A la recherche d'un animal rare [Kaherith]

Cela débutait par une matinée qui s’annonçait comme les autres. Les marchands du Puy braillaient déjà l’éloge de leurs marchandises, les voleurs se réjouissaient de la bonne journée en perspective et les ivrognes commençaient déjà à boire sans soif leurs breuvages immondes. La fourmilière infernale s’animait presque toujours. Jusque là rien d’anormal… A part peut être une aura magique qui dérangeait dans une ruelle sombre. Les passants s’éloignaient de cette nécromancienne car ce genre de présence avait de quoi vous glacer le sang. Que faisait une membre du C’nros en ville à une telle heure ? Personne ne voulait savoir. La sorcière avait une raison particulière, ce genre de raison qui n’appartenait qu’aux magiciens plus ou moins mal tournés. Son esclave l’avait levée à l’heure habituelle, il lui semblait étrange d’avoir cette sensation que ce jour serait sans châtiment et pourtant… Pourtant à peine debout, la Phord’Ur se mit à soupirer. Le soupir qui terrifiait ses possessions, celui d’une exaspération proche de la folie à la fois douce et meurtrière. Il manquait quelque chose d’important aux yeux de la nécromancienne. Elle leva la main vers ses étagères, celles que l’humain craignait à entretenir, celles qui contenaient les ingrédients de la sorcière cruelle. Toutes sortes d’éléments d’anatomies des pires créatures, des extraits de végétaux mortels à la première respiration ou même des mixtures indéfinissables qu’au simple coup d’œil on se persuadait qu’il ne valait mieux pas y toucher. Mais ce n’était pas ces ingrédients les plus mortels, sa maîtresse se dévoilait la plus cruelle quand il y avait ne serait ce qu’un détail qui méritait sanction. Or ce détail se montrait être un bocal vide : « Plumes d’Actael». Oui le souvenir revint guidé par la terreur de l’esclave, il s’expliqua pris de panique :

« Il n’y en avait plus ! C’est… C’est introuvable on m’a dit ! J’ai essayé chez tous les marchands du Puy je vous assure ! Pardonnez moi ! »

« Je sais petit vers. » répliqua doucereusement sa maîtresse « Cet animal très rare ne vit pas dans nos terres stériles mais je dispose d’un contact dans les terres de l’Est pour ça. Ce qui m’agace c’est de devoir m’absenter une nouvelle fois. Je devrai peut être te punir injustement pour me consoler non ? Ca remplirait un autre bocal après tout ! »

Ses recherches devraient donc attendre. Le soucis du détail s’annonçait plus fort. En fait, elle n’allait pas reprendre ses cours sur le champs et il était hors de question de rester paralysée à son bureau tel un batracien cloué sur la planche de dissection. Son rapport pour le Ditronw Da’Re pouvait attendre, La sorcière venait de trouver un motif de quitter le chaos du Puy. Sans plus attendre elle fit ses bagages sans prendre la peine d’écarter le désordre dont l’essence constituait les restes de son serviteur. Une fois sortie, Rosa tomba sur le premier apprenti qu’elle put croiser pour annoncer son départ , une mission qui se devait d’être très importante et que ne causerait qu’une brève absence. La prime sorcière pouvait bien s’occuper du C’Nros en son absence après tout. Le drow la regarda sans dire un mot, il s’attendait plus à encaisser son courroux mais l’idée de transmettre simplement une petite annonce le soulagea amplement. C’est donc pour ce seul motif qu’elle s’aventurait dans les ruelles humides d’Elda non pas pour faire le tour des petits commerces mais pour sortir de la ville. La sorcière s’arrêta à une étable, il lui fallait le cheval le plus rapide, Rosa prendrait son temps une fois là bas. Où son voyage la mènerait-elle ? A la ville la plus corrompue d’Ithri’Vaan, Naelis.

Un voyage sans encombre, l’animal se montra efficace filant comme le vent. Aucun prédateur n’eut l’idée de s’attaquer à l’araignée avec une telle vitesse. Ce qui ressemblaient aux portes de la ville étaient gardés par ce qui semblaient être des gardes, ville en ruine pour des miliciens aussi misérables que des cloportes. Ils grimacèrent à la vue de la Drow, un contrôle serait une idée stupide. Elle arpenta les rues jusqu’à tomber sur le lieu de rendez vous habituel, une auberge oppressée par deux bâtisses voisines. « Chez Grodjaeck le Gris », un tel point de ralliement n’aurait jamais pu être l’idée de la nécromancienne mais elle devait se plier aux exigences de son contrebandier. La Phord’Ur poussa la porte grinçante, l’aubergiste grogna en guise d’un vague salut. Rosa ouvrit les yeux pour se familiariser avec l’obscurité de la pièce, quelques clients mais pas son fournisseur. Il traînait généralement au crépuscule or la veuve noire savait qu’elle était arrivée à son repère trop tôt. Elle s’installa au comptoir et murmura aux oreilles attentives de l’homme au comptoir, une commande « habituelle ». Le propriétaire joua inconsciemment avec sa moustache grisâtre puis hocha la tête.
Xsa’Us Rosa attendit patiemment sa commande jusqu’à ce que son regard se bloque sur un mystérieux client. Un air familier… Une odeur de chaire déjà pressentie il y a un temps qu’elle aimerait oublier… Pourtant sa curiosité l’anima vers lui, ce drow … Elle pressentait le connaître malgré son état délabré. Un doute tirailla ses pensées. Et si c’était lui ? Si se dressait devant elle le fameux… Il fallait vérifier… Rosa s’approcha vers lui puis lui chuchota d’une voix douce :

« Je ne m’attendais pas à humer une odeur si chargée de souvenirs communs… Vous me rappelez quelqu’un. Reste à savoir si je dois continuer à chercher… Car si je suis dans le vrai, vous risqueriez de vouloir m’égorger pour votre couverture… Je ne suis pas ici pour chasser quoiqu’il en soit. »

Kaherith n’était pas un alcoolique, pas encore. S’il n’avait plus ni honneur à défendre ni fierté à exacerber, il n’en restait pas moins dégouté par les ivrognes qui s’entassaient contre les murs usés de Naelis. Cependant, il arrivait que la boisson soit un moyen comme un autre de chasser tout le reste, et pour le plus grand bonheur de l’imprudente, il se trouvait que le drow avait souhaité oublié, cette après-midi là. Pour son plus grand malheur, elle était intervenue trop tôt, et ses reflexes n’étaient donc que très légèrement brouillés. Pas assez pour lui éviter quelques coups douloureux, mais suffisant pour lui sauver la vie. La journée avait été mauvaise. Un réveil difficile, un mal de crâne lancinant, et surtout une rencontre musclée avec un abruti de la Garde. S’il avait été moins rapide, l’ancien Obok Senger aurait eu bien d’autres bleus à montrer que celui qui ornait maintenant sa joue gauche. Heureusement, sur sa peau sombre, il était difficilement perceptible, c’était déjà ça de gagné.

« La pire chose que tu as. » avait-il lancé en arrivant, et c’était donc devant une choppe plus ou moins propre, au contenu plus ou moins potable, qu’il attendait que la mauvaise humeur passe.

Depuis, il n’avait presque pas bougé. Il n’avait pas choisi la taverne - si tant est qu’on puisse appeler un tel taudis une taverne - par hasard et les gens le connaissaient au moins de nom. On évitait ainsi de le déranger. Le Senger avait une réputation bien à lui, mais il y avait une chose que personne ne mettait en doute : il avait parfois mauvais caractère. Si bien qu’il n’y avait eu qu’Armas pour braver son regard noir et s’assoir à côté de lui. Cet humain là était une créature à part, et il n’avait jamais accordé sa confiance à son « collègue ». Le tenir à l’œil était son jeu préféré, au mépris évident du danger, Kaherith ne lui ayant jamais caché qu’il arriverait un moment où il arrêterait de prendre la situation avec ironie. D’ailleurs, quand il l’avait vu s’assoir, il s’était demandé si ce moment n’était pas arrivé.

