Encore une soirée de cauchemar...

Il commençait à se faire tard et Aureane savait qu'elle avait encore plusieurs heures de travail devant elle. Les plus pénibles, comme d'habitude, pas tant à cause de la fatigue que parce que plus la nuit s'avançait, plus les clients de l'auberge s'enivraient... ils ne se contentaient plus de la laisser servir gentiment. L'établissement n'avait pas une trop mauvaise réputation, cependant le propriétaire fermait les yeux si les hommes se montraient un peu trop entreprenants envers elle et de son côté tout ce qu'elle pouvait faire était battre en retraite en cuisine. S'ajoutait à cela qu'elle ne pouvait pas se permettre de perdre sa place, par les temps qui couraient quand on avait la chance d'avoir un travail on le gardait. Bien sur, elle aurait préféré continuer à faire écrivain public, mais dans une ville comme Diantra, les gens avaient moins besoin de ses services que lorsqu'elle était encore à la campagne. Alors elle se contentait de jouer à la serveuse avec les inconvénients que cela apportait, surtout quand on était aussi timide qu'elle.

Ce soir là, il y avait beaucoup de monde dans la grande salle et la jeune fille se faufilait entre les clients, allant d'une table à l'autre, prenant commande, déposant ou déservant les plats et les innombrables boissons. Elle avait appris à se dégager rapidement lorsque quelqu'un l'approchait d'un peu trop près, mais elle ne pouvait pas éviter quelques remarques déplacées qui la faisaient s'empourprer. L'air aussi à l'aise qu'une petite souris dans la tanière d'un gros chat, elle parlait à peine, juste ce qu'il fallait pour dire bonsoir et demander ce que voulaient les clients. Depuis qu'elle était arrivée à la ville, elle avait fait des efforts pour s'intégrer, mais il fallait reconnaitre que ça n'avait pas vraiment porté ses fruits. Elle ne connaissait personne, échangeait tout juste quelques mots avec son patron qui la traitait comme une moins que rien et gagnait à peine de quoi racheter encre et parchemin pour les rares fois où elle prenait le temps d'écrire un peu ou de dessiner.

Cela dit, elle était loin de se plaindre, elle n'avait pas été élevée comme ça. "Dans la vie, il faut se battre et garder la tête haute quoi qu'il arrive" disait son père quand les temps étaient durs - c'est à dire souvent, surtout à la fin de l'hiver quand il n'y avait plus grand chose à se mette sous la dent. Elle n'avait pas le choix, elle le savait, alors autant voir les choses du bon côté. Heu... elle n'avait pas encore trouvé ce qui était très positif dans sa situation, mais elle finirait bien par avoir sa part de bonheur, non ? Il suffisait d'y croire... alors plutôt que de pleurnicher elle continuait à aller de l'avant coute que coute.

Aureane déposa les choppes sur son plateau et repartit à l'assaut de la salle. La table où elle se rendait n'était pas des plus sympathiques, elle avait intérêt à baisser les yeux et à ne pas s'y attarder... Sauf que sitôt les consommations déposées, une grosse main velue lui saisi le poignet faisant tomber le plateau dans un tintement qui passa presque inaperçu dans le vacarme ambiant.

" Hep pas si vite ! Si tu nous tenais un peu compagnie ? "

La jeune fille tenta de reculer sous le regard narquois de l'homme qui ne voulait pas la lâcher. Elle jeta un coup d'œil paniqué vers les cuisines d'où de toutes façons personne ne viendrait pour l'aider. Elle avait bien murmuré quelque chose pour se défendre mais c'était inaudible tant elle avait peur et de toutes façons, quoi qu'elle ait pu dire, ça disparut sous les rires gras de la tablée. Une haleine qui empestait l'alcool lui parvint quand l'homme la força à se rapprocher de lui - une vraie caricature du méchant mercenaire, il avait même une vilaine cicatrice sur la joue. Au bord de la panique, Aureane tenta encore de le repousser mais elle n'avait absolument pas la force de se dégager et ses efforts ne réussissaient qu'à amuser la tablée.

Lorsque la poigne de fer se déserra, Aureane battit en retraite comme elle put. Habituellement, elle se serait réfugiée aussi vite que possible en cuisine mais, placée à présent comme elle l'était, entre le mur, la table et la bagarre, elle n'avait pas trop le choix, elle dut rester sur place, regardant avec effroi les hommes qui se battaient. Son sauveur était un jeune homme qui devait être un peu plus âgé qu'elle et qu'elle reconnut avoir servi en coup de vent, quelques instants plus tôt. Un peu le genre prince charmant, si elle avait eu ce genre de rêve naïf... L'auberge était en effervescence et même si certains râlaient, ce genre d'événement amenant un peu d'animation était plutôt bienvenu. Aureane, elle, à défaut de pouvoir faire mieux, priait pour que le jeune homme ne soit pas blessé.

Du coin de l'œil elle vit son patron qui était venu voir ce qui se passait et elle espéra confusément ne pas être tenue pour responsable de la rixe. Enfin, pour le moment, elle avait bien trop peur pour vraiment se préoccuper des suites. Plaquée contre le mur, elle ne bougeait plus et lorsque les hommes sortirent, elle ne put retenir un soupir de soulagement. Elle avait les jambes en coton et avait l'impression que tout le monde pouvait entendre les battements de son cœur qui s'était emballé. Les yeux fixés sur la porte, elle semblait hors du temps...

