Trouver refuge auprès de la Comtesse [PV Elanore]

Des heures s'étaient écoulées, pénibles heures d'effort qui pesèrent sur son pied en piteuse état, après qu'il ait faussé compagnie à ses tortionnaires sans laisser l'ombre d'une trace, avant qu'il ne fasse une pause, jugeant avoir mis suffisamment de distance entre lui et ses ennemis. Il dormit peu, inquiet et se forçant à réfléchir à la suite avec les informations qu'il possédait, les quelques brides.

Retourner à Escault dans son état comportait des risques, ils pouvaient l'attendre et même si ils passaient à l'attaque, ce dont il doutait puisqu'ils cherchaient à recueillir des informations, il ne pourrait rien faire pour améliorer la situation, incapable de se battre, la fatigue et la faim entamant ses forces, si bien qu'il douta de pouvoir user encore de magie, pour l'instant en tout cas. Il décida qu'Odelian, le Comté, tant qu'il n'était pas remit, n'était pas un bon endroit pour se cacher, même si il ignorait si on le traquait ou bien même la nature de l'ennemi qui s'en était prit à lui, dans tout les cas, il fallait se rendre là où on ne l'attendrait pas sans trop s'éloigner, c'est ainsi qu'il décida de se rendre en Etherna, espérant y trouver un abri provisoire, malgré son absence du moindre sous.

Au première lueur du jour, il se mit en route, non sans peine, se forçant à aller contre la douleur, contre toutes ces indications du corps appelant à l'arrêt, au repos, se faisant prudent sur les grandes routes, s'en jamais y rester, pas même à proximité. Il approcha de villages à la faveur de la nuit, volant ça et là de la nourriture, s'abreuvant, veillant à ne rencontrer personne, ignorant l'accueil qu'on fera va-nu-pied, et refusant de tester l'hospitalité des villageois.

Il irait en Etherna et trouverait bien là-bas un refuge, un Temple de Néera peut-être, pour pleinement se remettre et reviendrait, c'était son idée fixe.

La route lui prit plusieurs jours, son pied le contraignant à des arrêts réguliers, à maintenir une allure modérée et tandis qu'il approchait du bout de son chemin, il entendit et vit un cavalier approcher, d'abord lointain, la fatigue et la plaine ne lui offrant pas le moindre moyen de fuite, il demeura sur ses gardes, ralentissant encore davantage la marche. Quand la cavalière, puisqu'en définitive c'était une femme, fut assez proche, il put reconnaître sans difficulté la jeune Comtesse d'Odelian, Elanore de Caerlyn, en tenue de chasse. Soulagé, il ne dit pas mot et s'écroula lamentablement, à bout de force... Estimant la Comtesse comme une sécurité plus que suffisante pour sa vie, il laissa la fatigue accumulée le submerger et s'effondra, simplement.

Rien ne valait une petite partie de chasse pour se changer les idées. J'adorais cela et je n'avais eu guère le temps de m'adonner à ce loisir depuis que je m'étais mariée. Avec les troubles au Nord, cela devenait encore plus difficile. Mais j'étais sous la protection de mon père et je ne risquais rien ici, surtout avec une solide escorte pour m'accompagner. J'avais donc pu endosser mon habit de chasse, monté ma jument, cadeau de mon époux et pus ainsi profiter du petit gibier. Mon faucon avait besoin de se dégourdir les ailes et de retrouver ses instincts chasseurs et les chiens s'ébattaient joyeusement, avant de se figer pour ensuite filer récupérer la proie. Je revivais lors de la chasse.

C'est donc les joues rosies par l'air frais de l'automne que je rentrai à Etherna. Il me prit l'envie un peu folle de chevaucher seule et donc, de devancer mon escorte qui ne s'attendit pas à pareille hardiesse de ma part. J'étais une excellente cavalière et ma jument était taillée pour la vitesse. C'était un réel bonheur que de se sentir ainsi libre. Et j'avais besoin de ressentir cela. Gaucelm n'était pas un mari étouffant (du moins pas au sens figuré du terme), et nous nous entendions plutôt bien, mais j'avais encore des difficultés à supporter ses assauts le soir venu, dans l'espoir de concevoir un héritier. Pourtant, j'avais un jour de retard aujourd'hui... Et je n'osais trop espérer. Ou craindre.

Dans mes pensées, je m'aperçus qu'un peu tard une silhouette devant moi et je tirai sur les rênes, m'apercevant en même temps que cet homme s'écroulait sous mes yeux, visiblement harassé de fatigue. Sans me poser de question, sans perdre une seconde, je démontai, me précipitant sur lui, bien consciente que cela pourrait être un piège, mais rejetant aussi vite cette mise en garde. Je tentai alors de retourner l'homme sur le dos, pour pouvoir le voir et j'y parvins, non sans effort. Je faillis reculer de stupeur quand je reconnus l'homme.

- "Oh par tous les dieux..."

Je m'agenouillai et repoussai les mèches blondes de son visage trop pâle. Je ne l'avais rencontré qu'une seule fois, dans le secret de la nuit, au fin fond d'une cuisine. Mais je ne l'avais pas oublié.

- "Pierrick... Que vous est-il arrivé?"

Je n'attendais pas de réponse de sa part. Il semblerait que de m'apercevoir ai eu raison de ses dernières forces. Je passai une main douce sur son visage, en espérant qu'il reviendrait à lui, mais ce fut peine perdue. Il était dans un piteux état... Son visage avait été roué de coup, sa lèvre abimée par une pince. Ses vêtements... ne devaient même pas être les siens. Il ne ressemblait plus au jeune homme racé que j'avais découvert aux cuisines. Avait-il été battu? Torturé? Une attaque? Je n'en avais pas la moindre idée, mais je fus soulagée d'entendre mon escorte arriver.

- "Ma Dame, que faites-vous donc! Vous ne devriez pas vous éloigner ainsi, c'est dangere..."

Le capitaine ne termina pas sa phrase, s'approchant vivement pour me forcer à me lever et reculer.

- "Arrêtez Capitaine, je connais cet homme! Il sert la Maison d'Escault. Nous devons le ramener et lui prodiguer des soins. Maintenant."

Je regardai autour de moi, et avisai un jeune homme.

- "Toi, va quérir le guérisseur."

Et à un autre :

- "Et toi, précède nous et fais préparer une chambre. Allez!"

