{TERMINÉ} ~ L'intermède d'un médiateur.

Nulle obligation, nul appel divin n’était à l'origine de son départ.... Il ne devait donc pas se rendre à tout prix en ce lieu inconnu et il n'en avait d'ailleurs pas d'aspiration singulière. Il s'y rendait tout simplement.

Il s'y rendait en effet, conscient d'une seule et unique vérité... Plus qu'un monticule de terre au milieu de l'océan, cette île semblait être sa jumelle... et lui la réplique humaine de son panachage... Hybride, il l'était.. mais impossible aurait était la tâche de savoir quel sang spécifique coulait dans ses veines... du Sylvain probablement, et sans doute on pouvait y trouver des vestiges Sombres se mélangeant au reste de ses origines... Mais dans l'ombre de son aspect, vous pouvez vite sombrer dans le doute... qu'est-ce ce monstre, tanguant entre la rusticité naine ? la pigmentation humaine ? la grâce sylvaine ou encore son faciès comminatoire si similaire au peuple sombre ?

Qu'était-ce donc cet endroit ? L'endroit ou symbiose est demoiselle, et quiétude est dame... cette île blanche protégeant en son centre telle une mère religieux et pèlerins... Ce lieu peut certainement paraître utopique, quand, mourant au combat vous vous demandez pourquoi ? Pourquoi hais-je tant ce peuple, pourquoi tuer, sinon pour mourir, mourir à Yutar ou ailleurs peu importe pour des convictions ne vous appartenant même pas !

L'hybride n'avait jamais partagé ces innombrables différends entre race, sans doute sa cécité y était pour beaucoup, au fin fond de lui il la remerciait... le fait est que le concept de race n'existant pas du tout dans son esprit, étiez-vous elfe, nain ou drow, Dryae ne verrait en vous qu'une personne, un être...

Le vieux devin était confronté à tous ces massacres, à ces tensions, ces hostilités régnantes sur Miradelphia, aussi il ne s'était jamais vraiment senti chez lui, bien que peu de sols n'aient pas eu droit à une visite du vieil hybride. Cette île donc ! elle était ce qu'il avait toujours recherché et vainement espéré... pourquoi ne s'y était-il pas rendu avant ? Le tout est qu’il s'y rendait en accompli, comme si sa quête s'était achevée... quête de quoi au juste ? certains affirment souvent que leur quête est leur vie… y allait-il pour mourir alors ?

Autour de lui, très peu d’odeurs… des odeurs s’alliant toutefois harmonieusement... Dryae papillone autour de lui… il se sait entouré par l’horizon, l’odeur omniprésente de la mer le lui rappelle… alors qu’il se délecte de cette odeur pourtant si mitigé mêlant chlorure de sodium et relents poissonneux, des marins s’agitent autour de lui et il sent les effluves de sueur qu’ils dégagent. Il sait ce jeune homme hésitant s’approcher de lui.

- Nous accostons dans une vingtaine de minute, mon...sieur.
- Très bien jeune homme !

Alors que le jeune marin s’éloigne à reculons pour se mêler à l’équipage qui s'affaire, une mélodie pénètre dans son corps et s’empare de lui ...Il reconnaît aussitôt cette sensation et se laisse aller, attendant patiemment que cette voix qui résonne à toute heure dans son crâne entonne son discours, il croit avoir compris…

« Nous y sommes Dryae… Croyais-tu donc que j’étais toi ? T’es tu pris pour un être divin ? Ahah… Nous le sommes tous petit homme… Chacun cache en soi le secret de la vie, chacun en a la clef… Et toi, te voilà au seuil de la porte. Nous allons te révéler non pas le secret de la vie, mais l’énigme de la tienne… à quoi tu as été destiné....»

Destiné, destiné destiné... ces mots vibrèrent et firent place au silence...

Dryae était perplexe.

Le débarquement ne fut qu'un enchaînement de gestes zélés et Dryae ne porta que très peu d'attention à ce jeu de mimique pourtant nécessaire. Ses affaires - pas plus qu'un petit coffre en bois de noyer - furent déchargées mais lui restait là, immobile à l'avant du bateau. Tout se mouvait autour de lui avec une rapidité fulgurante et une vingtaine de minutes sembla s'écouler en un seul battement de cil. Qu'attendait-il au juste ? Que la voix s'exprime, qu'elle lui donne des réponses ? Non, il savait bien qu'elle ne se manifesterait plus maintenant, le cas échéant ses myriades de questions fuseraient alors perturbant la voix... Il se savait seul, surveillé certes, mais livré à lui-même et c'est avec la passion naïve de l'enfance qu'il découvrirait les lieux...

Peu de temps après il était au centre foisonnant d'activités diverses et variées. Assailli par l’odeur corporelle de chaque habitant des lieux, il s’en délecta capricieusement… il ne connaissait pas cette arôme si particulière car en effet sur l’île, toutes les races se mélangeaient sans affront. Toutes ces exhalaisons parlaient à la place des artisans des religieux ou des agriculteurs, lui révélant le galop journalier de chacun d’entre eux … S’il avait pu sentir en couleur le tableau dépeint ne serait autre qu’une perle pittoresque dégageant autant d’énergie que le soleil même.

