Les préludes d'une alliance [Gaucelm]

J'étais nerveuse. Depuis que Père m'avait annoncé que j'allais épouser le Comte Gaucelm d'Odélian, je ne trouvais plus le sommeil et avais perdu l'appétit. J'avais remarqué les regards désolés de mes demoiselles de compagnie quand elles avaient apprit la nouvelle et les avais renvoyé sèchement. Je ne supportais pas leur pitié. Je ne supportais pas de voir leur relative liberté comparée à la prison de mon titre. Oh ça oui, j'avais toutes les étoffes dont je pouvais rêver, tous les bijoux, mais j'étais condamnée à épouser un homme qui avait l'âge de mon père. Si encore, il avait été séduisant... Père était encore un bel homme malgré son âge. Mais Gaucelm... Il était gros et gras et il sentait la sueur. Non, vraiment... Rien que de songer à la nuit de noce me donnait des nausées.

- "Ca ne va pas Nora?"

Je me détournai de la fenêtre et observai ma vieille nourrice qui me regardait à travers ses yeux qui commençaient à se voiler sous les ravages du temps. Je soupirai et m'avançai vers elle, avant de m'agenouiller à terre et de poser ma tête sur ses genoux cagneux.

- "Oh ma chérie, tu es en train de te rendre malade pour pas grand chose."

Je me redressai vivement et la fusillai du regard.

- "Pas grand chose? Nanny, je vais épouser le Gras dans quelques semaines! Je ne vois pas ce qu'il pourrait y avoir de pire!"

- "Eh bien, réfléchissons... Tu pourrais tomber malade, attraper la vérole et être défigurée..."

- "Ce ne serait pas pire... Je vais me faner et mourir auprès de cet individu... Comment Père a-t-il pu me faire une chose pareille! Rien que de m'imaginer dans son lit..."

Je frissonnai. Nanny, elle, se mit à rire.

- "Ah ma petite princesse, le réveil est difficile n'est-ce pas? C'est sans doute ma faute, je t'ai trop bercé d'illusions et tu y as cru. Bien sûr, tu aurais pu épouser un jeune et beau chevalier, mais c'était mal connaitre ton père et ses ambitions, ça ma chérie. Je suis navrée Nora. Console toi, peut-être que le Comte n'est pas aussi vilain de coeur que d'apparence..."

Maigre consolation. J'entendis alors un hérault au dehors et mon coeur rata un battement alors que l'on annonçait le comte d'Odélian.

- "Allez ma chérie, redresse-toi, mets un peu de fard sur tes joues, tu es toute pâle. Attends, laisse-moi arranger ta coiffure. Sois souriante et..."

Je n'écoutais plus. Je m'étais mise en mode automatique : une jolie poupée qui va sourire et rire. Je laissais Nanny me faire ses ultimes recommandations et me relever les cheveux, avant de me diriger d'un pas mécanique jusqu'au salon. Je m'arrêtai dans un coin, histoire de pouvoir écouter ce qui allait se passer sans me faire voir. Je portais une robe de soie argentée cousue de fils argents, légèrement échancrée au niveau des épaules afin de les dégager. Mes lourdes boucles auburn étaient rassemblées en une queue de cheval, les laissant cascader sur mon épaule droite. De fins rubans et des perles venaient égayer le roux de mes cheveux.

J'entendis alors des voix filtrer et reconnu celle de mon père.

- "Mon cher comte, quel plaisir que d'enfin vous recevoir! Avez-vous fait bon voyage?"

Un serviteur entra alors dans la pièce en amenant des boissons. Le comte devait être arrivé depuis quelques minutes déjà. Nanny m'avait vraiment retenue un moment.

- "Souhaitez vous voir ma fille dés à présent, ou réglons-nous quelques affaires auparavant?"

Mon coeur se mit à cogner violemment dans ma poitrine quand il parla de moi. Je n'avais pas envie d'être vendue à cet homme.

Mais je n'avais pas le choix.

Le soleil était haut dans le ciel printannier d’Etherna, où hirondelles et étourneaux rivalisaient en acrobatie aérienne et en piaillements guillerets, au dessus de la déléguation odélianne qui marchait tranquillement sur les pavés noircis par le temps. Les sabots et le cliquetis des armes semblaient donner la cadence au groupe, qui brandissait bien haut les étendards estampillés du Bélier sur fond gueule et argent. Gaucelm, portant une tenue de marche saillante, malgré les rondeurs, chevauchait un palefroi noir en tête de colonne, entouré par sa suite habituelle. Ainsi à ces côtés, on retrouvait pêle-mêle, Fulbert, Gatien, même cet imbécile de Géraud, des protagonistes bien connus des plus fidèles lecteurs, et qui ne resteront pas longtemps inconnu à ceux qui découvrent les aventures du comte. Le château de Caerlyn se découpait dans le cadre bleuté et charmant du ciel sans nuages, sous l’œil rieur du bien nommé Gras. Il était un peu anxieux, comme lorsqu’il se préparait à déclamer ses réquisitoires implacables face à la foule. Une première rencontre est important, il ne faut pas la louper, faire bonne impression, imposer sa patte, impressionner ! Il avait pris un bain à l’huile de rose d’Ysari, que sa cousine lui avait envoyé … Décidement cette bonne cousine était généreuse ! Il ordonna à Gatien de faire la première annonce de son arrivée. Deux coups de cornes de guerre odéliannes, au son si mélodieux et doux à la grasse oreille de Gaucelm, retentirent, provoquant l’envol d’un groupe de moineaux qui passa au-dessus des bannières. Charmante image ! Il fallait la noter celle là, remplacer les moineaux par des pigeons ou des colombes peut-être. Le fil de ses pensées continua alors qu’il passait sous la porte du château des vicomtes de Caerlyn et que la délégation d’Odélian pénétrait en bon ordre dans la cour.

Les serviteurs se jetèrent au bas de leur monture et encerclèrent celle du Gras, tandis que l’un d’eux mettait en place l’espèce d’escabeau qui allait permettre au Gras de reposer le pied sur le plancher des vaches. Désormais rompu à l’exercice, il bascula, jouant du centre gravité et retomba sur ses pieds en quelques instants, bien que la pirouette manqua de faire rompre le dos des assistants. Il descendit la volée de marches et jeta un regard périphérique, observant l’architecture un brin trop maniéré à son goût, puis fut rejoint par Fulbert, qui attendit le hochement de tête de son suzerain pour se diriger vers les personnes qui sortaient peu à peu du château. Il libéra enfin sa voix fluette et chevrotante pour annoncer glorieusement Gaucelm, tandis que Géraud s’occupait de faire monter la grue qui servirait à hisser lorsqu’ils repartiraient.

Faites place !! A Sa Grasseté, Son Eminente ventripotence, Sa Grassouillerie, Sa Riante Bedonnerie, Sa Glorieuse rondeur, Chevalier de la Justice et Seigneur d’Odélian !!! Gauceeeeeeelm le Graaaaaaaaaaas !

Un sourire ravi illuminait le visage du Bélier, les modifications qu’il avait apporté dernièrement rajouté encore plus de classe et un brin de peps bien venu. Qui pouvait se targuer d’avoir une préentation aussi novatrice et subtile ?Qui ?!! Il avançait fier comme un paon faisant la roue et rencontraun serviteur, qui l’invita à entrer en ouvrant les bras. Les deux hommes, suivi de Fulbert se dirigèrent vers le salon où le Gras remarqua de son regard acéré, les tentures pourpres qui pendaient aux fenêtres détaillées, les tapisseries richement décorées bien qu’un peu vielliote et le marbre élégant qui ornait le sol. Il fut invité à s’asseoir dans un fauteuil, qui manifesta sa désapprobation par un chuintement grave alors que le vicomte s’installait dans le fauteuil en accueiilant le comte.

