Un choc en douceur (PV) (Terminer)

Après des heures alanguies dans une baignoire à somnoler, elle réussit enfin à délasser ses jambes de son long voyage. Fraiche et détendue, quoique toujours un peu bougonnante d’avoir atterrie loin de son but initial, elle décida d’explorer Diantra. Il lui fallait faire contre mauvaise fortune, bon cœur comme disait le proverbe.

Aussi ses pas légers et son esprit vagabond la dirigèrent rapidement vers les quartiers les plus animés et les places de marché. Remonter le courant, se perdre dans les flots, glisser portée par la marée humaine. Terrifiés et fascinés, les yeux de miel se perdaient dans chaque détail de la citée, les sourires, les visages heureux. Diantra se parait de milles couleurs, défilait dans ses plus somptueux atours. Tapis bien à l’abri sous les jupons de soie, mendiants, malandrins, petite vérole sur un corps sculptural et avenant, impossible de ne pas l’apercevoir malgré la débauche luxuriante et affriolante de la belle cité. Et même cette misère et pauvreté recelait une part de joie qu’elle n’avait encore jamais aperçu. Le tableau idyllique de la cité-reine des Hommes se partageait entre Lumière et Obscurité, comme seul un Artiste-maitre saurait le peindre.

Terrifiée car, à chaque instant, on pouvait découvrir qu’elle n’avait pas sa place dans cette œuvre. Incongrue, étrangère, Fjama avait l’impression de charrier les ténèbres, de souiller un cadre qui aurait dû être d’or fin. Passé le ravissement de l’exploration, la magie ressentie s’évaporerait. Mais pour l’instant, elle se laissait bercer par la quiétude. Relevant la tête, le visage nimbé du soleil encore doux de l’entre-saison, trop ravie de profiter encore de la clarté et la chaleur après avoir cru que le monde coulerait à jamais dans des nuits infinies, elle se heurta brusquement à un mur.

Sur les fesses, elle ne nota pas de suite que quelqu’un se trouvait en face d’elle. Elle peina à réintégrer la réalité, à devenir à nouveau actrice de sa propre existence. Puis, elle se rendit compte de sa position, à la limite du ridicule, et du fameux obstacle. Souriant à la limite du rire, elle se redressa d’une saccade légère du bassin, directement sur ses pieds. Avant qu’elle ne puisse prononcer une excuse pour l’avoir bousculé, car elle ne doutait pas qu’elle l’avait percuté, il l’entraina hors de la rivière vivante de passants. A l’abri près d’une échoppe de bibelots, elle le dévisagea un instant, incertaine du comportement à adopter. Armure de cuir, arme dans le dos, barbe de quelques jours, un mercenaire ? A l’air à peu près aussi perdu que le sien du jeune homme, elle ne put s’empêcher un bref éclat de rire enfantin.

- Je vais bien, rassurez-vous. C’est à moi de m’excuser, mon esprit vagabondait dans des confins oniriques et je ne regardais plus où je me dirigeais. Rien de cassé?

Complètement rhétorique, la question n’avait pas de réel but autre qu’enchainer la conversation. Tirée hors de ses rêveries brutalement, elle n’avait pas encore recomposé son masque d’apparat. Lissant sa jupe aux couleurs d’automne, elle ajusta sa tenue. Machinalement, la demie vérifia le foulard sur ses oreilles.

- A dire vrai, j’ignore totalement où je me trouve actuellement. Connaissez-vous la cité ? Je cherche le quartier des Passiflores.

- Ne vous inquiétez pas pour mes possessions. Je plains plutôt le malandrin qui se retrouvera avec ma bourse en récompense. Tout un art gâché pour rien ! Si ça, ça ne serait pas malheureux !

Elle esquissa un sourire ironique et amusé, hochant la tête aux informations données sur le quartier. D’un bref coup d’œil, elle embrassa d’ailleurs les marchandises-bibelots à leur coté. Rien de bien intéressant, éventuellement le bracelet serti d’une quelconque résine rouge. Pas de quoi attiser sa convoitise, ça tombait bien ! La nuit à l’auberge, le bain l’avait mis proche de la paille.

