Renaissance [Alteor]

Depuis combien de temps ne suis-je pas allée à Diantra ? Je ne sais plus mais je me rend compte que cela fait trop longtemps. La voir s'élever sur l'horizon dans toute sa splendeur me réchauffe étrangement le cœur. C'est comme si je revoyais une vieille amie. Je n'y suis pas née, je n'y ai pas
grandit mais d'une certaine manière, les années que j'ai vécut entre ces murs on été comme une renaissance pour moi. Elle m'a manqué, elle et tous ceux qui y vivent et y passent, elle et ses mille visages. Pourquoi suis-je partie déjà ? Je ne me rappelle pas... Ah, si. L'appel. Cet appel du large, de l'inconnu, cette supplication de mon esprit. Il me supplie de partir, de changer et je ne peux résister. C'est impossible. Quelles que soient toutes les choses qui m'attachent à un endroit. Mais aujourd'hui, c'est Diantra qui m'a appelée à elle et je ne peux lui faire faux bon.

Ilmraë éperonna vivement son cheval qui s'élança vers la ville lumière sans se faire prier. Une petite heure suffit à la jeune femme pour atteindre son but. Les souvenirs refluaient en elle à la vue de cette majestueuse cité. Elle observait la foule grouillante qui entrait et sortait. C'était un pur délice. Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas croisé tant de monde et elle découvrit à quel point tout cela lui avait manqué. Elle avait trente ans mais elle tombait toujours dans la même admiration lorsqu'elle constatait la diversité du monde et de ses habitants. Tous ces visages, tous ces métiers, toutes ces personnalités différentes la fascinaient. Elle pouvait passer des heures à simplement regarder et écouter la vie autour d'elle sans y prendre part. Beaucoup de choses finissaient par l'ennuyer mais cela elle ne s'en lassait toujours pas et elle ne s'en lasserait certainement jamais. Elle voulait aussi toujours jouer et tromper en endossant une personnalité en fonction de son goût du jour. Mais pour l'heure, elle était une observatrice avisée, vêtue discrètement et se faufilant telle une ombre dans la foule.

Je ne sais pas encore ce que je vais faire, je ne sais pas combien de temps je vais rester. Tout cela n'a pas la moindre importance. Prévoir la vie la rend terne et inintéressante. Je verrais comment tourneront les choses. Mais je veux m'amuser. Pour cela, je n'ai qu'une chose à faire : trouver une auberge et observer. Toi, population de Diantra, tu viendras me donner de toi même des idées pour te tromper et te dépouiller. Je n'ai qu'à attendre.

La femme descendit de cheval et marcha dans les rues. L'animal était robuste et chargé de caisses remplies d'objets, de vêtements, d'accessoires en tous genres qui suivaient Ilmraë presque partout où elle allait. Elle avait accumulé tout ce bazar au cours de ses voyages grâce à tous ceux qu'elle avait détroussés. Certains avaient été plus difficiles que d'autres à tromper mais tous avaient fini par lui donner ce qu'elle voulait, ou presque. Elle ne s'en lassait pas, elle avait toujours soif d'argent mais ce qu'elle appréciait par dessus tout, c'était jouer des rôles et faire croire n'importe quoi à ses « victimes ».

De mémoire, Ilmraë parvint à une auberge où elle avait autrefois travaillé,
lorsqu'elle était jeune. L'endroit n'avait pas changé, elle si. Personne ne la reconnaitrait, elle en était certaine. Elle avait choisi ce lieu plutôt qu'un autre parce que la clientèle y était très diverse. Elle allait des simples rôdeurs aux riches commerçants et parfois même aux nobles. C'était parfait pour trouver des idées et des boucs émissaires.

J'entrais dans la pièce après avoir attaché mon cheval à l'extérieur. J'avais décidé d'être moi même aujourd'hui, pour repérer le terrain. Mon entrée ne provoqua rien dans la salle, j'étais comme invisible, même les serveurs ne firent pas immédiatement attention à moi. Je me dirigeai vers le bar où le gérant se tenait. Je demandai que l'on s'occupe de mon cheval et que l'on montât mes affaires dans une chambre puis m'asseyait à une table. Elle était particulièrement bien placée, je pouvais tout y voir. Je pouvais voir qui entrait et sortait, je voyais ceux assis au bar, je voyais ceux qui montaient dans leur chambre et ceux qui en descendaient, je voyais toutes les tables et tous les clients de l'auberge.

J'observais alors avec attention tout ce qu'il se passait. C'était une bonne journée, il y avait du monde même si ce n'était que la fin d'après-midi. Beaucoup de gens, des races diverses et variées, des individus de rangs très différents les uns des autres. Déjà, je commençais à avoir des idées. Je repérais ceux qui semblaient avoir qu'elle chose à offrir ainsi que les habitués, les gens de passage ou les employés. Je me sentais revivre, l'excitation montait peu à peu en moi. J'avais passé plusieurs mois seule dans la nature. J'y étais moi même, j'y avais retrouvé mon identité effacée par les rôles que j'endosse constamment. C'était nécessaire. C'est tellement bon à présent de pouvoir reprendre mes activités. Une partie de moi même est là, au milieu de tous ces gens, que c'est agréable de la retrouver.

Sortant de sa chambre, Alteor descendit d'un pas lourd la dizaine de marche de l'escalier menant du couloir des chambres à la salle commune de l'auberge. Ce n'était pas la première fois qu'Alteor descendait ces marches, il l'avait déjà fait un bon nombre de fois depuis qu'il avait pris une chambre dans cette auberge quelques jours plus tôt. Et depuis qu'il était arrivé il passait la plus grande partie de son temps dans sa chambre mais descendait de temps en temps dans la salle commune pour prendre son repas ou pour boire une chope de bière. Et à chaque fois qu'il descendait c'était toujours la même chose, il allait s'installer toujours à la même place, à une table situé en plein milieu de l'auberge et attendait, sans rien dire, qu'on lui apporte nourriture et boisson, ce que les serveuses s'empressaient de faire sans dire un mot.

