On peut même dire que Gobor s'irrita vraiment. Les gens ne faisaient déjà plus attention à eux et reprenaient le cours de leur vie. Avant qu'elle ne recule trop loin, Duk lui attrapa le bras et la ramena vers lui vigoureusement.

"Dis donc toi! Tu peux pas regarder où tu vas? ça t'amuse de faire tomber les pauvres?" Demanda-t-il avec hargne. C'est vrai que ça, c'est le genre de chose qui vous amuse, vous les humains, venir importuner un pauvre nain errant, un vagabond mourant de faim. Vous avez la torture dans l'âme. Je comprend que tu puisse trouver du plaisir dans cet infecte loisir.

Il remarqua un peu tard que la demoiselle était complètement confuse, rougissante, et qu'elle le dévisageait.

"Tu as jamais vu un nain? On dirait que tu regardes une pièce de viande bien cuite! Il réfléchit un instant, puis reprit : Bon! Comme t'as l'air gentille, tu vas me donner ton argent et on sera quitte comme ça, ça marche?
Il tendit la main vers elle.Il tentait de sourire de son mieux afin de donner confiance à la demoiselle, mais il doutait lui même de ses capacités en la matière. Son charme était souvent peu opérant avec les humains et a fortiori les femelles. Cependant il était sûr qu'il s'agissait d'une jeune noble ou quelque chose de ce genre. Quelle erreur! Voila bien un nain qui ne connaissait pas bien les codes de la noblesse humaine, la jeune fille face à lui était vêtue tout ce qu'il y a de plus simple.

L'humeur de Gobor s'adoucissait, il avait peut être l'occasion de faire un bon profit et peut être même de discuter avec quelqu'un, c'était un luxe qui ne lui était souvent permis. Cette malencontreuse aggression lui offrait une splendide opportunité de faire connaître son oeuvre qui plus est, et le nain ne comptait pas passer à côté.
Il était presque midi et les gens de passage se faisaient moins nombreux, sans doute regagnaient ils leur demeure ou une taverne bien remplie pour déguster un repas bien chaud. Il faut avouer que Gobor observait aussi attentivement Auréane qu'elle l'avait fait quelques instants auparavant. Apparemment, il ne tirerait pas beaucoup d'argent de cette rencontre. Alors, son bras toujours dans sa main, il fixa son regard et lui demanda dans un murmure :

"En quoi croyez vous jeune fille?"

Il ne savait pas comment cette question était arrivée à son esprit mais il n'avait put se retenir de la poser. Sa volonté était brouillée par des puissances plus profondes de l'être. Un éclair de lucidité le poussa à s'éloigner d'ici et à reprendre sa prospection, mais il ne bougea pas, il ne quitterait pas le regard d'Auréane jusqu'à ce qu'il obtienne une réponse. Les deux protagonistes de la scènes ressemblaient à l'un de ces tableaux grotesques sur l'amitié nano-humaine. La colère de Gobor avait en cet instant presque disparu et il n'attendait plus que sa réponse.

La cathédrale semblait à cet instant plus monumentale que jamais, tout semblait plus imposant, les maisons, les passants, les pigeons même.

Aureane ouvrit de grands yeux paniqués quand le nain la rattrapa par le bras et essaya vaguement de se dégager en sachant pertinemment que vu son poids plume elle n'avait aucune chance.

"Dis donc toi ! Tu peux pas regarder où tu vas ? ça t'amuse de faire tomber les pauvres?"

La jeune femme secoua la tête frénétiquement. Non, non, non, bien sur que non, pas du tout, du tout du tout ! Mais aucun son n'arrivait à sortir de sa bouche alors que le nain continuait sa tirade. Aureane aurait pu disparaitre sous terre instantanément qu'elle l'aurait fait.

" C'est vrai que ça, c'est le genre de chose qui vous amuse, vous les humains, venir importuner un pauvre nain errant, un vagabond mourant de faim. Vous avez la torture dans l'âme. Je comprends que tu puisses trouver du plaisir dans cet infecte loisir. "

La panique d'Aureane se mua en surprise doublée d'une incompréhension se lisant sans difficulté sur son visage. Mais qu'est ce qu'il racontait ? Elle était toujours cramoisie mais elel avait arrêté de se débattre.