Je remontai sur ma jument, alors que le capitaine ronchonnait mais exécutait mes ordres en hissant le serviteur inconscient sur sa propre monture. Il me devait obéissance. Et mon père ne dirait sans doute rien si cela lui permettait d'entretenir de bonnes relations avec la Dame d'Escault. Je talonnai alors ma jument et nous rentrâmes au palais à un rythme soutenu. Je fus heureuse en arrivant dans la Cour de voir deux pages nous accueillir et prendre le blessé. Mon père aussi était là. Mécontent.

- "Elanore, qu'est-ce que cela signifie?"

- "J'ai trouvé cet homme inconscient sur le chemin du retour Père. Je le connais, c'est un serviteur de la Dame d'Escault et il me semble qu'elle y est attachée. Vous devriez lui écrire une missive pour la prévenir que son serviteur, Pierrick, a été retrouvé à Etherna, roué de coups et inconscient et que nous lui prodiguons les soins nécessaires à son prompt rétablissement."

Mon père me regarda un instant, ouvrant la bouche pour répondre, avant de se raviser et de hocher simplement la tête. Il tourna les talons et moi, j'en profitai pour me diriger vers la chambre où Pierrick avait été emmené. Je pénétrai à l'intérieur et me figeai en découvrant le guérisseur avec son apprentie, déshabillant le jeune homme. La vue de ses plaies me serra le cœur. C'était de la torture.

- "Ma Dame! Vous ne devriez pas être là. Sortez, je vous appellerai quand ce sera terminé."

Je n'eus pas le cœur de protester et je battis lâchement en retraite, attendant que les spécialistes aient fait leur œuvre. Cela me sembla infiniment long, mais la porte finit par se rouvrir sur le vieil homme.

- "Cet homme a été torturé. Je me demande comment il a pu marcher. Ou tenir si longtemps. Tout porte à croire que ses blessures datent s'il y a quelques jours déjà."

- "Est-ce qu'il va s'en remettre?"

- "Oui, les blessures ne sont pas mortelles et nous pouvons écarter une infection au niveau de son pied, fort heureusement. Il lui faudra du repos et reprendre des forces, mais, sauf complications, il est sorti d'affaire."

- "Merci."

Il n'y avait rien d'autre à dire. J'entrai dans la chambre et observai le visage tuméfié de Pierrick. On voyait déjà que les guérisseurs avaient fait leur œuvre, les blessures étaient moins importantes. Je décidai alors de prendre soin de lui, avec la servante que je lui assignai. Je ne savais pas combien de temps durerait son inconscience, mais je n'avais rien de mieux à faire.

Commença alors la longue veille, aidée de ma servante. Quand j'étais là, je chantonnais quelques chansons connues de nos contrées, de ma voix cristalline et réputée dans tout Etherna. Comme si ce chant pouvait accélérer la guérison...

Inconscient, les repères se perdent, si bien qu'il parut s'écouler une éternité dans cette obscurité à peine troubler par quelques songes bercés par une mélodie qui semble si proche et pourtant lointaine. Pas un seul souvenir ne lui restera, de ces rêves, de cet air qui l'entraine et le retient, une ancre, la lumière d'un phare lui indiquant la terre alors qu'il est bousculé par les vagues. Son esprit aimerait vagabonder, malgré sa fatigue, mais il reste finalement là, se reposant...

Deux jours s'écoulent ailleurs, mais lui ne saurait le dire, il se sent mieux, regagne des forces quoiqu'encore si loin de sa meilleure forme, mais c'est bon signe. Quelques images lui reviennent, le visage de ce barbare, étranger de la Péninsule, ça ne fait aucun doute, un Vaanien peut-être, il ne pourrait le dire, et les questions voulurent se bousculer mais il les repoussa, il devait se concentrer sur sa guérison. Vient ensuite les dernières choses, la cavalière, la comtesse d'Odelian et avec elle l'assurance que tout ira mieux car après tout, ça n'est pas elle qui voulait sa mort et avec elle vient toute la protection qu'elle peut lui offrir. Ailleurs, son visage aurait été marqué d'un sourire serein.

C'est le soir quand il quitte ses pensées pour cet ailleurs, ses yeux s'ouvrent doucement, comme inquiet d'y trouver une forte lumière, mais il n'y a rien que les lueurs des bougies inoffensives. Il cherche à retrouver ses repères, le moindre de ses sens aux aguets pour lui offrir un tableau général de la situation.
Il est sur un lit confortable, dans une salle close autrement plus riche qu'une auberge, de très loin en comparaison des endroits où il dormit ces derniers jours et couvert. Une personne se tient à son chevet, il ne la voit pas mais la sent, il est en sécurité et si les douleurs sont encore là, elles sont amoindries déjà, sa fatigue en bonne partie évanouie.

Il se redresse, prenant appuie de ses bras d'abord, son regard se portant sur la personne qui veille sur lui, découvrant avec surprise la Comtesse, dans une autre tenue, des jours sont passés, il le sait, mais combien ? Et que s'est-il passé à Escault ? Il ne dit rien et elle sourit, se levant pour parler à quelqu'un qu'il ne voit pas, demandant quelque chose mais il ne comprend pas mais ça n'a aucune espèce d'importance. Elle revient, s'assied et dit une chose, comme quoi, il revient de loin... C'est sans doute vrai, et il crut longtemps ne pas en revenir d'ailleurs.

Il se rend compte qu'il est torse nu devant sa Comtesse, devant cette jeune fille, mais estime que ça n'a aucune espèce d'importance ça aussi, après tout, depuis le temps qu'il était allongé, ça ne devait pas être la première fois. Il remue les lèvres et en sort les sons.

« Merci Comtesse... Je... J'ai bien cru que j'allais mourir. »

Il passa ses mains sur sa figure, soupirant avant de prendre une profonde inspiration, puis, réfléchissant, il voulut pallier à l'un des premiers manques, celui de repères.

« Combien de temps ai-je dormi ? »

Une journée, puis deux. Monotones, intolérables dans l'attente. Le messager était parti pour prévenir Faustine d'Escault, lui assurant que son serviteur se rétablissait, mais qu'il lui faudrait quelques jours de repos avant qu'il ne reprenne la route. Nous attendions la réponse de la châtelaine à ce sujet. Renvoyer Pierrick avec des hommes d'arme semblait quelque peu exagéré. Après tout, il n'était qu'un serviteur. La réponse de la Dame nous dirait quelle valeur il avait pour elle. Je devinais qu'il lui était précieux et surtout fidèle. Mais c'était tout. Il était resté mystérieux, bien que répondant à mes questions.