" Asseyez vous le temps de vous en remettre... Je m'occuperais de régler cela avec votre patron si c'est un problème. "

La jeune fille sursauta légèrement, reprenant ses esprits et jeta un regard craintif à son sauveur. S'asseoir ? Son premier réflexe fut de refuser, mais elle devait reconnaitre qu'elle en avait bien besoin. Elle se mordit la lèvre, hésita un instant... puis hochant timidement la tête, elle s'installa, jetant un bref réflexe à son patron qui battit en retraite, sans doute impressionné par le blason de la rose noire. D'ailleurs, Aureane reconnu les armoiries au même moment, ce qui l'intimida encore plus. La garde royale, rien que ça ! Jouant avec ses mains encore légèrement tremblantes elle s'obstinait à les fixer, ne sachant que dire. Déjà qu'habituellement elle n'était pas très douée pour tenir une conversation, mais alors là... Ah si, quand même :

" Merci. " souffla-t-elle en relevant enfin les yeux vers le jeune homme.

Puis, dans un sursaut de tentative de communication, elle ajouta doucement, avec une pointe d'inquiétude :

" Vous allez bien ? "

Qu'il ne soit pas blessé à cause d'elle au moins ! Autour d'eux, l'auberge s'était calmée. Elle vit circuler Florine, une de ses collègues qui aurait dû prendre son service plus tard et qui avait sans doute été envoyée par le patron pour la remplacer. Aureane allait sans doute le regretter plus tard, mais pour l'instant, elle venait de gagner une pause dans ce cauchemar, ce qui lui fit adresser un sourire timide, mais reconnaissant, au jeune homme.

Ce devait être quelqu'un de bien pour prendre la peine de réagir aux soucis de la première serveuse venue. Mis à part en lui disant "merci" elle ne voyait malheureusement pas comment le remercier. Quand à se trouver assise en face de lui, elle avait déjà fait un effort désespéré pour aligner plus de deux mots face à un inconnu. Elle se remit à jouer avec ses mains ne sachant qu'ajouter. Enfin, au moins, elle commençait à se calmer et à se remettre de ses émotions.

Aureane sourit spontanément, pour la première fois, non pas parce que Garemas le lui demandait, mais parce qu’elle avait été réellement amusée par sa demande.

" C’est une drôle de requête. " lâcha-t-elle d’un air malicieux.

Elle retourna vite dans une réserve prudente, se surprenant elle-même d’avoir répondu sans trop réfléchir, mais elle se sentait enfin bien. Après tout, elle savait qu’elle aurait des soucis plus tard, alors maintenant, autant profiter de l’instant présent, elle n’avait jamais été du genre à ressasser en s’inquiétant pour rien. Elle repensa au fait qu’il l’avait appelée « dame » et sourit à nouveau, amusée, fixant malgré tout la table pour ne pas trop croiser le regard du jeune homme. De son point de vue, elle n’avait vraiment rien d’une dame… Venant d’un autre, elle se serait sans doute méfiée, se disant qu’il la flattait lourdement. Mais lui avait l’air sincère et cette qualité manquait cruellement chez les gens qu’elle avait l’habitude de côtoyer depuis qu’elle était à Diantra. Oui, elle pouvait sourire, elle n'avait pas besoin de se forcer, loin de là.

" Aureane… "

La jeune fille releva la tête vers sa collègue, Florine, une blondinette qui devait avoir dans les vingt-cinq ans. Cette dernière semblait ennuyée et jetait de fréquents coups d’œil vers la cuisine où se trouvait sans doute le patron. Elle se mit à parler précipitamment, à mi-voix l'air franchement mal à l'aise :

" Il m’a proposé de faire double d’heures à partir de maintenant, j’ai accepté... avec le p'tit tu comprends… "

Florine avait un bébé sur les bras qu’elle avait voulu garder bien qu’elle même ne connaisse pas le père. Aureane savait quelles difficultés elle avait à l’élever et elle commença à comprendre avant même que l’autre ne lui explique.

" J’ai su après, pour toi… c’est… il dit que c’est la deuxième fois, ça, et il… j'crois qu’il attend ce soir pour l'dire, mais j'pense qu’il m’a donné ta place. "

Nouveau coup d’œil vers les cuisines, la jeune femme conclut rapidement avant de s’éclipser comme si le Diable en personne allait venir s’occuper d’elle :

" Désolée, j'pensais pas… "

Aureane n’avait pas bougé, si ce n’était qu’elle avait perdu son sourire. Les mains serrées sur le bord de la table, elle s’y raccrochait comme si le monde autour d'elle allait s'effondrer. Elle savait que ça arriverait tôt ou tard. Elle n’était pas faite pour ce genre d’endroit, c’était évident. Virée... L’ennui, c’était qu’elle ne voyait pas bien où aller. Bien sur, il y avait des auberges plus correctes, mais encore fallait-il les dénicher et sans connaitre personne… elle se mordit la lèvre, le temps de se reprendre un peu puis releva les yeux vers Garemas avec un sourire désabusé, murmurant autant pour lui que pour elle-même :

" On dirait que mes problèmes ici sont définitivement réglés. "

Puis elle prit un air plus résolu, sembla réfléchir un instant, avant de demander timidement :

" Connaissez vous bien la ville ? "

Loin de s'effondrer en sachant qu'elle allait se retrouver à la rue, elle cherchait visiblement à reprendre les choses en main. Allez de l'avant quoi qu'il arrive... Ce n'était pas plus dur que le jour où elle avait débarqué à la ville du fin fond de sa campagne après tout. Elle décida de s'expliquer, même si c'était d'une petite voix pas très assurée.