Mon cher comte, quel plaisir que d'enfin vous recevoir! Avez-vous fait bon voyage?

Le ton semblait plaisant, chaleureux, il savait ce comporter en homme conquis … En collabo quoi … Le Gras répondit avec le ton enjoué qu’on lui connaît.

Ma foi, fort bon voyage, mon bon ! Le soleil m’a accompagné pendant tout le voyage.

Il gloussa, ses yeux pétillants d’une malice presque infantile. Le maître des lieux fit servir un vin parfumé et lança.

Souhaitez vous voir ma fille dés à présent, ou réglons-nous quelques affaires auparavant?

Gaucelm observait son hôte, et lui répondit avec une évidence dans le ton, qui pouvait laisser deviner le côté déplacé de la question.

Elle me semble la première concernée … Pourquoi ne serait elle pas présente ? Nous verrons les détails plus tard.

Il voulait la rencontrer avant tout ! On la disait jolie damoiselle, mais le Gras préférait juger par lui-même et si elle était trop vilaine, il pouvait toujours refuser le mariage, ou faire capoter la négociation de la dot. Jamais on verrait à son bras une damoiselle au visage disgrâcieux … JAMAIS !!

Malgré moi, je tremblai alors que mon père proposait de m'appeler pour
rencontrer le Comte. Je n'avais pas envie de le rencontrer... Je l'avais déjà
vu, il y a quelques années de cela... J'entendais tout ce qu'ils disaient mais je ne voyais pas, n'ayant pas poussé le vice jusqu'à les espionner ouvertement. Pourtant, je sentis mes jambes flageoller et je m'assis sur un des fauteuils du boudoir, une main sur la poitrine, en tentant de reprendre mes esprits.

Calme-toi Nora, calme-toi... Des vieux seigneurs, tu en as déjà vu et affronté, même charmé sur demande de ton père. En quoi cela est-il différent?
Simple, je ne jouais plus. Gaucelm était là pour moi. Si je lui convenais, il signerait l'acte de mariage avec mon père.

Si je lui plaisais, nous serions alors officiellement fiancés.

Par les dieux, j'allais entrer dans cette pièce jeune fille et en ressortir fiancée... j'en avais le tournis. Je n'eus pas le temps de me poser davantage de questions : un serviteur sortit de la pièce et me découvrit alors, surpris que je sois déjà là alors qu'on l'avait envoyer me quérir. Je lui offris un pâle sourire et me relevai, carrant les épaules pour affronter cette épreuves. Etait-ce un sourire de compassion que je vis sur son visage? Je n'en étais pas sure, mais je lui lançai un regard assassin pour le remettre à sa place et me dirigeai vers la porte. Je frappai quelques coups avant d'entendre la voix de mon père résonner :

- "Entrez."

Je pris une profonde inspiration et entrai dans la pièce. Mon estomac se liquéfia sur place quand j'apperçus mon futur époux : gras, vieux, à moitié chauve... Je me demandai alors si mon sourire vacilla ou si je réussis à cacher mon désarroi.

- "Vous m'avez fait mander père?"

Ma voix résonna, claire et pure, sans tremblements. Autant dire que je n'en fus pas peu fière. Je me dirigeai alors vers lui et m'emparai de sa main que je baisai avec ferveur, en fille aimante et obéissante.

- "En effet Elanore."

Il s'empara de ma main et me fit pivoter vers le comte.

- "Je te présente le comte Gaucelm d'Odélian, qui a fait le voyage spécialement pour te rencontrer."

Et je compris à travers ses mots que j'avais intêret à me montrer digne de sa Grasseté et du dérangement occasionné. Mon père m'avait sermonné durant des heures en m'expliquant ce que m'apporterait une telle union. Je serais comtesse. C'était bien là la seule consolation que je pouvais trouver. Le reste n'était que futilités, bien que l'argent du Comte m'intéressa. J'adorais les vêtements et les bijoux. J'affichai un sourire poli et me fendis d'une jolie révérence alors que je récupérais ma main pour remonter légèrement ma robe.

- "Messire d'Odélian, c'est un honneur que de vous recevoir à Caerlyn."

Étonnamment, toutes les formules de courtoisie maintes fois répétées ne purent franchir la barrière de mes lèvres qui me semblaient désséchées.

- "Allons, asseyons-nous donc confortablement pour deviser en toute sérénité et déguster cet excellent cru de Hautval."

Mon père invita le Comte à s'asseoir et je fis de même, croisant sagement les mains sur mes genoux, le regard baissé.

Un serviteur fut mandé par le vicomte … Quel titre ridiculeusement pompeux ! Vicomte de quoi ? D’un territoire vassal d’une province annexée en moins de temps, qu’il ne faut pour l’écrire ! Sa Grassouillerie observait son hôte, dissimulant le certain mépris que lui inspirait l’homme. Certes, il était tout sucre et miel, mais il n’en demeurait pas moins trop accueillant pour un conquis, ça caché quelque chose ! Le Gras en était convaincu ! Un silence presque gêné et lourd s’installa pendant l’attente de la damoiselle, alors que le vicomte de Caerlyn peinait à croiser le regard inquisiteur qui jaillissait du visage bonhomme de Gaucelm. On frappa à la porte et de Caerlyn invita sa fille à entrer. La porte s’ouvrit alors. Déjà ? Sa chambre était-elle adjacente au salon ? Voilà une architecture bien étrange ! Ah moins qu’elle ne fusse parqué par son père dans le boudoir mitoyen , ou qu’elle ne fusse en train d’espionner la conversation. Peu importe, à vrai dire. La voix, presque infantile et laissant trahir la jeune adolescente qui allait épousailler le comte, retentit.

Vous m'avez fait mander père?

En effet Elanore ... Je te présente le comte Gaucelm d'Odélian, qui a fait le voyage spécialement pour te rencontrer.

Il se leva immédiatement pour accueillir la pucelle. Voyons un peu la gueuse … Jeune, très jeune … Fraîche comme une perle de rosée. Craquante comme une feuille de salade, diront les plus poètes. Des yeux bleus magnifiques, mais dissimulant mal la contriction qu’elle ressentait devant la vision de son futur époux. Encore un de ces regards, ceux qu’il avait croisé plus d’une fois, lorsque jeune homme il s’était lancé dans la cour de jeunes nobliaudes, qui s’étaient sauvées avec un air moqueur. A l’époque, il n’était personne, un obèse parmi tant d’autres, Gaucelm de Berdevin, héritier de Dens, un gros inconnu issu de la noblesse de seconde zone. Aujourd’hui, il était Gaucelm le Gras, Seigneur d’Odélian, qui avec la disgrâce de Serramire et de sa bourrique de duc, la reconstruction d’Alonna, l’imbroglio d’Oesgard et la conquête d’Etherna, était devenu le seigneur le plus puissant du nord. Et tout ça grâce à qui ? A lui, uniquement !! Non mais … Il poursuivit son inspection rapide de la jouvencelle. Poitrine ronde qui se dessinait sous sa robe argenté, charmante au passage. Un petit mutin et un regard aux brefs éclats coquins, des lèvres qui dessinaient un joli sourire, même si il était visiblement de facade. Elle était jolie ! Bon elle semblait avoir le poil roux … Petit détail chiffonant, mais anecdotique.La révérence qu’elle présenta était gracieuse et elle poursuivit, alors que son père avait saisi sa main pour lui permettre de s’installer à ses côtés.

Messire d'Odélian, c'est un honneur que de vous recevoir à Caerlyn

Point de compliment ? … Elle restait probablement coi d’émotion devant le charme naturel de son futur époux, qui se fendit d’un petit sourire en notant l’effronterie amusante de sa future dame.