Ma servante s'était occupée de le laver, cette tâche n'incombant pas à ma personne, mais je n'avais pu m'empêcher d'éprouver une pointe de jalousie en l'imaginant en train de passer le linge sur les muscles fins et fermes du jeune homme. Il était bel homme, je l'avais remarqué et même ainsi marqué, cela ne m'échappait pas. Mais je devais écarter de mon esprit toute pensée de ce genre. J'étais mariée à un homme riche et influent, je ne voulais pas tout perdre en me laissant aller à des rêveries qui ne me conduiraient nulle part, sinon à ma perte.

Je n'avais que trop rêvé étant enfant et le retour à la réalité avait été brutal. J'en avais fait mon deuil et j'avais décidé de m'arranger de ma situation au lieu de soupirer après ce qui aurait pu être.

Il y avait autre chose qui m'occupait également l'esprit. Un retard. Retard de trois jours maintenant. Étais-je enceinte? Je me sentais bien. Peut-être n'était-ce qu'une fausse alerte, cela m'était déjà arrivé par le passé. Pourtant, cela faisait presqu'un an que nous étions mariés et mon mari n'avait pas ménagé sa peine... Chaque fois, il avait été déçu de savoir que je saignais. Il était un homme d'âge mur, il était temps qu'il ai des enfants et je n'étais là que pour cela, je le savais pertinemment. Mais je n'éprouvais nul désir de maternité.

Pierrick sembla alors se réveiller, m'arrachant à mes préoccupations et je souris, me levant pour aller demander un repas pour le jeune homme, avant de retourner à ses côtés et de lui murmurer qu'il revenait de loin. Je n'osais imaginer les douleurs qu'il avait ressenti. Et pour quelles raisons?

- "Cela aurait pu si vous étiez resté seul quelques heures de plus."

J'évitais de regarder son torse dénudé. Je l'avais déjà vu alors qu'il dormait, ce n'était rien. Il était convalescent... Mais cela n'avait rien à voir avec le physique de mon époux et je me surpris à avoir envie de toucher ce ventre plat et ferme, ces pectoraux de jeune homme. Je relevai le regard vers lui, plongeant dans ses yeux bleus alors qu'il demandait combien de temps il avait dormi.

- "Deux jours entiers. Vous en aviez besoin, le guérisseur l'avait prédit. Quoique non, pour être exacte, il avait parlé de trois ou quatre jours. Vous êtes un robuste... Il a été ébahi que vous ayez encore été conscient malgré vos blessures."

Une question muette se lisait dans mon regard, mais je ne la formulai pas tout de suite, reprenant pour l'informer :

- "Un message a été envoyé à votre maîtresse. J'espère que vous n'étiez pas en fuite, sinon, nous avons commis une erreur en la prévenant."

Sa vie avait dépendu de quelques heures, selon les propos de la Comtesse, juste quelques heures l'avaient séparé de la mort et il n'en avait qu'à peine conscience, fixé qu'il était sur ses objectifs, si peu soucieux de son état des plus déplorables. Mais tout cela était derrière lui, et ce n'est pas tout de suite qu'il perdrait la vie, et ce grâce à cette jeune fille. Il la remerciait donc, mille fois même d'avoir été là, bien que ce fut un heureux hasard, très heureux même, et demanda combien de jours s'étaient écoulés depuis qu'il avait sombré dans l'inconscience.

Il sourit, amusé au compliment qu'elle lui fit... Il était robuste. Il était du Nord, d'Odelian et cela avait sans doute joué. Un suderon n'en serait pas aussi bien sorti, c'est du moins ce qu'il se dit, avec une fierté et un attachement à son pays. Il ne répondit rien, et si il comprit qu'elle s'interrogeait sur autre chose, il ne sut pas trouver ce dont il s'agissait et elle reprit, l'informant qu'un messager avait été envoyé, avertissant Faustine de sa présence, et sans doute de son état. Il acquiesça avant de répondre.

« Vous n'avez commis aucune erreur... J'ai bien fuis quelque chose, mais pas ma maîtresse. Merci de l'avoir averti.»

Faustine ne l'aurait jamais fait, de toute manière, leur lien était trop grand mais cela, Elanore ne pouvait le savoir. Il réfléchit quelques instants, essayant de trouver ce qui taraudait l'esprit de la jeune comtesse, la question qu'elle se posait. Se pouvait être sur ce qui l'avait mit dans cet état, mais tant qu'elle ne poserait pas la question, il ne pouvait en être certain.

« Il faudra que je remercie également votre guérisseur, même si je suis « robuste », jamais je ne m'en serais remis sans lui. Malgré tout, je ne pensais pas que notre seule rencontre dans les cuisines d'Assar m'offre tant de soin et même de voir la comtesse elle-même veiller. C'est... plus que je ne le mérite, je crois, encore merci pour votre immense bonté, Comtesse. »

Mais il n'y avait aucun reproche, au contraire, là-dessous, rien qu'une immense gratitude dans la voix, car sans tout ces soins non mérité, il ne vivrait sans doute plus. Mais il lui fallait être tout de même plus... sincère avec la jeune fille. Elle lui avait sauvé la vie et, si elle s'interrogeait, il lui devait bien des réponses, et la vérité.

« Mais j'ai cru lire sur votre visage que vous vous posiez des questions... Vous pouvez les poser, si vous voulez.»

- "De rien, c'était la moindre des choses."

Je fus soulagée d'apprendre que ce n'était pas elle qu'il fuyait et pas elle qui l'avait mis dans cet état. J'aurais été fort marrie de lui rendre son serviteur si elle s'était ainsi acharnée dessus. Je ne savais pas grand chose de la Dame d'Escault, mais il ne me semblait pas que la cruauté fasse parti de ses attributs ou défauts. C'était une femme autoritaire, qui savait ce qu'elle voulait, enrobant le tout dans un écrin de douceur et de séduction. Mais de là à être cruelle... Non, je ne l'imaginais pas. Et je ne lui aurais sans doute pas rendu Pierrick si tel avait été le cas. J'étais sa comtesse, elle me devait respect et obéissance. Elle n'aurait pas pu s'élever contre moi si j'avais décidé de garder le jeune homme à mon service. Évidemment, Gaucelm, lui, n'aurait pas apprécié.