" Je ne suis pas à Diantra depuis très longtemps, savez vous s'il y a une autre auberge qui cherche quelqu'un ? Je suis écrivain public, pas seulement serveuse, normalement. "

Elle prit conscience qu'elle devait avoir l'air franchement perdue et ne voulant surtout pas qu'il cherche à l'aider plus que nécessaire, elle ajouta rapidement :

" Je peux me débrouiller pour la nuit, mais il faut que je retrouve une place dès que possible et je ne sais pas trop où m'adresser... "

Habituellement, elle n'aurait pas parlé ainsi à quelqu'un qu'elle connaissait à peine, mais d'une part, elle commençait à sentir monter la panique, même si elle s'efforçait de la maitriser et d'autre part Garemas était bien la seule personne à laquelle elle pouvait s'adresser en espérant avoir une réponse honnète. Elle s'aperçut qu'elle était toujours accrochée au rebord de la table et se força à la lâcher, respirant pour se calmer. Tant que son patron ne venait pas la mettre dehors, elle était encore ici, au chaud et avait donc la nuit pour réfléchir.

Dans un monde où la générosité se fait bien rare, on est toujours surpris de la rencontrer dans une forme bien pure,dénuée d'un quelconque compromis, une chose à offrir en retour... Aureane pouvait, dans ses réactions répondre à cette affirmation bien peu encourageante, toujours ce besoin de remercier son attention, cette idée qu'on doive se forcer pour l'être alors que ce n'était que de bon coeur...

Il ramena sa main devant lui quand elle se dégagea, nullement gêné de ce repli et quand elle lui assura qu'elle travaillerait dur, ce qu'il lut dans son regard le rassura, il irait bien la proposer pour ce boulot et si elle faisait bien attention, elle avait toute ses chances de la garder un bon moment. La suite l'agaça avant de le faire sourire, bien amusé par une telle idée.
Il n'avait pas un don, juste une chance peut-être insolente et un code, rien de plus, rien de moins, après, c'était une histoire de relation, et elle avait la chance que le bienveillant soit arrivé assez longtemps avant elle pour avoir le temps de visiter un tas d'auberge et de taverne, jusqu'à trouver la perle rare, pour lui comme pour elle semble t-il.
Elle refusa ensuite en partie sa générosité, désirant se débrouiller seule le temps que la gérante revienne, il n'irait pas contre, mais ne s'en détacherait pour autant pas avant d'être sûr de la suite... En espérant que son envie de ne pas trop abuser de ce qu'il peut offrir ne soit trop débordante pour l'en empêcher.

L'idée de la recommander, il l'avait depuis le début, elle ne se présenterait pas à ce boulot sans qu'il ne soit passé avant pour parler d'elle et de son idée à la gérante, préparer le terrain, elle était timide, l'opposée de sa future patronne qui ne se laissait jamais marcher sur les pieds, raison pour laquelle elle serait en sécurité, et même si elle était gentille, trop peu d'assurance juste dans ces discussions, s'aurait pu être mauvais pour elle. Il espérait en tout cas qu'à son contact, sous son aile, elle perde en timidité, gagne en assurance et s'affirme plus facilement, pas uniquement en coup éclair.
Quand elle eut fini, il prit à son tour la parole, avec cette douceur qu'il avait depuis le début de la conversation.

- Encore une fois, vous n'avez pas à me remercier, ou si vous y tenez vraiment, quand vous l'aurez, ce travail... Si vous arrivez à être plus heureuse et à le garder, vous m'aurez remercier.

C'était plus que suffisant pour lui, la satisfaction d'avoir permit une telle chose et l'idée qu'elle puisse être heureuse, voila une digne récompense, point besoin d'un service, d'une somme qu'elle n'avait pas. L'assurance que pour elle, ça aille et c'était gagné.

- Après... Je ne sais pas si j'ai un don, ça serait vraiment bien si je pouvais résoudre tout les problèmes, je dois l'avouer, mais j'ai des doutes quant à l'étendue de mon talent... Profitez plutôt de ma chance insolente ce coup-ci.

Il termina sa phrase avec un ton amusé, il ajouta ensuite bien plus sérieusement.

- Je vais donc vous laisser vous débrouiller, mais pourrez-vous me prévenir où vous irez, que je sache où vous trouver pour vous avertir de leur retour... Ah oui, et, même pour des broutilles, si vous avez le moindre problème, rendez-vous au Fort de la Valliance et faites demandez Garemas Perevald, de la Rose Noire, d'accord ? N'hésitez surtout pas, cela ne me posera aucun problème.

Voila, comme ça, la proposition était faite, même si ce n'était pas totalement vrai, il allait devoir expliquer au Commandant Johann son sens du devoir, pas forcément accordé à celui de la jeune femme, mais qu'importe, ce seront juste des joutes verbales sans trop de conséquence, dans le pire des cas, des corvées supplémentaire, rien de grave.
Il ajouta ensuite avec tout autant de sérieux.