Alteor était arrivé dans cette auberge trois jours plus tôt, son grand manteau noir couvert de la poussière des routes tout comme son chapeau et ses chausses. Il avait quitté à pied, une semaine avant son arrivée en ville, sa retraite aux abords d'un petit village du sud de la péninsule sous l'impulsion de ces voix qu'il entendait. Ces voix qui lui avait ordonné sans explication de prendre la route et de se rendre à Diantra, d'y chercher l'auberge dans laquelle il avait pris sa chambre et d'attendre là. Comme toujours Alteor avait obéit, il savait ce qui lui en coûterait de ne pas obéir aux voix et puis il était au service de ces voix depuis trop longtemps pour commencer à désobéir maintenant. C'est donc sans joie ni colère qu'il pris la route pour Diantra, n'ayant ni cheval ni l'intention d'en acheter un, c'est à pied qu'il s'y rendit.
Il y avait bien longtemps qu'il n'était pas entré dans cette opulente cité mais y revenir ne lui fit ni chaud ni froid, il n'était pas comme ces paysans qui venait pour la première fois à la capitale et qui s'émerveillait de ses beautés avant de retrouver la bourse étrangement allégé dans le meilleur des cas ou la gisant au milieu d'une sombre ruelle la gorge tranché dans le moins mauvais. Non, il connaissait la ville, ses dangers et ses beautés, il n'était pas là pour ça. Trouver l'auberge ne fut pas long, une pièce changeait de main, les bouches s'ouvrait et il avait tout les renseignement qu'il voulait. Poussant la porte de l'auberge, il constata que la salle commune était pleine de monde ce qui ne l'empêcha pas de repérer en quelques secondes l'aubergiste. Il se dirigea vers celui ci et lui demanda sa meilleure chambre, ce dernier fut quelque peu retissant à la vue peu reluisante des vêtements d'Alteor mais changea bien vite d'avis en entendant le tintement des pièces tombant dans sa main.

Voilà comment Alteor se retrouvait assis dans cette auberge devant une assiette copieuse. Tandis qu'il mangeait il eu vaguement conscience du départ de gens qui occupait la table lors de son arrivé. Il savait très bien pourquoi à chaque fois qu'il entrait dans la salle commune les gens qui occupait la table à laquelle il s'installait se levait aussitôt pour aller s'entasser aux rares places inoccupé des autres tables, pourquoi tous le fixait des yeux en murmurant alors qu'il avait la figure tourner vers sa chope ou son assiette, pourquoi tous tournaient le regard dès qu'il relevait sa figure. Il savait que c'était cette oeil blanc qui mettait les gens mal à l'aise, et cette tendance qu'il avait à murmurer tout seul comme un fou. Les gens n'aime pas les êtres différents, comme les fous où ceux affichant un physique étrange, manque de chance pour Alteor il était catalogué dans les deux catégories. Manque de chance pour les deux brutes qui avaient essayé de le jeter dehors le premier soir, sur ordre de l'aubergiste, et à qui Alteor avait montré ce qu'il en coûtait de venir le déranger pendant qu'il buvait la bière de l'aubergiste.
Mais ce soir c'était différent, ce soir il y avait quelqu'un dans la salle qui ne le regardait pas comme les autres, une jeune fille qui était là pour la première fois depuis qu'il était là, qui braquait ses yeux sur lui mais pas avec la même crainte et la même suspicion que les autres occupant de l'auberge. Et c'est à peine s'il entendit le murmure des voix qui lui soufflait de lui parler. Il n'avait jamais compris pourquoi les voix lui faisait faire certaines choses, comme cette fois où elles lui avaient dit de tuer un lapin, de le cacher sous un buisson et de repartir sans plus de raison qu'il devait le faire. Aujourd'hui il ne comprenait pas non plus pourquoi il voulait qu'il parle à cette jeune fille mais il obérait comme toujours.
Levant la tête vers la jeune fille il la foudroya de son œil sombre et lâcha de sa voix grave et peu engageante:

"Si vous avez quelque chose à me dire prenez une chope et venez vous installer à ma table, c'est pas la place qui manque."

Ils sont fascinants. Fascinants mais aussi pathétiques. Ils sont si prévisibles. Ils font un geste, prononcent un mot et je sais déjà qui ils sont. Je peux savoir d'où ils viennent, pourquoi ils sont là, ce qu'ils font, parfois même où ils vont. Le gérant du bar par exemple. Il a eut une vie des plus simples, si simple qu'elle devait en être ennuyeuse. Tant qu'il a décidé d'ouvrir une auberge. Sa vie a prit un autre tournant, certes, mais elle n'est pas plus passionnante, elle est juste plus fatigante. Il le sait au fond de lui mais il refuse de l'admettre, il préfère se persuader qu'il a fait le bon choix. Ridicule. Il n'est pas le seul à s'ennuyer, la moitié des clients de l'auberge ressentent cela. C'est pour cette raison qu'ils sont ici à tenter de noyer leurs problèmes dans l'alcool. Idiots, cela ne fonctionnera pas longtemps.

Ilmraë commanda une autre bière ainsi que de quoi manger. Beaucoup des clients étaient faciles à déchiffrer et avaient peu à lui offrir, hormis un peu de distraction. Ils avaient beau être des énigmes faciles, la jeune femme ne se lassait pas de les résoudre encore et encore. C'était amusant. La facilité est parfois intéressante. Elle passa un bon moment à seulement observer ceux-là. C'était comme un hors d'œuvre avant le vrai festin.

Puis, alors que la soirée commençait et que le soleil commençait à décliner, elle passa aux choses sérieuses. Il n'était plus question de se distraire à présent, du moins pas entièrement (Ilmraë ne fait jamais rien si cela ne l'amuse pas). Il était question de se remplir les poches. Elle cherchait les bons partis, ceux qu'elle pourrait avoir sans trop de facilité mais dont la clé serait plus qu'alléchante. Cela ne faisait pas dix minutes que sont attention fut détournée par quelque chose de plus intéressante qu'un peu d'argent : l'inconnu.

Qui es-tu toi ? Toi qui descend des chambres, toi qui attire tant de regards méfiants. Cela fait plusieurs jours que tu es ici, je peux voir que tu connais l'endroit, tu n'hésite pas. Tu t'es dirigé tout droit vers cette table sans même songer à un autre endroit. Mais pourquoi ils te regardent tous ? C'est ce qui m'intrigue, je ne vais pas tarder à le savoir, je le sens.

L'homme, arrivé à sa destination, donna à Ilmraë la réponse à sa question. Elle ne pouvait comprendre qu'en pensant comme tous ces simplets, c'était la seule manière. Pour les occupants de l'auberge, il devait être tout simplement effrayant. Il était borgne, l'un de ses deux yeux était blanc comme la nacre et une imposante cicatrice barrait son visage. Oui, ce devait être une raison pour expliquer cette peur. Mais pas seulement, il dégageait quelque chose qui inquiétait certainement les autres. Il était froid, hautain. Les gens n'aime pas ce qui n'est pas comme eux, ce qui aime être seul, ce qui ne parle pas à tort et à travers, ce qui ne leur manifeste aucune gentillesse. Que vous êtes stupides. Cet homme est bien plus intéressant que vous. Je ne peux pas tout savoir de lui, j'ai besoin de plus d'indices. C'est que qui est passionnant. Un coup d'oeil ne me suffit pas. C'est décidé, je lui accorderait plus d'attention qu'aux autres ce soir. C'est un spécimen que je n'ai jamais encore croisé dans ma vie. C'est une occasion à ne pas laisser passer. Et puis j'ai tout mon temps, je ne suis attendue nulle part et par personne, je suis totalement libre.

