C'est donc ça un tournoi? [Libre]

Les compétitions étaient un concept vraiment humain. Les elfes ne voient pas l’intérêt de faire des concours pour déterminer qui est le plus fort ou le plus adroit dans telle ou telle discipline. Quel intérêt ? Ces choses triviales n’ont aucune importance pour eux. Quelle belle jambe cela nous ferait-il de savoir que telle personne était plus adroite qu’une autre ? Orgueilleux envers les autres races, les elfes ne l’étaient pas entre eux, au contraire des humains. Vouloir se démarquer par tous les moyens, voila qui était typiquement un de leurs traits de caractère. Quoique certains s’en moquent, fort heureusement. Si tous étaient comme ça, ils n’existeraient plus depuis longtemps.

Toutefois j’étais intrigué par ce tournoi. Je me demandais bien à quoi cela pouvait bien ressembler, aussi m’y aventurais-je. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il attirait la foule. Hommes, femmes et enfants étaient réunis pour assister au spectacle. Dissimulé sous ma capuche, Melesiel dans les bras, je faisais attention à ne pas me faire bousculer. Un accident était si vite arrivé dans ce genre de manifestation. Les gens se tordaient le cou pour tenter d’apercevoir quelque chose et ne faisaient nullement attention à ce qui se passait autour d’eux.

Renonçant à m’approcher, je reculais près des tribunes et m’assit sur un tonneau. Pas la peine d’insister, je ne pourrais m’approcher sans jouer des coudes, ce qui était trop dangereux pour ma fille.

*Tu veux que je te montre un peu ce que ça donne ?*

Cundu voletait au-dessus de l’enceinte du tournoi, minuscule tache rouge dans le ciel. Il n’était si haut que seul un elfe aurait pu se rendre compte qu’il y avait quelque chose là-haut, et n’aurait su dire s’il s’agissait d’un oiseau ou d’un dräke. Sa vision aigüe lui permettait d’observer ce qui se passait en dessous de lui à une distance supérieure à ce dont les elfes étaient capables.

*Pourquoi pas.*

La tête baissée, fermant les yeux, le noir fit bientôt place à une vision du dessus du tournoi. La vision était différente de celle d’un humain, captant plus de choses. Je voyais non seulement l’environnement avec une acuité rare, mais aussi les effluves, les odeurs suivant différents cheptels de couleurs invisibles en temps normal. Tout en bas, sur des chevaux deux hommes se jaugeaient avant de foncer au signal d’un troisième. Les deux chevaliers étaient vêtus en armures avec casques, boucliers et lances. Chacun fonçait droit sur l’autre, séparés par une sorte de muret en bois. Le but semblait être de faire tomber l’adversaire en frappant le bouclier. Les deux chevaliers s’élancèrent et esquivèrent les coups, au mécontentement du public. Ils chargèrent à nouveau au signal de celui qui semblait être le dirigeant de la joute et les lances frappèrent les boucliers cette fois, faisant exploser les lances. Et bé, c’était en cela que consistait le tournoi ? Troisième affrontement et l’un des hommes fut expulsé au sol, sonnant ainsi la victoire de son adversaire. Je ne voyais guère d’intérêt à cette compétition, mais bon, cela semblait amuser la foule.

J’eus l’impression que l’on me bousculait aussi cherchais-je qui me secouait ainsi avant de me rendre compte que la sensation venait de mon corps à moi et non celui de Cundu. Coupant court à la vision offerte par mon frère, je rouvrais les yeux, réintégrant d’un seul coup mon corps. Je ne l’avais jamais quitté, mais disons qu’avec la vision offerte par Cundu j’en avais perdu toutes les sensations. Dans l’ombre de ma capuche, je voyais une main posée sur mes genoux qui me secouait. Ainsi prostré je devais donner l’impression de dormir. Relevant doucement la tête je regardais de mes yeux rouges celui ou celle à qui appartenait ce membre. Que pouvait-on bien me vouloir ?