- Pensez-vous franchement que je me force à faire tout ceci ? Ne vous en faites donc pas pour cela, je suis tenté par simplement vous dire de profiter de ce que je vous offre, rien de plus.

Il marqua un temps d'arrêt avant de lui demander sur un tout autre sujet.

- Si nous restons encore un peu ici, je vous offre quelques choses ? Ou bien voulez vous faire autre chose ?

C'était tout de même fabuleux d'avoir affaire à quelqu'un de désintéressé. Assez agréable pour que Aureane retrouve le sourire malgré les circonstances. Finalement, sa situation allait peut-être s'améliorer, si ce n'était ces quelques prochains jours qui risquaient d'être un peu difficiles. Quant à l'avertir de l'endroit où elle serait, elle se mordit la lèvre un instant :

" Hem... je pense demander l'hospitalité à la cathédrale. "

Elle en était un peu honteuse et avait avoué cela à mi-voix. C'était un peu comme demander l'aumône, dans sa tête et elle avait beaucoup de mal à s'y faire. Seulement c'était ça où trainer seule dans la rue et il valait toujours mieux voir sa fierté un peu maltraitée que se faire violer et tuer au fin fond d'une ruelle.

" Et j'essaierai de travailler comme écrivain public en attendant, ce sera toujours ça. "

Elle n'allait pas patienter sans rien faire, c'était hors de question. Cela dit, elle savait très bien qu'il y avait peu de chance pour qu'on s'arrête pour lui demander quoi que ce soit, quand elle serait installée dans la rue avec sa plume. Quant à se rendre au fort et à le demander, il faudrait vraiment qu'elle soit désespérée pour oser aller jusque là.

La suite la laissa indécise. Ce qu'elle voulait faire ? Elle n'en n'avait pas la moindre idée.

" Je... n'en sais rien. "

Elle jeta un coup d'œil inquiet vers les cuisines avant de reprendre :

" J'imagine qu'il ne viendra pas, mais je ne sais pas si c'est une très bonne idée de rester là. "

Elle aurait été seule, elle aurait sans doute fait comme si Florine ne lui avait rien dit le plus longtemps possible, histoire de gagner du temps, mais maintenant qu'elle savait plus ou moins où aller, il valait peut-être mieux quitter les lieux sans histoire. De toutes façons, elle n'avait que ses affaires d'écrivain à récupérer, elle ne risquait pas d'aller demander sa paye de la journée !

Elle devait avoir l'air un peu perdu... Qu'il lui offre quelque chose ? Oh non, elle avait déjà largement abusé de sa générosité ! Quand à aller faire autre chose... elle n'avait pas vraiment pris le temps de se demander ce que pouvait offrir la ville depuis son arrivée et de toutes façons elle n'en avait pas eu le temps. Chez elle, elle aurait eu quelques idées, il suffisait d'aller se promener dehors pour prendre l'air et passer un moment agréable, les villageois n'en demandaient pas plus. Mais ici, la ville et son agitation l'effrayait plutôt qu'autre chose. Elle se sentait stupide, maintenant. Il allait la prendre pour une parfaite idiote comme la plupart des gens qui confondaient bêtise et timidité. Bon, elle savait que question réserve, elle était excessive, mais elle faisait ce qu'elle pouvait pour passer au dessus. D'ailleurs, elle osa demander :

" Vous avez une idée ? "

C'était déjà beaucoup, pour elle, poser une question qui n'était pas imposée par une quelconque obligation et en plus sous entendre que oui, elle acceptait sa compagnie pour la soirée, car après tout, son premier mouvement était le plus souvent de battre en retraite. Mais là elle devait reconnaitre que pour une fois elle s'était débarrassée de l'idée de se retrouver seule au plus vite. Elle appréciait la gentillesse toute simple de Garemas, ça changeait des gens qu'elle était habituée à côtoyer. Il avait l'air d'être capable de voir un peu au delà de sa timidité et ça donnait à la jeune fille l'envie de faire un effort pour garder contact. Elle finit même par ajouter avec un petit sourire contrit :

" Je crains de ne pas être de très bonne compagnie. "

Oh oui, elle avait conscience qu'elle n'avait pas la discussion facile et elle était plutôt étonnée que Garemas ne l'ait pas déjà plantée là. Parce que même en admettant qu'il se sente obligé de l'aider, il n'était pas tenu de rester. Ça, c'était tout à fait nouveau et elle en était plutôt contente.

(Désolé pour les jours sans réponse, des journées chargées, je vais pouvoir retrouver un bon rythme.)


Ainsi, elle pensait dormir à la cathédrale pendant les quelques jours que durera l'attente avant le retour des gérants... Ce n'était sans doute pas la meilleure solution, et son ton suggérait qu'elle n'était guère fière d'opter pour celle-ci mais elle ne semblait pas avoir beaucoup plus de choix. Sa situation financière semblait tout aussi mauvaise que celle d'être actuellement sans un travail et ce que ça offre comme conclusion, il devrait peut-être demander à son amie de lui donner aussi un lit et le couvert sans que cela n'affecte la paye de base, quitte à payer pour ce genre de chose de sa propre poche sans la mettre au courant, au moins le temps que sa situation s'améliore.
Il ne pouvait offrir ce genre d'aide à tout le monde, mais pour une jeune femme aussi charmante, même dans sa timidité et sa réserve, et autant dans le besoin, finalement, il pouvait bien y mettre autant, si c'est nécessaire.