Ilmraë entra alors dans l'analyse de cet homme. Avant de faire toute hypothèse sur ce qu'il était, sur son histoire, elle décida de relever toutes les informations qui pouvaient être relevées. Elle n'eut pas le temps de finir qu'il se tourna vers elle. Tiens. Il l'avait vue, il l'avait remarquée. C'était une chose bien rare, cela le rendait encore plus intéressant. Plus étonnant encore, après l'avoir regardée furieusement, il lui parla.

"Si vous avez quelque chose à me dire prenait une chope et venait vous installer à ma table, c'est pas la place qui manque."

Un sourire fendit le visage de la jeune femme. Il allait droit au but. Elle l'observa un instant, soutenant son regard, toujours souriante. C'était un sourire plus amusé qu'aimable. Un sourire intéressé, presque narquois peut être.

Je n'ai pas pour coutume de parler lorsque je suis sous cette forme, encore moins de m'asseoir à la table de l'un de mes objets d'étude. Mais je vais faire une exception pour toi. Je me levai, ma chope de bière à la main, et je pris place à la table de l'homme. Je souriais toujours, je ne pouvais pas m'en empêcher. La vie se tourne et se retourne, vous avez beau essayer de prévoir ses mouvements, il y en a toujours qui vous échappent. Merveilleux.

Elle déclara d'un ton tout ce qu'il y a de plus aimable :

"J'accepte votre offre, mais je n'ai strictement rien à vous dire."

[C'est pas grand chose mais bon, j'ai pas trop d'inspi pour le coup. Ah, tu n'entends pas les paroles en italique et orange, seulement celle en gris.]

Alteor ne regarda même pas la jeune fille approcher, rebaissant les yeux vers son repas à l'instant où la demoiselle avait terminé sa réponse. Se remettant à manger il la vit entrer à la périphérie de son champ de vision mais ne s'intéressa pas à elle pour autant, il finit son assiette et sa chope de bière avant de braquer à nouveau son œil sur elle un bref instant avant de se retourner vers l'aubergiste et réclamer une nouvelle chope pour lui et la demoiselle. Se retournant vers elle il l'observa enfin d'un oeil scrutateur. Elle ne c'était pas déranger pour le faire, il ne se gênerait pas pour faire la même chose et encore moins pour le cacher. Elle était belle, cela il pouvait en convenir, on aurait dit qu'il avait devant lui une de ces dames de la hautes société avec leur peau pale et lisse, leurs belles mains couverte de bague et de bijoux, mais bien que la jeune fille fut belle c'était sans avoir d'artifices comme ces dernières. Elle avait une beauté vrai, sans fioritures, qui ferait le ravissement de n'importe quel fermier du cru à n'en pas douter. Mais visiblement ce ne serait pas là son destin, sa beauté était discrète, aucun des clients de l'auberge n'avait semblé l'avoir aperçu avant qu'il ne lui adresse la parole et attire ainsi l'attention sur elle, si elle avait été remarqué elle serait sans nulle doute le centre de toute les attentions avant son arrivé bien-sûr.

Il finit son examen de la jeune fille par le pendentif qu'elle portait, il ne laissa pas son regard longtemps dessus, mais suffisamment pour qu'elle comprenne qu'il l'avait remarqué. Puis il la fixa un bon moment dans les yeux, attendant quelque chose, qu'elle parle ou qu'elle fasse quelque chose. Elle avait annoncé qu'elle n'avait rien à dire mais elle le fixait si étrangement qu'il n'en était évidement pas convaincu de même qu'il était certain qu'elle attendait de lui quelque chose, elle l'observait sans rien dire et tout les clients de l'auberge l'observaient elle. Elle était devenu le centre de l'attention de toute l'auberge, elle qui avait attiré l'attention du borgne, qui lui avait parlé et qui l'avait rejoins à sa table alors que personne ne s'en approchait jamais. Puis sa bière arriva et il détourna les yeux d'elle et pris sa chope en main et avala une gorgée de son contenu. La bière était étrangement meilleure que sa dernière chope, comme si l'aubergiste craignait quelque chose de sa part et tenter de l'amadouer. C'est alors que les voix qui c'était faites murmures augmentèrent de volume dans l'esprit d'Alteor, et qu'il commença à murmurer des réponses peu audible.

"Parle lui, tu dois lui parler."

"Pourquoi ? Vous me faites venir dans cette auberge miteuse pour rencontrer une jeune fille tout juste sorti des jupes de sa mères, pourquoi ?"

"Ainsi est tissé le fil de ta destiné. Tu dois lui parler, le grand serpent le veux, la Roue l'a tissé."

"Ainsi il sera alors, si le grand serpent la décidé j'obéirais, comme toujours."

Dans un murmure cynique, Alteor releva le visage vers la jeune fille.

"Alors ? De quoi allons nous parler, car nous parlerons vu que tel en a décidé la Roue."

Il ne dit rien. Il la laissa s'installer à sa table tranquillement. Elle eut l'impression qu'il fuyait son regard pendant un moment. Ses yeux étaient rivés sur son assiette, il ne s'intéressait qu'à son repas, comme si rien d'autre au monde n'existait. C'était certainement une coquille qu'il tissait autour de lui pour être tranquille. Ilmraë ne pouvait encore rien affirmer mais elle avait la sensation que cet homme dégageait délibérément cette aura inquiétante simplement pour être tranquille, même s'il faisait cela inconsciemment. Peut être aussi avait-il lui même peur des autres et en leur faisant peur lui même, il les dissuadait de l'approcher. Intéressant. Elle commençait légèrement à le cerner et plus en elle savait, plus elle avait soif d'en savoir encore plus et de découvrir encore et encore. Mais aucun être humain ne possède un lot de mystères illimités. Avec celui là, elle en aurait cependant certainement pour sa faim. Il eut la bienséance de lui commander une bière avec la sienne, signe plus que suffisant qu'il savait qu'elle était toujours là, à l'observer.

Peut être est-ce mon regard inquisiteur qui t'empêche de me regarder. Je n'avais pas songé à cela encore.

Il se passa quelque chose de très étrange. Tout le monde me regarde. Depuis que je me suis assise à cette table, je suis l'objet de nombreux regards. Je n'aime pas cela. Je ne suis pas sous une forme sensée attirer tant d'attentions. Mais ce n'est pas vraiment moi qui intrigue, c'est mon attitude envers cet homme qui les effraie. Ils ne comprennent pas pourquoi je n'ai pas peur, ils sont étonnés de me voir m'approcher si près de lui sans y avoir été forcée. Qu'ils sont idiots. Tout ce que j'espère, c'est que votre cervelle de moineau ne se souviendra plus de moi une fois que j'aurais quitté votre champ de vision. Il n'y a pas de raison pour que ce ne soit pas le cas si je ne fais rien d'autre de remarquable. Et je n'ai aucune envie de me donner en spectacle. Cela ne devrait donc pas poser de problème.

Ah. Tu me regardes enfin. Tu en as mis du temps. Il est étrange d'inviter quelqu'un à sa table sans avoir pris soin de l'observer, même si c'est de la simple curiosité.

