Petite rencontre amicale [PV Le Corbeau]

Décidèment, ces terres portaient bien leur nom. Depuis des semaines que Shayasia les parcourait, elle n'avait pas croisé grand chose de vivant. Quelques bêtes sauvages, quelques humanoïdes isolés qu'elle avait abattus à vue. Elle avait peu tué, et peu mangé. Ces deux choses la rendaient d'humeur maussade. Le soir tombait, et la visibilité était assez mauvaise.
Son dernier meurtre remontait à deux jours. Un voyageur, qu'elle avait tué de loin, à l'arbalète. Elle repensa au corps s'écroulant avec un vague sourire. Ca avait été agréable, mais un peu rapide. Elle se promit qu'elle prendrait son temps avec le prochain.
Elle en était là de ses pensées, lorsqu'elle aperçut à une centaine de mètres une silhouette solitaire, qui suivait une route perpendiculaire à la sienne. Elle s'allongea prestement, esperant n'avoir pas été vue. Elle pesta. Dans ce désert, elle aurait pu le repérer beaucoup plus tôt. A cause de son manque de concentration, elle risquait de laisser passer une cible. Ironie du sort.
Allongée, elle se couvrit de sa cape noire, et le plus silencieusement possible, sortit son arbalète et l'arma. Le voyageur ne semblait pas l'avoir vue, lui aussi sans doute distrait. Il semblait se rapprocher un peu de la position de Shaya, ce qui lui permettrait de viser plus efficacement. Un sourire tordit inconsciemment ses lèvres, alors qu'elle abaissait le levier qui servait à tendre la corde de la puissante arme.
Elle se rappela qu'elle s'était promis de le tuer lentement. Toujours allongée, elle sortit une petite fiole de sous sa cape. Un venin paralysant. Elle en mis une petite dose, au jugé, sur la pointe du carreau. Il fallait que l'humain reste conscient, mais qu'il ne puisse pas s'enfuir.
Elle resta immobile, et attendit que l'humain soit assez près. Elle tirerait dans la jambe.

Le craquement du bois se détendant, et le sifflement du carreau fendant l'air avaient déchiré le relatif silence du désert. Shayasia resta un peu étourdie par la puissance de son arme. Elle n'avait pas encore l'habitude ni la puissance physique pour ignorer le recul. Le tir étant parti, elle se releva d'un bond, et regarda le résultat. Elle avait légerement mal visé, et avait blessé sa cible à l'épaule au lieu de la jambe, le désarçonnant. Elle eut un peu peur. Elle voulait que la blessure soit suffisamment légere pour qu'elle puisse le tuer lentement.
L'homme était à terre, et semblait s'agiter de légers spasmes. Quelques secondes plus tard, il ne bougeait presque plus. Il n'était pas très résistant, cet humain. Sa monture avait fait une embardée au moment de l'impact, mais à présent elle regardait la scène de loin, sans être affolée outre mesure.
Angoissée à l'idée que sa proie puisse être morte trop vite, la drow parcourut rapidement les quelques dizaines de mètres qui la séparaient du corps paralysé. Au fur et à mesure qu'elle approchait, elle put observer plus en détail sa victime. Un homme, qui avait l'air plus vieux qu'elle -bien qu'évidemment elle devait avoir au moins trois fois son âge- au visage crispé dans une expression de colère. Lorsqu'elle ne fut plus qu'à quelques mètres, elle le vit tourner légerement la tête vers elle, et elle vit le mouvement de ses pupilles et sa respiration, signe qu'il n'était qu'à peine paralysé. Un léger sourire tordit les lèvres de l'adolescente.
Alors alors, qu'est ce qu'on a là ... ?
Elle savait à présent qu'elle disposait au moins d'une petite heure pour s'amuser avec lui, avant de pouvoir le tuer avec délectation. Elle était ravie.
Shayasia s'assit à califourchon sur le torse de l'homme. Il essayait de bouger, mais tous ses gestes étaient ralentis, ses muscles paralysés par le poison. Elle ne pouvait pas sentir le contact du torse de l'humain contre ses fines jambes, elle ne sentait pas le vent aride agiter ses mèches libres de cheveux, mais elle sentait monter en elle l'émotion, la douleur qui imprégnerait bientôt ce corps à sa merci, la mort qui allait s'en dégager.
D'humeur extatique, elle retira sa capuche, ouvrit son manteau, découvrant une rangée de dagues aux formes exotiques. Elle regarda l'homme droit dans les yeux, guettant son expression, alors qu'elle sortait une à une les lames de son manteau, pour les poser lentement sur le torse devant elle. Souriant sans pouvoir s'en empêcher, elle ouvrit la conversation avec sa victime.
- Nerveux ? Lui demanda-t-elle d'une voix détachée, avec ironie.