Par contre, la cathédrale et ses talents d'écrivain lui donnèrent soudainement une idée qui pourrait peut-être lui rapporter quelques pièces durant son séjour... Il n'était pas certain, mais qui sait, peut-être qu'au fond, ça pourrait marcher. Il prit donc la peine de lui répondre, ne réfléchissant pas plus, car cela n'allait amener à aucun résultat.

- Hum... Même si l'idée de l'hospitalité de la cathédrale ne semble pas trop vous enchanter, c'est sans doute la meilleure et la plus sûre des solutions pour attendre quelques jours si vous n'avez pas les moyens pour vous payer une chambre durant tout ce temps...
Par contre, je viens d'avoir une petite idée, je ne suis pas certain qu'elle soit vraiment réalisable, mais cela vaut le coup de se renseigner je pense... Cela ne met pas en avant votre talent j'imagine dans l'écriture, mais cela peut vous rapporter quelques pièces. Les religieux qui vous accueilleront tiennent peut-être des registres de toutes sortes, le temps, l'humidité, les nombreuses consultations les usent et en plusieurs décennies, parfois plus, ils ne sont plus aussi lisible qu'il le faudrait...

Il fit une pause, se demandant si elle comprenait son raisonnement, avant de reprendre.

- Si ils tiennent de tels registres, qu'ils sont victimes de l'usure comme je le soupçonne, il se pourrait que vous puissiez vous proposer pour les aider, contre quelques pièces, à remettre à neuf ces écrits... Bon, c'est sans doute un métier très ennuyeux, mais ce n'est que quelques jours, une semaine tout au plus... Après, je dis ça, je ne suis pas sûr que ce soit faisable.

C'était une idée basée sur quelques acquis qu'il avait, après, cela ne se fondait que sur le fait de savoir que de tel registre devait forcément exister et que le temps avait des conséquences sur ces derniers, à voir si les religieux l'accepteraient pour au moins quelques jours à ce genre de tâche assez ingrate, au fond, mais cela occuperait son temps.

Pour la suite, elle avait donc dans l'idée de partir, c'est vrai qu'il valait mieux ne pas trop tenter le Diable après son renvoi, même si sa compagnie actuelle la protégeait de foudres qui seraient déjà tombées mais le gérant avait bien trop peur de l'uniforme pour se perdre à la moindre tentative contre le jeune soldat.
Il fallait néanmoins, l'imaginait-il en tout cas, récupérer des affaires qu'elle devait avoir laissé ici, l'aspect dissuasif de sa condition serait encore une fois très utile, il en avait conscience et saurait servir de bouclier à la demoiselle devant son ancien patron quand elle demanderait à aller récupérer ses biens.
Avant qu'il ait pu reprendre la parole, elle lui dit une chose qui le fit sourire, elle n'était pas une très bonne compagnie hein ? Pour l'heure pourtant, malgré la timidité et la réserve dont elle faisait preuve, c'était une compagnie agréable et apaisante, malgré qu'il en soit encore à résoudre ses problèmes. Il se permit ensuite de répondre, avec toujours autant de douceur.

-Sage décision que de préférer partir, mais je suppose qu'il faut récupérer vos affaires avant cela, ensuite... Et bien, une petite balade pour nous diriger vers la cathédrale, avec peut-être des petits détours, nous discuterons pendant celle ci... Vous ne serez pas la première mauvais compagnie que je partage.

La dernière phrase était dites avec ironie, appuyant l'idée qu'elle était loin d'être une mauvaise compagnie à son sens.


- Ce programme vous convient-il ?

Oui, Aureane avait eu de la chance, elle en avait conscience... Ainsi, lui aussi venait de la campagne ? Peut-être était-ce pour cela qu'il comprenait un peu ce qu'elle pouvait ressentir, perdue en pleine ville. Cette impression d'immensité, cette sensation de ne pas exister d'avantage qu'une insignifiante petite fourmi. Quand il lui demanda ce qu'elle avait dans sa sacoche, son visage s'éclaira :

" Ma gourde, mais surtout, mon matériel d'écrivain : plumes, encres et pigments, vélins et parchemins. "

Il y avait une certaine fierté dans ses propos. Pas de prétention, mais elle tenait visiblement beaucoup à ce que contenait sa sacoche. Une bonne partie de son matériel lui venait de celui qui lui avait appris à écrire, elle avait acheté l'autre avec ce qu'elle gagnait en travaillant, le reste, elle le fabriquait elle-même. Quoiqu'il en soit, elle y tenait particulièrement car elle savait qu'elle ne pourrait pas le renouveler de sitôt.