Les yeux de l'homme parcoururent Ilmraë pendant un moment. Il s'attarda à peines quelques secondes sur son pendentif mais ne sembla pas se poser de questions. Il ne dit toujours rien, il attendait qu'elle même parle sans doute. Mais elle n'avait rien à dire, elle n'en avait pas besoin pour l'analyser. Pas encore. Car il est un moment où les gestes ne révèlent plus rien et où il devient nécessaire de pousser la personne à révéler elle même ses secrets sans qu'elle le sache. Bientôt, elle en serait à ce stade mais elle le laissait d'abord finir son examen d'elle même bien qu'elle sache qu'il n'apprendrait rien de cette manière. L'arrivée des bière clôturèrent ces instants d'observation, il cessa de la regarder et se renfrogna de nouveau sur lui même.

Puis il se passa quelque chose d'étrange, il parla. Ou plutôt il marmonna. Ses paroles étaient inaudibles pour la plupart des gens mais l'oreille d'Ilmraë était entrainée par des années d'écoute scrupuleuse de son entourage, elle put alors comprendre ce qu'il venait de dire.

"Pourquoi ? Vous me faites venir dans cette auberge miteuse pour rencontrer une jeune fille tout juste sorti des jupes de sa mères, pourquoi ?"

Il ne lui parlait pas à elle, il ne parlait à personne d'autre dans l'auberge. On aurait pu alors dire qu'il se parlait à lui même, cela semblait être la seule explication, mais Ilmraë ne pouvait se résoudre à cette conclusion. Il y avait autre chose, il y avait quelqu'un d'autre, là, quelque part dans l'auberge, que cet homme était le seul à voir ou à entendre. Elle mourait d'envie d'en savoir plus, elle n'avait hélas aucune autre information pour l'instant.

"Une jeune fille tout juste sortie des jupes de sa mère" ? C'est ainsi que tu me vois, cela fait pourtant trente ans à quelques semaines près que je n'ai plus rien à voir avec ma mère et cela fait presque dix ans que je vis seule, sans protection. Mais peu importe, tu parles de nouveau à ton inconnu.

"Ainsi il sera alors, si le grand serpent la décidé j'obéirais, comme toujours."

Tu sembles mener une véritable conversation avec ton ami, ou peut être ton maitre, tu parles d'obéir. Et qu'est-ce que ce grand serpent ? Je ne m'attendais pas à cela, tu es encore plus intéressant que je me l'imaginais. Fantastique. Je suis aux anges.

Ah, tu me parles à moi à présent, te me regardes de nouveau. Est-ce cela que ton maitre t'a demandé de faire ?

"Alors ? De quoi allons nous parler, car nous parlerons vu que tel en a décidé la Roue."

Le grand serpent et maintenant une Roue. Je ne comprends décidément plus rien, c'est un véritable exploit, le sais-tu ? Peu de gens peuvent se vanter de m'avoir surprise et encore moins de me mettre dans le doute. Bravo. Je vais donc faire quelque chose que je ne fais jamais : aller droit au but.

"Qui est cette "Roue" ? C'est un sujet des plus plaisants n'est-ce pas ?"

Les murmures s'intensifièrent quand Alteor adressa à nouveau la parole à cette femme qui seule, dans toute l'auberge, avait eu le cran de venir s'asseoir devant lui, la seule qui avait attiré son attention. Aux murmures s'ajoutèrent vite le bruit de assiettes et des cuillères, des chopes que l'on pose sur les tables. La faim et la soif des autres clients de l'auberge avait fini par rompre le relatif silence qui régnait depuis l'entrée d'Alteor dans la pièce. Des volutes de fumée emplir à nouveau la pièce quand de nombreux clients sortir leur pipes et commencèrent à en tirer de longue bouffé. Un joueur de flute qui se tenait, jusqu'alors, assis près de l'un de mur de la salle commune se leva, mis son instrument à la bouche et commença à en sortir une mélodie qu'Alteor connaissait sous le nom de « Le soulier de Sophie ». Le jeune musicien n'était pas mauvais, il était bon même et son instrument de belle facture mais il avait encore une certaine marge de progression avant d'arrivé à son meilleur niveau, tout du moins d'après ce qu'Alteor pouvait en juger.
Comme à chaque fois la vie reprit peu à peu dans l'auberge, les murmures se firent de plus en plus fort et bientôt, de là où il était, Alteor n'entendit plus le son de la flûte, caché par le bruit de voix de ces voisins. Les clients, les serveuses, le patron tous, petit à petit, oublièrent leur peur du borgne mais n'oublièrent pas sa présence, jetant des coups d'œil de temps en temps vers sa table.

Alors que le bruit emplissait la salle, Alteor observait de son œil unique la femme qui se tenait devant lui. Que les dieux me brulent, pourquoi ai je encore parler à voix haute ? Je peux très bien répondre à ces Voix mentalement, pourquoi a-t-il fallut que je réponde à haute voix. Bon certes je n'ai que murmurer mais cette bougre de bonne femme a les oreilles incroyablement fine!
Dans son esprit les voix c'était tue, comme à chaque fois qu'il devait aborder un sujet ayant un rapport avec la Roue, le Grand Serpent ou les voix. Ce n'était arrivé que deux fois depuis qu'il les entendait. Deux fois seulement où il avait dû parler à quelqu'un de la Roue et à chaque fois ça avait été à des gens qui avait une certaine importance ou plus exactement dont il était conscient de l'importance. Mais là il ne savait pas s'il était bon de parler ou pas, cette jeune femme, qui ne semblait pas beaucoup plus jeune que lui, ne lui disait pas grand chose. Il avait beau la regarder, la scruter il n'arrivait pas à comprendre en quoi cette femme était si importante pour que les Voix veuille qu'il parle de la Roue...


« Vous voulez que je vous parle de la Roue ? Ne pouvons nous pas parler d'autre chose ? Le temps qu'il fait ? Le goût de bière ? L'infame nourriture que cet aubergiste sert à ses clients qu'il aime le moins ? Non, bien sur que non vous m'avez entendu parler tout seul et vous voulez savoir de quoi je pouvais bien parler, c'est ça ? »

Alteor se passa la main sur le visage, se gratta la barbe puis replanta son œil dans l'œil gauche de la jeune femme. Repoussant la chope de bière qu'il y avait devant lui, Alteor plaça la main à plat sur la table et se concentra une fraction de seconde puis, quand il releva la main, une étrange figure faite d'une substance sombre mais étrangement similaire à de l'eau c'était créé sur la table. Un étrange cercle comprenant sept rayon différent tous séparé les uns des autres par une distance à chaque fois différente.

