Des contrées à découvrir, des alliés à trouver [Markvart]

En ce début d'hiver, le voyageur trouvait son périple long et éprouvant. Sa volonté était de fer mais la fatigue pourrait avoir raison de lui. Le mercenaire traversait à présent la plaine d'Atral suivant le chemin sans jamais se retourner. Scylla n'était plus en vue à présent. Emmitouflé dans son chaud manteau, l'homme ne craignait la brise qui balayait la baronnie d'Ancenis. Il se permettait de courtes pauses, prenant un petit remontant qui avait le don de lui brûler l’œsophage. Il avait déjà traversé cette région quelque temps auparavant lorsque la troupe s'était mise en marche pour guerroyer plus au sud. Le guerrier avançait sûrement et machinalement, plus pensif que concentré sur sa tâche. Pour celle-ci, il avait quitté les Centaures et les Bucherons. Cela faisait 5 jours que le voyageur progressait vers le Nord.

Au terme de cette journée, il s'arrêta dans une auberge et, de sa généreuse bourse, il sortit quelques jolies piécettes qui attendrirent sans effort le tenancier. Assis pour se soulager des heures de marche, il évalua la distance qui le séparait de Lante. Ainsi, il ne lui restait plus qu'à poursuivre son avancée durant deux semaines. Le mercenaire fut sorti de ses pensées lorsqu'une bonne demoiselle fit son apparition. A première vue, elle ne s'intéressa pas à lui. Aussi, il se leva pour lui faire la conversation. En effet, il avait conscience qu'il ne devrait pas finir son expédition sans user son parler, craignant de le voir se détériorer. L'homme monta dans sa chambre et s'endormit. Le matin suivant, il reprit la route. Les jours défilèrent, la fatigue s'intensifiait mais la volonté triomphait. Le voyageur ne fut qu'intercepté à Serramire où de valeureux brigands crurent s'attaquer à un homme sans défense. Deux contre un. Un combat bien trop facile pour le mercenaire. Les corps ne furent pas dissimulés, pas même leurs orbites vides, les corbeaux s'étant déjà chargés de leurs beaux yeux.

La forêt d'Aduram fut assez difficile à traverser sans attirer l'attention. Le guerrier s'était donc joint à une caravane marchande, promettant de les protéger si le danger les guettait. Ses armes étaient bien visibles, ce qui encouragea les négociants à l'accepter en leur compagnie. Jamais aucun mercenaire de la troupe ne s'était rendu autant au nord. Fier d'être le premier à avoir accompli cet exploit, le voyageur se rappela que tous attendaient beaucoup de ce dernier. Pas le droit à l'échec. Les marchands progressaient pourtant trop lentement et le mercenaire dut s'en séparer à l'improviste. La marche fut forcée durant les derniers jours; les terres naines n'étaient plus loin. En effet, à l'orée du 21ème jour, Lante apparaissait dans toute sa splendeur. Seul l'art nain put construire une si prodigieuse cité. Le mercenaire s'avança vers elle toute la matinée et put atteindre ses portes dans l'après-midi. Là, deux gardes nains lui faisaient barrage. Celui de gauche avait une barbe tressée noire, arrivant à son torse. Son nez était anormalement gros et son visage lourd. L'autre garde était plus robuste et brun quoi que sa barbe possédait des reflets roux. Tous deux avaient un casque dépourvu de nasal et un bandeau bleu marine qui cerclait celui-ci. Voyant l'homme arriver, l'un se racla bruyamment la gorge et déclama:

"Vous n'êtes pas autorisé à entrer par cette porte. Les humains n'ont que faire au quartier des temples que vous soyez un religieux ou non. Retournez d'où vous venez, Lante n'a pas besoin d'un étranger comme vous..."

"L'homme peut seulement pénétrer dans l'enclave."

