Une nouvelle recrue [Alexana Lupae]

Assis devant son petit bureau, dans la grande tente de commandement, Hanegard Kastelord rédigeait les derniers rapports relatifs à l’état de l’armée. Ces tâches administratives le rebutaient toujours autant, mais il était bien conscient que la gestion d’une armée en campagne n’avait rien à voir avec les raids éclairs qu’il menait autrefois dans ses montagnes natales.

Il avait reçu ses nouveaux ordres moins d’une semaine plus tôt : revenir à Serramire avec ses 2000 hommes, des vétérans de la légion noire. Ce changement d’affectation l’avait soulagé, ses soldats s’étaient relâchés durant leur séjour prolongé à Oësgard. Après le siège de la cité, ils avaient voulu jouir des plaisirs qui s’offraient à eux. Plus d’une fois, les légionnaires avaient un peu trop profité des estaminets et des bordels de la cité, ce qui s’était inévitablement terminé par des séances de fouet lors de leur retour.

Même après leur départ d’Oësgard, la discipline continuait à s’en ressentir, aussi Hanegard avait-il décidé de laisser l’armée camper quelques jours dans la région avant de poursuivre leur route vers Serramire. Cela lui avait permis d’organiser des entraînements intensifs et des inspections surprises afin de bien faire comprendre à tous ses hommes que le bon temps était terminé.

Fouillant dans ses papiers, il en tira un ordre d’affectation qu’il venait de recevoir. Une jeune éclaireuse, Alexana Lupae, devait rejoindre son groupe d’armée. Il lui était demandé de la tester en contexte opérationnel, mais aucun détail supplémentaire ne lui était fourni. Maudissant les scribouillards des sections de recrutement qui rédigeait ces documents à la va-vite, le capitaine se demanda quels problèmes l’arrivée d’une femme au milieu d’un campement de 2000 légionnaires allait encore lui causer.

Hanegard rangea ses papiers en grommelant puis sortit de la tente. Dehors, une compagnie de fantassins s’affrontait à la lutte. Le capitaine s’approcha pour suivre l’entraînement des légionnaires. Parcourant les duos de lutteurs, il donna un conseil par ci, une tape d’encouragement par là. Il grimaça en voyant que les deux derniers soldats n’y mettaient guère d’ardeur. Mais ou donc se croyaient-ils, ceux-là ?

Ne retenez pas vos coups, bougres de feignants, rugit le capitaine en s’approchant.

Les deux lutteurs lui jetèrent un regard mauvais avant de saluer à contrecoeur et de reprendre le combat, sans pour autant y mettre plus de coeur. Bouillant de rage, Hanegard décida de prendre les choses en main personnellement. Ôtant sa tunique, il pénétra dans le cercle de combat. Des soldats d’autres unités se regroupaient déjà autour d’eux. Le capitaine était connu pour se mêler aux entraînements lorsqu’il n’était pas satisfait, et plusieurs légionnaires pouvait témoigner que lui ne faisait jamais semblant…

Vous deux contre moi, ordonna-t-il, allez-y !

L’un des deux hommes tenta de lui envoyer son poing dans la mâchoire, mais le capitaine intercepta le coup. Pivotant sur lui-même, il tordit le bras de adversaire avant de lui envoyer un grand coup de poing dans l’estomac. L’autre soldat, qu’il avait perdu de vue un instant, en profita pour lui flanquer un direct dans les côtes. Grognant comme un ours, le capitaine se rua sur son adversaire, qui ne pu éviter de recevoir le marteau formé par les deux poings de son supérieur en plein dans la mâchoire.

Satisfait, le capitaine observait les deux hommes qui geignaient au sol lorsque du bruit se fit entendre un peu plus loin dans le camp. Que diable s’y passait-il ?

Alexana avait été reçu quelques jours auparavant dans les rangs de l'armée de Serramire. On lui avait seulement fait remplir une fiche et dit qu'il lui faudrait attendre avant de recevoir une fiche d'affectation.