« Regardez vite jeune dame, voici une représentation de la Roue. Regardez vite, cela ne durera pas longtemps. »

L'homme réfléchit un instant. Il se demandait surement s'il devait ou non lui révéler ce qu'était la Roue. Il la jaugea de nouveau. Qui est-elle ? se demandait-il certainement. Elle rit intérieurement, il ne saurait jamais vraiment. Mais il était l'un des rares qu'elle avait rencontré à qui elle avait dévoilé autant de facettes de sa véritable personnalité, un chiffre pourtant bien mince. Il ne saurait que ce qu'elle voudrait qu'il sache. Elle aimait créer ainsi le doute chez ses interlocuteurs. C'était tellement gratifiant, elle se trouvait dans une position largement supérieure. Qui donc est capable d'agir contre quelque chose dont il ne sait rien ? C'est comme s'évertuer à se battre contre le vent, cela ne rime à rien.

Mais Ilmraë n'était pas invincible, c'était une évidence, mais elle s'arrangeait toujours pour dissimuler ses points faibles et déguiser ses points forts en points faibles. C'était plus ou moins facile selon l'individu et elle avait déjà eut des ratés. Mais elle s'en sortait toujours, d'une manière ou d'une autre. Mais ce soir, il n'était pas question de lutte. Si cet homme ne semblait pas lui faire confiance, il ne semblait pas non plus désireux d'entrer en conflit. Et elle non plus d'ailleurs, cela réglait la question.

"Vous voulez que je vous parle de la Roue ? Ne pouvons nous pas parler d'autre chose ? Le temps qu'il fait ? Le goût de bière ? L'infâme nourriture sert à ses clients qu'il aime le moins ? Non, bien sur que non vous m'avez entendu parler tout seul et vous voulez savoir de quoi je pouvais bien parler, c'est ça ?"

Il s'est enfin décidé. Je le laissai faire son discours sans rien dire. Il posait des questions dont il connaissait les réponses. Non, je ne veux pas parler du temps, de la bière, ni de la nourriture. C'est la Roue qui m'intéresse, et puis lui bien sur, je veux savoir qui il est. Une réponse me vint enfin. Mais pas une réponse à la question que je lui avait posé, ce qu'il me montra ne m'apprit pas grand chose sur la question. Non, je fus éclairée sur cette question qui tourne en boucle dans ma tête depuis que je l'ai vu : "Qui es-tu ?".

C'est un homme de magie, une magicien, un mage, ou je ne sais quoi d'autre. Mais le titre n'a aucune importance. Comment ais-je pu passer à côté d'une telle information ? C'est parce qu'il m'a rarement été donné de me retrouver en contact avec la magie au cours de ma vie. C'est l'un des rares domaines dont je ne sais pratiquement rien. J'ai pourtant lu toute mon enfance des livres concernant des sujets les plus divers. Mais jamais la bibliothèque d'Assilam n'a abrité un livre sur la magie, jamais il ne m'en a offert un. Peut être n'en existe-t-il aucun. Quoi qu'il en soit je n'en ai pas besoin, j'ai ici sous la main un homme qui vaut mieux qu'une centaine d'encyclopédies.

Les yeux d'Ilmraë se mirent à pétiller. Elle accorda peu d'importance à ce qu'il lui montra, elle n'y jeta qu'un rapide coup d'œil. Tout ce qu'elle voyait, c'était cet homme qui renfermait tant de choses qu'elle ne connaissait pas et elle brulait de toutes les apprendre, elle avait soif de connaissances. Tout un engrenage se mettait en place. La vie de cet homme avait toujours tourné autour de sa magie, c'était une évidence. Elle avait bien sentit qu'une chose lui échappait, sans pouvoir dire quoi. C'était clair comme de l'eau de roche à présent, elle pouvait continuer son analyse d'un nouvel œil. Cette information était capitale et en plus elle apportait un délicieux piment à sa soirée qui s'annonçait déjà des plus intéressantes. L'expression de son visage était étrange. Elle souriait comme si elle était heureuse mais ce n'était pas de la joie qui émanait d'elle, c'était de l'excitation. De l'excitation et une sorte de folie furtive, une démence qui en aurait effrayé plus d'un. Elle ne cachait pas ses émotions, elle n'en voyait pas l'utilité pour le moment. Et ce qu'elle ressentait était impossible à déchiffrer, impossible à décrire. Elle seule savait ce qu'il se passait en elle, personne d'autre ne pourrait le savoir, même si elle essayait de l'expliquer avec tout la sincérité du monde.

Plus rien d'autre ne compte à présent. C'est comme si nous étions seuls, comme s'il n'y avait personne d'autre dans cette auberge. Je n'ai pas remarqué le silence qui s'est abattu dans la salle, je n'ai pas non plus fait attention au bruit qui est revenu peu à peu. C'est ainsi que je suis, mes passions balaient tout le reste. Je dois être concentrée, je ne dois pas me relâcher, je dois tout apprendre de lui mais lui ne doit rien deviner sur moi. J'ai comme l'impression qu'il ne m'oubliera pas comme les autres, je ne dois donc pas faire un seul faux pas.

Je ne crois pas que je vais parler, je vais attendre que tu m'en dise plus de toi même. Ton explication n'est forcément pas terminée, une image ne peut répondre à ma question. Car si c'est ton mystère que je veux élucider, ta Roue n'a pas perdu de son intérêt pour moi. Pas plus que le grand serpent ou les interlocuteurs inconnus à qui tu t'adressais tout à l'heure mais sur lesquels je n'ai fait aucun commentaire. Est-ce quelque chose qui est propre aux magiciens ou es tu le seul ? Je regrette de ne pas connaitre plus la magie, je me sens un peu bête maintenant d'en savoir si peu. Je ne comprends pas pourquoi je n'y ai pas fait attention, pourquoi je ne m'y suis pas intéressée. Je suis intéressée par toutes les facettes de ce monde, pourquoi ais-je omis la magie ? Passé cet évènement de ce soir, je jure de me documenter. Je suis à Diantra, capitale des hommes, je suis sure que je pourrais trouver des livres sur le sujet. Si ce n'est tout de même pas le cas, je sais que les esprits sont source de nombreuses informations.

Cette réflexion qu'eut Ilmraë sur la magie ne parut pas une seconde sur son visage. Il est des choses que l'on peut montrer mais d'autres, comme le doute, le trouble, l'ignorance, que l'on ne doit dévoiler sous aucun prétexte, sauf si se préserver n'est pas le but principal. Elle savait qu'elle ne risquait rien ce soir, elle ne voyait en cet homme aucune intention belliqueuse. Elle voulait juste épargner sa fierté.

A peine avait elle détourné son regard de la forme qu'il avait créé sur la table avec son « eau » qu'Alteor cessa de canaliser l'Energie, laissant l'eau qu'il avait suscité se faire absorber par la table de bois. Bien qu'ayant relâché son emprise sur elle, Alteor sentait encore l'Energie autour de lui, il la sentait se presser contre les limites de son esprit pour l'envahir mais il raffermit sa volonté et détourna son esprit de la présence de l'Energie qui finit par s'en aller s'entendre à nouveau dans la pièce, laissant un petit vide autour de lui. Une réflexion lui traversa brièvement l'esprit alors qu'il reportait toute son attention sur la jeune femme devant lui.  Sang et cendre ! Il y a si peu d'Energie dans cette partie de la ville que si je continu à canaliser je vais me faire remarquer ! 