Lentement, ils se faufilèrent dans diverses ruelles quittant l’opulence de bon quartier pour des endroits plus adaptés à leurs moyens. Fjama suivait le jeune homme d’un bon pas, observant autour d’elle, notant les raccourcis et chemins que son guide lui fit découvrir. Evasive, elle répondit à ses questions.

- Mmh ? Oui, je viens de la côte. Rare sont ceux qui ont les moyens de venir profiter de la douceur de vivre de Diantra. Nombreux désirent le faire, gagner les murs rassurants d’une si belle cité, hélas le chemin n’est pas forcément une sinécure.

Pour ça, au moins, elle ne mentait pas. Quitter l’Ithri’Vaan pour des contrées éloignées des drows constituait l’un des rêves de la plupart de ses habitants humains. D’ailleurs, même demie, elle partageait cette sorte d’idéal. Rien ne pouvait être pire que Naelis ou Thaar. Vivre dans la peur des rafles, traiter comme du bétail, mieux valait se laisser tenter par les charmes de la Péninsule, quitte à mendier. En partie pour cette raison, elle se promenait à coté de cet homme inconnu. Cependant, certains réflexes lui resteront sans doute toujours : Elle gardait une part d’attention importante aux moindres gestes de Varek ; des fois qu’il ne désire la défaire de sa bourse ou qu’elle s’occupe des siennes. Méfiante ? Prévoyante ! Se fendant tout de même d’une petite révérence pirouette, elle s’arrêta un instant pour les présentations.

- Ravie de vous rencontrer Varek. Je m’appelle Fjama. Donc, vous avez grandi à Diantra ? Racontez-moi !

La ruelle, déserte ou peu s'en faut, disposait de quelques escaliers vers des petits boutiques. Ils ne tarderaient pas à rejoindre une place plus vaste à en croire le brouhaha. Les narines de Fjama captèrent rapidement des odeurs familières : Poussière d'une pierre qu'on taille, peintures. Pas de doute, les Passiflores et le Quartier Général du Clair-Obscur devaient être droit devant. Du moins, selon les explications que le reste de la troupe lui avait données, cela collait parfaitement. La compagnie agréable du présumé mercenaire la décida à prendre place sur les marches pour continuer les bavardages un moment, loin du tumultes. Peut-être qu'ensuite, il l'inviterait à prendre un verre dans une taverne de la place. Son estomac en émit un bref ronronnement aussi approbateur que suggestif.

- Exotique ? Pas réellement ! Fjama est un prénom né sur les routes. Aucune origine, aucune attache, il sied parfaitement à une danseuse. Partout, on pourra le trouver original ou synonyme de contrées lointaines et mystérieuses. Il contribue au rêver à inspirer au public lors qu'on est artiste.

Un long moment, elle fixa le mercenaire, réfléchissant à comment mettre un peu de piment à leur rencontre. Manger ? Ah oui !

- Va pour le repas. Je vous laisse me guider jusqu'à cette fameuse taverne !

Une idée derrière la tête ou, du moins, un vague plan d'entourloupes possibles, Fjama suivit Varek jusqu'à la large place principale des Passiflores. Là, moins de marchands ordinaires, mais de nombreux commerçants d'art négociaient âprement des œuvres de diverses qualités avec des nobles ou bourgeois en goguette. Quelques mètres plus loin, un peintre s'acharnait à ouvrir un bocal de peinture récalcitrant.

Prenant temporairement congé du jeune homme, Fjama s'approcha de l'artiste. A voix très basses, ils échangèrent quelques paroles jusqu'à un éclat de rire soudain du barbouilleur. Farfouillant dans ses affaires, il en tira un produit qu'il remit à Fjama. Impossible de déterminer la nature de l'objet pour une observateur, tant il avait rapidement changé de main. De quelques gestes prompts, la demie fourra l'objet dans sa petite sacoche, avant de continuer silencieusement le dialogue. Avec un large sourire, la jeune femme rejoint Varek et lui emboita le pas vers leur destination première.

Bientôt installés à une table, les deux compères commandèrent leur repas. Simple mais tenant au ventre, il fut décidé de faire glisser la nourriture à l'aide d'un flacon de vin rouge de qualité moyenne. Tout en profitant des mets, Fjama s'informa d'autres menus détails sur Diantra.