Shayasia regardait sa victime en souriant. Le poison remplissait parfaitement son rôle, elle aurait tout son temps pour faire ce qu'elle voulait. Cependant, quelque chose n'allait pas. Le regard de sa victime n'était pas satisfaisant. En fait, plus le temps passait, et moins il semblait avoir peur. Elle s'aperçut qu'il ... regardait sa poitrine ?

Mais à quoi il pensait exactement, cet humain ? Il croyait qu'elle était sur lui avec tout son matériel de torture pour le séduire ? Cela rappela à Shayasia la douloureuse réalité : cet homme pouvait ressentir du plaisir. Elle, non. C'était injuste, elle devait le tuer. Et commencer par lui arracher ses yeux lubriques, qu'il arrête un peu de fantasmer sur elle.

La drow prit une minuscule dague, recourbée, et se pencha sur le visage du pervers. Alors qu'elle caressait lentement le contour de l'oeil du bout de la dague, l'humain semblait garder contenance. Il émit même un genre de rire.

- Tu chasses plutôt bien, j'le vois bien. T'es douée, ouaip, pour une p'tite jeune à grosse poitrine. Mais bon, t'es encore loin de certains. Ouaip, je les ai tous fréquentés, les meilleurs. Oeil-de-Faucon, Trynd Lancehélion, même Sylvemer la Reine Par Delà les Océans ! Et moi aussi, faut le dire. Je suis un peu un des meilleurs.

Cette fois Shayasia retira la dague. De toute façon, l'humain serait encore paralysé un bon bout de temps. Elle pourrait commencer plus tard. Elle se dit qu'après tout, peut être qu'en savoir un peu plus sur sa victime rendrait encore plus jouissives les festivités.
En fait, Shayasia était réellement intriguée par la phrase de l'homme. Elle ne faisait que vagabonder et tuer des gens au hasard, sans réelle raison. Qui étaient ces gens qu'il comparait à elle ? Avant de le tuer, elle avait le temps de l'interroger. Elle fit en sorte que son visage reste impénetrable, elle ne voulait pas montrer à quel point elle était jeune et inexpérimentée.

Elle garda son couteau dans la main, mais se redressa un peu.

- Un des meilleurs ? C'est à dire ?

- Qui ne connait le Corbeau ? Même en vos terres, mon nom a dû résonner quelque fois, ouaip. J'ai beaucoup chassé, comme toi tu le fais, petite ado à formes plantureuses. Avec un masque, un peu comme ton visage. J'montrais rien, j'tuais, c'tout. A Sybrondil et Missède, ma tête est quémandée, car nombre de méfaits j'ai accompli.

Shayasia ne savait pas que croire ni que penser. Mais une chose était sure, elle avait le contrôle de la situation. Après tout, si elle ressentait de la curiosité, autant l'assouvir, non ? Si elle écoutait ce qu'il avait à dire, elle pourrait le tuer plus tard.

- Gamine, tu veux que je te raconte une histoire ? Tirée d'un lourd tome, relié de cuir et de bronze ? Une histoire ... Verte et noire, héhé ...

La "gamine" était réellement curieuse à présent. Cet homme, à terre, à sa merci, qui semblait encore si sur de lui, comme si il s'était déjà tiré de milliers de situations similaires. Au final, peut être qu'elle était un peu semblable à cet humain. Un brigand, un tueur, un meurtrier, qui excellait dans son art. Cette idée lui plaisait.

- Une histoire, ha oui ?

Elle joua un peu avec sa dague, elle ne voulait pas qu'il voie qu'elle commençait à changer d'avis. Elle se forçait à sourire, mais elle se sentait terriblement inexpérimentée face à ce véteran. Elle devait faire semblant elle aussi, qu'elle était quelqu'un. Pour qu'il garde une certaine peur d'elle. Mais elle voulait vraiment en savoir plus.

- J'en connais beaucoup des histoires, humain. Raconte la tienne, pendant que tu as ta gorge ?

Elle essaya de garder l'air blasé qu'elle avait toujours. Cependant, à contre-coeur, elle se força à ranger la lame sous son manteau. Peut être ne tuerait-elle pas aujourd'hui finalement.