Bien que son esprit ne fut pas d'un calme parfait, durant le bref instant où Alteor appela à lui l'Energie et la laissa repartir, son corps ne trahit aucun changement d'attitude, son œil scrutant toujours la femme qui se tenait sur le banc face à lui. Elle n'avait regardé que brièvement la représentation de la roue qu'il avait créé, trop brièvement même. Il lui avait dit de regarder rapidement certes mais pas si rapidement, avait elle vraiment pu voir ce qu'il avait créé ? C'était là la question qu'il se posait quand il vit un sourire s'étendre sur le visage de cette femme. Un sourire bien étrange en vérité, il semblait être quelque part entre celui de l'apprenti passionné à qui son maître promet de le laisser faire une commande tout seul, et celui du fou qui voit quelque chose de beau que lui seul peut voir. Cette femme était décidément bien étrange, elle avait attiré l'attention des Voix et semblait à moitié folle avec son sourire, qu'est ce que cette bonne femme pouvait bien avoir de si spécial dans son passé ou son avenir pour qu'il soit ainsi obligé de lui parler ?

Alteor prit sa chope de bière, fini ce qu'il en restait d'une traite, et la reposa sur la table sans ménagement. Aussitôt une serveuse vint la remplacer par une nouvelle et alors qu'elle repartait il la saisit par le bras et regarda un instant son visage emplit d'une certaine terreur, il la sentait se maudire intérieurement d'être venu lui apporter cette chope, il la sentait vouloir être à des lieues d'ici mais il la tenait fermement. Il n'allait pas lui faire du mal bien au contraire, il ouvrit simplement la bouche pour lui souffler de lui apporter le jeu. A peine avait il relâché son bras qu'elle avait bondit vers la petite porte donnant vers la cuisine et en revint deux minutes à peine plus tard tenant une plaque en bois et une petite sacoche bien remplit. Elle déposa les deux sur la table, devant Alteor et s'en alla aussi rapidement. Alteor observa le plateau de merelle qui se trouvait devant lui et poussa la sacoche de jetons vers cette femme qui se tenait toujours devant lui et renversa un peu du contenu de la dite sacoche sur la table.

« La dernière fois que j'ai joué c'était contre notre ami l'aubergiste mais il m'a lamentablement laissé gagné, j'espère que ce ne sera pas votre cas ? J'ai toujours pensé qu'une partie de merelle était un bon moyen de connaître un peu mieux une personne. »

Un petit sourire se forma sur le visage du mage, il avait bien compris que c'était ce qu'elle voulait et il allait maintenant bien s'en amuser. Tout en souriant il prit les quelques jetons noir qui se trouvait sur la table et les rapprocha de lui, laissant les blancs à la jeune femme. En prenant un dans la main il releva la tête vers la jeune femme.

« Je sens que nous allons encore passé un moment ensemble alors autant que nous connaissions nos nom respectif. En ce qui me concerne je me nomme Alteor, et vous quel est votre nom ? Et sachez que je saurais si vous me mentez. »

Alteor afficha un sourire faux au possible mais qui laissait bien sous entendre qu'elle n'avait pas intérêt à lui mentir. Attendant qu'elle joue son prochain coup, Alteor but un peu de bière et quand il reposa sa chope son visage n'affichais plus aucun sourire.

Je suis impatiente. Je voudrais tant que les choses aillent un peu plus vite. J'aimerais bien que tout soit plus simple. Si je pouvais lire dans les pensées, je saurais déjà tous ses secrets, à cet étrange individu. Mais l'attente est nécessaire, s'il n'y avait pas l'attente, tout cela n''aurait plus le moindre intérêt. Ce qui rend tout cela excitant, c'est justement le fait qu'il faut creuser, les informations ne viennent pas toutes seules d'un coup, elle s'approchent doucement, on retire une poignée de terre à la fois. Cela prend du temps, certes, mais cela permet de savourer chaque instant de découverte et cela rend encore plus magnifique la lumière au fond du tunnel, lorsqu'enfin on a réussit à déblayer toute la terre qui se trouvait sur notre chemin. J'ai beau savoir tout cela, je suis tout de même impatiente. Mais c'est normal, et sans cette envie soudaine d'accélérer le temps, le plaisir serait moindre. J'en suis sûre.

Et toi, tu te joues de moi. Tu me laisse attendre, tu ne me dis pas les choses dans leur intégralité. Est-ce un choix délibéré ? Je ne saurais le dire parce qu'il se trouve que j'ai du mal à lire en toi. Tu ne le sais pas bien sûr mais si tu le savais, tu pourrais sans mesure te sentir fier. Ce que je sais, c'est que tu as très bien compris que je brulais d'en savoir plus sur ta magie. Mais tu tournes autour du pot, tu détournes la conversation. Quel tortionnaire.

L'homme fut occupé quelques instants avec la serveuse. Cette petite idiote était totalement terrorisée. Ilmraë le voyait, l'homme aussi certainement, mais surement n'avait-il pas décelé l'étendue de cette peur. Les gestes de la jeune femme étaient saccadés, rapides, nerveux. Elle essayait manifestement de se contenir, tout son corps brulait de s'enfuir en courant, loin de cet homme. Mais elle restait. Elle ne savait pas qu'elle avait aussi peur, elle ne s'en rendait pas compte. Elle ressentait, certes, une certaine crainte mais refusait de voir jusqu'où elle allait. Elle se sentait simplement mal à l'aise, comme asphyxiée.

Lorsque l'homme saisit le bras de la petite serveuse, Ilmraë crut ressentir l'estomac de la jeune femme se retourner dans son ventre et elle était presque certaine que si la pièce avait été silencieuse, elle aurait put entendre ses battements de cœur. Impressionnant. Ilmraë jeta un coup d'oeil à l'homme, cherchant à voir ce qui pouvait provoquer tant de crainte chez lui. Oui, elle l'avait déjà vu, il n'était pas d'un physique qui inspire la confiance pour les autres mais de là à terroriser à ce point, c'était un peu fort. Un drow à la limite, elle aurait pu comprendre, mais cet homme, elle ne saisissait pas. Elle décida de rester dans le mystère pour le moment, peut être irait-elle voir la serveuse plus tard pour s'informer. Ou peut être pas. Pour l'heure, elle se concentrerait sur l'homme.

La serveuse revient. Avec elle arrive un jeu. Quelques secondes me suffirent pour l'identifier dès qu'il fut déposé sur la table. Une merelle. Intéressant, très intéressant. Je sens mes lèvres s'étirer encore. Asilam m'a apprit à jouer à ce jeu, nous y avons beaucoup joué les dernières années où j'ai vécut avec lui. Depuis, il m'est arrivé de faire quelques parties. Je ne suis pas la meilleure joueuse, d'autant qu'il me manque de la pratique mais Asilam m'a apprit quelques astuces et je n'oublie jamais rien. Je crois que je vais m'amuser. Tant de surprises en une soirée.