L'autre question en revanche lui fit perdre instantanément son sourire. Les yeux fixés au sol, elle garda un moment le silence avant de commencer à raconter en murmurant d'un air sombre, un peu hésitant :

" Je viens d'un petit village à la frontière des domaines royaux, duchés d'Erac et de Langehack... "

Sur ce point, elle n'était plus très sure. L'endroit était tellement perdu que mis à part pour venir réclamer les impots, personne de l'extérieur ne venait leur rendre visite si ce n'était le colporteur une fois l'an. La plupart des villageois savaient à peine qu'ils dépendaient du domaine royal. Elle, à force de lire aux autres leurs courriers et de s'occuper des quelques décrets qui les concernaient, elle avait fini par situer le village à peu près comme cela. Enfin, pour le moment ses notions incertaines de géographie étaient bien le dernier de ses soucis. Elle aurait pu garder pour elle sa petite histoire, mais, après tout, elle n'avait rien à cacher. Et puis, se confier un peu serait peut-être agréable. Elle continua donc en hésitant :

" Il y a eu... Il y a eu la peste. Les gens... ont pris peur. Les superstitions sont devenues plus consistantes. Il... Les gens ont commencé à chercher un responsable. "

Elle s'abîma un instant dans des pensées douloureuses avant de reprendre en s'efforçant de garder un air relativement neutre. Après tout, elle s'était faite à l'idée, c'était juste que raviver ces souvenirs était peut-être plus dur qu'elle ne l'avait pensé :

" Ils ont fini par me tenir pour responsable, je ne sais pas vraiment pourquoi. J'ai... au début ce n'était rien du tout, juste des rumeurs, je n'y ai pas prêté attention... Quand on a commencé à m'insulter ouvertement j'ai pris peur, ensuite mes parents m'ont convaincue de partir avant qu'ils ne s'en prennent physiquement à moi. J'ai... j'ai traversé la plaine pour rejoindre la ville où j'étais sensée trouver du travail... "

Elle retint un frisson ne se souvenant de son voyage. Perdue en pleine nuit dans le plaine, se rendant compte qu'elle n'avait plus la moindre idée de l'endroit où se trouvait Diantra. Elle soupira, fixant toujours le sol obstinément :

" Je me suis vite rendue compte que personne ici n'avait besoin d'écrivain public, ou si peut que ça ne pouvait suffire à me nourrir. Alors j'ai accepté une place de serveuse. "

Non, elle n'était pas à l'aise à Diantra, ça sautait aux yeux, évidemment. Quitter un environnement familial presque envahissant avec parents, frère et sœurs, grand-parents, vivant tous sous le même toi, à plusieurs dans le même lit ; une maison pauvre mais chaleureuse, toujours pleine de vie ; pour être envoyée seule, en pleine ville et sans un sou, c'était une drôle d'épreuve, surtout quand on n'était pas spécialement débrouillarde et particulièrement timide.

" J'espère pouvoir retourner là-bas, un jour. avoua-t-elle à mi-voix. Mais je ne peux pas retraverser la plaine seule, c'est évident. Je ne sais pas trop comment je serai accueillie, en plus, car après tout, peut-être qu'ils avaient raison... "

Elle avait beau avoir eu la chance de s'instruire un tout petit peu plus et donc être moins crédule que la plupart des villageois, sans parler du fait qu'elle avait sa conscience pour elle, elle avait tout de même été élevée dans ces superstitions, ce n'était pas évident de s'en détacher.

" Mais ma famille me manque. Les miens ont toujours cru en moi tout de même. "

Elle se rappelait sa mère, traçant ses runes magiques à la va-vite avant son départ. Pour la protéger, disait-elle, même si elle n'avait aucune connaissance magique. Superstition... C'est une fois perdue dans la nuit que la jeune fille avait pris conscience qu'elle était sans défense. Elle soupira à nouveau, avant de planter son regard azur dans celui de Garemas :

" Pensez-vous qu'une seule personne puisse attirer le malheur sur une communauté ? "

C'était une question sérieuse. Après tout, la peste avait détruit nombre de vies, les dieux en avaient décidé ainsi, non ? Qu'est-ce-qui aurait pu justifier une telle horreur ? Elle revoyait les gens barricadés chez eux, refusant de donner assistance à leurs voisins atteints par la maladie. Et puis le village avait à nouveau repris ses activités, les morts avaient été pleurés et les rumeurs avaient commencé à circuler. Les regards s'étaient tournés vers cette fille bizarre qui ne parlait jamais : elle... Se pouvait-il qu'ils aient eu raison ? Cette idée la désespérait.

Elle possédait vraiment peu de choses, mais savait accorder à ce peu une infinie importance, et si la valeur concrète n'aurait pu lui donner grande richesse, celle que son cœur s'exprimant dans une fierté attachante ne saurait se chiffrer en écus ou en souverains, cela il en était certain... Ces quelques objets utiles à cette passion de l'écriture était aussi précieuse qu'Elriol, son compagnon absent ou bien la vieille épée longue héritée de son père, remise à neuf par l'un des forgerons du Fort. Par cette fierté, elle appuyait plus que jamais son émerveillement devant la magie qu'elle trouvait en l'écriture, en la lecture et elle emmenait Garemas dans cette troublante vague.

Elle s'ouvrit ensuite, continuant de confirmer au jeune soldat qu'il était un homme envers qui elle éprouvait tant de confiance, et s'en était toujours touchant. Son histoire était bien triste, presque irréelle à ses yeux, comment avait-on pu l'accuser d'être à l'origine de la peste, la penser responsable alors qu'elle était finalement si peu de choses ? Elle n'avait rien de la sorcière jeteuse de sort, de la maudit attirant le malheur, au contraire, en cette soirée, elle lui avait même porté chance... A part le petit différent, rien d'ennuyeux n'était arrivé, s'en était presque troublant, lui qui attirait justement les ennuies comme la lumière d'une flamme attire le papillon de nuit...