Le temps de savoir quelle troupe elle rejoindrait, elle en profita pour visiter la ville, mais cette fois avec Loup. Elle commençait peu à peu à se faire aux habitudes humaines. C'était des êtres bruyants mais ce qui marqua le plus Alexana fut leur égoïsme. Dans son ancienne meute, tous étaient soudés. Quand l'un parlait on l'écoutait puis discutions calmement. Ils étaient solidaires et tout dépendait des autres. Seuls ils n'étaient rien. Tandis que chez les humains, l'ego était ce qui importait le plus.
Il suffisait à la jeune fille de tendre l'oreille pour s'en rendre compte. Ils parlaient sans vraiment écouter leur interlocuteur, se croisaient dans la rue sans préter attention aux autres, bousculant de-ci de-là. Comme-ci seuls importaient leurs problèmes, le reste était invisible.

Un beau jour, un garçon apparut devant elle, essouflé. Il tenait dans sa main un papier qu'il tendit à Alexana. Sans s'expliquer, il repartit en courrant de là d'où il venait. La jeune fille était bien embarassée... Elle ne savait pas lire ! Elle demanda aux passants si l'un d'eux ne pouvait pas l'aider mais peu d'entre eux lui accordèrent leur attention, et encore moins l'aidèrent. Enfin un jeune homme accepta et le lui lit :

" A l'attention d'Alexana Lupae, vous ètes affectée dans la troupe de Hanegard Kastelord. Veuillez vous présenter l'après-midi même à son camp. Le duc de Serramire. "

La jeune fille remercia l'homme qui avait lu et lui demanda où se trouvait le campement. Il lui indiqua l'ouest de la cité, au dehors. Elle hocha la tête et partit dans la direction du-dit campement. La matinée était déjà bien avancée, il ne lui faudrait pas attendre longtemps. Loup la suivit jusqu'aux abords camp d'entrainement militaire. Là, Alexana s'installa dans l'herbe et se reposa. Enfin, lorsqu'elle jugea qu'il était temps, elle se leva et pénétra dans le camp, Loup à ses cotés.

L'animal sucista chez les soldats diverses réactions. De la surprise, de la peur, de la curiosité mais aussi de l'amusement. La jeune fille supportait mal qu'on les observe ainsi, mais Loup, bien au contraire, en profitait pour parader et faire le beau. Alexana, quant à elle, était reluquée de la manière la plus vulgaire possible. Les soldats se précipitaient sur leur passage. L'un d'eux tenta de lui toucher les fesses. Tenta. La jeune fille lui saisit le poignet et le lui tordit violemment. L'homme cria de tous les poumons. Ils étaient avertis. Fondant la foule des hommes en armures, un personnage bien plus imposant se planta devant Alexana. Elle en déduit que c'était le général sous qui elle devait prendre ses ordres. Elle s'inclina devant lui et incita Loup à l'imiter.

" Bonjour ! Je suis Alexana Lupae."

Se frayant vigoureusement un chemin à coup d’épaules, le capitaine arriva sur les lieux de l’attroupement. Une jeune femme se tenait au milieu d’un groupe de légionnaires, un loup à ses côtés. Au moins, se dit Hanegard, voilà l’explication de son nom. A côté de l’éclaireuse, un des soldats se frottait le bras en maugréant des insultes. Apparemment, il avait voulu faire preuve d’un peu trop de camaraderie envers la jeune femme.

S’inclinant devant le capitaine, l’inconnue et se présenta :

" Bonjour ! Je suis Alexana Lupae."

Hanegard eut un petit sourire en coin en voyant le loup tenter de l’imiter, manœuvre peu aisée pour un animal à quatre pattes. Passant sa tunique qu’il avait gardée sur le bras après son combat, il prit à son tour la parole :

Et moi je suis Hanegard Kastelord, commandant de ce camp. Suivez moi !

Sans un mot de plus, le capitaine entraîna la jeune fille étonnée dans le camp, jusqu’à la grande arène d’entraînement qui se trouvait en son centre. Il s’agissait d’un cercle de combat sablé d’une vingtaine de mètres de diamètre entouré de solides barrières en bois. De petites traces rouges indiquaient qu’ici, les combats avaient parfois lieu à armes réelles.

Sartyn ! rugit le capitaine.

Un grand gaillard sortit du rang. Tout en muscles, le nez cassé, d’impressionnantes cicatrices lui parcourant le corps, il avait tout du parfait bagarreur de taverne. C’était un vrai dur à cuire, comme la légion savait en former. Hanegard estimait que c’était grâce à des hommes comme lui que la réputation de leurs forces avait franchi les frontières.