Allons, asseyons-nous donc confortablement pour deviser en toute sérénité et déguster cet excellent cru de Hautval

Il attendit que la jouvencelle soit assise, baissant le regard avec toute l’ingénuité de ses quatorze ans, pour se lancer dans un petit compliment alors qu’il reprenait sa place dans le fauteuil.

On m’avait dit que les nymphes avaient quittées nos terres depuis des siècles, pourtant je suis aujourd’hui témoin de leur beauté. Mademoiselle, vous êtes leurs dignes héritières.

Il fit un petit sourire, semblant manquer un rien d’assurance, même si c’était juste une formule de politesse, la n°12 dans la liste qu’il avait appris par cœur il y a de nombreuses années. Il tourna son visage vers le père, puis plissa légèrement les yeux, semblant lui indiquer qu’il dérangeait. Il lui dit pourtant.

Vous pouvez vous vanter, mon bon ! La beauté de votre fille est sans pareil !

Un petit éclat de malice passa dans le regard du Bélier et il poursuivit sur un ton jovial et charmeur, se saisissant du verre qui était posé près de lui.

Bien ! Dites-moi, Dame Elanore … Aimez vous les chevaux ?

Je relevai la tête alors que la voix du Comte résonnait pour vanter ma beauté et me complimenter. Des éloges de ce genre, j'en avais entendu des dizaines. Surtout ces derniers mois alors que j'étais devenue davantage femme. Je e demandais parfois si les hommes avaient un manuel pour apprendre telle ou telle petite phrase afin de vanter la beauté ou l'intelligence d'une femme. Bien que la beauté soit davantage prisée. les hommes n'aimaient pas tomber sur une femme qui puisse les égaler sur le plan cognitif. Père et mère me l'avaient laissé comprendre et je gardais par devers moi mes réflexions plus profondes que la couleur de ma robe du jour. Je croisai le regard du comte et sourit, touchée pourtant par cette petite tentative de m'être agréable. Et puis, avouons-le, j'adorais qu'on me dise que j'étais belle.

- "Merci messire, vos paroles me touchent."

Au moins savait-il s'exprimer comme un gentilhomme. Il l'était de fait, mais je savais qu'il était parti de rien pour devenir un homme puissant désormais. Un homme qui avait annexé Etherna sans que personne ne l'arrête, sans que personne n'ose rien trouver à y redire...

- "Elanore tient de sa mère."

Père n'était pas du genre à s'épancher, ni à faire preuve de sentimentalisme. Mais il avait aimé Mère et je savais qu'il évitait d'en parler car cela restait douloureux. Pourtant, rien ne trahit son chagrin quand il dit cela. Il se contenta de boire une gorgée de vin. Je tournai vivement la tête vers le Comte quand il me demanda si j'aimais les chevaux. un réel sourire s'épanouit sur mon visage alors que mes yeux se mettaient à briller.

- "Enormément. Je suis bonne cavalière et j'adore chasser au faucon, savez-vous?"

Je me retins à peine avant de lancer :

- "Êtes-vous amateur de chasse Messire Gaucelm?"

Je me doutais au moins qu'il était amateur de banquets... Mais retint ce commentaire désobligeant. Je doutai que mon père apprécie l'insolence.

La délicate enfant ! Elle remerciait le Gras pour son compliment avec la pudeur qu’on doit attendre d’une pucelle. Charmante, je vous dis ! Un petit sourire étirait légèrement ses lèvres délicates, faisant en naître un sur le visage du Gras en retour. Puis, ce fut au tour du papounet de répondre à Sa Grasseté.

Elanore tient de sa mère

Sous l’œil acéré du comte, une multitude de signaux apparurent sur le vicomte. Un petit rictus qui pinca ses lèvres, le regard fuyant, cette contriction des mains, nerveuse, avant de se saisir du verre … Haaaaann … Le sujet de la maman était encore sensible … Intéressant … Il fallait s’en souvenir. A la question du Gras, la jeune demoiselle répondit avec la jovialité d’une enfant.

Enormément. Je suis bonne cavalière et j'adore chasser au faucon, savez-vous? … Êtes-vous amateur de chasse Messire Gaucelm?

Le Gras, ravi du panache dont faisait preuve la jeune dame, se permit un trait d’esprit, en observant soudain son ventre et ses célèbres rondeurs.

On me pense plutôt amateur de banquet, non ?

HAHAHAHAHAHAHAHA !! Il est si drôle … Il gloussa et continua, sur un ton dynamique et enjoué, révélant son côté enfant à lui aussi … Un gros bébé capricieux … GROS, le bébé … Bref, reprenons !

Je pratique la chasse parfois, mais j’admets ne pas être un très grand veneur.

Oui, c’est vrai ! C’était pas un grand chasseur. La faute au destriers qui s’essoufflaient trop vite, laissant passer trop de gibiers. Bien évidemment, il ne remit jamais en cause son poids, les chevaux n’avaient qu’à être plus costauds.

Bonne cavalière, dites vous ? … Mon bon vicomte ? Permettez vous que j’emmène votre charmante fille dans la cour quelques instants ?

Sans même attendre la réponse du futur beau père, il se leva et se dirigea vers la sortie, alors que Fulbert sortit enfin de l’ombre dans laquelle le clerc se terrait et emboîta le pas du comte, en jettant de petits regards discrets vers la jeune enfant. Qui sait ce qui pouvait bien se passer sous sa caboche dégarnie et je préfère me priver d’aller explorer, on pourrait trouver des choses … Dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom … L’opération séduction se déroulait à merveille, voyons maintenant si le cadeau allait plaire à la future Dame d’Odélian. Lors du trajet, il se lança dans un petite élocution sur Odélian.

Voyez vous, ma chère, Odélian, ma terre natale, possède parmi ses nombreuses richesses, une race de chevaux bien particuliers. Ils sont plus grands et massif que leurs congénères d’Erac, mais également un peu plus docile. Odélian possède d’ailleurs de splendides écuries qu’il vous faudra visiter ! Si vous aimez nos camarades équins, vous serez aux anges. J’ai donc pensé à … Ceci !

Il s étaient arrivés à la porte d’entrée et devant eux, outre le spectacle affligeant de Géraud qui tentait de séduire une lavandière, sous le regard désapprobateur de son oncle, alors que l’érection de la grue stagnait lamentablement, un des écuyers tenait par la bride, une jeune pouliche à la robe alezan brûlé, qui regardait le duo étrange qui lui faisait face. Une petite tache blanche naissant sur son front et courait jusqu’entre ses naseaux. Il était convaincu d’avoir frappé un grand coup !

Stupéfaite qu'il dise à voix haute ce que je venais de penser, je faillis lui demander s'il était télépathe. Mais cela aurait signifié que j'avais pensé cela, ce qui était totalement discourtois et mal élevé. Néanmoins, mon regard pétilla de malice alors qu'il parlait avec tant de clairvoyance sur lui-même et je ne pus me retenir de dire de ma voix la plus candide :

- "Et est-ce le cas?"

Je papillonai des paupières en le regardant de mes yeux bleus limpides alors que je sentais mon père se tendre et me regarder sévèrement. Je faisais preuve d'audace, voire même d'incorrection. Je ne voulais pas offenser le comte, loin de là, mais ce petit trait d'esprit m'avait plu et donner envie de jouer. Mes prétendants n'avaient jamais vraiment fait les frais de mon esprit ou de ma verve. J'avais pris grand soin de les dissimuler. Mon sourire s'élargit quand il me rétorqua chasser sans être très doué. Peu importait. De nouveau, une question me brûla les lèvres :

- "Et que pensez-vous d'une femme qui chasse?"

Autant savoir maintenant si je pourrais continuer ou pas. Il demanda alors l'autorisation à mon père pour m'emmener dans la cour, piquant par là même ma curiosité au vif. Je lui jetai un regard interrogateur alors que mon père ouvrait la bouche, surpris. Mais Gaucelm s'était déjà levé.