« Tiens, tu attires la femelle aujourd’hui. »

Tournant lentement la tête vers Armas, Kaherith se contenta de l’observer, le regard sombre. Au vu de son état d’esprit, il aurait suffit d’une phrase de plus pour que l’échange se finisse dans une langue plus universelle. Esquissant un sourire, l’humain fit un petit signe de tête et le drow tourna la tête avec humeur. Il se figea légèrement quand il comprit enfin ce qu’on avait voulu lui dire, l’action de l’alcool disparaissant comme neige au soleil alors qu’il se rendait compte de quelle femelle il s’agissait : une sombre. Le seigneur déchu n’aimait pas croiser la route des enfants du Puy, il avait été pendant trop longtemps un Obok Senger et craignait qu’on le reconnaisse à chaque fois. Et, justement…

« Je ne m’attendais pas à humer une odeur si chargée de souvenirs communs… Vous me rappelez quelqu’un. Reste à savoir si je dois continuer à chercher… Car si je suis dans le vrai, vous risqueriez de vouloir m’égorger pour votre couverture… Je ne suis pas ici pour chasser quoiqu’il en soit. »

Il ne lui fallut pas plus de quelques instants pour réagir, et pour cause, il n’y eut rien de volontaire. Tout fut instinctif, alors que s’exprimait son pire ennemi : l’instinct de survie. Attrapant vivement le poignet gauche de la belle, il l’attira à lui, prenant soin de mettre son coude dans la trajectoire de son menton. L’empêchant de tomber et sans prendre le temps de s’arrêter, il lui donna un violent coup dans la tempe.

« Abruti, arrête ça ! » s’exclama Amras, alors qu’il agrippait son bras et éloignait sa main du manche de sa dague. Et c’est là que la boisson sauva l’inconnue, car en d’autre temps, peut-être l’aide providentielle n’aurait-elle pas pu être apportée.

Se dégageant, Kaherith lança un regard meurtrier vers Amras qui tint bon. La drow pesait contre lui, inconsciente ou presque, il n’en savait rien et s’en moquait. Elle savait, pour lui, et il devait donc la tuer, mais son compagnon avait raison, il ne pouvait pas le faire ici. La hissant sur son épaule - par Uriz, qu’elle était petite - il soupira. S’installer à Naelis avait été une erreur, et il en payait le prix deux ans après. Voilà qu’il se retrouvait avec une drow dont il n’avait aucune idée de l’identité, et ce n’était pas réellement pour le réjouir. La tuer pouvait être catastrophique, la laisser en vie le serait assurément…

« Eh, l’ami, tu comptes faire quoi avec…
- Mon amie a trop bu, elle a besoin de repos. »

L’aubergiste non plus n’aimait pas la tournure des événements. Tout le monde s’était tu, observant la scène d’un air inquiet. Quand il s’agissait de sombres, ils ne savaient jamais quoi faire. Comment savoir qui était du côté de leur Feriwyr ? Qui était en tord ? C’était trop de questions pour qu’ils se décident à prendre un risque. Amras observait la scène, mais Kaherith l’ignorait sans même y penser. Il n’était qu’un amusement passager, qu’il faudrait tuer un jour où l’autre, rien de plus.

« Mais c’est gentil de vous en soucier. » Alors qu’il commençait à s’éloigner, on lui demanda de payer ses consommations. « Mon ami s’en chargera, je le rembourserai plus tard. »


Kaherith n’aimait pas les mages. Tout du moins, pas quand il devait les garder prisonniers. Ils avaient cette sale manie de ne jamais lâcher leur chère magie, arme immatérielle qu’on ne pouvait leur arracher qu’avec ingéniosité, patience… et moyens. Heureusement, au vu de la présence d’un régiment du C’nros aux côtés de Feriwyr, il avait prévu ce genre de confrontations et s’était muni du nécessaire. Heureusement pour lui, il avait su où frapper pour faire durer le plus longtemps possible l’inconscience et avait pu rentrer chez lui avant qu’elle ne se réveille. Il l’avait posée à la va vite contre un mur avant de se procurer le nécessaire pour la rendre inoffensive.

« Qui es-tu, ma jolie ? » marmonna-t-il alors qu’il lui bandait les yeux. Il lui avait aussi attaché les mains dans son dos, et avait immobilisé ses doigts. On ne prenait jamais assez de précaution. Dans le pire des cas, il avait cette drogue qu’il pourrait lui faire ingurgiter de force. Dialoguer deviendrait alors difficile, mais au moins n’aurait-il pas à subir son courroux, peu importe la forme qu’elle pouvait lui faire prendre. « Pourquoi est-ce que j’ai l’impression de t’avoir déjà rencontré ? »

Il prenait des risques, à agir ainsi, mais il était presque sûr d’avoir déjà vu ce visage quelque part. Sans Amras, il n’aurait sans doute pas pu s’en rendre compte, mais cela ne l’empêcherait pas de tuer l’humain. Avant ou après elle, il ne savait pas encore. La tuer puis disparaître était tentant, mais elle avait affirmé qu’elle ne le « chassait pas », et puis elle pourrait toujours lui apprendre les dernières nouvelles des Terres Stériles. C’était stupide, imprudent, et il n’était ni l’un ni l’autre. Cependant, il doutait qu’elle soit assez importante pour être recherchée activement, du moins pas avant quelques temps. La tuer tout de suite ou prendre le temps de discuter un peu avant de la faire taire définitivement revenait, au fond, au même. Le seul danger était qu’elle puisse rapporter sa position à la Dothka, ce qui donnerait un point de départ pour les recherches, or il n’était pas peu fier de leur avoir échappé avec autant de succès deux ans durant et préférait que cela ne change pas. Après avoir inspiré doucement, il commença à lui tapoter la joue, « doucement », histoire de la ranimer.

« Mumbaro dos. » l’encouragea-t-il, revenant naturellement à sa langue maternelle.
Réveille-toi.

Les yeux de la nécromancienne s’ouvrirent, elle n’eut qu’un faible temps pour observer le visage du drow. Mais cet instant dura une éternité. Une éternelle analyse de cette tête familière. Si Rosa avait eu le temps de réagir, elle aurait surement donné une image de désarçonnement. Son regard ne la trahissait pas, la Phord’Ur se tenait bien en face « L'pholor vel'uss shlu'ta tlu g'jahallus ». Ni colère, ni rancœur, simplement de l’étonnement. La peau sombre voulut à nouveau voir ce personnage intempestif, cependant ce fut en priorité Xsa’Us Rosa, la plus mal placée. L’acte qui suivit confirma les doutes sur l’identité du mâle, un coup sec pour une araignée trop loin de sa toile pour se protéger, ses flux nécrotiques s’agitèrent, pourtant… Pourtant la Phord’ur s’avoua vaincue et accessoirement maîtrisée. La sorcière se laissa tomber à moitié inconsciente, elle ne sentait plus vraiment la douleur mais ses jambes refusaient de la porter. Sans volonté de parler, ni de se défendre, juste regarder, sentir et se souvenir…

Ah cruels fantômes, quand cesserez vous ces harcèlements sadiques ? Non Rosa refusait de revoir à nouveau cette scène, acte tragique d’une pièce qu’elle voulait oublier. Alonna, cela faisait maintenant deux années or le souvenir se dévoilait toujours aussi fort. La nécromancienne ne voulait pas se considérer comme une vétéran. Ce genre de soldat qui ne peut s’empêcher de se rappeler les traumatismes des guerres passées et revoir ses amis mourir dans ses bras. Ceux qui revenaient chez eux dans l’espoir futile de tout oublier avec les retrouvailles familiales. Des imbécilités d’humains. Pourtant, même le peuple des immortels ne pouvaient échapper aux crochets du cruel Passé. Les images s’installaient peu à peu, son état d’inconscience ne faisait qu’accroître cette réminiscence indésirable. Sa tête tentait vainement d’échapper à ses esprits nostalgiques et entêtés mais sans succès. Les scènes défilaient…