Se retournant vers Alexana, Hanegard expliqua :

D’après votre fiche d’affectation, vous avez passé les tests d’entrée dans l’armée haut la main. C’est une bonne chose, mais ici, vous n’êtes pas dans l’armée régulière. Vous êtes dans la légion noire, l’élite de l’élite. Les tests standards ne suffisent pas à mes yeux pour vous jauger vraiment.

Désignant le soldat du doigt, il continua :

Voici Sartyn. Vous allez l’affronter dans l’arène. Les règles sont simples : pour gagner, vous devez obliger l’adversaire à toucher le sol avec les épaules. Compris ? Bon, alors allez-y !

S’accoudant à la rambarde, le capitaine regarda Alexana et Sartyn rentrer dans l’arène, le loup restant au bord du cercle. Une bonne partie du camp allait assister au combat, ce qui convenait aux projets d’Hanegard. Alexana était une jolie jeune femme, et si elle ne démontrait pas immédiatement qu’elle était également une guerrière accomplie, elle serait la cible perpétuelle des visées des soldats.

Si par contre elle remportait son duel, elle gagnerait le respect des légionnaires… et également celui de leur chef.

Sujet: Re: Une nouvelle recrue [Alexana Lupae] Sam 30 Jan 2010 - 10:58

[HRP : n’aimant pas laisser un RP non achevé, et s’agissant d’un moment clé dans l’histoire de mon personnage, je fais le dernier post]

Alors qu’Alexana rentrait dans l’arène face à Sartyn, des cris se firent entendre à l’entrée du camp.

Le capitaine ! Où est le capitaine ?

Surpris, Hanegard vit arriver un messager hagard, à moitié mort de fatigue. Descendant péniblement de sa monture qui n’était guère plus vaillante que lui, l’homme tendit en tremblant une missive au capitaine.

Le Duc…. Le Duc Merwyn a été destitué par le roi !

Arrachant la missive au messager, Hanegard la lut rapidement. Ainsi donc, ce qu’il craignait depuis longtemps était finalement arrivé… le soutien à minima accordé à Diantra lors de la guerre civile, l’invasion d’Oësgard, la volonté affichée de créer un royaume quasi autonome dans les Marches du Nord… et finalement le traité de Versmilia fusionnant Serramire et Sainte-Berthilde. Au fond, il n’y avait rien d’étonnant à ce que Trystan finisse par perdre patience et agisse contre le Duc félon.

Alors que la stupéfiante nouvelle se répandait à travers le camp à la vitesse de l’éclair, Hanegard réfléchit. La missive n’était pas très explicite, mais apparemment l’armée royale n’interviendrait pas directement, laissant aux seigneurs de Serramire le soin de renverser Merwyn et d’attendre le bon vouloir du roi quand à la nomination d’un nouveau maître sur ces terres. Froissant la missive, le capitaine la jeta au sol en maugréant un juron dans sa barbe. Il ne savait que trop ce qui allait maintenant se passer : une guerre civile, le chaos, les grandes villes livrées aux brigands tandis que les seigneurs se claquemureraient dans leur châteaux.

A quoi avait donc pensé le roi ? Pourquoi n’avait-il pas envoyé un homme fort reprendre immédiatement en main le Duché ? Un sourire triste aux lèvres, Hanegard comprit que le suzerain des hommes voulait faire de Serramire un exemple à l’heure où il renforçait son pouvoir. Le chaos dans lequel allait être plongé le trop puissant Duché serait un signal fort envoyé à toute le royaume : nul ne peut s’opposer au pouvoir central de Diantra sans en payer le prix fort. Mais le capitaine n’avait pas à rentrer dans ces considérations de haute politique. A ses yeux, une seule chose comptait : éviter à Serramire d’exploser en de multiples petites cités états. Puisque les politiques passaient la main, ce serait donc aux militaires d’assurer la transition et de veiller à la stabilité du territoire en ces temps troublés.

Autour du capitaine, les soldats semblaient divisés sur la conduite à suivre. La plupart paraissaient accepter la décision royale comme un fait sur lequel ils n’avaient de toute façon pas leur mot à dire, mais quelques uns d’entre eux rageaient et commençaient à parler de vengeance. Hanegard avait sous ses ordres deux milles hommes bien entraînés, une force non négligeable dans la situation actuelle, et un facteur de chaos supplémentaire s’il n’arrivait pas à les calmer.