Un sourire dansa sur mes lèvres quand il me remercia pour mes bons soins. Plus qu'il ne méritait... C'était sans doute vrai. Il n'était pas seigneur, même pas noble et je n'aurais pas du prendre tant à cœur son sort. Mais c'était ainsi et je n'y pouvais rien. Je me souvenais de lui, il m'avait marqué et j'étais un cœur tendre, enclin à aider les autres quand j'en avais les moyens.

- "Je n'avais rien de plus important à faire. Jouer les gardes malades ne me dérange pas. Disons que cela est en remerciement de notre petite conversation nocturne. Vous avez dit des choses qui sont restées gravées dans ma mémoire."

Il m'avait conseillé, de façon discrète. Il m'avait encouragé et complimenté, avec simplicité, mais aussi un sérieux qui me faisait penser que ses paroles n'étaient pas jetées au vent et simplement destinées à me flatter. Il remarqua alors que j'étais interrogative dans mon regard et je souris, un brin embarrassé, avant de finalement demander :

- "Cela ne me regarde sans doute pas mais... Vous avez été torturé. Pourquoi? Que vous voulait-on?"

Je me mordillai la lèvre, reprenant dans un murmure :

- "Vos blessures... Comment avez-vous supporté cela? Je n'ose même pas imaginer la souffrance que cela a du susciter."

Je faisais part de mon horreur, certes, mais aussi de mon admiration pour celui qui avait vaillamment supporté tout cela et qui tenait encore debout 4 ou 5 jours après, sans soins adéquats. J'étais femme, j'étais jeune, je n'étais pas entrainée à supporter la douleur. Je savais que certaines personnes la ressentaient moins, repoussant chaque fois leur limite pour ne plus la craindre, pour ne pas céder devant elle. Pierrick faisait-il parti de ces personnes? On ne s'improvisait pas héros. On ne se découvrait pas une volonté de fer si facilement... Mais s'il était libre, cela signifiait-il qu'il avait parlé? Qu'il avait livré ses secrets à ses ravisseurs? mais quels secrets?

L'ont aurait pu conclure que les fringales nocturnes peuvent sauver des vies, ou bien est-ce l'audace de quelques conseils ? Un heureux enchainement de circonstances, quoiqu'il aurait préféré la revoir d'une autre façon, sans avoir eu à être torturé de la sorte, mais l'essentiel est qu'il était sauf grâce à elle. L'homme lige pensa que c'était une bonne façon de se rapprocher de la comtesse, dans son intérêt, celui de sa maîtresse, mais devant elle, il n'était pas que cela, du moins aimait-il à le penser, sinon, elle n'aurait pas tant fait.

Elle se rappelait leur première rencontre et surtout ses propos, son encouragement simple et sincère d'une comtesse qu'il espérait voir devenir une grande dame un jour, forte et influente en Péninsule. Elle s'interrogeait en silence et, si il n'avait d'abord pas prit la décision d'anticiper les questions, il appela tout de même à ce que ces questionnements se fassent entendre, ainsi pourrait-il y répondre, du moins, pas dans le moindre détail, mais si elle n'y voyait plus tant de mystères que les possibles secrets qu'on avait voulu lui arracher par la douleur, c'était déjà ça... Et il pourrait rester derrière son déguisement de simple serviteur... De simple serviteur robuste qui a subit une séance de torture et a réussi à en réchapper sans avoir dit le moindre mot, que ce qui visait à agacer les tortionnaires.

« On voulait de moi des informations sur ma maîtresse, Dame Faustine. J'ignore la nature des questions qu'ils se posaient, ils n'ont jamais pu aller plus loin que de savoir si j'étais bien l'un de ses serviteurs ou non. »

Devait-il donner des détails comme la mention d'un seigneur ? Non, ça n'était pas à elle qu'il était assermenté, du moins, pas pour ce genre de choses, il lui offrirait donc le plus tout en gardant pour lui quelques informations pour plus tard, mais il le notait tout de même.
Puis il entreprit de répondre à l'autre question, celle sur le comment il avait fait pour tenir, pour le supporter, et là encore, il offrirait une réponse qu'il pensait suffisante pour contenter la Comtesse, elle le croirait, et, il l'espérait, ne se poserait pas davantage de questions, ne chercherait pas plus de réponses qu'il ne lui en donnerait.

« Pour les blessures... C'est un éprouvant exercice de volonté. Cela peut sembler tout bête comme ça, mais c'est loin d'être le cas, il ne faut plus craindre la mort. Pendant la torture, je me suis agrippé à ma loyauté et ma fidélité envers Dame Faustine, en la certitude que parler ne me laissera pas sauf, alors je me suis tus, sans chercher à savoir ce qu'ils voulaient. J'ai souhaité mourir, je ne vous le cache pas, car c'était une façon de ne rien dire, d'esquiver les questions. »

Il marqua une courte pause pour terminer son explication.

« Sur la route, je voulais vivre et réussir à m'en sortir pour prévenir ma maîtresse, je savais mes jours compter, dans mon état, mais je ne pouvais m'y résoudre, alors j'ai avancé, encore et toujours, toujours cette idée fixe à l'esprit. Et j'ai eu la chance insolente mais miraculeuse de tomber sur vous. »

Il réfléchit en vitesse avant de faire une demande singulière mais tout de même logique à la Comtesse.

« Pourrez-vous envoyer un autre message à Escault ? Dites à ma maîtresse de se rendre à Odelian sous bonne escorte, sous la protection de votre époux... Je m'inquiète et je voudrais la savoir en sécurité. »

Avec ce qu'il avait bravé pour elle, et son inquiétude maintenant, il devait paraître comme un serviteur des plus dévoués... Le rêve de bien des nobles sans doute, mais il appartenait à une petite châtelaine d'Odelian.
Il s'interrogea finalement sur lui-même.