" Tu as jamais vu un nain? On dirait que tu regardes une pièce de viande bien cuite! "

Nouveau hochement de tête négatif. Non, jamais vu ; non, elle ne voyait pas le rapport avec une pièce de viande. Nombre d'humains étaient parfaitement racistes, mais elle, elle était juste surprise : les nains, jusqu'à présent, étaient restés du domaine des contes de fées. Elle aurait croisé un dragon qu'elle aurait réagit pareil...

" Bon! Comme t'as l'air gentille, tu vas me donner ton argent et on sera quitte comme ça, ça marche? "

Aureane resta bouche-bée un bref instant avant de se mordre la lèvre, sincèrement désolée :

" J'ai plus un sou. "

D'ailleurs, comme pour confirmer ses dires, son ventre se mit à gargouiller. Elle se passerait encore de repas pour se midi, elle avait appris à se contenter d'un bref petit déjeuner et d'un diner. Sûr que ça n'arrangerait pas sa silhouette déjà plus que légère... En tous cas, si le nain s'imaginait qu'elle allait pouvoir quoi que ce soit pour lui, il se trompait lourdement.

"En quoi croyez vous jeune fille?"

Elle le dévisagea, cette fois pour comprendre où il voulait en venir. Il voulait parler des dieux ?

" Eh bien... eh bien je crois en nos Dieux. "

C'était dit sur le ton le plus naturel du monde. Il lui aurait demandé de quelle couleur était le ciel qu'elle aurait répondu "bleu" de la même façon. Élevée dans un village fermé au monde, chacun était très croyant et des notions aussi délirantes que l'existence d'un dieu du chaos, ne lui avaient même pas effleuré l'esprit. Il y avait "ses" dieux, c'était une évidence. Bien sur, s'ajoutaient à tout cela les croyances campagnardes faites de légendes, et sortilèges plus ou moins avérés. Inculte quand au monde qui l'entourait, oui, mais pas bornée. Aussi, une idée lui vint soudain que, peut-être, les autres races n'avaient pas les mêmes dieux. Dans un sursaut de témérité, elle finit donc par demander timidement :

" Pourquoi ? "

Ben oui, qu'est ce que c'était que cette question ? Elle impliquait soit qu'on pouvait ne croire en rien - absurde, non ? - soit qu'on pouvait croire en différentes choses - tout aussi absurde, vu que les dieux, c'était les dieux, point à la ligne.

Et puis, parce qu'elle était dans un jour où elle avait décidé d'épuiser son quota de phrases annuelles, elle finit par murmurer, encore plus timidement et en regardant ses chaussures :

" vous pourriez me lâcher s'il vous plait ? Je vais pas partir en courant. "

Eh bien, eh bien, Gobor était positivement ravi de sa découverte, une jeune fille aussi naïve ne pouvait être qu'une sotte qu'il pourrait aisément manipuler. Il la vit répondre à toute ses questions par des hochements de tête, en parlant peu, et de façon difficilement audible. Elle devait être diablement timide pour s'effacer ainsi devant un simple mendiant, qui ne depassait pas les 1m50 qui plus est!

Mais la barbe fait toujours un effet relativement effrayant, surtout pour une jeune fille aussi candide. Cela almusait beaucoup Gobor qui était bien décidé à ne pas en rester là, il fallait creuser un peu, avec de la chance, il trouverait peut être un moyen de l'employer à des fins utiles et rémunératrices, il eut alors une idée extraordinaire. Il se félicitat en silence de l'avoir eue et sourit simplement.
Elle croyait donc aux dieux, comme tout les paysans. Gobor n'apportait aucun crédit à ces balivernes, si des entitées superieures gouvernaient véritablement le monde, elles l'auraient sans doute rendu bien riche depuis longtemps. Toujours est il que la religion ne l'interessait que de très loin. Cela dit, son idée avait germé dans son esprit et il ne comptait pas la laisser s'échapper.