Bâtard de roi, je lui arracherai personnellement le coeur, ragea un soldat à côté d’Hanegard

Le poing du capitaine s’écrasa sur la figure de l’homme, l’envoyant rouler au sol. Grimpant rapidement sur le toit d’une cabane où étaient stockées les armes, Hanegard mit ses mains en porte-voix.

SILENCE ! rugit le capitaine de sa voix de stentor.

Les hommes à proximité se turent, et les sous officiers allèrent répercuter l’ordre dans le reste du camp. Peu à peu, un silence sépulcral se fit, seulement troublé par le bruit des pas alors que les soldats s’approchaient de la grande arène d’entraînement pour y entendre ce que leur chef avait à leur dire.

Soldats de la légion noire ! Le Duc Merwyn a été destitué par le roi pour haute trahison !

Des murmures se firent entendre dans la foule des soldats, les conversations animées reprenant d’un coup.

SILENCE J’AI DIT ! tonna Hanegard

De nouveau, le silence se fit sur le camp.

Il n’appartient ni à vous ni à moi de juger les actions de notre souverain. Nous avons tous prêté serment au Duc Merwyn, mais ses actions passées nous en délient désormais. La folie de notre ancien maître conduisait le royaume à sa perte, nous affaiblissant jour après jour face aux drows alors que nous nous entredéchirions comme des bêtes. Si le roi avait laissé les choses continuer ainsi, nous nous serions retrouvés désarmés face à la menace du Puy d’Elda. Est-ce cela que nous voulons ? Devenir les esclaves des drows ? Finir égorgés par ces maudits, les laisser violer nos femmes et emmener nos enfants en esclavage ?

Un murmure de colère parcourt l’assistance. En rusé renard, Hanegard avait dévié la colère que certains de ses hommes pouvaient avoir contre le roi vers l’ennemi de toujours : les drows. Alonna n’était pas loin dans les mémoires et tous savaient qu’un jour les osts sombres reviendraient pour semer la mort et la destruction.

Soldats de la légion, notre devoir n’est pas de servir tel ou tel Duc, mais de protéger ces terres, de veiller à ce que Serramire puisse vivre en paix et que ses habitants puissent profiter du fruit de leur labeur. Trahirez-vous ces hommes et ces femmes qui croient en vous ? Trahirez vous ceux qui savent que la légion noire est le plus puissant bouclier de Serramire contre lequel viendront se briser les attaques de nos ennemis ?

Un murmure contrit monta de l’assistance. Hanegard sourit intérieurement. Il avait presque gagné la partie, offrant à ses hommes le choix entre l’obéissance et l’honneur, ou la rébellion et la honte.

Il est un serment que nous avons tous prêté, celui de défendre le royaume contre ses ennemis, de l’intérieur comme de l’extérieur. La fidélité que nous devons au roi est supérieure à tout autre considération. Lui seul est le garant de l’intégrité du royaume.

Dégainant son épée, Hanegard la brandit bien haut afin que le soleil se reflète dessus. Cela faisait un peu trop « héroïque » peut être, mais l’heure n’était pas aux demi-mesures.

POUR LE ROI ! ET POUR SERRAMIRE ! SOLDATS, JUREZ VOUS D’OBEIR AUX ORDRES DE TRYSTAN, QUELS QU’ILS SOIENT ?

NOUS JURONS ! fut le cri lancé en cœur par deux milles gorges.

Hanegard n’était pas dupe, certains de ses hommes n’avaient pas jurés ou trahiraient ce serment à l’avenir. Heureusement, la majeure partie de l’armée était conquise. Le chaos s’abattrait sur Serramire, mais la légion noire, l’un des plus importants symbole de l’ancien ordre, resterait là pour protéger le duché.

Descendant de la cabane, Hanegard donna l’ordre de seller son cheval et de préparer une escorte. Il lui fallait se rendre au château de Serramire, et il lui fallait faire vite. Rentrant sous sa tente, il rédigea en hâte des ordres pour ses subordonnées afin qu’ils le suivent jusqu’à Serramire.

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