L’homme qui se tenait devant moi était un homme d’une vingtaine d’années, avec pour compagnon un aigle. Ses cheveux étaient roux et lui tombaient un peu plus bas que les épaules. Son visage était préoccupé ou soucieux. Je ne savais s’il voyait mes yeux à travers ma capuche, mais quand il commença à parler j’en déduis que non. Ou bien il se fichait d’avoir affaire à une demi-drow. Je souris sans qu’il puisse le voir (sourire est un bien grand mot pour moi, cela se résume généralement à un léger haussement de la lèvre, imperceptible pour la plupart des humains, mais facilement identifiable pour les elfes), et me redressais sur mon fauteuil improvisé.

« Merci de votre sollicitude. Je crois que je me suis un peu assoupi. Les voyages sont épuisants parfois. »

Ma voix était claire et chantante, comme celle d’un elfe. Rien d’étonnant à cela quand on sait que j’ai été élevé par eux. Le compagnon de l’inconnu commença à crier avant de picorer l’oreille de son maitre. Apparemment il n’aimait pas être délaissé une minute. Je retins un sourire devant cette scène.

*Si tu oses penser une seule seconde que je suis comme lui, je te préviens que je crame ta capuche.*

Cundu était toujours en haut, mais me surveillait de près. Aux aguets, comme toujours. Azazh (puisque tel était son nom), se présenta ainsi que son compagnon à plumes, et me tendit la main. Je la serrais avant de répondre :

« Enchanté Azah. Je me nomme Eldis Gil-Assan. »

Je me tournais vers l’oiseau et dit :

« Enchanté aussi Ahuilme. »

Dans mes bras Melesiel babilla, et bien que je tentas de dissimuler au mieux sa peau noire, je la présentais à mes interlocuteurs.

« J’ai moi aussi quelqu’un qui n’aime qu’on l’oublie. Azah, Ahuilme, je vous présente Melesiel. »

S’il demande à la voir, je risque d’avoir de sacrés problèmes.

« Je ne viens pas pour le tournoi. Je suis ici pour renouer avec certaines connaissances, ainsi qu’avec mon passé. »

Je ne mentionnais pas que les personnes en question étaient ni plus ni moins que le Roi Trystan et la reine Lilianna. Ni que mon passé se trouvait au sein des archives royales. Un passé que je ne connaissais pas. J’étais venu découvrir qui j’étais. Pas comme un amnésique, loin de là. Non j’avais toujours ma mémoire. Non j’ignorais qui étaient vraiment mes parents, et par conséquent qui j’étais. Elevé par les elfes, mes origines m’avaient toujours paru superficielles jusqu’à il y a peu. Et maintenant je voulais en savoir plus.

« Je vous avouerais que c’est mon premier tournoi. Je ne goûte guère à ses démonstrations de forces. Je trouve cela inutile, mais peut-être y a-t-il un enjeu politique que je ne saisis pas. »

Après tout, de ce que j’avais compris, c’étaient les représentants des différents duchés et marquisats qui s’affrontaient sur le terrain. Ce n’était peut-être pas un hasard. Je connaissais fort peu les coutumes et les compétitions humaines, aussi y avait-il peut-être une logique que je ne saisissais pas.

« Et vous-même, qu’est-ce qui vous amène au tournoi ? »

Azazh avait récolté quelques informations mais il cacha sa curiosité, il préférait ne pas demander qui étaient ces personnes. Cela pourrait s'avérer une erreur fatale. Puis, en un éclair, il se demanda pourquoi il faisait cela ? Pourquoi essayait-il de récolter des informations ? Il s'était encore pris au jeu inutilement. Il faillit sourire à cette pensée mais s'en retint.

Il regarda son interlocuteur toujours caché sous sa capuche. Il lui posa la même question qu'il venait de poser. Azazh venait de comprendre que son interlocuteur ne souhaitait peut-être pas de sa présence et qu'il essayait de faire court. Azazh resta planté devant sa déduction un peu rapide. Les prochaines paroles seraient surêment importantes.

-Oh... Moi, j'suis un marchand. Je suis de retour en ville pour quelque temps et je voulais voir ce Tournoi dont tout le monde parle. Enfin, je suis déçu, c'est pas aussi extraordinaire que ce que l'on m'avait dit.

Ahuilme recommença à lui picorer le lobe de son oreille, une manie que connaissait Azazh.

-Arrête tout de suite ! Veuillez excuser son manque de civilité, il lui arrive parfois d'être des plus perturbateurs.