« La dernière fois que j'ai joué c'était contre notre ami l'aubergiste mais il m'a lamentablement laissé gagné, j'espère que ce ne sera pas votre cas ? J'ai toujours pensé qu'une partie de merelle était un bon moyen de connaître un peu mieux une personne. »

Te laisser gagner ? Loin de moi cette idée. J'accepte, certes, sans problème la défaite, mais seulement lorsque je me suis bien battue. Et j'aime gagner. Tu vas te confronter à mon esprit aiguisé. A ton tour d'avoir des surprises.

Il lui laissa les pions blancs, elle les rapprocha d'elle et en saisit un, prête à commencer à jouer, même si la partie ne débuterait pas immédiatement. Le temps d'échanger quelques mondanités. Elle ne cachait pas son excitation grandissante. Elle se permettait rarement ce genre de libertés mais ce soir, tout était un peu différent de d'habitude. Ce n'était pas si grave si elle lui dévoilait un peu de sa véritable personnalité. Elle ne portait aucun artifice, elle était arrivée dans cette auberge en étant elle même, sans endosser de rôle. Elle devait donc agir en conséquence.

« Je sens que nous allons encore passé un moment ensemble alors autant que nous connaissions nos nom respectif. En ce qui me concerne je me nomme Alteor, et vous quel est votre nom ? Et sachez que je saurais si vous me mentez. »

Je peux à présent mettre un nom sur ton visage. C'est bien. Au moins dans mes pensées tu porteras ton vrai prénom et non celui que je t'aurait inventé. Tu me demandes mon nom. Tu m'interdis de mentir. Tu me dis que tu saura si je mens. J'ai envie de rire, mais je me retiens, rien n'en laisse paraitre sur mon visage. Tu ne sais pas qui je suis. Saches que je sais mentir parfaitement. Tu ne connaitras jamais mon véritable prénom mais ça, tu ne le sauras jamais. Si tu arrives à savoir si je te mens, je ne pourrais m'empêcher d'être admirative. Et je me poserais plus encore de questions, j'en arriverais à me demander si tu ne fais pas le même métier que moi. Mais les chances sont bien minces, c'est tellement facile de mentir sur un prénom. De toute manière, quand bien même aurais-tu mon vrai prénom, cela ne te servirait à rien.

Je suis Isil, et je suis enchantée.

Ilmraë sourit largement et saisit une pièce dans sa poche.

Pile, murmura-t-elle avant de lancer la pièce dans les airs. Elle rattrapa cette dernière et la plaqua sur le dos de ta main. En la remettant dans sa poche, elle déclara joyeusement : A vous l'honneur.

Alteor regarda la pièce tourner dans les airs, ne se préoccupant que peu du résultat. Qu'il commence ou non n'avait pas grande importance à son œil, ce qui en avait par contre c'était de mieux cerner cette femme qui se tenait devant lui. Il avait compris que depuis le début cette femme se posait les mêmes questions que lui se posait maintenant à son sujet: qui était elle vraiment, qu'avait elle de spécial ? Mais plus que c'est question il voulait savoir quel était le rôle réservé à cette femme dans l'avenir de cette terre, et en quoi leur rencontre allait avoir un impact sur le futur de cette ère.
La pièce tomba, face, c'était à lui de commencer, à lui de poser le premier pion. A lui de commencer ce jeu dangereux dans lequel il c'était embarqué de lui-même. Il est facile de deviner la personnalité de son adversaire dans une jeu de merelle, chaque action peut en révéler plus que l'on ne le voudrait mais Alteor avait autrefois l'habitude de souvent en jouer contre des adversaires souvent talentueux et avait toujours réussi à s'en tirer sans trop de casse. Mais là partie qui allait commençait allait s'avérer beaucoup plus difficile que celle qu'il avait pratiqué dans le temps, il allait devoir jouer un jeu contraire à ce qu'il jouerait d'habitude tout en jouant son jeu habituel pour la perturber tout en démêlant le vrai du faux dans ce qu'elle allait faire. Cela promettait une complexe mais belle partie se dit il alors qu'il posait son premier pion sur le point central de la ligne le plus proche de lui.

Relevant sa main du plateau, il releva la tête vers son adversaire du soir et repris son observation. Laissant son esprit enregistrer la dernière donnée qu'elle venait de lui donner, il entendit un murmure s'élever autour de lui et devenir de plus en plus fort. Un ensemble de voix de tout age et des deux sexes, un ensemble disgracieux de voix murmurant sans cesse le même mot, toujours à la même vitesse mais toute décalé les unes par rapport au autre. Une cacophonie résonna au frontière de son esprit, força les murs qu'il avait inconsciemment élevé pour se protéger, et se répandit dans tout son esprit. Les Voix étaient revenues. Il n'y avait pas de meilleurs terme pour qualifier cet ensemble de voix parlant tous légèrement en décalé, cet ensemble de voix d'homme, de femme et d'enfant. Parfois certaines voix prenait le pas sur d'autre, ainsi il était arrivé à Alteor de converser avec une voix à dominance masculine, semblant être celle d'un soldat. Une voix martiale et autoritaire mais la fois suivant c'était à un petit garçon plein de naïveté et de candeur qu'il s'était adressé. Mais Alteor avait depuis longtemps compris que, bien que changeante, les voix n'était qu'une et unique. Une volonté s'adressant à travers la multitude. Et en ce moment les voix ne répétait qu'un seul et unique mot: Mensonge.

« C'est à... Mensonge !...vous...Mensonge !...de jou....Mensonge !...er, Isil. » Mensonge !

J'ai compris ! Elle me ment !

Mensonge...

Ainsi malgré mon avertissement elle me ment ? J'aurais du m'en douter.

Les paroles sont fausse mais les actes sont vrai, les pensées sont vrai Alteor Seveach. Ce n'est pas son vrai nom mais c'est elle.

Comme d'habitude vous n'allez pas être plus précis j'imagine et vous n'allez pas non plus me donner son vrai nom ? Tsss, la Roue tisse comme la Roue le veut hein ?

C'est cela Alteor Seveach, la Roue tisse comme la Roue le veut.

Alteor poussa un profond soupir, et en sortant sa pipe d'une de ses poches et du tabac d'une autre, les yeux baissé sur sa pipe qu'il commença à bourré, il dit d'une voix neutre:

« Je vous avez demandé de ne pas me mentir. Quel est votre vrai nom ? »

Ayant fini de préparé sa pipe, il l'alluma grâce à son briquet, tira quelque bouffé et posa son oeil unique sur cette femme, tout en se demandant pourquoi elle mentait par les paroles si ses actes étaient vrai, et ce que les Voix avaient voulu dire par là.