Le sol semble être drapé d’un magnétisme fondamental, les Dieux dit-on sont apparut pour la première fois il y a fort longtemps sur l’île… les prières psalmodiées à longueur de journée dans tous les temples semblent avoir imprégné les lieux d’une aura sacrée. Le petit homme se sent à ses aises, il respire et tâte l’équilibre, il se sent flotter, osciller dans un long fleuve paisible.

A quelques mètres de lui paisiblement aussi des légumes poussent, des boutures germent… les fleurs tanguent au rythme du vent. Il sait la vie spontanée, rien a de prix, tout est dans le seul but d’être… Le troc est la pratique utilisée sur l’île pour survivre et dans l’ordre logique la carence n’est pas.

Je suis chez moi, pensait-il distraitement. Il sentit une présence, un homme... aux premiers abords flegmatique, l'individu respirait lentement, marquant des pauses précises.

- Quand l'inquiétude vous guette, la quiétude vous appelle. Kirav Derabl pour vous servir, je vous fais visiter les lieux, liant le mouvement à la parole il posa sa main sur l'épaule de Dryae et ils se mirent à marcher vers le palais. Derrière un jeune humain de quinze ans tout au plus portait sans mal le petit coffre. Son arrivée n'avait rien d'inespéré, il était attendu.

Nous survolons ce petit monticule de terre, l'Île du Sanctuaire que j'aime appeler aussi, ruche insulaire... Car en effet, telle l'abeille, l'habitant bourdonne, et je suis constamment bercé par cette mélodie délicate. Celle de l'entente, où l'action de l'un ne perturbe pas l'inaction de l'autre. Pas de friction si ce n'est des bribes de discorde venant de l'autre monde au delà des océans...

On ne peut pas parler alors d'individu, dissocier serait se méprendre... Un seul habitant, un seul présent.

N’oublions pas Dryae qui dans sa cécité aperçoit cette île comme un tout. Un tout...

- Tout tout tout tout ! Mais oui tout tout, te dis-je, tout est composé d'une même et seule chose. Tantôt solide, tantôt liquide, pas même palpable... imagine de la poussière, mais miiinuscuule !

Le vieux Dryae s'assied à même le sol pour être à la hauteur du jeune garçon avec qui il s’entretient. Le bambin est enjoué, il sourit à pleines dents, passionné… Dryae le fascine, il n’a d’yeux que pour lui, aussi complice avec notre vieux fou qu’avec le plus intime des amis imaginaires.

- Comme de la terre !, hurle presque le petit. Comme mes petits bonhommes ! On en a fait la dernière fois avec maman ! Ensuite on les a fait cuir et maintenant ils sont solides ! Viens viens, je vais te les présenter !

Le vieux devin esquisse une grimace, avant d’entamer sa phrase d’une voix aigue, presque chantante.

- Petit bonhomme ! Petit bonhomme !, s'exclame l'hybride tout en se levant énergiquement en liant à son geste une pirouette. Il avance lentement son doigt vers le petit et lui écrase le nez, et malgré sa cécité il vise juste.

- Ahahah ! Zigoto ! s’écrie l’enfant.

Le petit garçon qui se tient debout est immédiatement recouvert par une ombre. Derrière lui se tient sa mère, les mains sur les hanches.

- Fédor ! Arrête d'appeler Dryae comme ça, je ne le répéterai plus !
- Mais sssé mon ami avant d'être le tiens pfff.. T'es nulle ! Nulle !
- Fédor... prononça lentement la mère en lançant un regard plein de sous entendus à son fils. Il ouvrit grand ses yeux d'amande, retroussant ses lèvres à la façon d'un félin offusqué, tira soudainement la langue en direction des deux adultes et fila, plongeant dans un arbuste. Quelques secondes plus tard l'enfant jouait déjà avec ses petits camarades.

C'est ainsi que je vous présente Aïda, mère de Fédor. Cette femme dynamique, femme qui en a vu de toutes les couleurs… Tout comme le soldat ou le marin aguerri, elle a le visage marqué par la vie, des rides témoignant son vécu… Elle semble usée par la vie, mais maitresse de ses actes et de ses choix à présent. Elle n’attend plus rien de ce monde, elle est ancré dans son présent et ne compte surtout pas refaire les mêmes erreurs d’antan…

Mais qui est cette femme ? Il est important de faire une parenthèse à son sujet… Il existe des personnes que Dryae affectionne tout particulièrement. Pourquoi ? Il l’ignore… Des personnes qui ont besoin tout simplement d’être, pour prouver leur authenticité. Esquisse de la contradiction, car en fait il n’ont pas besoin de prouver quoi que ce soit ! Ce sont des personnes d’exception, à qui la vie n’a jamais fait de cadeaux et, qui, à un moment de leur existence se sont crus seuls contre le monde… En eux a germé une frustration qui s’est ensuite convertie en un amalgame d’excentricité frénétique et de non-conformisme.