- Auriez-vous une idée des endroits engageant et payant correctement une danseuse ? Des tavernes de soudards à éviter ? Peut-être de noms d'établissement peu recommandable où les clients confondent danses et prostitution à proscrire de ma liste ? Ou encore des noms de personnalités fortunées aimant les divertissements dansants ? Il devient vraiment urgent de renflouer ma bourse", termina-t'elle sur un éclat de rire soudain.

- Il n'est pas nécessaire de trouver plus d'informations, je me débrouillerai ! J'ai l'habitude.
-Mais dites moi vous dansez depuis longtemps ? Je veux dire cela doit demander du temps et de la patience ? Vous avez apprit seule ? Pardonnez moi avec toutes ces questions mais il est si rare de voir une danseuse uniquement danseuse vous voyez ce que je veux dire..."

Soudainement, elle perdit complétement son sourire. Glaciale, elle souffla :

- Une prostituée qui danse n'est pas une danseuse. C'est juste une catin qui se plie aux demandes des clients.

Soupirant pour expulser un début de tension, elle enchaina plus cordialement.

- Je danse depuis qu'on m'a mis dehors de chez moi et qu'on m'a recueilli dans une troupe d'artistes itinérants. Les pas de base, la maitrise est venu à force d'observations et d'entrainements. Souvent les gens y voient l'expression d'un don particulier. A dire vrai, n'importe qui peut danser correctement. D'ailleurs, cela sera même plus simple pour un bon spadassin. Le physique est déjà rompu à l'acquisition de techniques. Imaginez les pas comme les passes d'arme et les esquives, les chorégraphies comme des enchainements de différentes bottes. Il sera facile d'apprendre des bases de danse et de faire rapidement un artiste acceptable. Le vrai talent réside dans la capacité à ressentir la musique, la raconter en créant et améliorant chaque jour le moindre mouvement pour devenir le support vivant de la mélodie.

Prenant appui contre la chaise qu'elle balança légèrement d'avant en arrière, elle eut un bref rire de gamine.

- Navrée, j'ai tendance à m'emporter sur le sujet. J'ai horreur qu'on confonde la danse avec la prostitution alors que cela se rapproche nettement plus d'un art martial en terme de contrainte. Pour une danseuse, le principal ennui vient d'ailleurs de la confusion entre une danse séductrice et une séductrice dansante. Quand je travaille dans une auberge, je ne cherche pas à attirer un homme en particulier, je recherche surtout à remplir ma bourse pour me nourrir, me loger et offrir un spectacle distrayant pour que les gens puissent oublier leurs malheurs un bref instant. Vous êtes mal à l'aise pour parler de sexe, n'est-ce pas ? En même temps, une taverne en pleine journée n'est pas vraiment le lieu le plus propice et cela fait mauvais genre.

Taquine comme à son habitude, elle se moquait doucement des légères rougeurs sur les joues de Varek. Non, pas qu'elle le trouvait ridicule, il était au contraire plutôt touchant. Évidemment, elle mentait lorsqu'elle affirmait vouloir écarter les ennuis de l'esprit des gens lorsqu'elle donnait spectacle dans une taverne de basse zone : Dans ces moments-là, elle ne pensait qu'à sauver ses fesses des mains avides tout en les forçant à une plus grosse consommation d'alcool pour augmenter son cachet. Lorsque le repas fut déclaré gratuit par le tavernier avec l'allusion aussi discrète qu'un château-fort au milieu d'une plaine, elle esquissa un nouveau sourire. Il bafouilla des excuses pour la confusion et vira au cramoisi. Aussi, elle décida de le titiller encore un peu.

- Il n'y a pas d'offense, rassurez-vous. J'en déduis cependant que vous n'êtes pas un homme à femme. Seriez-vous timide, Varek ?

- Et bien...Ce n'est pas cela non...Disons que ah si peut être un peu...Pas que je ne suis pas doué au lit non ça certaines pourront vous dire que je suis bon non...Mais oh désoler je raconte n'importe quoi...
- Herm, je ne vois pas spécialement de rapport entre la timidité et vos performances au lit, vous savez. Donc effectivement, c'est n'importe quoi.

Elle rit.

