Le refus de la prêtresse aurait pu être un simple refus. Aetius, à vrai dire, s’était proposé sous le coup d’une lubie et n’attendait pas vraiment de faveur de la part de la déesse de la mort. Mais sa naïveté et l’entrain dont il faisait normalement preuve lui avaient commandé cette démarche, sans pour autant espérer autre chose qu’un refus. La courtoisie et la jeunesse, ainsi unies, prenaient souvent l’apparence de la légèreté, assurées qu’elles étaient de ne jamais être prises au sérieux ou qu’on leur excuserait tout. Hélas, ce refus n’avait quant à lui rien de léger, et la prêtresse n’hésita pas à humilier publiquement le chevalier.
Cette dernière, non contente de refuser son assistance, le compara au chevalier de Merval, le sieur d’Illin, que d’aucuns qualifiaient déjà d’abject vieillard. Ce dernier, en effet, avait offert les coups les plus ignobles pour tenter, en vain, de mettre à mal le paladin de Néera. Il était tombé de son cheval et y perdit, dans la dure terre de la lice, la victoire comme son honneur. Prendre l’ivraie de Merval pour l’Ivrey du nord, c’était une insulte faite devant toute la noblesse et le peuple. Ce dernier, avide de ragots et de coups de théâtre, se repaîtrait de cette comparaison infâmante. Alors la gouaille populaire saura mélanger le nom d’Aetius à celui du déshonneur et de l’infamie.
Sous son heaume aux allures peu avenantes, le regard bleu d’Aetius se faisait foudre. Si les paladins de la déesse noire avaient pu lire cette lueur cruelle qui voletait, patiente, dans les yeux du chevalier à cet instant, nul doute qu’ils l’auraient abattu sans autre forme de procès. Dans le noir de ces pupilles résonnait une envie de meurtre. Ah ! Aetius était certes un être pieux, mais il restait chevalier avant tout. Qu’on crache sur son honneur, dieu, homme ou elfe, et sa main d’épée réagirait sans faire la différence ni demander de permission à son propriétaire. Fort heureusement, cette étrange odeur d’homicide disparut bien vite, et Aetius put enfin desserrer la mâchoire sans douleur, bien que dans sa bouche, un goût amer demeurait.
« Dame prêtresse, ne me recommandez pas trop fort à votre déesse, de peur qu’elle ne s’éprenne de moi. »
Après cette courte déclaration et sans plus de cérémonie, le chevalier au Kerkand se retira. Il avait de nombreuse fois embrasser la mort tout en évitant son étreinte. Il la courtisait souvent, lui offrant des hommes, tout en se refusant à ses avances. Aujourd’hui, la mort, cette capricieuse maîtresse, semblait ne pas le désirer plus que ça. Ce qui n’était pas vraiment un mauvais présage, se dit Aetius.