Non pas thérapeute, ni particulièrement porté sur la religion, Dryae possède le sens de l'écoute. La jeune femme aime à discuter avec lui, car elle se sait écoutée... Loin d'être un long fleuve tranquille, sa vie serait plutôt comparable à une énorme tempête virulente... Elle se plaît à raconter son histoire à l'hybride, non pas pour se vanter, bien au contraire... On pourrait dire qu'elle vide son sac, qu'elle perd le poids encombrant de cette fatalité révolue... Notre vieux devin peut ressentir une note d'amertume, qui au cours des jours passés sur l'île, s'estompe au bonheur d'Aïda !

Nous nous pencherons plus sur Aïda par la suite, si vous pensez pouvoir supporter sa biographie morose... mais pour l'instant, restons sur l'image du vieux fou qui marche aux côtés de la jeune femme, leurs pieds nus s'enfonçant dans le sable, un vague sentiment de légèreté dans l'âme, un soleil tombant, et une bise caressante berçant la mélodie écumeuse du rivage....

Sur cette île où le temps semble avoir laissé la place à un indissoluble fils d'apesanteur, Dryae séjourne paisiblement, ayant pour seules préoccupations les relations avec autrui. Ses journées longues et placides le font grandir spirituellement, le silence le plonge dans une apologie de l'essence, du parfum de la vie. Nombreuses sont les personnes lui ayant apporté questions ou réponses, le procédé d'une existence étant la communion de connaissances, de doutes et d'ignorance.

Sa présence est devenue indispensable sur ce petit bout de terre éloigné. L’Ile du Sanctuaire et l’entité que Dryae incarne, sont devenus indissociables. Moult sont les personnes, en quête de réponses ou de sentences, à avoir entreprit un pèlerinage au-delà des océans. Les risques à affronter lors d’un voyage en direction de l’île sont avérés. Tantôt attirés par la soif de voyage et d’inconnu, tantôt par la foi inébranlable que des réponses existent, multiples sont les voyageurs posant pied sur l’Ile, et multiples sont ceux qui dans les limbes erreront, déchus et déçus de ne pas avoir atteint ce soit disant monde céleste. Certains restent, d’autres plus accomplis et ressourcés se sentent prêts à commencer une nouvelle vie et quittent l’Ile, laissant place à de nouveaux visiteurs, pèlerins, religieux, familles…

Kirav Derabl, mage d’une puissance incontestable marche constamment aux côtés de notre hybride. Kirav est un vieil homme froissé, que le temps a rendu taciturne… La magie pour lui n’est qu’un art passif, qui permet à son utilisateur de méditer, de procéder à l’apaisement et la guérison de maux physiques comme spirituels. Cet homme tout autant courbé que Dryae, semble être devenu l’ombre de celui que l’on pourrait appeler à présent, le Médiateur… Tout aussi concerné que Dryae, le vieil homme possède le rôle de mentor, toujours prêt à partager sa sagesse. Autant dire que le devin et son vieil acolyte marchent de paire, s’envoyant constamment des piques tintées d’humour et d’ironie, ou disparaissant parfois d’innombrables heures dans quelque recoin de l’Ile, à tergiverser et s’échanger frénétiquement idées et inquiétudes…

Aïda, cette jeune femme et mère que Dryae connu peu après son arrivé sur l’Ile, est peut–on dire, un pilier car sans elle plus rien ne tournerait… Son rôle similaire à celui d’une gouvernante de grande ampleur, est indispensable au fonctionnement des nécessités de base. Le réfectoire, les logements, toute l’organisation de l’espace sont de sont ressort, nul ne désobéît à cette femme, car il n’est pas question de commandement. Sur l’Ile du Sanctuaire chacun est responsable du grain de sable à apporter, tous agissent pour une seule et même cause, qui est la cohabitation d’une centaine de personnes, visant toutes à une et même existence alcyonienne, en préservant néanmoins l’idée que tout être est différent et semblable à la fois.

Fédor, petit garçon espiègle et fils d’Aïda, a depuis l’arrivé de Dryae gagné en carrure et en discernement. Ses premiers souvenirs commencent ici, sur cette Ile majestueuse qui a adopté l’enfant, tout comme sa mère Aïda. Qui d’autre donc que ce jeune garçon enthousiaste, âgé à peine de treize ans, serait capable de présenter avec tant d’amour et de ferveur cette île aux nouveaux arrivants ? Fédor se charge en effet d’accueillir les nouveaux convives, dès la réception au port, jusqu’au départ, et effectue également des visites guidées qui lui apportent de quoi consoler ses envies de sucreries comme tout garçon de son âge.

Le rôle de Médiateur ne s’improvise pas et ne s’attribue pas tel un titre de noblesse… Un médiateur le devient, par un processus qui n’est autre que le déroulement du temps. Un médiateur ne se proclame pas médiateur, il lui suffit de suivre le cours de son existence pour l’être. Tout est dans la progression, telle était sa destinée, horreur issue de plusieurs races, devin errant, fou, Dryae évolue dans son temps comme tout être. Son expérience était non pas un subterfuge, mais un préambule… Le préambule d’un Médiateur.