"Mademoiselle, je suis fort contrarié que vous n'ayiez pas de quoi me rembourser le préjudice que vous m'avez causé, mais j'ai peut être une idée que vous trouverez, je n'en doute pas fort judicieuse"

Il la regarda en attendant de voir l'effet que ses aproles causaient à la jeune fille, puis, se raclant la gorge, il reprit de plus belle :

" J'ai peut être un moyen de vous permettre de réparer votre erreur." dit il sur un ton mielleux qui contrastait avec la colère qu'il exprimait il y a à peine deux minutes.

"Les dieux, vous me l'accordez, n'acceptent pas que l'ont commette des pechés sans les racheter, donc je pense que vous ferez ce que je vous propose, il y a un moyen pour vous et moi de nous enrichir. Nous enrichir beaucoup!"

Il recoiffa une meche un peu rebelle.

"Vous êtes tres jolie pour une humaine vous le savez, et moi je connais bien du monde dans les auberges et les tavernes, à nous deux, nous pourrions faire des affaires interessantes. Les hommes payeraient cher pour vous... comment dire ça... vous entendre leur dire... des poèmes."

Le nain s'embrouillait, il ne comptait pas lui avouer tout de go qu'il désirait la prostituer mais l'idée était bien là.

"cela vous interesse t il?"

"Mademoiselle, je suis fort contrarié que vous n'ayez pas de quoi me rembourser le préjudice que vous m'avez causé, mais j'ai peut être une idée que vous trouverez, je n'en doute pas, fort judicieuse. "

Euh... Ça, Aureane en doutait fortement. Elle était peut-être timide à l'excès, mais elle n'était pas stupide pour autant et encore moins naïve : une rude vie à la campagne ça n'ouvrait peut-être pas l'esprit mais ça ne laissait pas d'avantage place à la naïveté. Alors, certes, la jeune femme était mortifiée d'avoir failli écraser le pauvre nain, mais de là à "rembourser un préjudice"... Et encore, elle s'estimait heureuse de savoir ce que voulait dire ce mot, parce qu'elle savait que les trois quart des habitants de son village seraient restés perplexes.

" J'ai peut être un moyen de vous permettre de réparer votre erreur."

Ah ? Bon, bien, en soi elle n'avait rien contre. Et puis, elle avait une demi journée de repos hebdomadaire, pour une fois elle pouvait bien délaisser sa plume et son écritoire.

" Les dieux, vous me l'accordez, n'acceptent pas que l'on commette des péchés sans les racheter... "

Jusque là, elle le suivait sans trop de mal, même si le "péché" en question aurait été aussi bien réglé avec une confession rapide, voir un "pardon, désolée" et un "au revoir" tout aussi bref. Mais elle n'était pas assez à l'aise pour se permettre ça, elle resta donc là à écouter la nain.

" ...donc je pense que vous ferez ce que je vous propose. "

Elle attendit gentiment qu'il s'explique avant de froncer les sourcils quand il fut question de s'enrichir. S'enrichir beaucoup ? Si on pouvait "s'enrichir beaucoup" par miracle, ça se saurait... Elle avait croisé les bras, instinctivement, mais elle le laissa terminer patiemment.

"Vous êtes très jolie pour une humaine vous le savez, et moi je connais bien du monde dans les auberges et les tavernes, à nous deux, nous pourrions faire des affaires intéressantes. Les hommes payeraient cher pour vous... "

Aureane ouvrit de grands yeux horrifié, à la fois choquée et paniquée. Il ne pensait tout de même pas à...

" ...comment dire ça... vous entendre leur dire... des poèmes."

Ah. Des poèmes. Bon, elle avait cru un instant... Enfin, des poèmes... Elle se calma, ce qui, de toutes façons, vu qu'elle était continuellement mal à l'aise, ne changea pas grand chose.

" Cela vous intéresse t il ?"