- "Bien sûr..."

Que pouvait-il dire d'autre? Je me levai alors et suivi le Comte et son serviteur qui me regardait bizarrement (je dirais même qu'il me reluquait effrontément, me dégoutant profondément). Il voulait être discret, mais je connaissais trop les regards à la dérobée pour ne pas les voir.

- "On m'a parlé des chevaux Odélian et l'on m'en a dit grand bien. Nous en avons quelques uns aux écuries."

J'étais ravie qu'il me parle de chevaux et me propose de visiter les écuries à l'occasion, même si cela sous entendait que j'étais à son goût. J'avais espéré le contraire... Mais le Comte n'était pas désagréable. Il ne semblait pas méchant et faisait tout pour m'être agréable... Devant mon père en tous cas.

- "Ce serait avec plaisir et... Oh."

Je m'arrêtai, stupéfaite, alors que je remarquai la jeune pouliche devant moi. Ma main se porta à ma bouche qui formait désormais un coeur alors que j'avais laissé échapper ma surprise. Mon regard s'illumina et je lançai un regard émerveillé au comte :

- "Elle est pour moi?"

Ravie, je m'approchai de l'animal et portai une main à son encolure. La pouliche frissona, un peu nerveuse, mais je lui murmurai quelques paroles apaisantes, à mi voix.

- "Elle est magnifique... Merci."

Je flattai l'encolure de la pouliche, ravie de ce cadeau inattendu et pourtant si juste.

- "Comment avez-vous su que j'aimais les chevaux? Les dieux vous auraient-ils inspirés pour me plaire ou bien saviez-vous déjà que je les affectionnais et ce petit interrogatoire n'était-il qu'un moyen fort judicieux de m'amener dehors?"

Ma voix était douce et j'étais un peu moins sur la défensive qu'auparavant.

- "Elle a un nom?"

Et est-ce le cas?

Oh la petit insolente, mais après tout la question était légitime. La réponse s’échappa pendant le gloussement.

Il me serait difficile de la cacher

Elle surenchérit, s’accrochant à sa chasse avec ténacité. Les femmes à la chasse, hein ? La réponse vint en mêe temps que la pensée.

Ma foi, je pensais les dames aimant plutôt l’usage du rouet ou la poésie … Mais chasser reste un passe temps amusant, je vous comprends !

Hop, emballez c’est pesé ! Des femmes à la chasse, des femmes à la chasse ! Oui, faut voir ! De toutes façons, la chasse … Il avait pas vraiment le temps, et puis au printemps, la chasse c’est pas le moment. Bref ! Elle connaissait les chevaux odélians ! La charmante jouvencelle ! Elle prit une expression encore plus charmante, lorsqu’elle découvrit l’animal, arrachant un gloussement ravi au Gras qui la laissa avancer vers le cadeau.


Elle est pour moi?

Si vous l’acceptez …

Oh, oui, vas-y Gaucelm, tu marques des points là !! C’est bon !!! C’est bon !!!!!!!!!

Comment avez-vous su que j'aimais les chevaux? Les dieux vous auraient-ils inspirés pour me plaire ou bien saviez-vous déjà que je les affectionnais et ce petit interrogatoire n'était-il qu'un moyen fort judicieux de m'amener dehors?

Arcam semble avoir guider mes pensées lorsque j’ai choisi votre présent. Je vous assure que j’ignorais votre passion pour les équidés !

Ohoh ! Elle était maline. Elle envisageait une manipulation. Le Gras toussota légèrement, mais prenait une pose pleine d’assurance, sourire ravageur au milieu de la face rougissante d’émotion et regard amusé planté sur le délicieux spectacle de la jouvencelle qui s’émerveille. Allez mon Gras, tu tiens le bon bout !

Elle a un nom?

Point encore … Elle attend que vous la nommiez. Le maître des écuries m’a assuré que cette pouliche serait parmi les meilleures de sa race.

OUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAIIIIIIIIIIISSS !!!!!!!! L’arme fatale, le bouquet final, la touche de classe et de charme ! Le gras charmeur lança un petit regard au papa, lui souriant avant d’ajouter à mi-voix.

Je pense que nous pouvons conclure l’affaire.

Il ne se vexa pas quand je poussais la question jusqu'à lui demander s'il aimait les banquets. C'était une évidence de toutes façons et un fait avéré. Mais je le testais, d'une certaine manière. Oh, je ne me faisais aucune illusion, quand bien même ce que je découvrais ne me plaisait pas, cela ne changerait strictement rien. A moins que le comte soit violent et me frappe, ce dont je doutais, rien ne ferait changer d'avis mon père. Que Gaucelm soit intelligent, idiot, fou ou cupide, peu importait. Mais il répondait avec bonhomie à ma petite attaque déguisée et cela était tout à son honneur.

- "Oh j'aime également les travaux de couture ou de tapisserie ou encore la musique ou le théâtre. Mais la chasse me procure un petit sentiment grisant que je ne saurais expliquer."

La liberté, tout simplement. Être en communion avec son cheval et son faucon... Ça n'avait pas de prix et c'était éphémère. Mais salvateur. Je découvris alors mon cadeau, bouche bée et fus ravie d'apprendre qu'elle était bien pour moi. Si j'avais été moins bien éduquée, j'aurais presque pu lui sauter au cou pour le remercier. Mais cela ne se faisait pas.

- "C'est un magnifique présent."

Je m'enquis alors du choix de ce cadeau et souris à sa réponse policée.

- "Eh bien Arcam fut de bon conseil, mais je suis surprise qu'il se soit déjà penché sur notre cas."

Notre cas... Je le savais, les dés étaient jetés. Mais me parler d'Arcam alors que tout ceci n'était que manœuvre politique... C'était presque cruel. Je m'enquis du nom de cette merveille et le Comte me rétorqua qu'il m'incombait de la nommer.

- "Je n'en attendais pas moins de vous, vous ne pouviez m'offrir que l'excellence."

Je caressai les naseaux de la pouliche et murmurai :

- "Alizée... Je ferais de toi une jument aussi rapide que le vent. Nous allons passer du temps ensemble toi et moi."

Et pendant ce temps le comte signifiait à mon père que nos épousailles pouvaient avoir lieu.

- "Vous m'en voyez ravi mon cher. Rentrons donc pour discuter des termes de cette alliance si vous le voulez bien."

- "Père? Puis-je y assister?"

- "Non. Ce ne sont pas là affaires de jeunes filles."

- "Mais... Il me semble que je suis la première concernée."

Je tenais tête à mon père et il n'aimait pas ça. Il interrogea Gaucelm du regard. Je lançai alors un regard à la fois suppliant et candide au comte. Si l'on devait me vendre, j'entendais quand même savoir à quel prix!

La réaction de la charmante enfant était réellement délicieuse. Un joli sourire égayait son visage à mi chemin entre femme et enfant, et elle semblait se retenir de bondir de joie et sur sa nouvelle monture. Elle rebondissait avec

Eh bien Arcam fut de bon conseil, mais je suis surprise qu'il se soit déjà penché sur notre cas.

Les voies des Dieux sont impénétrables dit-on.

Bien envoyé, mon Gras ! Elle faisait preuve d’esprit … Acerbe qui plus est ! La charmante petite effrontée. Elle semblait jouer, comme le font toutes les demoiselles dont la curiosité et l’intérêt était piqué au vif. Le Gras continuait de sourire, alors qu’elle rebondissait à chacune de ses phrases.

Je n'en attendais pas moins de vous, vous ne pouviez m'offrir que l'excellence.

Voilà le terme ! L’excellence ! Elle avait décidemment tout compris au Gras. Point de flatterie ou de vanité, il offrait l’excellence, tous les jours, à tout instant. Cette jouvencelle se révélait de plus en plus un parti agréable, tant mieux il n’y avait plus à tergiverser. Elle se tournait vers son cadeau et la nomma.