Routé épuisante, le climat qu’endurait les mortels s’annonçait déplorable. Tous les soldats s’impatientaient. L’image d’un soldat qui montrait sa ceinture toute prête à conserver les têtes de ses futures victimes. La vision de ses supérieurs braillant ordres et menaces. Tous ne pensaient qu’à la victoire, au sang à boire et à la terreur de l’ennemi d’en face. Comment se sentait-elle ce jour béni ? Mal en point, le soleil la rendait malade et la nécromancienne supportait de moins en moins les railleries de ses collègues du C’nros. Ces doux imbéciles, l’humeur aux railleries alors que la mort les guettait avec envie. Ah, l’Obok Senger, Rosa le retrouvait bel et bien avec ses régiments. La sorcière faisait parti du détachement de l’ordre des mages combattants attaché aux troupes pour accueillir les renforts elfiques. La débâcle fut aussi rapide que mortelle, beaucoup de peaux sombres perdirent la vie dans ce carnage. La fuite … Une horrible expérience que les militaires appellent « retraite ». Rosa savait toujours apprécier un massacre d’une boucherie sans pareille mais seulement si elle ne faisait pas partie de la viande. Les mages qui tombèrent, personne ne s’en souciait. Ils étaient comme des lièvres apeurés sans terrier , avec un aigle aux trousses. Maudite rétrospection ! La Phord’Ur essayait de la chasser une nouvelle fois. Un sifflement horrible arriva à ses oreilles, un mal de crâne terrible l’attendait lorsqu’elle reprit connaissance.

Son général l’observait, elle le sentait malgré cette obscurité féroce, on lui avait privé le luxe de voir. Ah ! Cette fois le bourreau ne serait pas la nécromancienne et elle s’annonçait la victime. Regrettait-elle sa curiosité dévorante ? Impossible de réfléchir convenablement avec cette pénible douleur. Un impitoyable mâle lui faisait face après tout. Plutôt qu’à réfléchir, Rosa se devait de privilégier l’action. Elle osa rajouter des paroles pour les futurs coups à venir :

« Que vous êtes dur avec la fragile gente féminine… Ma pauvre… Mon esprit embrumé en a pris un coup. Si j’avais la stupide attention de me venger, ou de vous livrer au Puy, je n’aurais pas offert mon corps à votre épée et serais restée à distance. Mais que suis je en train de faire ? Me justifier ? En voilà des manières. Je ne demanderai pas clémence à un revenant aussi peu scrupuleux… Je pense que comme moi vous avez une valeur modifiable au sujet de l’honneur et toutes ces vanités… »

La nécromancienne se figea un instant, le contact la rendait mal à l’aise, presque malade. Il l’avait frappée, portée puis délicatement giflée. Son épiderme s’agitait comme s’il brûlait sous cette audace. Néanmoins, Rosa ne pouvait pas simplement de lui demander d’un ton mélodieux qu’il cesse de la toucher ainsi ; allez dire à un bourreau de tuer avec les yeux ; elle se contenta d’essayer sans succès se caresser la joue, comme une bête maltraitée qui affiche silencieusement sa plainte. Que l’obok la bouleversait ! Si habituée à se faire craindre, la voilà à genoux sous le joug d’un traître à sa faction prêt à tout pour survivre. La Phord’ur vit alors qu’il savait paralyser temporairement les mages. Ses liens étaient oppressants, la jeune drow mordit discrètement ses lèvres, comme pour se calmer et éviter une dangereuse crise. Soumission, un rôle difficile à interpréter sans séquelle
.
« Je vais vous éviter un interrogatoire inutile, la torture sous le crépuscule a de quoi me désorienter… Je m’appelle Rosa, membre du C’nros et suis à Naelis pour une simple petite quête personnelle. J’attendais un chasseur pour qu’il me fournisse un ingrédient rare. Quand je vous ai vu, j’ai d’abord hésité puis sans vraiment penser que vous agiriez ainsi ; ce qui pourtant était fort probable ; ma curiosité a encore pris le dessus sur moi. Maintenant… Je suppose que la décision vous revient. »

Tortures et durs maux ? Ou un trépas rapide et sans sommation ? Son sort l’intriguait certes mais hors de question d’implorer pitié pour la vie sauve. Qu’il l’extermine maintenant après tout qu’avait-elle à perdre ? Rien ne l’attachait à ce monde régi par les dieux capricieux. Ses yeux s’ouvrèrent pour chercher à pénétrer le regard de son tortionnaire à travers le tissu. Peut être serait ce son dernier petit jeu, celui de s’amuser à deviner les froids sentiments du déserteur. Que pouvait-il être d’autre ? On le croyait mort au Puy, et il valait mieux qu’il le soit. Rosa laissa alors ses yeux violets chercher vers le visage dur du guerrier, ni d’espoir ni de certitude, cet éternel infini d’illusions en guise de berceau…

Quelque chose dérangeait Kaherith, et ce n’était plus réellement le fait qu’il était presque sûr d’avoir déjà vu le visage de l’inconnue qui disait le connaître. Il avait connu bien des drows, en huit siècles de vie, et il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il reconnaisse une femelle dans une région qu’il avait bien longtemps gardé sous sa coupe pour le compte d’Elda. Par contre, ce qui était surprenant, et à bien des égards, c’était cette imprudence qui la caractérisait depuis leur rencontre - ou leurs retrouvailles -, aussi brève fut-elle. Elle n’avait ouvert la bouche que deux fois, mais à chaque fois elle lui avait donné envie de la tuer. Elle se croyait sans doute perdue, et alors tentait-elle d’accélérer la venue de l’échéance et de réduire le temps probable de torture. Sauf que l’ancien Obok Senger ne voyait aucun intérêt à la torturer. Il ne nourrissait aucune haine virulente contre sa race, et la violence brute qu’il avait exprimée auparavant n’était que l’expression la plus pure d’un instinct de survie qui lui avait volé gloire, honneur et immortalité dans la mémoire des siens.

« Inbal dos rin'ov screa l'bwael d'venorsh ? » lâcha-t-il, mi-irrité mi-blasé.
N’as-tu jamais appris les vertus du silence ?

Tout ce qui arrivait été de sa faute, mais Kaherith ne pouvait que la remercier pour sa stupidité. Se présenter à lui ainsi, désarmée et vulnérable à une réaction rapide et précise, était presque un présent qu’elle lui avait fait, là où elle aurait très bien pu quitter l’auberge et prévenir les autorités d’Elda de sa présence à Naelis. Il aurait du se montrer reconnaissance, mais au lieu de ça il ne ressentait que méfiance. Méfiance et agacement, car il n’y avait rien de plus irritant qu’une victime qui mimait le désintérêt quant à son propre sort. Surtout quand elle semblait avoir, par la même occasion, horreur du moindre contact physique. Elle allait devoir remercier Amras, sans l’humain et sa peur des représailles du Puy elle serait sans doute morte. Bien entendu, il était probable qu’elle aurait préféré mourir que de se retrouver ainsi privée de sa dignité et de sa mobilité. L’instinct et l’envie de survie variaient en fonction des individus, et apparemment, elle semblait être dénuée de l’un et de l’autre. Elle le prouva une nouvelle fois en anticipant ses questions et en lui apprenant qui elle était : Rosa, membre du C’nros, en visite à Naelis pour affaire.

« Usstan kyorl… L’Cnros. » murmura-t-il doucement.
Je vois… Le C’nros.

Que de souvenirs. Qu’il l’ait déjà rencontré était désormais plus que probable, après tout il avait été connu pour ses liens privilégiés avec ces mages de guerre. Et pour cause, ils avaient toujours su se montrer utiles. Il avait passé de nombreuses heures dans la Chambre Arcanique, il pouvait très bien avoir croisé sa route au hasard de ses couloirs. Elle ne semblait pas mue par des intentions hostiles, et elle marquait un point en affirmant que si cela avait été le cas, elle ne serait sans doute pas attachée et à sa merci, mais ce n’était pas avec la logique qu’on parviendrait à le convaincre de la relâcher. Lui faire confiance était exclu, déjà qu’il avait toujours été difficile pour quiconque de la gagner avant sa trahison, les choses ne s’étaient pas améliorées depuis Alonna. Elle pouvait très bien tenter de le manipuler pour mieux le faire tomber, ou… Au fond, ses intentions réelles n’étaient pas vraiment importantes, dans tous les cas la conclusion de cette rencontre était la même.

