Renaissance

Ce fut d’abord une odeur nauséabonde. Des relents de souffre, de pourriture et de corruption. Mais je peux sentir ! Des odeurs assaillent par dizaines mon esprit, qui est accablé sous la masse de sensations oubliées, lointaines, floues. Je suis vivant, je respire, je vie. Où suis-je ? Mes yeux s’entrouvrent difficilement. La lumière agresse avec mon visage avec une rare violence. L’impression d’avoir passé des siècles dans la pénombre. Je cligne plusieurs fois des paupières, jusqu’à ce qu’enfin j’arrive à discerner le monde autour de moi. Quoique je n’arrive pas à tourner la tête, aucun de mes muscles ne me répond. Le ciel noir, chargé de souffre et de nuages jaunâtres. Mes yeux pivotent pour se poser sur des étendues de fange, de sables mouvants et de végétation rare, torturée. Les marais ? Que fais-je donc dans les marais de Faélia, à mille lieues de ma terre, de ma fille ?

Ariane.

Et une vague sombre déferle sur moi, mes yeux se ferment de nouveaux, mon corps s’agite de soubresauts, tressaille. Milles aiguilles glacées s’enfoncent en lui. Un cauchemar défile dans ma tête, un sombre rêve irréel, pure hallucination…hallucination ? Des vagues de pourriture, du sang, des hurlements, Hautval baigné de sang, un long exil, un baiser, des rires glacés, du sang, une voix rauque. Et un nom : Ulgu. Encore et encore. Je ne sais, je n’ose imaginer la vérité, lui faire face. Et pourtant, ma raison m’impose petit à petit, fait céder les barrages de mon esprit, l’atroce réalité s’impose à mon âme, de l’immonde chose que je suis devenu. Je me cambre alors que les aiguilles de glace se retirent douloureusement de mes nerfs.

Un hurlement sans nom s’échappe de ma bouche, rauque, inhumain, alors que je me redresse violemment, sans contrôle de ma personne. J’hurle, encore et encore. Des dizaines de corbeaux s’envolent d’un arbre desséché non loin de moi, poussant de rauques cris de terreur. C’est la Mort qui hurle, c’est Lui qui hurle. Il y a eu un accroc dans Son plan pour ma personne. Non, pour lui, l’autre, Ulgu. Brûlante et incandescente, une vapeur noire s’échappe de ma bouche, par volutes réticentes qui bientôt se dissipe dans l’air corrompu des marais. Le murmure sombre qui s’échappe de mon corps n’est pas de mon fait. Mais je l’ai chassé, Il abandonne, vaincu.

Je tombe en arrière, hoquetant, les bras écartés, cherchant un peu d’air pour vivre, survivre. Un dernier long râle et la Vie reprend enfin son droit. Je sens, je vois, je touche, j’entends, je pense. Timidement, je murmure quelques mots :

« Ch…Charles de Hautval. »


* * *

Ses yeux agités, perdus, semblèrent redevenir de glace. Son visage anxieux et terrifié se figea dans une expression martiale. D’un bond leste, il se leva, reprenant possession de son être. Ecartant les bras, face au soleil qui perçait à travers les nuages, le baron entama un long hymne à la gloire de Néera.