Le premier pion est posé, la partie commence enfin. Mais ce n'est pas seulement un jeu, je le sais, comme toi, Alteor. Gagner ou perdre, je pense que tu t'en fiches autant que moi. Oui, l'enjeu est bien plus important qu'une simple victoire. Qu'apporte une victoire ? Rien, c'est du vent, de la poussière. La victoire ne procure qu'un sentiment furtif de supériorité, de puissance. Mais que vaut cet instant si court dans une vie si longue qu'est la notre ? Rien. Et perdre. Perdre, cela provoque des sentiments qui peuvent avoir des conséquences sur notre vie. Seul celui qui est sur de lui peut être insensible à la perte. Je suis sure de moi, je ne suis pas futile au point de penser qu'un simple jeu peut changer le cours de mon existence. Peu importe le nombre de fois où l'on perd, l'important c'est de se relever. Toujours. Si l'on fait cela, on sort toujours gagnant.

Ce soir, le jeu n'est qu'une façade masquant le véritable objectif : en apprendre le plus possible sur l'autre. Mais ce n'est pas un concours, chacun de nous le fait pour sa satisfaction personnelle, que l'autre fasse comme lui n'entre pas dans le jugement. S'il n'avait pas cherché à me déchiffrer, je l'aurais toujours trouvé intéressant. Cependant, nos buts communs m'arrangent. En te focalisant sur ce que tu veux découvrir, tu risque d'oublier ce que tu désires cacher. L'esprit peut difficilement se concentrer pleinement sur deux choses à la fois. De fait, je me retrouve moi aussi dans une position délicate. Mais je suis habituée à ce genre de situation, mon expérience ne peut que jouer en ma faveur. J'ai l'habitude de penser à deux choses en même temps. Cela demande plus de maitrise de soi, plus de concentration et plus d'énergie, mais je peux y arriver. Je dois toujours rester sur mes gardes et faire attention à tout ce que je dis ou fait tout en n'oubliant pas d'observer tout ce qu'il dit ou fait. Tout cela rend juste les choses plus excitantes.

« C'est à vous de jouer, Isil. »

Ilmraë ne prêta pas attention aux paroles, quelque chose d'autre avait attiré son attention. L'esprit d'Alteor semblait occupé à deux choses en même temps. Ce qu'il disait, cela, c'était sur, et autre chose que la jeune femme avait du mal à déterminer. Elle ne saurait dire ce qui lui avait fait remarquer cette chose étrange. Peut être son ton de voix légèrement différent. Mais elle était sûre qu'il se passait quelque chose. Elle l'observa attentivement durant les quelques secondes qui suivirent. Elle faisait attention à ses moindres clignement d'œils. Là encore, elle remarquait quelque chose de différent. C'était tellement léger qu'elle ne pouvait l'assurer, même si au fond d'elle même elle savait qu'elle ne se trompait pas, un œil normal n'aurait pas pu le distinguer. Il se passait quelque chose là, dans la tête d'Alteor et elle n'arrivait pas à savoir ce que c'était. Comme elle aurait tant aimé lire dans ses pensées à cet instant, pour enfin connaitre le mystère que recouvrait cet homme.

Puis il parla.

« Je vous avez demandé de ne pas me mentir. Quel est votre vrai nom ? »

Ilmraë haussa un sourcil d'étonnement. Elle ne s'y attendait pas à cela. Ce fut son premier sentiment, un sentiment extrêmement furtif, qui ne dura que quelques secondes. Puis un engrenage se mit peu à peu en place dans l'esprit d'Ilmraë. Elle commençait à comprendre.

Tu t'es trahit toi même mon petit. Voici ta première erreur. Mais tu ne pouvais pas la voir venir celle là. Moi même je suis étonnée d'avoir compris si vite. Je n'ai aucune preuve de ce que je viens de découvrir, il me manque encore beaucoup d'éléments, mais je suis certaine que je suis sur la bonne voie. Je le sens au plus profond de mon âme. Tu es très intéressant, estime toi heureux de cela. Tu es unique.

Une bonne âme dirait : "Mais tout le monde est unique." Eh bien non, et je suis la mieux placée pour savoir cela. Certains traits de caractères se répètent d'individus en individus. Ils ont globalement la même histoire, le même passé, les mêmes aspirations, les mêmes passions. Je peux ainsi créer plusieurs catégories d'individus. Toi, Alteor, tu n'entre dans aucune de celles que j'ai découvertes. Tu est l'instaurateur d'une nouvelle catégorie. Peut être d'autres viendrons-t-il t'y rejoindre, mais tu es le premier. Les autres seront des copies. Je doute cependant qu'il y en ait. J'ai rarement rencontré de tels spécimens dans ma vie. Je peux les compter sur les doigts de la main. Assilam en fait partie bien sûr, c'est le plus unique de tous. Toi, je pense que tu viens juste après lui. L'avenir me le confirmera ou me le démentira.

Ilmraë sourit de nouveau. Elle n'avait pas l'air coupable de celui qui vient de se faire prendre la main dans le sac. Elle n'essayait pas de se justifier ni même de démentir. Elle avait un air toujours aussi fou, peut être plus. Elle hocha la tête, en signe de respect, puis elle dit avec sérieux, sont sourire légèrement plus effacé :

" Vous avez raison, j'ai mentit. Mais vous devrez vous contenter de ce mensonge, je ne vous donnerais pas mon véritable nom. L'une des raisons est que vous avez vous même mentit. "

Elle resta sur cette dernière phrase de mystère, sans en dire plus. Elle déposa à son tour son premier pion sur le plateau, juste en face de celui d'Altéor, au centre de la première ligne qui se trouvait devant elle. Elle ne comptait pas lui expliquer ce qui lui faisait dire qu'il mentait. Il ne mentait pas sur son nom, elle le savait. A vrai dire, ce qu'il avait fait n'était pas réellement un mensonge. Elle avait choisi ce mot simplement parce qu'il était plus fort et avait plus d'impact.

Oui mon coco, tu m'as mentit. Tu m'as dit que tu devinerais si je mentais. Hors, ce n'est pas toi qui a deviné, tu as été aidé par je ne sais quoi. Par quelque chose ou quelqu'un qui en sait plus que toi sur moi. J'ignore ce que c'est, si cela fait partie de toi, ou si c'est plutôt extérieur à toi. Je sais juste que c'est cette chose à laquelle tu parlais tout à l'heure. Elle t'as de nouveau parlé, tu as essayé de la dissimuler mais j'ai sentit qu'il se passait quelque chose. Tu es tombé sur une spécialiste des petits détails qui font toute une importance. Je sais que tu as d'autres ressources, je sais qu'il ne me sera pas facile d'en savoir plus. D'autant que je n'ai pas décidé de garder pour moi ce que j'avais découvert. Mais je vais y arriver, je le sais, je le veux, même si pour cela je dois finir par te donner mon nom... Tout ceci est merveilleux.