« Dos orn el. »
Tu vas mourir.

Il n’avait pas vraiment le choix. Jamais il n’irait prendre le risque de la relâcher alors qu’elle connaissait désormais son secret. Ce n’était pas réellement l’idée de mettre un terme à la vie d’une sœur de sang qui le dérangeait mais plutôt le fait que cela ne ferait qu’attirer l’attention des drows sur Naelis. Avec les activités de Faye, Sol’Dorn était sur le qui-vive et n’assimilait que rarement une disparition à une trahison dans cette région du monde. Bien entendu, il existait la possibilité qu’elle n’ait prévenu personne ou qu’elle n’ait indiqué aucune date de retour précise, mais Kaherith ne voyait pas réellement l’intérêt de jouer sa survie sur quelque chose d’aussi vague.

« Usstan xuat zhaun vel'drav. Mayoe ulnin, mayoe wun draa klew'kinnen. »
Je ne sais pas quand. Peut-être maintenant, peut-être dans quelques heures.

Tout dépendait d’elle, en réalité. Son destin était déjà scellé, et de quelques siècles, son espérance de vie s’était brutalement vue ramenée à quelques heures. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même, et ce n’était pas l’ancien Senger du cinquième Ost qui allait regretter une mage capable de se mettre en danger aussi futilement. Elle l’avait dit elle-même, elle n’avait pas prévu la suite, et elle devait s’en mordre les doigts, désormais. Poussant un soupir, il se releva, époussetant ses vêtements tout en réfléchissant à la suite. Puisqu’il la tenait, autant en profiter pour se tenir au courant des dernières nouvelles du Puy. Mais pas tout de suite, il voulait d’abord voir ce qu’elle répondrait à sa sentence. Peu de chance qu’elle soit surprise, mais peut-être se dépatrierait-elle de ce calme apparent.

« Quoi… Devrai je me taire alors qu’un joli drow souhaite me faire la peau ? Il m’arrive de savoir tenir la conversation mais je vous accorde que dans ce genre de situation, je tremble un peu. Cela ne doit pas être le froid, qui ne grelotterait pas face à la mort ? Non… Je dois vous avouer qu’en tant que nécromancienne, la banalité de la mort est omniprésente. Mes paroles sont là pour raviver mon existence une dernière fois, je ne vous obligerai pas à me donner la réplique. Je ne vous en veux pas pour Alonna… ? Après tout… Nous finissons tous seul un jour ou l’autre. »

Des paroles jetées dans la fosse sans scrupule. Un martyr se serait accroché à sa foi, sa religion et son protecteur divin, un condamné aurait pleuré et imploré la pitié de son bourreau mais quant à Rosa, drow sans rêve ni bonheur, seule le pouvoir des mots avait une quelconque importance. La vertu du silence ? Une stupidité pour les illusions d’ascètes. Le silence est signe de mort, de désert et d’infinies incertitudes. La nécromancienne jouait avec la mort mais se rattachait à la vie par le langage. Son sort semblait scellé et il fallait se taire pour les derniers instants d’une morose existence ? Drôle de raisonnement…

Mais l’ancien obok, traître à sa patrie, félon de sa nation, n’avait pas l’âme d’un penseur. Malgré sa retraite improvisée, il ne décida apparemment pas de s’instruire sur son sort et d’y réfléchir longuement. Il se donnait une image d’homme d ‘action, d’instints, une bête assoiffée de son existence inconstante. Voilà pourquoi les mots l’agaçaient, ce Kaherith n’avait plus l’envie d’exister. Il voulait disparaître en une machine à contrat. Tuer pour oublier, pour tuer le temps, l’occupation d’une tuerie pour le divertissement d’un esprit mortellement blessé. Au fond, un tel être avait son charme. Mépris de la vie malgré toutes ses vanités. La Phord’Ur cherchait à sentir son souffle, l’odeur des crocs meurtriers, des entrailles affamées par la guerre. La vue ne lui manquait quasiment pas. Ceux qui voulaient voir la mort de face laissait la cruelle drow perplexe. A quoi pouvaient ils penser ? Une sorte d’honneur… Ou de défi à l’existence ? Un ultime juron contre le monde ?

Plus l’araignée semblait apeurée, plus elle voulait sentir la présence de son prédateur. Sa folie douce s’emparait peu à peu d’elle. Cette psychose qu’on ne pouvait retenir à réfléchir des années durant sur l’absurdité de l’existence. Pire encore, son corps qui ne tenait qu’à une chose , celle de la trahir, guettait le moindre comportement d’attirance du mâle. Rosa y pensa auparavant, sur l’idée que ses désirs écrasent sa raison pour la faire chuter dans les autres concupiscences. La pire d’entre toute, celle que la sorcière redoutait le plus était celle du plaisir charnel. Jusqu’alors, la nécromancienne disposait d’un grand plaisir à torturer ceux qui osèrent s’approcher d’elle, néanmoins, Rosa savait qu’on ne pouvait échapper au sang de sa race, race de corruption et d’intérêt. Son esprit s’alarma alors. Eh quoi ? Son esprit allait il s’embrouiller au point de vouloir s’offrir à son tortionnaire ?

Plaisir sadique de la soumission, le mâle n’hésita pas à l’intimider, ce qui risquait d’inconsciemment plaire à la nécromancienne. Hors de question de se rendre ainsi. La chair la dégoutait sur un tel point, de plus le traître prendrait ceci comme une tentative désespérée de survie. Ce genre de tentatives qui ne marchaient pas avec le peuple du Puy D’Elda. Pourtant Kaherith jouait sans le savoir avec le faible de Rosa… Restait à savoir si avec un peu de chance, il la tuerait avant de se rendre compte de son comportement.

« Je comprends. Votre couverture est indispensable avec vos ennemis. Ces drows sont avides de vos tripes et s’ils se rendent compte que je vous ai vue, ils me tortureront pour savoir ce que je sais. Par contre, je ne dirai rien. J’ai horreur qu’on me force la main et mourir par la torture me contenterait. Ce serait en réalité mes serviteurs qui vous démasqueraient, car eux savent où je me rends pour mes ingrédients d’autant que face aux autorités du Puy, ces esclaves auront la langue bien pendue. Affreuses petites langues… Je ne cherche pas à vous offenser mais me tuer serait aussi stupide que venir vous demander de prendre le thé… Et… »

Elle s’arrêta, son bandeau cacha la surprise de ses yeux. Quelles furent les paroles que Rosa s’apprêtait à dire ? La nécromancienne réussit à s’interrompre avant de les prononcer. Elle se mordit une nouvelle fois la lèvre, comme pour punir ce traître de corps. Elle devait l’insulter, le narguer ou mieux tentait de s’échapper et faire croire que l’envie de tout révéler lui prenait. Kaherith la prendrait pour une folle et la tuerait par reflexe. Les mots lui manquaient et la décision à prendre n’était ni simple ni de son essor. Le mâle risquait de comprendre. Ses pensées accablées d’images dégoûtantes aux yeux bandés de Rosa n’arrivait pas à atteindre son habituel stade de concentration. La nécromancie ne pouvait plus l’aider à cet instant. Qu’allait faire celui qui ne voulait ni mourir ni rien dire ?

Elle affirmait ne lui tenir aucune rancœur pour Alonna… Remarque touchante, mais il avait bien peu de chance de la croire. Pas avec le ressentiment qu’il avait lui-même accumulé, en tout cas. Secouant légèrement la tête, il esquissa un sourire amusé mais qui n’augurait rien de bon pour la suite. Quel dommage qu’elle n’ait pas pu le voir.

« Vhadr dosst ulorithol n'nehr hardly, t'yin. »
Ravive ton existence moins bruyamment, alors.