Alizée... Je ferais de toi une jument aussi rapide que le vent. Nous allons passer du temps ensemble toi et moi.

Alizée ? … Bah si elle trouvait ça jolie. Gaucelm ne pouvait s’empêcher de penser à une barde, plutôt jeune, qui portait ce nom. Elle était aussi à peine sortie de l’adolescente, et on lui prêtait un comportement de gourgandine quasi légendaire ! Bref, cessons cette digression alors qu’après la confirmation de l’affaire par le comte, les Caerlyn engagèrent une petite joute verbale amusante.

Vous m'en voyez ravi mon cher. Rentrons donc pour discuter des termes de cette alliance si vous le voulez bien.

Père? Puis-je y assister?

Non. Ce ne sont pas là affaires de jeunes filles.

Mais... Il me semble que je suis la première concernée.

Le regard interrogateur du père, fit retrousser la lèvre supérieure de Sa Grassouillerie avec mépris. Cet homme, non comptant de vendre sa fille, ne savait pas se faire obéir et la tenir en respect. Ceci dit, elle reprenait presque mot pour mot, la sentence du Gras, lorsque le Père lui avait poser la question. Elle avait donc espionné le début de l’entrevue … La coquine. Il gloussa légèrement à cette pensée, puis dit, avec une simplicité inattendu.

C’est encore votre fille, mon bon ! Ne me regardez pas en cherchant une réponse.

Il tourna la tête vers sa jeune future épouse, lui adressant un sourire complice, puis se détourna et retourna dans le salon, où il avait été accueilli, Fulbert le prenant en chasse, tel une son ombre. La présence de la pucelle lui importait peu. Certes, ce n’était point affaire de femme … Encore moins de damoiselles. Mais, après tout, c’est elle qui serait gênée d’être la pour la transaction ! Oh ! Lui, vous savez … Il en fallait plus pour l’impressionner. Il se posta près de la porte, attendant l’entrée du paounet d’amour, et probablement, vu le manque d’autorité manifeste, de la fifille à son papa.

Je tressaillis quand le Comte répondit à mon père de façon courtoise,certes,
mais son expression trahissait son mépris pour cet instant de faiblesse à mon endroit. mon père eut un sourire un peu figé, avant de me lancer un regard qui me fit comprendre que j'allais payer mon insolence. j'aurais du me taire et prendre congé en baissant la tête et en m'effaçant. J'aurais du. Mais quelque vice m'avait poussé à oser réclamer d'être plus actrice que spectatrice de ma propre vie... Une folie que j'allais payer chèrement, surtout parce que je venais de ridiculiser mon père face au Comte.

- "Eh bien, viens donc Elanore. Comme si cela allait changer quelque chose."

Je me raidis, comme s'il m'avait frappé. Il venait de me rappeler sciemment que quoique je fasse, mon destin était scellé et que c'était lui qui tirait les ficelles. Je m'inclinais avec grâce et souris finalement comme si de rien n'était.

- "Merci."

Le regard que m'avait lancé le comte me laissa perplexe. Complicité? Pourquoi donc? Je me tus et baissais les yeux alors que je suivais les hommes jusqu'au petit salon. Là, mon père prit place à son bureau, invitant le comte à s'asseoir sur le fauteuil en face. Il ne s'occupa pas de moi. Je m'assis donc sur l'autre fauteuil.

- "Bien mon cher comte, rentrons donc dans le vif du sujet. Elanore étant ma fille unique, les terres de Caerlyn dans leur intégralité reviendront à son époux à ma mort. Elanore vous apporte une certaine légitimité à Etherna et assoit votre pouvoir dans cette région. Sa dot s'élève à 30 000 souverains."

Je restais bouche bée. J'étais effarée... Effarée de voir ce que je valais, comme une jument reproductrice... Sans compter que le discours de mon père me faisait penser à celui d'un traitre aux siens... Il me vendait pour aider le comte à gagner le coeur des Etherniens. Pour asseoir son pouvoir. Il avait pris ces terres jugées félones, mais beaucoup le voyaient encore comme un envahisseur. Quelle était la vérité? Peu importait, il allait m'épouser et nos enfants scelleraient cet accord, implantant les Odélians en Etherna.

- "Cela vous convient-il?"

Il aurait été difficile de ne pas apprécier... Caerlyn n'était certes pas la terre la plus riche du royaume, mais les avantages politiques compensaient largement, sans compter que tomber sur une jolie fille comme moi pour un homme comme lui était inespéré.

En plein dans le mille !! Papa n’avait donc aucune autorité sur sa descendance, c’était certain ! Le duo rejoint donc le comte qui ne put retenir un petit gloussement, amusé en voyant la mine renfrogné du vicomte. Ils s’asseyèrent donc, Gaucelm dans, ce qu’il appelait déjà, son fauteuil, et les Caerlyn lui firent face. La jeunette baissait les yeux, légèrement gênée semblait-il. Voilà bien l’extraordinaire esprit de contradiction féminin ! Elle insiste pour assister à la signature du contrat et, dans l’instant qui suit, elle avait perdu toute cette insolence et reprenait sa fonction de pot de fleur. Cela dit, assister à sa vente est un plaisir que d’ordinaire, seuls les esclaves connaissent. Le vicomte prit alors la parole.

Bien mon cher comte, rentrons donc dans le vif du sujet. Elanore étant ma fille unique, les terres de Caerlyn dans leur intégralité reviendront à son époux à ma mort. Elanore vous apporte une certaine légitimité à Etherna et assoit votre pouvoir dans cette région. Sa dot s'élève à 30 000 souverains.

Le Gras jeta un regard furtif à la jeune fille qui allait devenir son épouse. Elle semblait effaré. Bah oui, c’est le jeu ma pauv’ Lucette ! Elle rêvait probablement d’amour et de jeunes éphèbes qui joutaient pour son cœur. Bienvenue dans la vraie vie !

Cela vous convient-il?

Ma foi cela me semble être très bien.

Il avait gardé ce ton enjoué et plein d’entrain qui le caractérisait tellement. Trois millions d’écus de dot ! Plus qu’un gueux pourrait jamais gagner en cultivant son champ tout sa vie, et pour avoir la main de la demoiselle … La vie des nobles est décidemment la meilleure. Il poursuivit avec un naturel qui pouvait être désarmant pour l’interlocuteur non averti.

Il ne reste plus qu’à fixer la date ! Le contrat !

Fulbert avança, semblant entrer sous le feu des projecteurs, avec cette démarche raide et vive si particulière. Il tendit un parchemin au comte, en lançant un regard trop bienveillant pour être innocent vers la jeune future comtesse.

Bonjour Mademoiselle

Sa voix mielleuse se voulait respectueuse, mais malgré tous ses efforts, sa voix restait nasillarde et vicieuse. Un si bon clerc ! Un clerc obscur alors … J’ai déjà entendu ça quelque part non ? … Bref ! Cessons les digressions ! Le Gras tendit le parchemin au papounet, ainsi qu’une plume élégamment taillé. Sa paraphe allait sceller le sort de sa fille. La nouvelle comtesse d’Odelian.

Je dissimulai un petit sourire amer. Évidemment que cela lui convenait! Il n'aurait plus manque que le contraire! J'étais vendue à cet individu qui me dégoutait pour 30 000 souverains! Pourtant, je ne dis rien, ne protestai pas et laissai mon esprit vagabonder. Nanny avait raison, elle m'avait bercée d'histoires de princesses et de preux chevaliers, de récits de leurs exploits et j'y avais cru, naïvement. J'avais toujours su que je serais mariée jeune, que je n'aurais pas loisir de choisir, mais j'avais cru qu'un jeune noble bien fait de sa personne, valeureux au combat et beau parleur réussirait à gagner ma main auprès de mon père. J'en avais vu de ces jeunes hommes... Je leur avais fait tourner la tête, je les avais séduis avant de les laisser partir.

