A l'ombre du Bosquet | Shealth

Les Peuples de Miradelphia voyaient en Anaëh une forêt comme les autres. La plus belle des forêts, certes, mais une forêt tout de même, faites du même bois que les autres. Aux yeux d’un continent déchiré par la guerre et l’incompréhension, elle n’est que le Royaume du Premier Peuples, le refuge qu’ils ont préservé au fil des millénaires et qu’ils ont embelli à leur image. Les fous. Les inconscients. Les ignorants. Ce n’était pas la Prime Forêt qui appartenait aux Elfes, mais les Elfes qui faisaient parti intégrante de la Prime Forêt. Ultimes créations de Kÿria, bénis par leur Mère et sa Sœur Tari, ils n’en restaient pas moins une simple composante d’un Tout. Une vérité simple que tous semblaient oublier… Pourtant, Anaëh, elle, n’oubliait jamais. Et elle n’arrêtait jamais de chanter Katalina, lentement, s’aventurait sous le couvert de ses arbres, sourde à ses mélodies. Il faisait nuit, et elle avait froid. La brise hivernale n’était pas encore assez réchauffée par le printemps qui s’annonçait. Etrangement, quand elle s’était retrouvée seule dans la chambre qu’on avait mise à sa disposition, alors qu’elle avait l’impression d’étouffer sous ses draps, elle avait trouvé l’idée de se perdre un peu dans l’étreinte apaisante du Berceau des Elfes était une bonne idée. La lune brillait dans le ciel et elle avait presque eu l’impression d’y voir comme en plein jour. Et puis, Aerandir et elle avait prévu de partir le lendemain pour rejoindre la Péninsule, aussi était-ce peut-être sa dernière véritable nuit en Anaëh. Les autres feraient parti d’un voyage qui la reconduirait chez elle, et ce n’était pas la même chose.

Elle avait demandé comme une dernière faveur au Gardien d’Arcam de l’emmener sur les bords du lac d’Uraal et au pied de la Cascade d’Eden. Il s’agissait là de deux lieux mythiques, à tel point que même son peuple connaissait quelques légendes sur « le plus grand lac du continent ». Elle était loin d’avoir vu toutes les merveilles que recelait le foyer des Elfes, bien sûr, mais elle savait aussi qu’il ne lui suffirait pas d’une vie pour cela. Elle avait vu bien assez, et il était temps pour elle de rentrer chez elle, parmi les siens. Cela ne l’empêchait pas, cependant, de prononcer un au revoir à la Forêt Ancestrale qui l’avait accueilli quand elle était au plus mal. Sauf qu’elle avait une bien étrange façon de la remercier pour son geste… Rapidement, elle s’était laissé envahir par la paix des lieux. La lumière de la lune avait du s’incliner devant les branches toujours plus nombreuses, mais quand elle l’avait remarqué, il était déjà trop tard… Elle avait du se rendre à l’évidence, et accepter la terrible vérité : elle était perdue.

« Tu es vraiment la Reine pour te mettre dans des situations impossibles, hein ? »

La jeune noble tentait de garder son calme. Il ne servait à rien de paniquer, surtout pas en pleine nuit. Et puis, rien n’était réellement catastrophique, mis à part peut-être le froid qui la faisait presque calquer des dents. Presque, parce qu’elle avait tout de même eut l’intelligence de se couvrir chaudement. C’était un reflexe qu’elle n’avait pas regretté. Elle n’aurait par contre pas du laisser un mot à Aerandir pour éviter qu’il ne s’inquiète s’il trouvait sa chambre vide. Elle esquissa un pauvre souvenir, en se rappelant la fierté qu’elle avait eu de l’écrire en elfique. Elle parlait la langue avec aisance, désormais, mais avait toujours du mal avec l’alphabet. Ne pouvait-il pas avoir des lettres qui ressemblaient à des lettres, et non à des dessins stylisés ? Elle secoua sa tête, tentant de s’orienter. Là-bas, elle avait l’impression qu’il faisait plus clair… Peut-être une clairière, où elle pourrait enfin revoir la lune. Katalina n’était pas experte, mais elle avait l’impression qu’il serait plus simple de retrouver son chemin si elle pouvait se fier à un point de repère, et elle ne voyait rien de mieux que l’astre nocturne.

Elle était partie prendre l’air parce que le sommeil la fuyait, mais c’était désormais la fatigue et le froid qui l’assaillait… Peut-être devrait-elle se contenter de trouver un coin suffisamment isoler pour passer la nuit, et prier pour que le chemin soit plus simple à trouver au petit matin. Sinon, eh bien… Elle ne doutait pas qu’Aerandir saurait la retrouver. L’idée ne l’enchantait cependant pas vraiment, tellement elle se trouvait ridicule et imprudente.

Elle se figea soudain. Là, juste devant elle, elle aurait juré avoir vu quelque chose bouger.