C'est vers la fin de son histoire qu'il trouva l'idée, le cadeau qu'il tenait à offrir à cette charmante demoiselle... Elle voulait revoir sa famille, retourner là-bas un peu, le temps de les retrouver et passer quelques temps avec eux, n'est ce pas ? Et bien, il l'exaucerait à une prochaine rencontre, elle avait capté son attention, et il voulait presque penser que l'idée d'une amitié entre les deux était réciproque, qu'elle éprouvait cette même envie que ce début ne s'efface pas quand elle aurait retrouvé du travail grâce à lui, mais cela, il ne pouvait pas le savoir, malheureusement.

La dernière question le surprit et il prit de longues minutes pour réfléchir avant d'entamer une réponse valable.

Je ne le pense pas... Du moins, tout dépend de la personne, du caractère, des penchants... Mais si vous parlez de vous, je le dis clairement, non. Si vous attiriez le malheur, il faudrait expliquer que je n'aille pas si mal... Même étrangement bien alors que je suis le premier à m'attirer des ennuies, un maladroit en de nombreux points, épargner depuis que nous nous sommes croisés... Pensez-vous vraiment que vous portez malheur ?

Il marqua un temps de pause avant de reprendre.

Les tragédies arrivent, brisent des vies mais ce n'est pas de la responsabilité des innocents quand ce sont de pareils drames, ce n'est pas votre fait... La peste a frappé tout le pays, c'est tout... Si il fallait rejeter la faute sur quelqu'un, c'est aux Cinq qu'il faudrait s'adresser, leur demander la raison, ce qui a poussé à provoquer une telle catastrophe, mais ce n'est pas à vous de prendre pour vous le drame de votre village.

Accuser les dieux étaient osés, mais n'était ce pas eux qui dirigeaient les vies après tout ? Il redirigea vers du plus positif.

Peut-être que ce jour où vous les reverrez viendra rapidement, je vous le souhaite, vous méritez beaucoup de bonnes choses, aussi agréable que vous êtes, vous avez le droit d'être récompensée, à mon sens en tout cas.

Devant eux se dressait alors déjà la cathédrale, la balade et la soirée en cette charmante compagnie touchait à son termes, à regret... Il s'arrêta, se tournant vers elle et lui sourit avec douceur.

Et bien... Nous voilà arrivé on dirait... Je vous ferais parvenir l'adresse et le nom de l'auberge dont je vous ai parlé quand ils seront revenus et que j'aurais parlé avec eux de votre personne, louant les vertus qui sont les votre... Et puis, surtout n'oubliez pas, au moindre souci, n'hésitez pas à venir me chercher, à vous réfugier au Fort si il le faut, et je ne veux pas entendre des idioties du genre « Je ne dois pas abuser de votre gentillesse », abusez en, à l'extrême même si il le faut, du moment que vous ne me demandez pas de vaincre une armée entière pour vous, je suis un peu votre chevalier servant, et ce avec plaisir.

Jouer les chevaliers servants pour une charmante demoiselle, oui, c'était bien son genre, sans être charmeur, c'était une idée qui lui plaisait, et il appuyait le jeu en la saluant, s'inclinant comme un tel personnage le ferait devant une princesse, peut-être même devant l'être aimé, mais ce n'était pas le cas, non, c'était juste une petite plaisanterie du jeune homme.

- Prenez soin de vous, chère Aureane... Les personnes aussi agréable que vous sont si rare ici que je ne voudrais pas vous voir disparaître...

" Je ne le pense pas... Du moins, tout dépend de la personne, du caractère, des penchants... Mais si vous parlez de vous, je le dis clairement, non. Si vous attiriez le malheur, il faudrait expliquer que je n'aille pas si mal... Même étrangement bien alors que je suis le premier à m'attirer des ennuis, un maladroit en de nombreux points, épargné depuis que nous nous sommes croisés... Pensez-vous vraiment que vous portez malheur ? "

Présenté ainsi... Aureane eut un petit sourire. D'une certaine façon, il lui confirmait ce que son esprit rationnel pensait, mais en même temps, elle se sentait soulagée qu'il en soit si sûr. Il était difficile de se débarrasser des superstitions campagnardes, même quand elles paraissaient aberrantes. La suite lui fit hocher légèrement la tête, acquiesçant silencieusement à ce que disait le jeune homme.

" Peut-être que ce jour où vous les reverrez viendra rapidement, je vous le souhaite, vous méritez beaucoup de bonnes choses, aussi agréable que vous êtes, vous avez le droit d'être récompensée, à mon sens en tout cas. "

Le compliment la fit rougir et elle ne répondit rien, ne sachant que dire. Pour elle, il était peu probable qu'elle revoie sa famille avant longtemps, elle s'était faite à l'idée. Traverser la plaine impliquait d'une part de pouvoir se permettre de cesser de travailler plusieurs jours, d'autre part d'être accompagnées pour ne pas risquer sa vie inutilement. Sur ce point, à moins de payer un garde du corps - idée totalement hors de ses moyens - elle ne voyait pas qui se rendrait dans un coin aussi reculé que même les colporteurs ignoraient. Quand à être récompensée... pour quoi au juste ? Elle n'avait rien fait d'extraordinaire, elle, contrairement à lui ! D'ailleurs, quoiqu'il puisse dire, elle était bien décidée à faire quelque chose pour lui en retour. Elle ne savait pas encore quoi, mais elle trouverait, il le méritait.