Le nain à la barbe rousse désigna ensuite une palissade qui se profilait à l'Ouest. Le mercenaire remercia les gardes et se mit en marche. Il parvint en un instant à l'enclave où d'autres gardes se dressaient. Plus amicalement, ils lui demandèrent la raison de sa présence au sein de la cité. Le guerrier répondit qu'il souhaitait louer ses services en tant que mercenaire. Les gardes rirent mais le laissèrent y pénétrer. Dès l'ouverture, l'humain fut surpris de la diversité évidente des races. Pourtant, le quartier semblait bien plus marchand que tout autre. Le temps était aux affaires et à l'argent. Ainsi, il passa devant de nombreux étalages et boutiques. Les uns vendaient de la fourrure, d'autres des armes et outils. Plus loin, une foule s'était amassé devant une fontaine. En s'approchant de plus près, le mercenaire put constater qu'un nain vêtu d'une robe vert foncé tentait d'enflammer la foule.

"Je vous le demande, pourquoi fermons-nous nos portes aux étrangers en l'enceinte de la ville? Le passé est à oublier, il faut aller de l'avant. Tout étranger désireux de venir ici devrait bénéficier d'aides pour son installation. Eh bien, non! On leur enlève ce droit. Nous devrions porter un jugement plus partial et moins hâtif. Prenez exemple sur ce voyageur, a-t-il l'air dangereux pour notre peuple? Comment te nommes-tu mon garçon? Présente-toi à la foule!"

Le mercenaire fut pris par le bibliothécaire qui le fit monter sur des marches. Non désireux de coopérer, le guerrier tenta de s'échapper mais le nain tint bon. Voulant éviter de se dégager par la force, il collabora:

"Je me nomme Talmak. Je suis mercenaire et pourtant lieutenant dévoué à un grand chef humain. Je n'ai que 27 ans et il m'a pourtant confié une mission importante. Mon devoir est de trouver des forces qui pourraient se joindre à lui. Sans aide, mon vénéré chef ne pourrait nous guider vers la victoire et la paix. Voilà ce que je fais ici."

Quelques nains parurent en furie tandis que d'autres se contenaient. Des voix fusèrent de tout côté. Leur colère était grande.

"J'en étais sûr! Ce vieux fou a encore essayé de nous faire gober n'importe quoi. Les étrangers ne nous apportent que la guerre et la ruine. Ce guerrier n'a rien à faire ici."

"Dégage humain! Ton chef n'est rien comparé à nos seigneurs. Qu'il s'agenouille devant leur puissance et leur bonté, ils te laissent en vie alors que tu viens ici avec des intentions guerrières."

Talmak ne broncha pourtant pas, certain que les nains ne lui feraient aucun mal. En effet, après avoir proféré des insultes, ils cessèrent de s'occuper du mercenaire. Celui-ci parvint à une auberge et s'assit à une table. Il commanda une bonne bière et attendit en jouant avec la pièce due au tenancier. L'atmosphère au sein du bâtiment fut bien plus chaleureuse que près de la fontaine. Les nains semblaient haïr bien plus que de raison les races étrangères. Buvant la boisson enfin parvenue à la table, Talmak regretta les batailles qu'il ratait, les pillages et le potentiel face à face avec l'armée scylléenne.

L'ambiance de la taverne fut soudainement modifiée lorsque la porte s'ouvrit en grand, laissant passer trois guerriers nains dont l'apparition fit cesser d'un coup les discussions animées pour laisser place à des regards plutôt inquiets. Les nouveaux arrivants arboraient fièrement de lourdes haches ouvragées et avançaient sans se soucier des autres nains qui regardaient le fond de leur choppe à leur passage. Mais c'était surtout leurs casques à cornes qui masquaient leur yeux et les grandes fourrures d'ours au dessus de leurs armures qui semblaient intimider. Pour des yeux humains les trois nains semblaient plus être des barbares du nord que des archétypes ancrés dans l'imagination que se faisaient les humains de la race nanique.