Et voilà que j'allais épouser l'homme le plus repoussant de la noblesse humaine. Je ne voyais personne de pire... Même feu le comte de Scylla, plus vieux que Gaucelm, était mieux fait de sa personne. J'avais plaint la jeune June des isles... Sachant que mon tour viendrait mais priant pour tomber sur meilleur parti. J'avais été exaucé : le Gras était plus influent et plus riche qu'Hannibal de Roch. Mais était bien plus repoussant.

La conversation se poursuivit, sans moi, naturellement.

- "La date? Hum, que diriez-vous de la dernière semaine du printemps? A moins qu'une date plus proche vous convienne davantage?"

Un singulier personnage sortit alors des ombres. C'était celui qui me regardait en coin en pensant que je ne le voyais pas. Je frissonais malgré moi alors qu'il s'adressait à moi. Je lui fis un petit sourire forçé et inclinais la tête avant que mon regard ne suive le parchemin qui allait du Comte à mon père. Celui-ci le déroula et le lu attentivement avant de hocher du chef.

- "Tout ceci me parait bel et bon."

Mon coeur se serra et je sentis le sang refluer de mes joues quand mon père trempa la plume dans l'encre et l'abaissa jusqu'au vélin où il apposa sa signature. Je devais être livide. J'avais la tête qui tournait. Respire Elanore, respire, tu ne vas pas t'évanouir maintenant.

Et pourtant, avec sa signature sur le papier, mes ailes étaient définitivement coupées.

- "Et voilà. Elanore est officiellement votre fiancée, messire d'Odélian."

Mon père frappa des mains et un serviteur apparut.

- "Apporte-nous l'un de nos plus grands crus."

Il adressa un sourire au Comte :

- "Ce jour est à célébrer, n'est-ce pas?"

Et moi, je faisais tapisserie, perdue dans le grand fauteuil et muette comme une tombe.

L’affaire en était à ses ultimes tractations. Caerlyn lu le contrat qui officialiser la cession de sa fille au Gras, qui remportait encore une victoire éclatante. Celle-ci n’avait pas eu lieu sur un champ de bataille, bruyant et chaotique, mais dans une salon d’un château ethernien. La voix du vicomte ne trahissa aucune émotion lorsqu’il proposa.

La date? Hum, que diriez-vous de la dernière semaine du printemps? A moins qu'une date plus proche vous convienne davantage?

Voilà qui est bien ! Cela nous laissera le temps d’envoyer les invitations et de préparer les festivités !

L’annonce qu’il dicterait à Fulbert pour faire crier la bonne nouvelle à travers la campagne odélianne. Leur bien-aimé comte allait prendre épouse et perpétuer la glorieuse lignée des comtes au Bélier. Pendant ce temps, le papa hocha de la tête après avoir terminé sa lecture.

Tout ceci me parait bel et bon.

Et il trempa la plume das l’encrier, alors que la jouvencelle trésaillit presque imperceptiblement, mais elle avait trésaillit, il aurait pu le jurer ! Il posa son regard sur la pauvrette, pendant quelques instants, tentant de comprendre la réaction d’Elanore. Elle était jeune et visiblement, mal préparé au fait d’être une jeune femme de l’époque. Elle rêvait probablement d’un mariage par amour, avec un freluquet imberbe et parfumé à la violette, aux traits si fins qu’on pourrait le confondre avec sa sœur. La sentence du père sortit Gaucelm de ses songes.

Et voilà. Elanore est officiellement votre fiancée, messire d'Odélian.

Vous aussi vous sentez la classe qu’à cette phrase ? OFFICIELLEMENT ! SA fiancée !! Future comtesse d’Odélian ! Se rendait-elle vraiment compte de la chance qu’elle avait ? Papouninounet d’amour frappa dans les mains et s’exclama en direction des serviteurs.

Apporte-nous l'un de nos plus grands crus. Ce jour est à célébrer, n'est-ce pas?

Il souriait et en reçu un autre en retour, ainsi qu’une réponse pleine de cynisme et d’amusement.
Certes, mon bon ! Même votre fille en est muette d’émotions.

Il gloussa, comme toujours, puis il poursuivit en raffermissant un peu le ton.

Pardonnez-moi, mon bon. J’aimerai m’entretenir seul à seul avec ma future épouse. Cela ne prendra que quelques instants. Loin de moi l’idée de vouloir vous bannir de chez vous.

Il se permit un nouveau gloussement. Oh que si, il voulait le virer comme un malpropre, car après tout, Etherna était au Gras, et Caerlyn était à lui. Il l’avait déjà banni de chez lui ! Il continua à sourire, attendant que le nigaud comprenne qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie. Alors que pendant ce temps, Fulbert avait tenté une nouvelle approche.

Laissez-moi l’honneur de m’introduire auprès de vous. Je me nomme Fulbert et je suis un clerc, serviteur du comte Gaucelm et bientôt le vôtre, Comtesse

Un rire gêné s’échappa de la gorge sèche du vieux rabougri, qui aperçut le vicomte se diriger vers la porte, incrédule.

Envoyer les invitations, préparer les festivités... Ces paroles bourdonnaient dans la tête, en une mélopée étourdissante. J'avais toujours rêvé d'un mariage grandiose. Je ne doutais pas que celui-ci serait à la hauteur de mes espérances... J'allais avoir une robe horriblement chère, rien que parce que mon futur mari était du genre à aimer parader et à afficher son opulence. Les noces seraient superbes... Seul problème... Le marié. Mais c'était remuer le couteau dans la plaie. Père décida de célébrer cela et je relevai la tête alors que le Comte faisait remarquer que je ne disais pas un mot. Je me composais une mine de circonstance et sourit au Comte, avec toute la candeur dont j'étais capable :

- "En effet Messire, l'émotion me submerge."

Le désespoir surtout, mais je n'allais pas préciser. Je sortis un petit éventail de ma robe et m'éventai en battant des cils, symbole même de l'ingénuité. Je dissimulai alors un sourire crispé derrière la dentelle alors que le Comte congédiait poliment mon père. Quoique poliment était un bien grand mot. Ce n'était même pas subtil. Je perçus l'insulte, de même que mon père. Et l'arrogance du conquérant. Mon père pinça les lèvres un instant, avant de s'incliner, vaincu par le rang plus élevé du comte. Mon père était une homme faible, je le savais. Il tournait autour des puissants et tyrannisait les plus faibles dans le but de s'illusionner sur sa propre importance. Mais mon attention fut détournée par le sinistre personnage qui accompagnait Gaucelm et qui s'adressait à moi servilement.

- "Naturellement mon cher Comte."

- "C'est un plaisir que de vous rencontrer Messire Fulbert."

Je tendis la main vers lui, comme le voulaient les coutumes, pour un baise main. Cela dit, aurais-je approché la main près d'un crapaud visqueux que je n'aurais pas été plus dégoutée. Décidément, y avait-il un seul homme digne de ce nom dans l'entourage du Comte? j'en doutais sérieusement.

La porte se referma sur mon père qui nous abandonnait, à contre cœur. Mon regard se braqua sur cette porte, avant de revenir vers Gaucelm.

- "De quoi souhaitiez-vous me parler Mon seigneur?"

Mon ton était prudemment neutre. Ce n'était pas correct que je me retrouve avec lui, sans chaperon.

Elle avait trouvé le moyen de reprendre contenance lors de la réplique cynique du Gras et avait laissé échappé, avant de se dissimuler avec ingénuïté derrière un petit éventail, arborant des dentelles subtilement brodées.

En effet Messire, l'émotion me submerge.