" Et bien... Nous voilà arrivé on dirait... "

Aureane releva la tête vers la cathédrale, surprise. Plongée dans la conversation elle n'y avait pas prêté attention. Elle savait qu'elle ne dormirait pas dans le bâtiment lui-même, évidemment, mais il y avait toute une organisation à côté qui devait permettre d'aider les plus démunis à condition qu'ils se tiennent correctement. Et si elle osait, elle suivrait l'idée de Garemas, elle demanderait à aider à la copie des manuscrits.

" Oh... "

Une légère exclamation de regret lui échappa. Aussi étrange que cela puisse paraitre, elle qui recherchait habituellement la solitude avait apprécié la soirée. pas le début, évidemment, où elel avait vraiment eu peur, mais au final, elle avait oublié ses mésaventures et n'avait pas vu le temps passer.

" Je vous ferai parvenir l'adresse et le nom de l'auberge dont je vous ai parlé quand ils seront revenus et que j'aurai parlé avec eux de votre personne, louant les vertus qui sont les vôtres... "

Aureane rougit à nouveau, se demandant bien qu'elles vertus il pouvait lui trouver : elle se sentait parfaitement banale. Un instant, elle fixa à nouveau ses chaussures pour cacher sa gêne avant d'oser le regarder en face à nouveau.

" Je resterai dans les parages pour tenter de travailler. "

Elle sortirait son écritoire et peut-être gagnerait-elle quelques piécettes en attendant mieux. Elle ne voulait pas rester oisive et après tout, même si elle était peu payée, le simple fait d'écrire lui plaisait, alors elle allierait l'utile à l'agréable.

" Et puis, surtout n'oubliez pas, au moindre souci, n'hésitez pas à venir me chercher, à vous réfugier au Fort si il le faut, et je ne veux pas entendre des idioties du genre « Je ne dois pas abuser de votre gentillesse », ... "

Elle avait ouvert la bouche dans l'idée de, justement, protester, elle la referma en laissant échapper un petit rire. Hum... Garemas l'avait bien cernée, il n'y avait pas à dire. Tout de même, elle doutait oser se rendre au fort pour demander quoi que ce soit. Ce n'était pas parce qu'il l'avait aidée ce soit là qu'il devrait continuer. Oh, elle aurait été ravie de le revoir, mais rien ne lui indiquait que ce serait réciproque. Le fait qu'il le propose pouvait juste signifier... Bon, d'accord, elle exagérait peut-être de penser que c'était une simple formule de politesse. Se dire qu'il la considérait peut-être comme une amie lui paraissait tout de même une drôle d'idée dans cette ville immense.

" ...abusez en, à l'extrême même si il le faut, du moment que vous ne me demandez pas de vaincre une armée entière pour vous, je suis un peu votre chevalier servant, et ce avec plaisir. "

Elle le regarda s'incliner, avec un mélange d'embarras timide et d'amusement, ne sachant que répondre. Le comportement de Garemas lui paraissait totalement irréel, elle était d'avantage habituée à ce qu'on l'ignore et elle devait reconnaitre qu'elle faisait de même avec ceux qu'elle ne connaissait pas. Mais le jeune homme avait une attitude qui l'incitait à sortir un peu de sa coquille. Il était à la fois gentil et spontané et même en étant aussi méfiant qu'elle il était difficile de trouver à redire. Alors, plutôt que de s'enfuir en courant, elle resta là à rire de bon cœur, esquissant à son tour un semblant de révérence.

Si on lui avait dit le matin même qu'elle aurait terminé sa soirée en plaisantant spontanément, elle ne l'aurait pas cru et se serait dit qu'il y avait erreur sur la personne. En tous cas, si la jeune fille n'avait pas le verbe facile, Garemas, lui reprit rapidement :

" Prenez soin de vous, chère Aureane... Les personnes aussi agréable que vous sont si rares ici que je ne voudrais pas vous voir disparaître... "

Là, en revanche, elle avait bien une idée de réponse, elle hésita néanmoins un instant. Habituellement, elle aurait sans doute murmuré un "merci, bonne nuit" ou quelque chose dans ce goût là avant de s'éclipser aussi vite que possible, mais le jeune homme était suffisamment différent de ceux qu'elle avait l'habitude de côtoyer pour qu'elle fasse un effort. C'est donc avec un sourire sincère qu'elle répondit gentiment :

" Je vous retourne le compliment, messire. Si tout le monde était comme vous... "

Elle s'arrêta, finalement peu douée pour exprimer ce qu'elle pensait. Il avait dit qu'il lui ferait parvenir l'adresse de l'auberge elle n'était donc pas sure de le revoir, ce qui la poussa à ajouter un peu maladroitement :

" Alors... à bientôt peut-être ? "

Sous-entendre qu'elle pouvait le considérer comme un ami et envisager de le revoir était un bel exploit venant de sa part, elle enchaina donc rapidement, un peu gênée de ses propres paroles :

" Je vous souhaite le bonsoir, messire, et encore merci pour votre aide. "

Sur ce, elle s'éclipsa rapidement vers la cathédrale.


[hrp : rp terminé pour moi, à bientôt ! :) ]