« Comtesse, savez-vous combien de temps durera ma convalescence, tout du moins, la partie qui me cloue au lit ? Non pas que je veuille vous quitter si tôt, surtout que si ma maîtresse va en Odelian, je n'aurais plus à m'en faire, mais tenir le lit n'est pas mon activité favorite. »

Je le regardais avec des yeux ronds quand il m'avoua qu'on voulait des informations sur sa maîtresse, mais surtout qu'il n'avait pas répondu à la première question : s'il était effectivement de sa maison ou non. S'il avait déjà fait de la rétention d'information dés le départ, cela avait du passablement énerver ses tortionnaires... Je lui fis part de mes interrogations sur sa résistance, lui exposant mon horreur devant les châtiments corporels dont il avait été victime. Je ne concevais pas que l'on puisse résister à cela. On devait avoir envie de tout dire pour que cela cesse, voire de mourir pour enfin être libéré. Ce qu'il me confirma avant de parler de son errance après tout cela, dans le seul but de la prévenir. Je n'en croyais pas mes oreilles... Une telle loyauté était irréelle. Était-ce seulement cela? Ou bien y avait-il quelque chose de plus complexe entre la Dame et le serviteur? De l'amour? Elle ne serait pas la première à s'éprendre d'un serviteur et elle était veuve, libre de faire ce que bon lui semblait. Et Pierrick était loin d'être désagréable à regarder, sans compter qu'il avait une certaine éducation.

- "Votre maîtresse a bien de la chance de pouvoir compter sur un homme tel que vous."

J'étais presque envieuse. Qui supporterait ainsi la torture pour moi? Pour ma sécurité? Personne, je le craignais. Je n'avais personne qui me soit si fidèle ou qui m'apprécie ainsi. Même mon époux ne remuerait pas ciel et terre pour moi. Sauf s'il était certain que j'étais enceinte de son héritier. Une vague de mélancolie m'envahit à ces pensées, peu heureuses et je les repoussai quand il me demanda d'informer la dame d'Escault qu'elle devait venir à Odelian, sous bonne escorte.

- "Oui, je lui ferais parvenir ce message. A moins que vous ne souhaitiez lui écrire vous-même et le sceller? Je suppose que certaines informations ne me regardent pas, ni le messager."

Je ne doutais pas qu'un homme comme lui savait écrire. Une autre question vint, sur sa convalescence. Un petit sourire l'accueillit et je répondit doucement :

- "Vous vous remettez vite. Je pense que vous pourrez vous lever d'ici deux jours, le temps de récupérer des forces en vous alimentant, ce qui n'a pas été le cas depuis que vous êtes ici."

D'ailleurs, en parlant de ça... On frappa à la porte et une servante revint avec un plateau comportant du pain, des tranches de viande, des fruits et même du vin. Je laissais la servante poser le plateau près du jeune homme, avant de la regarder sortir.

- "Le traitement commence maintenant. Mangez. J'irais chercher le guérisseur ensuite qu'il puisse vous examiner et répondre à ce genre de questions de façon plus pertinente que moi."

Mais une autre question me vint en tête, en rapport avec son état et surtout au fait qu'il soit là devant moi et pas gisant dans un fossé quelque part.

- "Pourquoi n'êtes-vous pas mort? Quand bien même vous n'auriez pas parlé, ils auraient du vous tuer pour vous empêcher de prévenir votre maîtresse... Leur avez-vous échappé?"

Faustine a bien de la chance de pouvoir compter sur lui, comme il avait de la chance d'avoir une maîtresse et une sœur comme elle, c'était une relation a double sens, même si dans le fond, il était celui qui offrait le plus il n'avait pas à s'en plaindre, ce pouvait être bien pire. La comtesse sembla songeuse... Peut-être enviait-elle sa sœur ? Sans doute, à sa connaissance, elle n'avait pas d'homme lige comme lui dans son entourage, à son service et prêt à tout pour elle.
Alors qu'il demandait à ce qu'on envoie un nouveau message à Faustine, elle lui proposa de l'écrire lui-même, pour transmettre quelques informations tenues secrètes, éventuellement... Mais il n'était que serviteur, rien d'autre.

« Non, c'est inutile, ce que je sais, vous le savez déjà. »

Il ne fallait pas laisser le moindre soupçon, pas même l'idée qu'il puisse être autre chose qu'un serviteur... Et un serviteur n'aurait sans doute pas relever le moindre détail et mémoriser autant d'éléments sur ses tortionnaires que possible. La prévenir d'un danger était amplement suffisant.
Il s'interrogea sur sa convalescence et surtout le temps qu'il resterait au lit. Se remettre de ses blessures ne le dérangeaient pas autant que le fait de devoir rester coucher à longueur de temps, sans rien pouvoir faire et elle lui répondit deux jours... Deux jours encore soit autant qu'il avait dormi, sauf qu'il était inconscient, ça ne posait pas de problème, alors que là.

On frappa à la porte et une servante revint avec un plateau plein de bonnes choses à manger, mais il manquait une chose à son sens, mais il s'interrogea... Pouvait-il faire des demandes supplémentaires, alors qu'il n'était qu'un serviteur ? Il attendrait plutôt le guérisseur, mais il avait besoin d'une tisane, d'une petit quelque chose tonifiant et n'avait rien pour cela. On posa le plateau près de lui mais il n'y toucha pas encore, écoutant ce qu'elle avait encore à lui dire... Manger sous les yeux de la comtesse, sans qu'elle ne mange elle-même lui semblait totalement dépasser.

« Merci beaucoup. »

Elle lui posa une nouvelle question des plus sérieuses, une des pièces du puzzle qui lui manquait, comment s'en était-il sorti. Et pour cela, il ne pouvait qu'avouer à cet enfant qu'il n'était pas que le bon et beau garçon, mais aussi un meurtrier, pour se défendre en tout cas.

« Parce que je suis parvenu à m'échapper. Mes tortionnaires m'ont déplacé, ils voulaient sans doute continuer l'interrogatoire mais ailleurs, j'y ai vu une faille, une occasion de fausser compagnie et j'en ai profité. J'ai du tuer deux hommes pour ça avant de m'enfuir. »

Il tourna la tête vers le plateau repas, estimant que si elle l'avait fait apporté, elle ne s'offusquerait pas qu'il mange sous ses yeux, aussi attrapa t-il le pain, et en coupa le quignon qui vola par un geste malheureux, glissant sur la couverture, jusqu'à tomber au sol. Pierrick, par un réflexe pour le moins amoindri tenta de le rattraper en vol mais échoua lamentablement, se retrouvant à demi dans le vide, ne tombant pas complètement que par ses bras tendus appuyant sur le sol, il tenta bien de remonter par ses propres moyens, sans succès, et le voici dans une position pour le moins ridicule, sous les yeux de la comtesse, bien incapable de s'en dépêtrer si facilement...

- "Très bien."