Elle avait décidemment son petit caractère et ne semblait pas apprécier certaines remarques. Intéressant. Papounet chéri comprit qu’il valait mieux se retirer. Enfin il fit preuve d’un peu de finesse ! Mieux vaut tard que jamais, dit-on. Gaucelm observa le vicomte s’éloigner et se tourna vers sa fiancée, pour apercevoir Fulbert se lancer dans un baise-main parfaitement équilibré et élégant, attitude qui jurait avec son apparence et son ton tendancieux. Le Gras vit avec soulagement, que le clerc avait tenu compte des baffes, qu’il lui avait administré, lors de ses précédentes tentatives, qui s’étaient toutes terminées par un léchouillage immonde. La porte claqua et alors que le clerc s’éloignait, laissant la place à son suzerain, la jeune effrontée prit les devants.

De quoi souhaitiez-vous me parler Mon seigneur?

Sa Grasseté se leve, détaillant la jeune femme qui venait de lui être cédé. Le silence fut bref, mais intense. Il la regardait dans un mélange de sympathie et de détermination. Elle n’était pas préparé, il se devait de lui exposer les choses comme elle l’était. Elle accepterait son sort plus facilement ainsi, il en était persuadé.

Rassurez-vous, je serais bref …

Quand on connaît le loustic, on ne peut s’empêcher de pouffer.

J’aimerai vous dire quelques petites choses avant que nous fassions publier les bans et envoyer les crieurs … Vous rêviez peut-être d’un autre mariage, d’une autre époque, ou d’un autre époux. Ma réputation détestable, ainsi que mon reflet disgrâcieux vous donnent probablement cette mine si renfrognée. Je ne peux exiger de vous que vous m’aimiez, mais sachez que je suis déterminé à être un bon époux, fidèle et protecteur. J’attendrais de vous un comportement respectable. Qui sait ? Un jour peut-être, Arcam se penchera vraiment sur notre cas …

Sortez les violons et les mouchoirs !! Gaucelm était-il réellement humain ? Psychologiquement, je veux dire ! Il avait même rougi un peu, le grand timide ! Restait à voir ce que la damoiselle allait trouver à répondre à cette diatrybe inédite dans la bouche de Sa Grassouillerie.

Je dus lever les yeux alors que le Comte se levait et m'observait comme un maquignon une jument récemment acquise. Je n'en pris pas ombrage, c'était son droit après tout et je restais stoïque sous son examen. Néanmoins, j'avais presqu'envie de me lever, de tourner sur moi même et de lui demander avec effronterie si l'examen lui suffisait. Cela serait bien entendu, mal venu, mais ce scénario me détendit et un sourire étira mes lèvres sans qu'il ne puisse en deviner l'origine.

Je haussai un sourcil délicat quand le Comte commença en me disant qu'il serait bref. S'il y avait bien une chose qu'il ne savait pas faire, c'était faire court... Mais passons, j'écoutais poliment son petit discours, un peu surprise qu'il prenne ainsi les devants et mette les choses au clair aussi abruptement. Un bon époux... Mouais. C'était plus que beaucoup pouvaient espérer. Qu'il me soit fidèle n'était pas le plus important. Pendant qu'il allait voir une maitresse, je n'avais pas à le satisfaire... Hum, idée à creuser... L'important, c'était qu'il me respecte, tienne compte de mon avis et ne lève pas la main sur moi.

Je me levai à mon tour, pour ne pas avoir à me démancher le cou et me sentir moins vulnérable et répondit d'une voix assurée :

- "Je vous remercie de ces éclaircissements Messire, mais je n'avais aucunement l'intention de vous faire honte en quel domaine que ce soit. Respectable, je le suis et je le resterais. Je n'exige rien de vous, je n'en ai pas le droit. Qu'importent mes espérances ou mes déconvenues. Je ne demande que votre respect Messire. Je ne vous donnerais aucune raison de regretter votre choix et de me répudier dans le déshonneur. Vous vous engager à me protéger et m'être fidèle, je m'engage à l'être aussi et à vous servir. A servir vos intêret. A être une parfaite maîtresse de maison..."

Finalement, nous venions de proclamer nos voeux, dans l'intimité. Pas de romantisme... En repensant aux noces du roi et de la reine, mon coeur se serra... ils avaient eu de la chance de pouvoir s'aimer et concrétiser cet amour en toute liberté. Je laissais échapper un petit rire.

- "Il va falloir retravailler nos voeux pour le mariage, que cela soit plus flamboyant, n'est-ce pas?"

Plus tard, je pleurerais dans les bras de nanny. Pour le moment, je me devais de tenir mon rôle.

Elle avait écouté patiemment et attentivement le discours du Gras. Par politesse ou par intérêt réel pour la conversation, peu importait en ralité, ce qu’il avait dit devait être dit et entendu. Son ton avait été calme et convaincant … Hahahahahahaha ! Il vous a bien eu ! Caressez la bête dans le sens du poil lorsqu’on veut l’apprivoiser, ça vous dit quelque chose ? Qui a dit non ?! Bref ! Elle se leva et répondit sobrement.

- "Je vous remercie de ces éclaircissements Messire, mais je n'avais aucunement l'intention de vous faire honte en quel domaine que ce soit. Respectable, je le suis et je le resterais. Je n'exige rien de vous, je n'en ai pas le droit. Qu'importent mes espérances ou mes déconvenues. Je ne demande que votre respect Messire. Je ne vous donnerais aucune raison de regretter votre choix et de me répudier dans le déshonneur. Vous vous engager à me protéger et m'être fidèle, je m'engage à l'être aussi et à vous servir. A servir vos intêret. A être une parfaite maîtresse de maison..."

Elle savait trouver les mots justes, cette petite. Servir ses intérêts ? Elle n’exigeait rien ? Tant mieux ! Elle en aura moins que prévu ! Elle avait usé du même ton que le comte, sincère au possible, trop peut-être. Elle parlait tout de même de déconvenues … Le discours dégoulinant de fausse humilité et de charme innocent n’avait eu totalement l’effet escompté. Que les Cinq soit maudits ! Elle s’interrompit un instant, puis laissa éclater un charmant petit rire féminin avant d’ajouter.

- "Il va falloir retravailler nos voeux pour le mariage, que cela soit plus flamboyant, n'est-ce pas?"

Amusant ! Réellement. En effet, les vœux venaient d’être échanger avec une sincérité (une hypocrisie ?) déconcertante. Le Gras gloussa légèrement puis ajouta.

En effet, ma mie. Nous aurons le temps de les améliorer d’ici la célébration.

Il re-gloussa.

D’ailleurs, j’aimerai vous demander encore une petite chose.

Il se saisit du vélin paraphé par le père et le montra à la jeune future comtesse d’Odélian. Un petit sourire éclaira le visage de Sa Rondeur, puis il ajouta.

Auriez-vous la délicatesse de signer ceci ? … Après tout … Vous êtes la première concernée.

Décidemment, cette phrase était le leitmotiv de cette journée. Et oui ! Il lui donnait le droit de signer un contrat officiel de mariage. Elle avait le droit qui avait été refusé à nombre de ses aïeules ! Vous vous rendez compte de l’honneur ?!! Bon, évidemment, cet acte n’était pas que symbolique, il pourrait s’avérer utile, mais ça seul le Gras le savait après tout …

Les vœux... Je me demandais encore comment j'arrivais à rire de cela et à en jouer avec cette ironie innocente, alors que j'avais envie de monter dans ma chambre et me rouler en boule sur mon lit pour y pleurer... Je m'étonnais moi-même de ma capacité à jouer la comédie, à donner le change avec un personnage quand mon âme hurlait à l'agonie.

- "Tout ce qu'il vous plaira Monseigneur."