C’était sans doute trop demandé, après tout elle était une drow, et les femelles de sa race étaient difficiles à soumettre. C’était d’ailleurs pour cela que peu s’y risquait, et pour cette même raison que Kaherith avait toujours préféré s’attaquer à des mâles, plus vulnérables de part leur orgueil surdéveloppé. Mais elle ne lui avait pas laissé le choix. Elle était venue troubler sa retraite, dans toute sa gloire, mue par une arrogance qu’elle avait nommé curiosité pour en atténuer la portée, mais la réalité était là : la charmante Rosa s’était crue apte à dompter Kaherith, d’une façon ou d’une autre. Dans quel but, il n’en avait pas la moindre idée, mais il était certain qu’elle n’était pas venue sans réel dessein. Il voulait bien lui laisser le bénéfice du doute quant au hasard qui avait mené à leur rencontre - quoi qu’il n’aurait pas été surpris d’apprendre qu’elle l’avait traqué jusqu’à Naelis - mais certainement pas pour le reste. Elle était coincée, son heure était venue, et elle avait peur, elle le disait elle-même. C’était tout à son honneur, l’honnêteté n’était jamais venue naturellement aux sombres.

Mais voilà qu’elle tentait de le raisonner. Petite créature prise au piège qui sentait ses forces s’amenuiser, elle cherchait à le prévenir : qu’on la tue, et il serait découvert. Cependant, il y avait plusieurs choses qui rendaient son raisonnement bancal. Comme par exemple le fait que les drows qui partiraient à sa recherche n’auraient aucun moyen de savoir qu’il était derrière tout cela. Il n’aurait alors qu’à s’exiler quelques mois pour revenir ensuite… Chose impossible s’il la relâchait et qu’elle parlait. Mais le lui faire remarquer aurait été inutile, elle le savait très bien et devait juste espérer qu’il n’y penserait pas. Non, ce qui était plus intéressant était cette hésitation malheureuse. Une phrase inachevée, comme un défi jeté à la face de l’ancien Obok Senger qui n’avait pas réellement besoin de prétexte pour se montrer violent.

« Lu’ ? » demanda-t-il, une menace dans la voix.
Et ?

Peu importe ce qu’elle répondrait, il savait déjà qu’elle mentirait… encore. Ils mentaient tous, tout comme lui avait menti. C’était presque rageant. La vérité était là-bas, quelque part dans sa tête, si proche et pourtant inaccessible. Jamais Rosa ne se dévoilerait, elle avait trop à perdre, et rien à gagner. Pourquoi avait-il fallut qu’il croise la route d’un membre du C’nros ? Tout aurait été plus simple si elle avait passé son chemin et s’en était retournée au Puy. D’une certaine façon, il aurait préféré qu’elle agisse ainsi. Oui, tout aurait été plus simple, mais la simplicité n’était pas toujours au rendez vous. Avec ironie et cynisme, il se dit qu’au moins, son invité surprise n’était pas laide, loin s’en fallait. Elle avait d’ailleurs de la chance qu’il ait depuis longtemps perdu ses habitudes de soldat, elle n’aurait sans doute pas apprécié un viol en bonne et due forme.

« Usstan inbal dosst dro wun ussta rahi, lu'dos xo'al ulu veldri uns'aa klezn ? »
J’ai ta vie dans le creux de mes mains, et tu essaies de me cacher des choses ? »

L’espace d’un instant, il se demanda à quoi rimait tout cela. Il aurait du la tuer dans cette auberge, malgré l’intervention d’Amras. Mais maintenant que la pression était retombée, il se rendait compte qu’il n’avait, au fond, aucune envie de mettre fin à ses jours, surtout depuis qu’il savait qu’elle avait été à ses côtés, à Alonna. Il agissait par nécessité, mais malheureusement pour elle, cela ne l’avait jamais dérangé, et après l’inévitable fin qui s’annonçait, il ne cultiverait aucun remord. Il payait simplement le tribut nécessaire à sa survie, sang versé sur l’autel d’Uriz, à moins que ce ne soit sur la sienne propre, celle qu’il s’était érigée le jour où il avait tourné le dos à un peuple. Se relevant, il s’éloigna de quelques pas, la laissant seule avec elle-même. Après tout, elle avait bien le droit d’un peu de solitude. Elle semblait être incommodée par sa présence, il lui devait bien de la laisser respirer.

Kaherith était irrité, c’était peu de chose de le dire. Irrité et partagé. Encore une fois, il se prit à maudire la drow pour ce qu’il associait de plus en plus à de la folie. Son instinct de survie, bête sauvage avide de liberté et de perpétuité, lui hurlait de la tuer sur le champ, de laisser sa lame pénétrer sa chair, de tracer un sillon dans sa peau et d’admirer la vie s’y échapper à grands bouillons sanglants, mais une partie de lui-même y répugnait. Quoi qu’on dise sur les sombres et sur leur société, on ne pouvait pas devenir Obok Senger sans un minimum de sens des responsabilités. Ceux qui n’étaient attirés que par le pouvoir ne faisaient pas de bons militaires et s’ils grimpaient les échelons plus aisément que les autres, il y avait pourtant certaines étapes qui leur étaient plus difficiles de franchir. L’ancien Obok Senger avait couru après la Gloire, il avait conquis son titre pour lui plus que pour son peuple, mais il n’en était pas moins resté un gradé sérieux et efficace. Rosa, aussi idiote la jugeait-il, avait été membre de son Ost. Elle l’avait suivi sur le champ de bataille pour se rendre compte qu’il n’avait pas eu le courage de s’y rendre. C’était, au fond, la seule chose qui la maintenait encore en vie.

« Dos l'amith l'hosse jhal nauxahuu ulu elgg natha og'elend ? » lâcha-t-il, ironique.
Tu apprécies l’armée mais refuses de tuer un de ses traitres ?

Elle était pitoyable. Rendue impuissante, incapable d’user de son précieux Art, elle paniquait et perdait ses moyens. Le pire était encore qu’elle le montrait aussi facilement, c’était presque un déshonneur pour sa race. Secouant la tête, Kaherith la laissa lui confirmer qu’il lui faisait mal. Il aurait du lui couper la langue, cela lui aurait rendu service. Il avait presque envie de la frapper un bon coup dans la tempe pour la faire taire, mais c’eut été repousser l’inévitable échéance. Elle s’interrogeait, ne comprenait pas qu’il soit persuadé qu’elle veuille le tuer alors même qu’elle avait été à Alonna. Elle plus que quiconque aurait du vouloir mettre fin à ses misérables jours. Elle plus que quiconque voulait le voir mourir, et ce n’était pas sa feinte panique qui lui ferait croire qu’elle ne cherchait pas vengeance. Parfois, la rancœur faisait faire des choses stupides, elle voulait sans doute gagner sa confiance, au péril de sa vie. Lui faire baisser sa garde, comme elle-même l’avait baissée quand elle suivait ses ordres, avant de lui porter le coup fatal. C’était évident.

« G'rftte... Usstan kampi'un. » lâcha-t-il, esquissant un sourire, et sa voix trahissait son soulagement.
Enfin… Je comprends.

Il n’y avait pas d’autres explications à l’attitude imprévisible de Rosa. C’était retors, extrêmement risqué, mais il faisait confiance à sa race pour imaginer et risquer autant. Au final, la nécromancienne du C’nros était bien folle, mais uniquement à cause de lui. La rancœur qu’il avait fait naître avait engendré cette idée de vengeance. S’était-elle mise à sa recherche tout de suite après la bataille ? Deux longues années à poursuivre un fantôme, à suivre les traces d’un mâle qui n’avait plus prononcé son nom depuis qu’il avait appris l’importance des renforts elfiques. Kaherith n’avait commis aucune erreur, de cela il était sûr, et pourtant elle avait réussi à le retrouver. Peut-être n’avait-elle pas menti sur la façon dont un tel prodige était arrivé, peut-être l’heur avait-il conduit à ces retrouvailles. Uriz devait se jouer de lui.

« Xun dos zhaun vel'bol udos morfeth whol l'harus l'thiin ? » demanda-t-il doucement. « Udos kku mina, whol nind ehmtu bwael. »
Sais-tu ce que l’on fait aux animaux blessés ? On les achève, pour leur propre bien.