J'écrirais donc une lettre pour la Dame d'Escault, en lui donnant un peu plus d'informations que la précédente, envoyée par mon père. Je pouvais la rassurer sur l'état de santé de son serviteur et lui expliquer qu'il craignait pour sa sécurité et qu'il préconisait qu'elle se rende à Odelian sous bonne escorte. L'écouterait-elle? Il n'était pas un simple valet, de cela j'étais certaine. Il parlait de la prévenir, voire même de lui dicter sa conduite et ne semblait pas craindre qu'elle ne se fâche ou qu'elle n'écoute pas. Ses conseils étaient-ils si avisés qu'elle les écoutait? Cet homme m'intriguait toujours et rien de ce qu'il pouvait dire ou faire ne pourraient m'ôter de la tête qu'il était davantage que ce qu'il prétendait être.

Je n'allais cependant pas le harceler de questions alors qu'il avait besoin de reprendre des forces. Elles ne manquaient pas pourtant. Le repas que j'avais fait demander nous fut enfin amené. Seulement pour lui. Je n'avais pas besoin de manger à cette heure-ci, c'était déjà fait. Et manger avec un serviteur aurait pu être étrange. Le garder aussi, mais c'était moi qui l'avait trouvé et je m'inquiétais pour sa santé, comme de celle de n'importe qui. J'avais toujours agi ainsi à Caerlyn, cela n'avait rien d'étonnant venant de ma part.

Malgré ma résolution de ne pas le harceler de questions, il en est une qui franchit mes lèvres concernant sa façon de se sortir de ce mauvais pas. Je doutai qu'on l'ai laissé partir tranquillement alors qu'il n'avait rien dit, afin qu'il prévienne sa maîtresse. Il avait du s'enfuir. Ce qu'il me confirma, non sans ajouter qu'il avait du tuer deux hommes pour cela. Je hochai doucement la tête : la fin justifiait les moyens.

- "Vous avez saisi l'occasion."

Je ne condamnai pas le meurtre. De toutes façons, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ce que je pensais? Il n'était pourtant pas obligé de spécifier qu'il avait tué. Il aurait pu passer cela sous silence pour ménager ma sensibilité féminine. Il se mit alors à manger, ou du moins, il essaya, mais un quignon de pas farceur vint s'en mêler et tomba à terre. Il fut plus rapide que moi et tenta de le récupérer, mésestimant ses forces et se retrouvant finalement en méchante posture. J'oscillai entre la gêne et l'amusement et j'éclatai finalement de rire.

- "Vous n'êtes pas raisonnable et vous voilà dans une position ridicule."

Ce rire cachait peut-être ma gêne finalement, car il me fallut bien me lever pour l'aider à se sortir de ce mauvais pas. Ce qui incluait de le toucher pour l'aider à se rasseoir dans le lit. A toucher sa peau laissée à nu. J'évitai de trop y penser et mes mains entrèrent en contact avec la peau de son torse, pour l'aider à se redresser, non sans effort. Je n'étais pas bien grosse et Pierrick était un jeune homme en pleine possession de ses moyens. Le feu me monta aux joues quand l'opération fut terminée et je glissais avec beaucoup moins d'assurance :

- "Je... je vais aller chercher le guérisseur. Restez tranquille en attendant."

La fuite pour cacher mon trouble en somme. Je quittai la pièce, allant quêter de l'aide. De l'aide pour mon esprit quelque peu troublé et pour oublier la sensation de sa peau sous mes doigts. Peut-être était-ce simplement un émoi de jeune fille peu habitué à toucher les hommes? Je n'avais connu que mon mari et il n'entrait pas tout à fait dans mes critères de beauté et mes attentes. Je trouvai enfin le vieux guérisseur et lui expliquai que le convalescent était réveillé et en train de manger pour le moment. J'avais retrouvé mon calme. Je le suivis donc alors qu'il allait voir Pierrick et restai prudemment en retrait.

- "Bien le bonjour! Vous êtes réveillé plus tôt que je le pensais! Comment vous sentez-vous?"

Ridicule, c'était le mot employé par la Comtesse pour le désigner tandis qu'il s'était lancé dans une tentative manquée de récupérer un quignon de pain rebelle qui avait voulu lui fausser compagnie, et elle avait raison, lui-même le pensait, comme il maudissait sa fatigue qui l'empêchait de s'en dépêtrer avec l'aisance qu'il aurait pu avoir en d'autres circonstances. Il s'abstint du moindre commentaire, du moindre mot, après tout, elle était dans son droit, plus encore à ce moment là alors qu'elle éclatait de rire, c'était au moins ça de gagner, dirons-nous.
Mais ce rire cachait une gêne toute naturelle qu'il perçut quand elle vint à son aide... A part son mari qui, il faut bien l'admettre, n'avait pas un physique de rêve -ce qui ne retirait rien à sa qualité de Comte – elle n'avait jamais du voir d'homme bien bâti, agréable au regard, moins encore eu à en toucher, ce qu'il lui imposait... Il ne manquerait pas d'agir en conséquence par la suite, ne voulant pas mettre davantage mal à l'aise sa Comtesse.

Quand, avec son aide, il fut de nouveau totalement sur le lit, elle lui annonça qu'elle allait chercher le guérisseur, il n'y avait plus trace du rire mais bien plus de la gêne occasionnée, et il se contenta d'acquiescer, murmurant un merci tout aussi gêné et tandis qu'elle s'absenta, il se pencha sur son repas avec plus de prudence mais surtout plus d'entrain... La Comtesse absente, il n'avait plus à s'inquiéter de la manière dont il voyait le fait de se nourrir sous ses yeux tandis qu'elle même ne mangeait rien. Il apprécia les mets, notant qu'encore là-dessus, la Comtesse ne négligeait rien et il s'interrogea... Traitait-elle tous les serviteurs de la sorte ? Et si non, pourquoi tant pour lui ?

On revint, un vieil homme d'abord, la comtesse en retrait, et il n'eut aucun mal à déduire que c'était là le guérisseur à qui il devait la vie sauve et une bonne part des soins qui lui furent prodigués. Il lui demanda comment il se portait, et il ne prit pas la peine de réfléchir pour répondre avec le sourire et énergie.

« Bien mieux que je n'aurais pu l'espérer il y a deux jours, je vous dois comme à la Comtesse ma vie et vous remercie mille fois pour vos bons soins. »

Il écarta de son esprit ce qui touchait encore à la comtesse qui gagnait pour sa part du temps pour se remettre de ses émotions, évitant de poser le moindre regard sur elle, pour l'aider dans ce but et se concentra sur les interrogations au sujet de ses pieds, les plus sévèrement touché, et le délai que leur rétablissement, tout au moins ce qui suffirait à lui permettre de quitter ce lit, demanderait.