Des poèmes, donc. Elle mit un bon moment à regarder ses chaussures, avant de relever les yeux timidement :

" Moi je demande pas mieux que de vous aider, mais... "

Enfin quoi, il l'avait vue ? Réciter des poèmes ? Oratrice version cramoisie et inaudible, quel effet ! On lui aurait demandé de réciter son prénom qu'elle aurait déjà paniqué, alors, de la poésie ! Pourquoi pas lui faire faire du théâtre tant qu'il y était ? Elle secoua doucement la tête en murmurant de plus en plus bas :

" Je... me vois pas parler à un public... Et puis, il viendraient d'où ces poèmes ? "

Elle se mordilla la lèvre, visiblement bien embêtée de refuser la proposition. Après tout, réciter des poèmes c'était à la portée de n'importe qui... mais pas d'elle. Déjà qu'elle faisait un effort surhumain pour parler normalement à une seule personne ! De toutes façons, tant qu'elle y pensait, on ne devenait pas riche parce qu'on faisait de la poésie. Les arts, dans ce monde, remplissaient rarement l'estomac, elle était bien placée pour le savoir, ce n'était pas pour rien, qu'elle jouait davantage les serveuses que les écrivains publics. Et encore, en tant qu'écrivain, son travail restait utilitaire. Qu'est ce que ça aurait été si elle avait calligraphié... ben justement, de la poésie ?

A cette idée, une pensée s'insinua dans son esprit. Finalement, ce fut elle qui reprit :

" Je ne pourrais jamais dire des poèmes, en revanche, je peux les calligraphier. Je suis écrivain public et calligraphe. "

Elle jeta un coup d'œil au cadran solaire qui ornait une façade non loin de là, pour se faire une idée de l'heure et ajouta avec un semblant de confiance en soi :

" J'ai mon après-midi, je peux faire ça pour vous. A charge pour vous de réussir à les vendre ensuite. "

Gobor regrettait amèrement le peu de bonne volonté dont faisait preuve la jeune fille qui lui faisait face. Il ne lui demandait pas de faire des choses extraordinaire ou particulierement compliquées pourtant. Mais elle préférait écrire des poèmes, les calligraphier pour qu'il puisse les vendre. Quelle folie! qui voudrait de ce genre d'articles vendus par un clochard mis à part quelques originaux et des désaxés en tout genre.

Gobor comprit qu'il ne tirerait rien d'elle et qu'il ne parviendrait pas à la pousser à se prostituer pour lui permettre de gagner des deniers. Il est vrai qu'une simple poussée dans une foule ne lui permettait pas d'exiger de telles choses d'une fille respectable. Mais il fallait bien tenter sa chance, ce n'est pas tout les jours que se présente une jeune fille fautive.

Gobor passa une main dans sa barbe et regarda Auréane d'un oeil circonspect, cette idée de calligraphie ne le charmait guère en fait, il ne se sentait pas le courage d'aller vendre aux badauds des poèmes écris par la main d'une femme. C'était là une tâche de forçat et Gobor n'en était absolument pas un. Il était sensible et son corps l'était tout autant, l'effort l'usait plus que n'importe quelle autre créature sur la terre.

"Bon écoutez, dîtes moi votre prénom, jeune fille" finit il par dire après un long silence.

"Je m'apelle Gobor Duk et je suis nain vagabond, comme vous pouvez le voir, je ne pense pas que votre proposition soit bien judicieuse, au lieu de cela, je vous propose de m'emmener là ou vous logez et me servir un petit quelque chose à boire, je suppose que ça ne vous dérangerait pas... si?"

Il avait la mine satisfaite des gens qui viennent d'avoir un éclair de génie et qui pensent rouler leur vis à vis, malheureusement, il est fort peu probable que sa proposition fasse mouche auprès de la demoiselle. Ses yeux pétillaient un peu, et c'est suffisamment rare pour le souligner car Gobor n'était pas du genre à se réjouir pour peu de chose, mais là, force était de constater qu'il ne regrettait pas cette rencontre fortuite et il aurait eu bien du mal à expliquer pourquoi.

Il vit passer près d'eux une charette d'ordures et il se boucha le nez de façon un peu précieuse.

La proposition n'avait pas l'air d'enchanter le nain, loin de là. Aureane ne dit rien pendant le long silence qui suivi. Il avait l'air déçu, mais elle ne voyait pas bien où était le problème. Elle, elle commençait à se demander comment se dépêtrer de cette situation.