Il était difficile de savoir de qui parlait l’ancien Senger. Ce pouvait être Rosa, sorcière rendue folle par la trahison, ou lui-même, drow sans avenir et sans but sinon regagner un honneur qu’il savait, au fond, à jamais perdu. Lui reprochait-il de ne pas l’avoir achevé quand elle en avait l’occasion ? Il l’ignorait lui-même. S’approchant de nouveau de sa victime, il se remit à genoux et caressa presque tendrement sa joue. En d’autres temps, d’autres lieux, surement les choses auraient-elles été différentes.

« Rosa d'C'nros z'reninth xor naut, elgg dos numl uns'aa, jhal dos xun naut sevir uns'aa l'detholir. »
Crois-le ou non, Rosa du C’nros, te tuer me désole mais tu ne me laisses pas le choix.

Il était sincère. Tuer ne l’avait jamais dérangé, mais il n’était pas un bourreau. Il aimait voir son adversaire se défendre au péril de sa vie, il aimait risquer la sienne, et il se réjouissait à chaque étincelle qu’il soufflait, à chaque regard qui se ternissait, vaincu par son talent. Mais à ses yeux, la nécromancienne avait choisi un chemin qui lui interdisait une telle confrontation. Peut-être n’y avait-il pas de chemin pour cela. Pas depuis Alonna, tout du moins.

Kaherith poussa un soupir, retirant lentement sa main. Il n’avait que trop tarder, pire il avait agit avec cruauté. Or, si d’ordinaire cela ne le dérangeait pas spécialement, le cas de Rosa était différent. Il était le responsable de cette situation, il avait crée la folie de la sorcière par son abandon. Combien d’autres comme elle criait vengeance ? Pour ceux qu’il avait trahis et conduits à la mort et pour ceux là seulement, il se devait d’être clément. Mourir était hors de questions, et il ne se sacrifierait donc pas, aussi devait-il se résigner à achever ceux qui croisaient sa route. Mais pas n’importe comment, pas comme un enfant prenant plaisir à prolonger le calvaire de la sauterelle à laquelle il désirait arracher la tête, en toute innocence. Elle était toujours aveugle, crachant son venin au hasard. Au moins avait-elle eu la force de se relever, mais immobilisée comme elle l’était, elle n’était pas plus dangereuse qu’une enfant de quelques décennies. Dire qu’elle était certainement devenue l’une des praticiennes les plus dangereuses d’Elda… Le sort était cruel, parfois. Ses mains vinrent caresser le pommeau de ses lames, et il ferma les yeux. Il devait faire vite, il lui devait au moins cela. Alors qu’il resserrait sa prise et commençait à lentement dégainer, il adressa une première muette à la terrible Teiweon, lui demandant de prendre soin de l’âme de la Fille qu’il lui enverrait bientôt malgré lui. Rosa, sorcière du C’nros de la terrible armée d’Elda, Phord’Ur parmi les mages, aurait mérité une fin plus digne d’elle, mais les Dieux en avaient décidé autrement. Etait-ce l’œuvre des Avatars sombres ou bien des fameux Cinq qui semblaient imposer leur joug dans les terres de Naelis ? Il n’en savait rien et s’en moquait, lui ne voyait que la conclusion, simple, sans appel. Lui ne voyait que le sang qui coulerait bientôt à flot de la gorge tranchée de la femelle, tandis que lui, mâle déchaîné, s’enfuirait une nouvelle fois. Il rouvrit les yeux.

Rosa n’était plus là.


Z’harn Dhur n’en croyait pas ses yeux. Alors, ses doutes étaient fondés, le fameux Senger dont tout le monde parlait en ville était bien Kaherith Da’reh, l’Obok Senger déchu du valeureux cinquième ost. Un être jadis puissant, que l’on disait invincible, mais la légende avait pris fin deux ans plus tôt, et depuis Alonna son nom était synonyme d’opprobre et de haine. Ils étaient nombreux dans les entrailles du Volcan à vouloir sa mort, par vengeance ou par intérêt. Celui qui rapporterait la tête du traître avait en effet de grande chance de s’attirer les faveurs de l’Olath Blada, le terrible Conseil de Guerre drowique. Z’harn quant à lui n’avait jamais nourrit l’ambition de lui infliger la sentence qu’il méritait, étant affecté à la surveillance du Meneur de Naelis depuis bientôt une dizaine d’années. Seulement voilà, quand il avait par hasard croisé la route du mercenaire sombre, il n’avait pu s’empêcher de le reconnaître. Le doute s’était pourtant rapidement installé, il doutait en effet qu’un parjure prenne le risque de vivre dans une ville sous le joug de son ancienne patrie. Mais au vu de l’endroit où il avait emmené sa prisonnière, il avait compris pourquoi l’idée n’était pas si folle. Si vraiment la bâtisse miteuse dans laquelle il s’était réfugié était sa demeure, il n’était pas étonnant qu’aucun drow ne l’ait jamais vu. Le territoire de la « Reine des Voleuses » étaient en effet déconseillés aux envahisseurs à la peau d’ébène, puissent-ils être mages.

« Vel'bol natha brorn. » s’était-il entendu murmurer.
Quelle surprise.

Les rumeurs disaient Da’reh sorcier, ou tout du moins familier des arcanes, et il pulsait en effet d’une légère aura. Faible, et qui pouvait très bien ne rien signifier. Z’harn n’avait aucune idée de la véracité de tels dires mais il avait décidé de ne pas prendre de risque et avait fait en sorte de masquer totalement sa présence. Ca ne pouvait de toute façon pas être un mal, Rosa n’était pas la seule praticienne de Naelis et il pouvait très bien y avoir des suppôts de la Reine miséreuse apte à détecter sa présence s’il ne prenait aucune précaution. Même de cette façon, il ne se sentait pas en sécurité, et pour cause, il avait en tête plusieurs exemples de ses prédécesseurs un peu trop sûrs d’eux qui n’étaient jamais revenus - entiers - de ces quartiers. A un contre un, il ne doutait pas de l’emporter, mais les humains se battaient rarement de la sorte, préférant s’élancer par dizaine sur un adversaire isolé. Au final, le mage devait avouer que cette technique avait un avantage : ils gagnaient souvent. Depuis son poste d’observation, il pouvait voir toute la scène, mais il regrettait de ne pas entendre la conversation qui s’annonçait agitée. Car si Kaherith semblait encore maître de lui-même, ce n’était pas le cas de son otage qui s’agitait, allant jusqu’à se relever pour réduire l’écart de force. Futile tentative qui n’arracha qu’un sourire désabusé au sorcier.

Cependant, il savait ne pas pouvoir abandonner une confrère à son sort. Aussi cynique pouvait-il être, il préférait éviter de voir les mains de Kaherith se couvrir encore un peu plus du sang des siens, surtout que cela ne lui rapporterait rien. Qu’il parvienne à la libérer, et il était sûr de parvenir à réduire le traître à l’impuissance, après tout il était difficile de lutter contre un praticien, alors deux… Seulement voilà, se camper sur un bâtiment voisin était certes pratique pour observer en toute discrétion, mais bien moins pour agir, et il n’avait pas les ombres des protagonistes de la scène dans son champ de vision. Aussi, à défaut d’autre chose, il décida d’effrayer l’ancien Senger pour le faire fuir. Avec de la chance, il pourrait l’intercepter à sa sortie, sinon, eh bien… Il irait libérer l’otage et pourrait ensuite compter sur sa coopération pour retrouver le fugitif. C’était une tâche qui s’annonçait difficile, mais pas impossible, loin de là. De toute façon, quoi qu’il fasse, le drow serait pris, il avait pu disparaître une fois mais Z’harn s’assurerait que la chose ne se reproduise pas, dusse-t-il faire appel à la terrible Dothka. Avoir une mage qui lui était redevable était assez tentant pour qu’il accepte de reculer la capture d’un traitre de quelques heures.

Quelques secondes de concentration, et puis…


Rosa n’était plus là.