J'étais quand même méfiante. Que voulait-il de moi? J'eus peur un instant que cela soit quelque chose d'inavouable et interdit. Nous étions seuls, pourquoi avoir demandé cela alors que c'était complètement interdit et mal vu? Je devais avoir un chaperon en toutes circonstances! Jusqu'à ce que je sois mariée. Mais le Comte semblait faire ce qu'il voulait des convenances, les pliant dans son intérêt selon son bon vouloir.

Mes yeux s'écarquillèrent d'incrédulité et de perplexité quand il s'empara du vélin scellant notre union et l'agita sous mon nez avec un drôle de sourire. Il me demanda alors de signer ce contrat, ajoutant qu'après tout, cela me concernait quand même directement. Je lui lançai un regard perçant à cette phrase qui semblait ressortir très souvent dans nos conversations, me demandant s'il se doutait que je les avais espionné... C'était possible, derrière son apparence de balourd, le Comte semblait plutôt... perspicace.

- "Je... Je ne sais que répondre Monseigneur, voilà une proposition des plus inattendue... Et flatteuse."

Comme si signer allait changer quoique ce soit. Je n'avais pas à donner mon avis et cette signature ne serait que symbolique. Sauf que cela signifierait que j'avais accepté en toute connaissance de cause, de mon plein gré. Est-ce que l'on pourrait me le reprocher plus tard? Soudain, je ne sus si accepter serait une bonne idée... Mais refuser cet honneur qu'il me faisait serait une gifle pour lui. Et je ne pouvais pas me le permettre. Je me saisis alors de la plume et souris de fausse gratitude devant ce cadeau qui me semblait un tantinet empoisonné.

- "Il est presque regrettable que la signature de mon père soit déjà sur ce document si la mienne vient s'y ajouter non?"

J'avais envie de dire que de toutes façons, mon sort était scellé, que mon nom en bas de ce parchemin n'y changerait rien, sinon que j'étais une victime consentante. Alors, sans me donner le temps de me rétracter, la plume vint écrire mon nom près de ceux des deux hommes qui disposaient de moi à leur guise. De fille soumise, j'allais devenir femme soumise... Et pourtant, je me jurai de changer cet état de chose et de gagner une certaine liberté avec mon futur époux. Il me suffisait d'apprendre à le connaître et le comprendre et de me rendre indispensable, aussi bien que discrète et efficace...

Réel challenge, mais après tout, qu'aurais-je d'autre à faire?

Hormis satisfaire ses appétits charnels et assurer mes devoirs conjuguaux...

La pensée de cet homme sur moi, de ses lèvres sur ma bouche de ses mains sur mon corps me fit perdre de nouveau mes couleurs. Par les dieux... Je n'allais pas y survivre...

Le Gras agita légèrement le parchemin sous les yeux de la jeune dame, comme appuyer par les gestes sa requête. Le regard interrogateur, et dissimulant maladroitement l’inquiétude, se mua en un autre, plus incrédule. La voix de la jouvencelle se fit alors entendre.

Je... Je ne sais que répondre Monseigneur, voilà une proposition des plus inattendue... Et flatteuse.

Le Gras sourit, puis il hocha la tête, acquiesçant aux termes utilisés , et au ton légèrement amusé de la future comtesse d’Odelian. Tu m’étonnes quec’était inattendu ! C’était le but, ma chère ! Si vous n’êtes pas séduite par son physique, vous le serez par ses attentions aussi surprenantes, qu’intéressées, ne nous voilons pas la face. Elle ajouta malgré tout.

Il est presque regrettable que la signature de mon père soit déjà sur ce document si la mienne vient s'y ajouter non?

Etait-elle toujours aussi effrontée ? Ca pouvait devenir un problème. Elle ne pouvait pas se contenter de signer et de prendre conscience de l’honneur … Ah, bah quand même. Elle mit le temps, mais elle signa. D’un bref coup d’œil, il pu observer l’écriture fine et raffinée, qui suintait de la plume dansant sur le vélin, comme un ballerine sur le parquet. Alors qu’elle entammée la paraphe finale, Gaucelm lui dit avec simplicité.

La signature de votre père est nécessaire … Vous n’avez pas encore seize ans, ma mie. Croyez bien que si cela eut été possible, il ne figurerait que nos deux signatures.

La sincérité était là … Mais honnêtement … Franchement … Personne y croit. Elle était intelligente, elle l’avait prouvé à de nombreuses reprises aujourd’hui. Un petit sourire crispé se dessinait sur ses lèvres, lorsqu’elle posait le regard sur son futur mari. Il le remarqua, évidemment, et il lui adressant un regard qui l’espace d’un instant, un bref, un subtil instant, exprimait de la compassion et un semblant de peine pour la jeune dame. Il dit soudain.

Bien, il me semble sage de rejoindre votre père … Nous aurons tout le loisir de parler après notre union. Après vous …

Un nouveau sourire charmeur, une main tendue avec élégance vers la porte, le Gras continuait sa démonstration de raffinement malgré son physique disgrâcieux. Il avait la classe quand même ce Gras. Non,faut avouer !

[Désolée, la semaine a été infernale >_<]

Je lançais un regard torve au comte alors qu'il m'assurait qu'il eut préféré que mon père ne soit pas dans cette histoire si cela eut été possible. J'en doutais fortement. Il ne pouvait épouser qu'une jeune fille sous la coupe de son père qui lui ordonnerait alors de s'unir au comte. N'importe quelle femme qui aurait le choix aurait refusé cette alliance. J'en vins à regretter que toutes les autres jeunes filles à marier n'aient pas intéressé le comte ou que leur tuteur aient refusé. Il avait bien fait d'insister, cela avait payé puisqu'il était fiancé à une ravissante demoiselle, fraîche comme une rose.

Moi.

Victime de ma beauté pas encore tout à fait éclose. Père disait que je serais plus belle encore que ma mère en prenant de l'âge. Et Mère avait été une femme sublime. Et voilà que ma beauté était condamnée à ne profiter qu'à un homme dont le physique était aux antipodes du mien. Quel couple discordant nous allions faire! Mais si au moins il me traitait bien, voire avec respect, alors je pourrais m'estimer heureuse...

- "Ravie de vous l'entendre dire Monseigneur."

Y croyais-je? Pas tout à fait. J'avais deviné chez cet homme un esprit manipulateur, dissimulé par la balourdise de son physique. Comme je cachais moi même mon esprit derrière l'image d'une ravissante idiote. L'espace d'un instant, il m'offrit un regard de commisération, mais je crus rêver alors qu'il reprenait la parole. Je baissais la tête et répondit platement :

- "Bien Monseigneur."

Allions nous réellement parlé après notre union? Ou bien ne serais-je qu'une femme soumise à son autorité? J'espérais que non. La seule chose qui m'empêchait de pleurer de désespoir, c'était le faible espoir de pouvoir être quelqu'un auprès de mon nouvel époux.

- "Messire d'Odelian! Votre suite et vous-même êtes bien entendu les bienvenus en ma demeure pour la durée qu'il vous plaira."

Mon père s'était dirigée vers nous, approché davantage du comte que de moi-même.

- "Elanore, laisse-nous maintenant, nous avons encore quelques détails à régler concernant les noces."

Cette fois, je ne protestai pas. Je fis une révérence gracieuse.

- "Bien père."

Je levai alors les yeux vers le comte, souriant et reprit d'une voix que j'espérais légère :

- "Ce fut un plaisir messire et je suis comblée de savoir que mon père me confie à un homme de votre trempe. A bientôt Monseigneur."

Nouvelle révérence et je m'éclipsai jusqu'à ma chambre où je m'écroulais sur mon lit en pleurant, tandis que Nanny me caressait doucement les cheveux, silencieuse.

Mon avenir était désormais scellé.

[Fin pour moi, on se revoie aux... noces ]