« Guérisseur, je suppose que la Comtesse vous a fait venir pour que je puisse vous faire part de mes interrogations, aussi, je me permets. Je sais que même robuste, ma guérison complète prendra un certain temps mais combien de temps croyez-vous qu'il me faudra rester dans ce lit avant de pouvoir au moins marcher sans trop en faire ? »

Je devais me reprendre. Je devais chasser mes pensées impures de mon esprit. Il n'y avait plus de place pour les rêves. Et convoiter un autre homme était dangereux quand on était mariée à un homme comme Gaucelm. Je savais son opinion à cet égard. Il ne me serait laissé aucun doute et il ne se montrerait pas aussi clément que l'époux de Lucrèce. Non, j'aurais le droit à une lapidation en bonne et due forme et Pierrick serait tué, d'horrible manière, sans aucun doute. Gaucelm tenait à ses biens, et j'étais à lui. Je ne devais être qu'à lui. Je devais me montrer plus prudente. Plus inaccessible aussi. J'avais passé beaucoup de temps au chevet de Pierrick, mais c'était normal non? C'était moi qui l'avait trouvé et moi qui l'avait sauvé, avec le Guérisseur, il était normal que je m'inquiète de la santé de mon protégé. Et tout le monde en Etherna, savait que j'avais bon cœur et que je prenais soin des malades ou des prisonniers, leur apportant un peu de réconfort. Que je fasse de même avec Pierrick n'avait rien d'étonnant, mais Gaucelm pourrait y voir une preuve de culpabilité de ma part. Et je devais absolument éviter cela.

Quand je revins avec le guérisseur, j'avais de nouveau repris le contrôle de moi même et de mon cœur traitre. En retrait, je baissais chastement le regard, laissant les deux hommes deviser. Je ne m'étais montrée que trop hardie. Mais le souvenir du contact de la peau chaude de Pierrick, de la sensation de ses muscles élastiques sous ma paume, me brûlait les doigts. Néera, ai pitié de moi et guide-moi...

Le guérisseur s'enquit alors de l'état de santé de son protégé qui répondit spontanément. Je souris intérieurement, mais n'en montrai rien.

- "En effet, vous avez eu de la chance que la Comtesse vous trouve. Quelques heures de plus et vous n'auriez sans doute pas survécu... Surtout votre pied. Vous avez eu de la chance que l'infection ne se mue pas en gangrène... Quelle idée de marcher dans ces conditions et avec ces bandages de fortune!"

Je me mordis la lèvre. Il n'avait pas vraiment eu le choix et le guérisseur le savait aussi bien que moi, puisque c'était lui-même qui avait parlé de torture et de fuite ensuite. L'instinct de survie était si puissant...

- "Je mise sur une bonne semaine avant de pouvoir vous servir de votre pied blessé jeune homme. Comme je vous l'ai dis, vous avez de la chance de l'avoir encore. Il faut le laisser guérir et cicatriser. Je suis guérisseur, mais je ne fais pas de miracle. Votre corps doit continuer le processus de guérison que j'ai initié. En attendant, il vous faut reprendre des forces pour aider votre corps. Vous pourriez vous lever dans deux ou trois jours, si vous vous servez d'une béquille pour ménager votre pied. Et dés que vous pourrez marcher sans vertiges, vous pourrez repartir."

Repartir où? Il m'avait demandé de prévenir la dame d'Escault de se rendre en Odélian... Je supposais qu'il s'y rendrait aussi. A moins qu'il ne décide d'en savoir plus sur ces hommes qui l'avaient attaqué...

- "Ma Dame, pourriez-vous nous laisser seuls quelques minutes, le temps que j'examine mon patient?"

- "Oui, bien sur."

Je m'éclipsais donc, laissant les deux hommes seuls.

Le guérisseur se rapprocha de Pierrick et examina son visage, puis son torse, ses mains, défit le bandage de ses pieds pour les vérifier, y appliqua un onguent, il apposa doucement les mains.

- "Vous avez été durement torturé jeune homme."

– C'était ça ou renoncer et me laisser mourir dans un fourré, le choix a donc été vite fait.

Se battre jusqu'à ne plus pouvoir le faire... Il était du Nord et une blessure ne devait pas l'arrêter, quel qu'en fut la gravité, et puis... Il n'avait pas apprit à renoncer aux moindres obstacles, le prix importe peu, son devoir, son accomplissement en toute circonstance, seul compte dans son esprit, et si il avait du mourir, au moins aurait-il tout tenté en ce sens, sans renoncer.
Il écouta ensuite la réponse du guérisseur et apprit donc, gêner mais conscient qu'il ne devait pas être imprudent ni pressé, il était passé si près du trépas ou bien même de l'amputation qu'une semaine clouée au lit, ça n'était finalement pas si cher payé pour pouvoir continuer de vivre et servir ainsi qu'il l'avait toujours fait.

– Je comprends et saurais me montrer patient. Quant à faire des miracles, vous m'avez sauvé la vie et j'en sortirais entier, je crois qu'à mes yeux, cela répond à la définition de miracle, surtout que je ne partais pas gagnant pour une telle conclusion.

Il dit tout cela avec le sourire, et se tut jusqu'à ce que le guérisseur ne demande à la comtesse de se retirer quelques instants afin qu'il puisse l'examiner, sans doute pour épargner la vue de sa blessure à la jeune fille qui s'exécuta sans plus attendre et quand elle fut partie, il retira le bandage, examinant la blessure avant d'y étaler un onguent alors que Pierrick serrait les dents. Il fit un commentaire sur le traitement qu'il lui avait été infligé... Oui, c'est vrai, mais cela aurait pu être bien pire si ça avait duré, la mort alors plus que jamais aurait été préférable.

– En effet... Ce sont des risques dont on n’a pas forcément conscience, à tord, lorsqu'on partage l'entourage d'une noble figure.

Il dit cela avec un détachement, lui avait conscience et l'acceptait, bien qu'il n'y prenne pas de plaisir et pensait déjà sa revanche, un jour... Deux hommes déjà avaient succombé mais il voulait la tête et surtout les informations contenues dans celle du barbare étranger, le meneur de cette petite bande. Un physique aussi atypique laisserait des traces dans la mémoire des gens, si bien sûr il arrivait à deviner son trajet, tout du moins une escale.