"Bon écoutez, dîtes moi votre prénom, jeune fille"

Ça, elle pouvait bien le lui dire. Pour ce que ça changerait... Elle répondit donc simplement, d'une petite voix :

" Aureane. "

La suite en revanche la fit secouer la tête, d'un air sincèrement désolé. Elle finit par avouer, visiblement terriblemnent gênée :

" Moi, non, le propriétaire, si. A moins de vouloir nous faire jeter tous deux dehors, je ne vois pas comment faire... "

La seule chose qu'elle savait faire, c'était écrire. Et encore, ce qu'on lui dictait, elle n'avait jamais eu l'occasion de s'essayer à la création. Elle avait fini comme serveuse parce qu'il fallait bien vivre, mais ça s'arrêtait là. Elle n'avait aucun statut, ni ami ni famille et pas la moindre chance de demander quoi que ce soit à son patron. C'est aussi pour ça qu'elle ne pouvait pas se permettre de ramener un nain mendiant là où elle travaillait. Autant démissionner tout de suite ! Vu ses compétences, elle n'était pas assez naïve pour s'imaginer pouvoir retrouver une place facilement...

Bon, elle était timide, mais pas stupide, alors elle allait faire un effort et oser aligner trois mots. Ce fut donc elle qui reprit, un peu sur le même ton que le dénommé Gobor, en commençant de la même façon :

" Bon, écoutez, messire Duk, - oui, "messire", elle s'adressait à tout le monde poliment - je n'ai pas un sou et je n'en n'aurai probablement jamais. J'aimerais bien vous aider, mais je n'en ai absolument pas les moyens, je suis désolée. "

Woah ! Elle avait fini par sortir un roman. Enfin, de son point de vue. Et surtout, elle avait plus ou moins dit "non". C'est dire si elle était convaincue de ce qu'elle racontait ! Enfin bref. Elle était vraiment sincère parce qu'elle estimait qu'il était du devoir de tous d'aider son prochain. Cela dit, elle ne pouvait pas faire de miracle et elle le savait bien. Bon, elle avait beauuuuucoup parlé, elle regarda à nouveau ses chaussures, dans l'attente d'une réponse.

Gobor apprécia peu que la personne qu'il avait en face de lui ne soit qu'une pauvresse... Ainsi il n'y avait donc rien à tirer de la timide donzelle... Une âme errante comme lui, mais qui se démenait pour s'en sortir visiblement. Sa vie n'avait pas dut être très simple et si il avait écouté son âme charitable, le nain aurait presque eut de la peine pour cette fragile créature perdue dans un monde injuste et cruel. Mais il n'y avait que peu de place pour la pitié dans son coeur d'acier. Il tripota sa hache d'un air détaché tandis qu'il parlait. Il constata avec effarement qu'elle était capable de prononcer plusieurs mots d'affilé! Le plus étonnant sans doute est que ces mots formaient de véritable phrases à l'arrivée.

Une force inconnue, la compassion peut être, (bien que cette explication paraisse hautement improbable), poussa Gobor à vouloir soudain aider Auréane. Il jeta un oeil au récipient dans sa main droite et constata qu'il avait amassé un peu d'argent. Pas assez sans doute pour un repas, mais c'était déjà un bel accompte. Il prit les pièces et les tendit vers la jeune inconnue. Son visage n'était pas expressif en cet instant. On ne voyait ni le sublime élan du généreux donateur, ni la mine décrépite de l'avare qui se déleste de son surplus de monnaie. Il était neutre, et il la regardait dans les yeux, autant que cela fut possible pour un nain.

" Allez, prenez ça, vous en aurez plus besoin que moi "

Dit il. Il essaya de sourire pour se donner un air aimable mais c'était peine perdue. La vérité est qu'il s'en voulait d'avoir été si odieux avec elle. Elle ne méritait visiblement pas son courroux. Duk n'était pas un nain avec un mauvais fond et les remords l'assaillaient depuis quelques instants. Désormais, ils connaissaient leurs noms respectifs, c'était déjà beaucoup, on a tort de ne pas s'arréter à ce genre de détails, mais révéler son nom, c'est déjà retirer un morceau de sa carapace et permettre à l'autre de nous distinguer de la masse informe et grouillante de la populace.

