La fin de l’automne avait charrié son lot de rumeurs et de nouvelles à travers les plaines du Nord, arrivant jusqu’aux oreilles boursouflées de Gaucelm, alors que ce dernier arrachait un pan de viande énorme de la cuisse d’un poulet, la mâchant frénétiquement. Dans le grand salon du château d’Odelian, le messager exposait les faits et les dires qui agitaient le royaume. Depuis les terres d’Ancenis, on relatait le discours enflammé de Baudoin d’Oësgard, encourageant les armées conjointes de la coalition rebelle. Olyssea, Oësgard, l’Ancenois et même Hautval avait levé une force qui se dirigeait à présent vers Diantra, arrachant un gloussement de plaisir au Gras. Un sourire de poupon illumina son visage rubicond, entre deux bouchées de purée de carotte, tandis que sous son crâne chauve, les idées se bousculaient, alors qu’il se mit à rogner une patte de lapin.
Cette affaire pouvait être bénéfique à ses plans, lui qui lorgnait sur la baronnie d’Etherna depuis quelques temps, voyait là une confusion providentielle. Le chaos général qui devrait suivre ce siège, lui permettrait d’annexer la baronnie voisine, bien qu’il probablement soit accusé de trahison, l’opportunité de se trouver du coté du gagnant était alléchant. En effet, soit les insurgés périssaient, et un aveu d’opportunisme pourrait sauver sa tête et sa place, soit ils parvenaient le coup de force de prendre la capitale, et sa conquête, lui permettant de joindre Olysséa, assurerait une volonté de renforcer les projets des barons rebelles. Un nouveau gloussement s’échappa de la gorge grasse de Gaucelm, avant qu’il ingurgite un verre de vin de Hautval. Il éructa bruyamment, puis il s’écria.
Clerc !!
La voix de stentor de Gaucelm résonna sous le toit blanc qui courait dans le château, l’écho s’atténuant alors qu’on entendit deux grandes portes claquer. Un petit homme grisonnant et légèrement voûté, accourait muni d’un encrier et d’un sac rempli de parchemins. En quelques instants, le scribe entra face à son seigneur et s’installa en bout de table, loin des victuailles grasses qui étaient dévorées par le Comte d’Odelian. Le vieux bonhomme sortit une longue plume blanche, et après avoir humidifié la pointe, la plongea dans l’encrier finement ciselé. Après ce petit rituel, il observa rapidement son seigneur en souriant, près à transcrire fidèlement les paroles de ce dernier. La plume se mit à glisser sur le papier alors que Gaucelm énonçait.
Moi, Gaucelm d’Odelian, demande à chaque combattant Odélian de joindre la capitale du comté dans les plus bref délais. L’état de guerre est officiellement déclaré. Pour Odelian ! Le Bélier flottera haut ! …
Il prit un petit temps pour avaler sa bouchée et continua à s’adresser au clerc
Fais copier ceci, et que la nouvelle soit crié dans chaque place publique du comté. Ne traînes pas !
Le scribe aquiesça en hochant rapidement de la tête et s’apprêta à ranger son barda, mais Gaucelm n’avait pas terminé
Allons, Fulbert ! Allons ! Un peu de calme ...
Pardonnez moi, Seigneur, je pensais …
Contentez vous d’écrire !! Penser n’est pas fait pour les têtes creuses des gueux ! … Lettre aux barons insurgés …
Le vieux scribe marqua un temps d’arrêt en observant Gaucelm, qui fronça les sourcils en croisant son regard, le laissant retourner sans plus d’interrogations à sa besogne.
LETTRE AUX BARONS INSURGES !! Messeigneurs, la nouvelle de votre entreprise glorieuse est parvenue jusqu’aux plaines d’Odelian et sachez que le Bélier vous soutient dans votre combat. Je marcherais à travers Etherna pour me joindre à vous, dès que cela sera possible. Par la présente, j’engage le comté d’Odelian et ses combattants, qui embrassent votre cause. Que les Cinq veillent sur vous ! … Gaucelm, comte d’Odelian …
Le copiste tendit fébrilement le parchemin à son seigneur, après avoir fait couler un léger filet de cire. Le Gras posa son sceau et imprima la tête de bélier dans le liquide carmin, scellant ses écrits. Le vieux Fulbert détala sans un mot, trop occupé à ne rien faire tomber de ses bras surchargés, alors que Gaucelm faisait appeler un messager. Et alors que le jeune homme entrait, le comte se leva de son siège massif pour remettre le pli en mains propres, prodiguant ses instructions.
Ce pli doit être remis au baron d’Ancenis, d’Oësgard ou d’Olyssea … Nul autre !! Ta vie est moins importante que ceci
Il sortit un souverain d’une petite bourse qui pendait mollement au flanc flasque du noble, et le posa dans la main du jeune homme, estomaqué. Il se reprit bien vite et hocha la tête en signe d’accord, avant de quitter la pièce. Le gros comte resta un instant immobile, pensant à la machine qu’il venait de lancer. L’opportunisme n’était vraiment pas de tout repos …