Pire, Kaherith était devenu comme aveugle. Etait-ce une attaque de Rosa, qui surpassait ses limites et les brides imposées par son tortionnaire, ou bien autre chose ? Il n’en savait rien mais n’avait pas le temps de le déterminer. Pour ce qu’il en savait, son otage pouvait très bien être en train de se libérer, profitant d’une faiblesse d’un de ses nœuds. L’angoisse lui noua les tripes alors qu’il se voyait déjà capturé et tué. Il n’avait plus le temps, il devait fuir. Heureusement pour lui, il connaissait assez bien la bâtisse pour pouvoir s’y orienter les yeux fermés, et il n’eut aucun mal à trouver la fenêtre qu’il cherchait. Retrouvant la vue en même temps que le soleil, il put constater que la maison entière était happée par les ombres, un signe qui ne trompait pas.

« Shu. » ragea-t-il, avant de s’éloigner en courant.
Merde.

Il était découvert. Il n’avait pas pu tuer Rosa, et il y avait un mage de plus à ses trousses. Il n’avait que peu de temps, mais il n’avait plus le choix.

Son séjour à Naelis prenait brutalement fin, ou tout du moins cela en avait-il l’air.


Z’harn ne fut pas surpris de ne voir aucun drow s’échapper par la porte principale de la maison. Il regretta de ne pas avoir fait irruption dans la pièce lui-même, ce qui aurait réduit les chances d’échappatoire de sa cible… tout autant que celles de survies de la mage qu’il était censé vouloir sauver. Elle avait intérêt à valoir le risque qu’il venait de prendre. Il rejoignit aussi rapidement que possible la maison désormais libérée des ombres et s’approcha d’elle.

« F'sarn Z'harn Dhur, lu'dos inbal ulu g'rftte uns'aa whol dosst dro. » commença-t-il, et il ne lui laissa pas même le temps de lui répondre qu’il commençait à la libérer de ses liens. « Dos orn xxizz uns'aa. Da'reh uriu ulu tlu atsar. »
Je suis Z’harn Dhur, et tu me dois la vie. Tu vas m’aider, Da’reh doit être rattrapé.

Kaherith n’avait que peu de temps. Il n’avait pas besoin de réfléchir, il se contentait d’appliquer mécaniquement ce qu’il avait prévu depuis son installation à Naelis. Aller vite, toujours plus vite, sans faire la moindre erreur, telle était la clé de sa survie, et il devait bien avouer qu’elle ne tenait qu’à un fil. Pourquoi n’avait-il pas Rosa comme il l’avait prévu ? Pourquoi avait-il fallut qu’il hésite, qu’il l’écoute se débattre ? Il aurait été si facile de mettre un terme à son histoire, mais il avait retenu son bras, tout ça parce qu’elle avait appartenu aux troupes qu’il avait lâché contre des elfes supérieurs en nombre, tout ça parce qu’il avait laissé son passé lui dicter son présent. Il eut envie de rire, tellement la situation lui paraissait absurde, et plus encore quand il eut l’impression que son maudit anneau pesait plus lourd qu’à l’habituel. Un jeu de son esprit, une torture qu’il s’infligeait lui-même, mais il ne pouvait se résigner à devenir véritablement le Senger. Qu’on le connaisse ainsi lui avait toujours paru suffisant, mais il venait d’avoir la preuve que non, car quand il lui avait fallut agir, ce n’était pas le mercenaire qui avait tenu l’épée, mais Kaherith Da’reh, Obok Senger du Cinquième Ost. Et, malheureusement pour lui, ce drow là avait gardé l’honneur de son peuple, aussi perverti soit-il. Une inconnue restait pourtant : qui avait libéré son otage ? Après tout, le mercenaire n’avait aucun moyen de savoir s’il avait fait une erreur en attachant Rosa ou si elle avait jouit d’une aide extérieure. Dans les deux cas, il était certain d’avoir au moins un praticien à ses trousses. Elle devait penser qu’il fuyait, trop couard pour l’affronter, et c’était vrai, car il ne comptait pas lui faire face de nouveau, pour son propre bien. Si cela devait arrivait, il n’hésiterait plus.

« Mages drows dans le quartier sud ! » hurla-t-il en entrant dans une maison, apparemment au hasard, mais l’activité qui résulta de son cri ne laissait aucune place à la chance. Kaherith ne fuyait pas, non, il préparait un petit comité d’accueil à ses invités. Lui n’en ferait pas parti, il y avait trop de risques que les mages tentent de faire changer d’avis leurs attaquants en leur annonçant que leur allié étant en fait le drow qui avait placé Feriwyr là où il était. « Deux, très certainement. Ils veulent capturer votre foutue Reine ! »


Z’harn esquissa un léger sourire. Les réactions de la sorcière étaient typiques. Déboussolée, elle s’en prenait au premier qu’elle regardait, le jugeant sans doute responsable de son déshonneur. Il ne se laissa pas troubler par son regard, aussi sombre soit-il. Aurait-il été moins pressé de mettre la main sur le fuyard qu’il lui aurait tapoté la joue, mais c’aurait été la mettre d’encore plus mauvaise humeur, et donc perdre du temps. A la place, il se contenta de reprendre un visage neutre, écoutant à moitié ses questions. Il restait concentré sur la minuscule flammèche qui s’éloignait rapidement et qui, déjà, était presque indécelable. Heureusement, au vu de la direction qu’il avait prise, il était presque certain de sa destination, l’avantage de connaître parfaitement la ville et ses possibilités. Da’reh était parti prévenir ses chiens, mais il y avait toujours moyen de les éviter. Il ne releva donc pas qu’elle se permettrait de surveiller ses actes futurs, haussant à peine des épaules pour lui montrer à quel point il se moquait de son opinion. Si vraiment elle devenait trop lassante, il pourrait toujours envisager un moyen de s’en débarrasser. Tuer quelqu’un qu’il venait à peine de sauver pouvait paraître absurde, mais il n’avait pas agit ainsi par grandeur d’âme.

« Kyorl zhah nos natha priqual. Mora zhah. » la prévint-elle cependant, sans paraître se laisser affecter par la possibilité d’une trahison.
Surveiller n’est pas un problème. Agir stupidement si.

Elle ne semblait pas encore avoir compris qu’elle avait potentiellement échangé un bourreau contre un autre. La seule différence était que Z’harn n’avait rien à gagner à la tuer, et il comptait donc bien la laisser repartir vivante au Puy. Il ne tenait qu’à elle de voir leur coopération se teinter de succès, mais il n’allait très certainement pas prendre la peine de le lui expliquer. Si elle était intelligente, elle comprendrait qu’il n’était pas un drow à prendre à la légère. Elle s’interrogea alors sur ce qu’il comptait faire à Da’reh, et il lui fit signe de la suivre, prenant la direction de la maison. Ils n’avaient que peu de temps, et s’ils devaient expliquer l’évident à sa compagne d’infortune, autant le faire en chemin.

« L'Olath Blada orn khr'uss tlu terini'nestg wun olt ze'zhuanth usulii. » fut en réalité sa seule réponse.
L’Olath Blada sera très certainement intéressé par son ancien membre.

Elle devait très certainement s’attendre à ce qu’il ne le tue lui-même et s’attire la gloire en ramenant sa tête chez les siens, mais lui ne voulait que le pouvoir, et il s’attirerait sans doute l’estime des Obok Sengers s’il livrait le corps encore entier et chaud du traître. Rien ne ferait plus plaisir à ces généraux que d’appliquer leur propre vengeance sur ce qui fut peut-être pour eux un ami, un frère d’arme, ou n’importe quelle autre idiotie guerrière. Même chez les drows, il apparaissait parfois de telles relations, à la plus grande incompréhension de ceux dont la vie ne dépendait pas directement du fil de l’épée du voisin.

« Tlu kyone, udos ph'naut al'doer ghil. » Il ne parlait pas à la légère, préférant utiliser les petites ruelles désertes plutôt que les axes fréquentés. Z’harn savait exactement quoi faire, mais il savait aussi qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. « Vel'bol shlu'ta dos xun, ilro'e ? »
Soyez prudente, nous ne sommes pas les bienvenus. Que pouvez-vous faire exactement ?