Tavernier, sers nous ta bière, et pas l'urine de Gobelin que tu réserves à ces gratte-plancher !

La tavernier obtempéra en grommelant dans sa barbe, n'aimant guère que l'on critique sa bière mais fut bien forcé sinon la situation pouvait dégénérer dans son précieux établissement. Seul un client, un humain du sud tenta de répondre, son orgueil blessé par les paroles entendues.

Hé, vous vous prenez pour qui à nous prendre de haut ?

Instantanément il fut fusillé du regard par les trois guerriers avant qu'ils ne se mettent à rire à gorges déployées.
Regardez cet avorton ! Dis moi microbe, ta maman ne t'a pas dit qu'il ne faut pas chercher un vrai nain ? Nous ne sommes pas les gnomes que les femmes de ton peuple peuvent parfois pondre.

L'humain, courroucé d'entendre ces insultes tenta d'attaquer en balançant un coup de poing à son interlocuteur mais fut intercepté par un gantelet de fer en pleine course, le poignet se brisant sous l'impact. Mais l'homme n'eut pas le temps de crier de douleur qu'un coup de poing vint le cueillir en plein visage, le renversant inanimé sur le sol.
Des rires gras se firent entendre de la part des guerriers aux fourrures avant qu'ils ne réclament les bières qu'ils avaient demandés.
L'un d'eux, outré du silence qui régnait dans l'auberge se retourna et toisa l'assistance d'un air triomphant.

Et bien, où est donc passé l'ambiance propre aux nains ? Buvez vos choppes et animez cet endroit !

Les conversations reprirent alors timidement entre clients, l'orage étant passé. L'humain assommé fut promptement évacué vers une autre pièce où il pourrait reprendre ses esprits. Accoudés au comptoir, les trois nains évoquaient entre eux les derniers exploits au service de leur seigneur.
La situation se tassa quelques moments, semblant revenir à la normale et le brouhaha reprit.

Hé regardez moi ça, il y a un autre jeune duveteux à longue jambe !

L'un des trois nains avait remarqué Talmak dans son coin et avait décidé d'aller le tester, sa choppe de bière toujours à la main. Toisant l'humain assis à sa table, le nain semblait vouloir s'amuser avec, remarquant les armes qu'il portait.

Et un duveteux armé avec ça. Dis moi mon grand, qu'espères tu trouver chez les nains ? Je parle des vrais nains, pas de ces loqueteux qui on perdus leurs crocs.

La réponse de l'humain eu le don d'étonner et d'énerver son interlocuteur. Voilà encore un humain qui se sentait digne de rencontrer un de leurs seigneurs quelle histoire ! Le nain ne put réfréner un rictus de mépris envers la réponse.

Rencontrer notre seigneur ? Dis moi jeune avorton, je ne pense pas que je pourrais rencontrer ton roi aussi facilement que cela en m'en allant dans votre contrée plate. Tu crois pouvoir rencontrer mon seigneur pour le juger "digne de ta confiance" ? Pour qui te prend tu microbe !
Tu me parait bien suspect.

Le guerrier nain n'avait vraiment plus le coeur à rire face à cet humain qui venait sur leurs terres boire leur bière et lâcher des gaz plus haut que son cou, vraiment ces freluquets se croyaient tout permis.

Hé Olaf et Riknoss ! Figurez vous que cet humain cherche à rencontrer un seigneur des nains ! Peut être cherche t-il à défier notre seigneur en duel ?

Il n'eu pour réponse qu'un éclat de rire de la part de ses compagnons, tant cela passait pour une blague. Les deux autres guerriers rallièrent bien vite leur compère pour observer l'humain qui osait formuler de telles incohérences. Faisant les gros bras ils plaisantèrent entre eux dans leur langue avant que Talmak ne reprenne la parole. Cette fois ils ne rigolèrent plus, la colère passant sur leur visage.