- Non, disons que lors de mes missions je n'ai pas souvent la chance de croiser des femmes et surtout des si jolies...Et le plus souvent que ce vieux Ridal me voix ici c'est pour parler travail avec des futurs clients...Mais pour être franc oui vous êtes une femme ravissante et en plus vous êtes drôle et artiste et plutôt difficile de ne pas être charmer et ne pas être timide...
- Mais, c'est qu'on est un flatteur en plus !

Un nouvel éclat de rire.

- Mais dites moi je connais une ruelle où des musiciens jouent régulièrement. Bon ce ne sont pas des artistes de la cour mais on a toujours envie de danser sur leur musique. Après ce repas vous voulez y a faire un tour ?
- Allons voir ça ! Et ne pensez plus à vos missions pour le moment. Détendez-vous simplement.

Ils quittèrent la taverne pour s'engouffrer dans une ruelle adjacente sous le regard d'un tavernier imaginant les plus romanesques interludes. Arrivés en vue des musiciens de rue, ils écoutèrent d'abord en souriant les envolées lyriques d'une balade romantique. Fjama observait le mercenaire en souriant.

- Vous aimez les spectacles ? Ne bougez pas, je reviens.

Le quittant à nouveau, Fjama se dirigea droit vers les troubadours. Entre deux chansons, elle héla d'un geste un membre de la troupe et conversa tout bas avec lui. Une fois mis d'accord, la musique reprit. Gaie, elle s'élevait lentement sinueuse comme un sentier de de montagne. Pour le plaisir des yeux des passants, la fougueuse danseuse entama une chorégraphie fraiche joyeuse. De pointes et pirouettes, de lancers de jambes en arabesques, les mouvements accompagnaient la mélodie pour en soutenir le message. De bon ton avec les derniers jours de douceurs avant les rigueurs automnales ainsi que le soulagement de la fin du Voile, les paroles parlaient de la course du soleil à travers les diverses saisons. Comparée aux différentes étapes de la vie, les pas se faisaient tour à tour rapide et léger ou plus pesant et lent. L'air se termina sur les quelques notes de liesse à la gloire de l'astre diurne.

Après sa prestation, Fjama rejoignit Varek. Les mains dans le dos, elle oscillait d'avant en arrière comme une gamine.

- Cela vous a plu ?

- Vous êtes décidément un flatteur, Varek

Elle sourit.

- Cependant, je crains que ce soir, il ne soit pas prévu que je travaille ou me détende dans une auberge. Cela n'était pas pour rien que je vous ai demandé de me mener dans ce quartier. J'ai à y faire.

Lentement, elle secoua la tête, désolée. Elle ne releva pas le lapsus, pour une fois. Danser lui avait permis de vider son trop-plein d'énergie. Malgré ses allures de grande gamine, elle semblait étrangement plus calme et sereine. Le quartier agité distillait encore son brouhaha. Les marchands annonçaient à grand renfort de cris et gestes leurs offres exceptionnelles pour attirer les derniers clients avant la tombée de la nuit. Des domestiques en livrées diverses se pressaient de quérir les denrées manquantes à la soirée de leur maitre. Fjama s'avança vers Varek et lui ébouriffa les cheveux, taquine.

- J'ai passé une excellente journée en votre compagnie. J'espère que nous nous reverrons. Je dois cependant prendre congé pour aujourd'hui. Comme dit, j'ai vraiment des affaires à régler. Nous nous recroiserons.

Elle lui fit un clin d'œil avant de se détourner déjà. Le bâtiment du Clair-Obscur s'érigeait dans la rue annexe. Elle devait y arriver avant la tombée de la nuit, pour rencontrer quelques bardes de la cité et leur proposer une association temporaire. Le manque de tintement lorsqu'elle pressa la main sur sa bourse lui tira une grimace. Le temps passé à la détente et amusement s'arrêtait là. Elle s'éloigna de quelques pas avant de retourner vers Varek et déposer une bise sonore sur son front, trop rapidement pour qu'il ne puisse tenter quelque chose.

- Merci d'avoir jouer le rôle du guide pour moi. A bientôt !

Vive, elle se faufila entre les passants, le saluant une dernière fois d'un geste de la main avant de disparaitre au coin de la rue.