L'auberge de la dague écarlate [libre]

Une nouvelle soirée de travail commençait pour la jeune serveuse de l'auberge de la dague écarlate. Ce fut d'ailleurs la première question que posa Eclavdra Vrinn lorsqu'elle postula pour ce travail:

Pourquoi ce nom pour une taverne?

Le tenancier de l'auberge, un petit elfe noir maigre, chauve et sans envergure lui avait répondu que c'était uniquement parce que sa dague était tombé dans un pot de peinture écarlate au cours de la rénovation de l'établissement. Du coup, il avait décidé que cet évènement entrerait dans l'histoire de l'auberge en l'appelant ainsi.
Eclavdra ne crut qu'à moitié cette explication des plus saugrenue, mais après tout peu lui importait. Ce qui comptait pour elle pour le moment, c'était qu'elle avait du travail, un toit ou dormir afin de s'affranchir de l'autorité de sa famille: les Vrinn.

Cela faisait moins d'une dizaine de nuits que la toute nouvelle serveuse officiait dans cette taverne, et elle s'en sortait plutôt bien. Au début elle avait eu peur de se tromper dans les commandes ou que sa mémoire lui fasse défaut car ces congénères elfes noirs étaient peu réputés pour leurs mansuétudes et leurs indulgences. Mais aucun incident notable n'arriva et le patron de l'auberge semblait satisfait tant des travaux qu'il avait accomplis que de l'embauche de sa nouvelle serveuse.

Eclavdra n'avait pas demandé pourquoi l'ancienne serveuse était partie, elle considérait d'ailleurs que cela ne la concernait en rien. La discrétion était pour elle une grande qualité si l'on voulait survivre et réussir. Elle espérait grandement qu'un jour elle puisse obtenir la confiance d'un personnage un peu plus important qui pourrait l'extirper de sa condition misérable.
Car il fallait bien admettre que si Eclavdra Vrinn aimait ce métier pour les opportunités et les confidences qu'elle pourrait en retirer, elle détestait la fatigue physique qu'occasionnait la pratique régulière de ce métier.
Pourvu que je ne fasse pas cela toute ma vie pensa t elle avec amertume.

Car quelle chance avait elle de quitter ces lieux pour des conditions de vie meilleures?

Evitant de ressasser la fatalité de son futur destin, elle décida de faire le tour des tables pour voir si certains clients désiraient quelque chose.
La tunique et la jupe marron clair d'Eclavdra contrastaient avec la pénombre des lieux, car il est de notoriété publique que les elfes noirs détestent les lumières vives et préfèrent la pénombre. C'est pourquoi l'auberge de la dague écarlate était éclairée uniquement par de petits candélabres fixés aux murs, laissant ainsi le soin à la tenue vestimentaire de la nouvelle serveuse d'éclairer, voir d'attirer les regards de convoitise des hommes ainsi que certains regards courroucés de jalousie de certaines femmes.

Eclavdra n'était cependant pas la seule attraction de l'auberge car certains clients avaient décidés de s'affronter au jeu de sava (une variante du jeu d'échecs des humains de la surface) et les paris allaient bon train sur le futur vainqueur.
La jeune serveuse aimait ce jeu et elle aussi se prit mentalement au jeu de parier sur le vainqueur tout en faisant le service. C'est en posant - sur la table en bois - les rafraichissements de deux joueurs acharnés, qu'elle se sentit étrangement observée, épiée par quelqu'un; mais elle ne parvenait pas à saisir qui s'intéressait à elle.
A moins que cela ne soit qu'une fugace impression qui ne reposait sur rien de concret comme parfois on pouvait en avoir le sentiment.

Eclavdra eut un petit hoquet de surprise lorsqu'elle sentit quelque chose frôler sa cheville. Elle pensait qu'un petit rongeur s'était laissé surprendre et avait fuit à toute vitesse percutant sa cheville dans sa précipitation. La seconde fois, ce fut plus une emprise légère qu'un frôlement, seulement, aucune main baladeuse ne pouvait trainer si près du sol.
°Qu'est ce donc que cette sorcellerie?° bougonna t elle à demi étonnée.

Elle avait beau chercher, rien ni personne ne semblait s'intéresser de près à sa personne. Maintenant sur ses gardes, elle vit clairement une forme indistincte près de son pied qui indiquait clairement une direction: une table au fond de la salle qui ne comprenait qu'un seul convive encapuchonné semblant vouloir garder l'anonymat.
°Que me veut ce sinistre individu?° pensa t elle déboussolée.

Eclavdra Vrinn se dirigea vers la table pensant qu'un mage espiègle testait l'un de ses sorts pour commander une boisson tout en épatant la populace. La serveuse n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche, qu'une voix féminine lui parla:
Xun dos ssinssrin ulu sevir nindol el'inssring?
Veux tu quitter cette taverne?

"siyo d' heen lle'warin"
"Euh... oui bien sur Madame" parvint elle à bredouiller

Ka ol zhah dosst daewl, Usstan shlu'ta xxizz dos!
Si c'est ton souhait, je peux t'aider!

Usstan shlu'ta xxizz dos ulu thalra fol kleel ilythiirin...
Je peux te faire rencontrer quelques drows influents...

Eclavdra n'en revenait pas, la chance semblait enfin lui sourire. La dame était une personne fortunée à n'en pas douté et ses manières provenaient de la haute bourgeoisie voir même de la noblesse. La naïveté de la serveuse et la curiosité l'emportaient sur la prudence.
"Ah bon, vraiment? Mais comment? Je ne suis qu'une simple serveuse et personne ne s'intéresse à moi? A part vous bien entendu Madame..."

Qui était donc cette jeune drow qui l'abordait avec autant de franchise et d'apparente générosité?
"Que voulez vous dire par : rencontrer des drows influents?" dit elle avec un visage souriant et resplendissant d'espoirs nouveaux.

"C'est vous qui avez lancé un sort sur ma cheville à l'instant Madame?" dit elle surprise car c'était la première fois qu'elle vit un sort se manifester ainsi sur elle.
Oh bien sur elle avait déjà entendu parler de la magie que pratiquait les personnes influentes des quartiers nobles, mais sans vraiment pouvoir la constater de près. Et tout cela la fascinait: un monde de luxe de magie et de raffinement s'ouvrait à elle. Eclavdra, pour un peu en aurait pleurée de joie.