C'est bien vrai qu'il a une grande gueule. Tu nous prend pour qui duveteux ? Nous sommes des nains ! de fiers guerriers combattants avant même que ta mère ne rencontre la bouse qui est ton père.
Nous sommes tous trois des soldats, guerroyant avec fierté pour notre Seigneur, le Seigneur Markart Salarius de Kraka Ravnskave.
Tu oses nous demander ce que nous savons ce qui se passe en dehors de nos frontières mais sais tu ce qui se passe en ces lieux ? Connais tu la souffrance de notre peuple, notre déchéance par le Dieu Morgar à cause de ces freluquets de citadins nains qui pensaient avoir la barbe assez longue mais le bras comme des brindilles.
Nos villes sont détruites à cause de ces fous, nos terres sont envahies par les gobelins. Seule Kraka Ravnskave a osé prendre les armes contre cette menace mais aussi contre ces faibles qui ont provoqués notre chute.

Quand aux Drows .. qu'ils viennent dans les terres Naines, nous leur montreront que nous savons encore mordre leurs chairs imberbes !

Le nain ponctua sa description des Drows en crachant au sol avec un profond mépris. Ils étaient certes peu nombreux et déchus mais ils n'en restaient pas pour autant des adversaires redoutables.

Les nains ne parurent guère enchantés par les paroles de Talmak. En effet, celui-ci semblait fort vaniteux et quelque peu imbu de sa personne. Pourtant, il savait pertinemment que trop de franc parler pourrait lui causer problème. Le guerrier méprisait le lieutenant de raison. Déprécié, ce dernier laissa la parole aux membres de la race naine. Comment pourrait-il rallier à sa noble cause (ou du moins lui semblait-elle) ces êtres? Il était pourtant vrai que le manque de déférence fut apparent. Un incident diplomatique. Ne prenant en compte aucune insulte proférée, Talmak se contenta de répondre au nain avant qu'il n'interpelle ses compagnons:

"Je n'ai aucun respect pour le roi de mon peuple et par conséquent ne vois aucune raison de l'entrevoir. Il laisse les drows aller où bon leur semblent. Sa non-activité m'est insupportable. D'autant plus que personne n'entrevoit une parcelle de vérité. Les drows ont les moyens de nous faire plier."

Bien que pris pour un demeuré, Talmak se racla la gorge et resta de marbre face aux nains. Il ne bougea pas d'un pouce tandis que les dénommés Olaf et Riknoss rirent en cœur avec leur frère d'armes. Pourtant, ils devinrent furibonds. Le lieutenant les avait mis dans un état de rage. Ces gens étaient donc bien facilement irritables. Il fallait leur montrer la bonne foi du jeune humain qui n'était pas homme à mensonge. Celui-ci ignorait tout du mal qu'avait bravé les nains. Une guerre civile avait eu lieu, chose pénible pour tout peuple.

"Je ne peux vous cacher que j'ignorais tout de cette affaire. Votre mal est grand. Vous avez besoin d'alliés! Je représente moi-même un clan entier. Nous pourrions vous donner un coup de main. Dubitatifs que vous êtes! Que puis-je faire pour vous prouver ma bonne foi? Je ne veux aucun mal à votre peuple. J'étais simplement venu chercher de l'aide dans un territoire qui souffre davantage. Ne vaut-il mieux pas une entraide nain-homme qu'une querelle entre vous et moi? Casoair Gloral est mon chef et m'a fait juré d'entretenir de bonnes relations avec les nains. Il ne veut que le soutien d'un seigneur à qui il fera allégeance et les humains... ne sont pas enclin à sa demande. Vous savez tout nain car Talmak, 2ème lieutenant de la compagnie des bucherons barbus, vous a tout dit."

Dans son discours, seule la fin bénéficiait d'une once de fierté. Talmak n'espérait plus grand chose à présent. Il avait été malhabile avec ses mots et l'échec de sa mission serait sa punition.