Il revint à la discussion, se décidant à formuler une demande toute particulière, quoique sans extravagance, surtout qu'il soignerait le fait de dissimuler les détails qui en découlerait.

- Dites-moi, sera t-il possible, avec les repas, d'ajouter du thé ou bien une tisane revigorante ? C'est une habitude que j'ai prise il y a bien des années, et je n’aimerais pas y déroger, même convalescent. Si bien sûr ça n’est pas trop abusé de votre hospitalité de la part d’un serviteur.

Il le demandait à défaut de pouvoir se servir, mais il ignorait si c’était trop… Si un simple serviteur sous les bons soins d’un hôte aussi important pouvait se permettre pareille demande, mais c’était formulé, trop tard pour les retirer et il verrait bien ce que cela donnerait.

Je tressaillis quand Pierrick répondit à la remontrance du guérisseur que s'il n'avait pas marché ainsi, il serait sans doute mort dans un fourré. Oui, c'était probable, mais j'admirais cette force de caractère qui l'avait poussé à avancer malgré l'épuisement, la douleur, le doute... Il avait un but : survivre pour prévenir sa maîtresse. J'aurais aimé avoir un serviteur aussi dévoué, prêt à endurer la torture et à combattre la mort pour moi. Quelle femme ne rêverait pas de cela de la part d'un homme? J'écoutais la conversation dans mon coin. Pierrick serait alité encore une bonne semaine, il était passé prêt de conséquences bien plus graves qu'un simple alitement forcé de quelques jours. Il allait devoir prendre son mal en patience. Le guérisseur acquiesça à sa réponse. En effet, c'était déjà un miracle qu'il s'en sorte vivant. Il ne fallait pas être trop gourmand. Il me congédia alors, le temps d'examiner les blessures et j'obéis sagement, les laissant entre hommes et tentant de mettre un peu d'ordre dans mes pensées. Pierrick avait déclenché en moi un vif émoi et je savais que cela risquait de m'être préjudiciable. Je ne pouvais pas m'enticher d'un serviteur. D'aucun homme en fait. Gaucelm serait sans pitié et je ne voulais pas mourir et entrainer un autre dans la tombe. Peu importaient les preuves, Gaucelm avait ses propres idées et il n'en démordait pas. Je devais être prudente à l'avenir.

Je pus de nouveau rentrer quand le guérisseur me donna le feu vert et sourit quand il demanda du thé en supplément de la nourriture. Je me souvenais de notre première rencontre, alors qu'il m'avait parlé de ces fameux thés. Une plante pour chaque état d'esprit, pour des résultats différents. Il ne souhaitais pas dormir, mais se retaper. Le souvenir de notre entrevue dans la cuisine dansait dans mon esprit et je croisais son regard, me demandant si lui aussi y songeait en cet instant.

- "Naturellement. Je ne vois nul abus dans cette requête."

Le guérisseur nous regarda l'un et l'autre, avant de finalement prendre congé et d'annoncer qu'il repasserait le lendemain, si toutefois, nous n'avions pas besoin de ses services auparavant. Je le remerciai et me retrouvais de nouveau seule avec Pierrick. Un brun embarrassée.

- "Pensez-vous que la Dame d'Escault écoutera vos recommandations et ira droit chez mon époux?"

Je préférais parler d'un sujet plus neutre. Qu'une noble écoute son serviteur était assez étonnant, mais je ne savais pas ce qui les liait. Et s'il était une sorte de garde du corps, je supposais qu'elle devait lui faire confiance. Elle ne viendrait pas ici de toutes façons, n'est-ce pas? Pourquoi le ferait-elle pour un simple serviteur? Non, soit elle l'ignorerait et attendrait qu'il retourner à Escault, soit elle irait voir mon époux qui apprendrait que j'avais sauvé l'homme lige de sa vassale.

La comtesse revint et se fut elle qui répondit positivement à sa demande de voir ses repas accompagnés d’une tasse de thé revigorant, ce qui le satisfaisait pleinement. Bien qu’il faille se montrer discret, il pourrait ainsi s’adonner à quelques exercices de son talent caché, celui occuperait son esprit tant que son corps serait cloué sur ce lit, à passer le temps, et cela sans que la chose soit sut, la fatigue qui en découle s’effaçant derrière l’usage de la boisson.
Le médecin décida de prendre congé, et Pierrick l’en remercia et lui souhaita la bonne journée avant d’en revenir à la comtesse qui amorça la discussion sur un nouveau sujet, tout du moins, approfondissait l’un d’eux… Le fait qu’il transmette un mot, et une recommandation à sa maîtresse. L’écoutera-t-elle ? Bien sûr que oui, plus encore au vue des faits. Ce n’est pas comme si il lui demandait sans aucun motif valable et digne d’y porter le moindre intérêt. Il haussa des épaules et avec simplicité, il répondit.

« Je le pense oui, bien entendu. Ce n’est pas tant mes recommandations que les circonstances qui sauront la convaincre… On a capturé et torturé son serviteur, et ça ne le visait pas, donc c’est elle la cible de cette attaque, et le Manoir d’Escault n’est pas l’endroit le plus sûr. »

Surtout sans un mage d’ombre redoutable tant dans son utilisation des armes que de sa magie à des fins offensifs.

« Dans de pareilles circonstances, n’en tiendriez-vous pas compte, votre Grandeur ? Ou préféreriez vous ignorer parce que ce sont là les propos d’un serviteur, qui vous aurait par ailleurs démontré une fidélité sans faille depuis de nombreuses années ? Ma Maîtresse est une femme intelligente et elle sait que je ne me jouerais jamais d’elle, aussi m’écoutera-t-elle, parce que c’est là la décision la plus sage et la sûre, pour elle. »

Il disait cela sans la juger, après tout, elle était de celle qui écoutait même les serviteurs, si bien sûr les propos étaient pleins de bons conseils, d’une sagesse réelle et non feinte. Mais il écartait l’importance de son avis, le minimisait pour donner la part belle à la raison, que ce soit le jugement de sa maîtresse, non « l’autorité » d’un serviteur qui la fasse bouger.

« Merci pour le thé, vous me rendez encore une fois un grand service… Je n’oublierais pas la dette que j’ai à votre égard et saurait la rembourser quand je le pourrais et que vous en aurez le besoin, je vous le promets. »

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