"Ecoutez, vous et moi chère Auréane, avons des problèmes similaires. Suivez moi donc, nous allons voir le gouverneur de cette ville ou quelque autre autorité et nous irons exiger qu'on nous trouve de l'argent, un logement décent et un peu de considération."

Il pensa un instant que si tout les mendiants agissaient de la sorte, l'administration de la ville n'aurait pas fini de devoir trouver ou les loger et comment les nourrir. C'était une idée bien stupide, alors il la précisa pour lui donner un tour moins burlesque.

"Nous ne sommes pas des gens dignes d'être pauvre, vous vous savez écrire, moi je suis poète et, dans un temps lointain, j'étais guerrier. Plutot bon d'ailleurs...Ils trouveront sans aucun doute à nous employer à une tâche pas trop difficile et bien rémunérée."

Ces mots sonnent étrangement dans la bouche de Gobor Duk. Etre employé n'était pas dans ses ambitions et ne l'avait jamais été, mais après tout, maintenant qu'il y reflechissait un peu, il y avait certainement des emplois qui ne nécessitaient pas de débauche d'energies excessives... Faire le pied de grue devant une porte, classer des archives, ce genre de choses. Cela faisait quelque temps que cette idée trottait dans la tête du nain mais son incommensurable feignantise le freinait en tout. Cette rencontre fortuite réactiva cette idée et lui donna du sens. Il ne voulait pas faire cette démarche seul.

" Allez, prenez ça, vous en aurez plus besoin que moi "

Aureane ouvrit de grands yeux, interloquée.

" Mais... euh... "

Elle secoua la tête avec un petit sourire timide :

" C'est très généreux de votre part, mais... je travaille, je n'en suis pas encore réduite à mendier... "

Elle se mordit la langue, craignant d'avoir gaffé et de vexer le nain. Non, il faudrait vraiment qu'elle soit désespérée pour demander l'aumône ou accepter de l'argent pour lequel elle n'avait rien fait. elle avait sans doute besoin d'argent, mais lui plus encore, de son point de vue, alors il était hors de question qu'il lui donne ce qu'il possédait.

"Ecoutez, vous et moi chère Auréane, avons des problèmes similaires. Suivez moi donc, nous allons voir le gouverneur de cette ville ou quelque autre autorité et nous irons exiger qu'on nous trouve de l'argent, un logement décent et un peu de considération."

A nouveau, la jeune femme écarquilla les yeux avant de secouer la tête. Cette proposition était tout bonnement délirante. Les explications suivantes ne la convainquirent pas d'avantage mais elle n'avait pas le cœur à briser le bel élan du nain.

" D'accord... je vous suis. "

Elle ne pensait pas une minute à chercher quoi que ce soit pour elle même, parce qu'elle ne se faisait aucune illusion. Son travail de serveuse était déjà une chance dans une ville comme Diantra. Mais bon, elle n'avait rien contre le soutenir dans sa recherche d'emploi... Elle en savait pas du tout où il allait bien pouvoir les mener mais ça n'avait pas trop d'importance. Intérieurement elle se demandait s'il allait vraiment oser aller voir les autorités et comment il allait présenter sa requête. Être nain et mendiant n'allait pas faciliter les choses.

" Personne ne mérite d'être pauvre. "

Elle avait parlé tout doucement, comme si elle se faisait la remarque à elle-même plus que pour partager ses pensées avec Gobor.

" Mais la pauvreté n'a pas d'importance. Ce qui est dur, c'est la solitude. "

Elle y croyait vraiment. Pauvre, elle l'avait toujours été. Sa famille était de celle qui économisait au sens propre comme au sens figuré les bouts de chandelle. Elle avait connu la faim tous les hivers, le froid quand le bois manquait... et elle s'en était accommodé. Mais la solitude, c'était une nouveauté bien plus cruelle qu'elle avait découverte à Diantra. Avoir l'impression qu'on pourrait disparaitre sans que personne ne le sache et ne s'en inquiète, c'était désespérant, on finissait par se demander si ça valait la peine de continuer à vivre.