S’il en croyait ce qu’il pouvait ressentir, il ne doutait pas un seul instant que la mage qui l’accompagnait été dangereuse. Peut-être plus que lui, quoi qu’il était difficile de le déterminer avec certitude autrement qu’en l’affrontant directement, ce dont il n’avait ni l’envie ni l’utilité. Peut-être, après toute cette histoire, la soumettre serait intéressant, mais pour l’heure il avait besoin d’elle en pleine possession de ses moyens. L’attrapant par le bras, il la fit brusquement entrer dans une maison à l’image des autres : délabrées mais encore habitable. Juste devant lui, il avait cru percevoir un mouvement, et un rapide coup d’œil lui confirma ses doutes : on approchait. Deux hommes armés mais distraits, en somme rien de bien menaçant. Ils avaient l’avantage de la surprise et il pouvait les rendre muet avant qu’ils n’aient le temps d’esquisser l’ombre d’un cri.

« Barra knan phor. » marmonna-t-il faiblement, et son ombre commença à onduler alors que d’étranges tentacules en jaillissaient.

Ils n’étaient plus très loin, leurs voix grasses et suintantes d’alcool les trahissant plus encore que leur odeur insupportable. Esquissant de nouveau son léger sourire si particulier, à mi-chemin entre la moquerie et le désintérêt, Z’harn donna de nouveau ses instructions, et il s’agissait bien là de la seule chose dont il était capable avec le langage.

« Usstan orn vrine'winith mina. Elgg mina ka ol zhah nodven. »
Je vais les immobiliser. Achevez-les si nécessaire.

Peut-être même pourrait-elle tirer une utilité de cette rencontre, si ses talents s’y prêtaient. Fermant les yeux, le mage se laissa guider par sa magie. Il pouvait « voir » les hommes, des morts-vivants déjà car leur fin ne faisait plus aucun doute. Ils n’avaient pas la moindre trace de talent, et leur mort ne ferait sans doute naître que peu de larmes. Ils étaient… à lui. Ses yeux perdirent toutes couleurs, épousant les ombres qu’il contrôlait, alors que les tentacules s’élançaient sur leurs cibles. Elles glissèrent sur le sol poussiéreux de Naelis avant de grimper le long des jambes et ne s’arrêtèrent que quand elles purent s’enrouler autour des cous offerts à leur poigne. Ils hoquetèrent, mais il était déjà trop tard. Z’harn brisa la nuque du premier et ne libéra le second que quand il fut sûr de son évanouissement. Il lança alors un regard à son alliée, et lui délivra une nouvelle fois son sourire, tandis que ses yeux se jouaient d’elle. « Allez, vas-y, accepte mon petit cadeau. » semblaient-ils lui murmurer. Mais elle devait faire vite, ils n’avaient perdu que trente secondes à peine, mais chaque instant le séparait de son futur prisonnier.

Ainsi, la nécromancienne avait une faille. Z’harn n’esquissa pas même un sourire, et ne fit pas attention aux réactions compulsives de sa compagne d’infortune, préférant se concentrer sur ses futures victimes. Elle ne supportait pas d’être touchée... Sa magie soi-disant mortelle en était-elle la cause ou la conséquence ? Il ne devait pas être agréable d’être une Intouchable, dont le moindre effleurement était synonyme de douleur ou pire encore, et elle pouvait très bien fuir le contact - protégé par le tissu ou non - par prévention. A moins qu’elle ne souffre d’une sorte d’hypersensibilité handicapante et que sa magie se soit adaptée ; une sorte de protection, consciente ou non, en somme. Elle le menaçait, peut-être regrettait-elle de s’être laissée embarquée dans la chasse au traître ou bien aurait-elle préféré agir seule, mais il était trop tard désormais. Le mage doutait qu’elle puisse s’en sortir sans lui, tout du moins si son but était le Senger déchu, lui-même commençait à regretter sa grandeur d’âme. Si Da’reh lui échappait, il s’assurerait que la femelle se plierait à sa volonté pour un moment.

Tuer fut simplissime et il n’y trouva aucun plaisir. Un enfant aurait pu faire de même, dans les mêmes conditions. Même le fait de toucher sa magie ne l’extasia pas, il la côtoyait depuis un moment déjà et avait su contrôler l’attraction qu’elle pouvait exercer sur ses utilisateurs. Au final, Z’harn était insatisfait, et s’il n’avait pas espéré plus de sensations, cela ne l’avait pas empêché de les désirer. Impassible comme à son habitude, il laissa la nécromancienne achever le deuxième garde mais ne put retenir une grimace quand elle lui trancha la gorge. Le sang s’échappa à grand bouillon et s’il ne put s’en assurer de là où il était, il n’en restait pas moins certain qu’elle en récupéra une partie sur ses vêtements.

« Xun dos zhaun... venorsh ? » demanda-t-il cependant quand elle usa de ses talents pour relever les cadavres encore chaud.
Connaissez-vous… la discrétion ?

La magie, qu’elle soit nécromantique ou non, passait rarement inaperçue, et ils n’étaient pas réellement en position d’en utiliser à la légère. Lui-même avait fait l’effort d’assourdir au maximum son intervention, la sachant inévitable. Il n’aurait pas été s’opposer à deux hommes en arme, puissent-ils être des humains, tant il n’avait jamais réellement travaillé sa condition physique. De plus, les zombies passaient difficilement inaperçu, et ils étaient la plupart du temps d’une lenteur dont ils ne pouvaient se permettre. Il ne savait pas ce qu’il en était pour ceux là, mais il doutait qu’elle le surprenne en lui affirmant le contraire. Où était Da’reh, désormais ? Il sentait encore sa trace, elle s’étiolait rapidement et il savait qu’il ne pourrait bientôt plus la suivre. Comme à son habitude, il se força au calme sans rien laisser paraître du début de frénésie qui l’animait. Il avait espéré pouvoir compter sur la nécromancienne au moment de la capture du félon, mais il le sentait s’échapper entre des doigts qu’il devait utiliser pour l’encadrer. Il avait fait une erreur.

« Gaer zhah natha niss'nir d'draeval. »
Nous manquons de temps.

Il devait y avoir une solution, il y en avait toujours une, le tout était de la trouver avant que le dernier grain de sable ne chute du haut du sablier. Fermant un instant les yeux, il se releva et fit quelques pas en avant. Il lança un regard en arrière, le temps de regarder la sorcière et ses deux esclaves, puis commença à s’éloigner en courant.

« Flohlu uns'aa, ka dosst slanos ori'gato dos xundus ol. »
Suivez-moi, si vos créatures vous le permettent.

Au bout de quelques enjambées, Z’harn laissa échapper une première grimace. Se concentrer aussi longtemps sur une source de magie aussi infime était épuisant, et il sentait un mal de tête poindre le bout de son nez. Le pire était qu’il savait qu’une seule seconde de déconcentration suffirait à lui faire perdre la trace de sa cible à jamais. Heureusement, elle n’était pas si loin, et elle semblait immobile, ce qui était en réalité mauvais signe. Kaherith était tout sauf un idiot, et s’il ne fuyait plus, ce ne devait être que pour une seule raison : il n’en avait plus besoin. Il avait trouvé protection, d’une façon ou d’une autre. Z’harn avait perdu la partie, il s’en rendait compte. Evoluer sur le territoire de Faye comportait trop d’inconnus, trop de risques pour qu’il n’ose s’y aventurer plus profondément, surtout maintenant qu’ils avaient du utiliser leurs magies respectives. Rapidement, il s’arrêta, lançant un regard derrière lui.

« Udos inbal ulu doer rath. Gaer ph'ichl mzil sreen ghil. Jhal, Kaherith uriu nau mzil detholir, udos zhaun zhah ghil lu'zhah er'griff i'dol zhah Aduram. »
Nous devons faire demi-tour. Il y a trop de dangers ici. Heureusement, Kaherith n’a plus beaucoup d’options, nous savons qu’il est ici et son seul salut est Aduram.

Le nombre de patrouilles drows dans la région risquait d’exploser dans les jours à venir.

J'arrivais pas à voir comment, raisonnablement, on pouvait remettre la main sur Kahe' sans se manger un quelconque bataillon de gardes/mages... Donc je pense qu'il vaut mieux arrêter celui-là ici et en recommencer un autre On pourra en parler sur la CB Tu peux répondre si tu veux, sans souci, on verra qui introduit le prochain