L'Etau se resserre.

Rodrigue dégluti avec difficulté, une goutte de sueur venant perler de sa tempe jusqu’à la joue malgré la fraicheur hivernale. L’homme était droit comme un I et avait le regard lointain, cherchant à éviter celui de l’individu qui lui faisait face. Cet individu était le comte Grégoire d’Odélian qui passait en revue la garde de l’Etau; bastide situait à la pointe Nord du triangle colonisé depuis peu par les Missedois. Une fois qu’il eut fini d’examiner le pauvre Rodrigue qui se sentait sur le grill, le comte s’éloigna déclarant d’un air froid qu’il était satisfait de l’état de ses hommes.

Avant de continuer la visite officielle, Grégoire monta sur les remparts de la caserne afin de jouir du panorama en cette douce matinée. S’il regardait à sa gauche il pouvait voir quelques rues et habitations de la ville qui était déjà éveillé et dont la vie suivait son cours. Cependant ce qui intéressa plus le comte était la rive odélianne que l’on pouvait observer à loisir ; rive peuplé par de nombreux fortins qui s’étaient développés avec l’arrivée du conquérant missèdois. On pouvait aussi entendre et apercevoir les ouvriers qui finalisaient les deux dernières tours de chaque côté de la rive qui permettraient de tendre les lourdes chaines régulant et contrôlant le flux commerciale de cette nouvelle route maritime. Le péage était déjà mis en place mais la matérialisation de celui-ci assurerait la bonne marche de l’opération. De plus elles possédaient la double fonction d’entraver-si la situation se présenter- une attaque par la mer et le débarquement de troupes hostiles. Le comte regardait donc avec fierté ces deux donjons sur le point de se dresser fièrement vers le ciel à l’instar de leur frère déjà construit et qui n’attendait plus que la famille s’agrandisse afin que les chaines puissent être installées et tendues. L’un des conseillers du comte regarda quelques rapports qu’il avait en main en précisant :

" Votre grandeur, les travaux se déroulent très bien. Les constructions sont quasiment achevées et les chaines pourront être misent en fonction dans un délai de deux semaines au plus tard.

- C’est du bon travail conseiller, vous rajouterez un petit bonus dans la solde des ouvriers pour service rendu à leur pays. "

Si la nouvelle de l’annexassions de ce territoire par la baronnie du médian avait fait rentrer Grégoire dans une rage folle, ce n’était pas seulement parce qu’il avait l’impression d’être spolier de ses terres ou que cet acte constituait une agression territoriale. Non-enfin si quand même un peu einh- mais c’est que cela ouvrait une nouvelle route commerciale qui venait à faire non seulement concurrence avec la route terrestre qui passait par Odélian mais aussi à l’ouverture de la nouvelle route commerciale maritime qui s’était crée entre Etherna et la côte Olienne de la péninsule. On aurait voulu saigner l’économie du comté qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Il fallait réagir et le comte l’avait fait avec promptitude et autorité. Chassant ce sujet de ses pensées, Grégoire descendit par l’escalier de pierre collé à la muraille et sortit de la caserne sur son destrier afin de mieux rendre compte de la qualité de vie dans la citée. À son passage, la foule l’honorait pendant qu’il descendait la grande avenue encadrait par sa garde personnelle composée de quelques chevaliers. Tout se passait bien, lorsqu'une agitation se produisit à leur rencontre et avant savoir ce qui se passait les chevaliers avaient adopté une formation défensive autour du comte, ayant pour la plupart sortis l'épée en attendant la menace. Mais il ne s'agissait que d'un homme qui arrivait avec rapidité à leur rencontre d'un air hagard. Il se présenta comme messager et on le laissa passer afin qu'il remette une missive l'un des conseillers de Grégoire qui tressauta en lisant la nouvelle et se tourna vers son seigneur avant de lui annoncer :

" Le roy Trystan est mort. "

Quelques heures après l’arrivée de la nouvelle de la mort du bon Roy Trystan, lâchement assassiné par une main encore inconnue, un autre messager arriva à son tour en vue de l’Étau. Ce messager, qui n’avait pas été obligé de crever trois chevaux et une biquette sous lui, ne venait pas du sud et de la capitale du royaume, mais du nord.

Lorsqu’il fut assez près, les gardes en faction à la porte principale du bastion reconnurent les couleurs de la baronnie voisine d’Alonna. Selon le rituel mille fois répété depuis qu’un proto-homme décida de se créer un proto-empire, les proto-gardes lancèrent le « halte » d’usage et prirent une pose martiale apte à démontrer leurs capacités à défendre jusqu’à la mort les portes confiées à leurs bons soins. Au moins cela les changeait de mirer les donzelles et de retenir leurs vessies, activités habituelles d’un garde en faction.

Oui, je délaye, mais il me faut bien occuper le terrain jusqu’à ce que le messager daigne arriver. J’aurais également pu vous raconter la folle histoire du gnome unijambiste de la forêt d’Aduram et du satyre psychopathe, mais je ne suis pas sur que cela vous aurait passionné. Bref, lorsque le messager eut couvert la distance, il tira sur ses rênes afin de faire stopper sa monture, et annonça au capitaine de la garde :

J’apporte une missive du baron d’Alonna pour votre maître.

Vous pouvez vous doutez que la missive est scellée, mais le gros avantage du narrateur sur les différents personnages de l’histoire est de ne pas se retrouver lié par ce genre de petits détails de basse logique. Ignorant la présence du sceau aux armes d’Alonna, nous pouvons nous faufiler et lire directement le texte.

Citation :

Au comte Grégoire d’Odélian,

J’espère que la présente vous trouvera, vous et vos proches, en bonne santé.

Des nouvelles inquiétantes en provenance de vos terres ont récemment atteint Alonna. Comme vous le savez, les traités commerciaux établis avec votre défunt frère, d’auguste mémoire, garantissent la libre circulation des biens et des personnes sur la Syrilia, définissant également les taxes dont les navires doivent s’affranchir au niveau des différentes terres que longe le fleuve.

Je ne peux dès lors qu’être troublé par la décision d’Odélian de mettre en chantier des fortifications visant clairement à permettre le blocage du fleuve à tout trafic. Placer un embargo sur des navires refusant de payer les taxes pouvant se réaliser comme par le passé depuis les fortifications existantes sur la rive ouest, l’objectif exact des constructions de l’Étau reste malaisé à entrevoir.

Il en va de même pour l’augmentation des taxes prélevées sur le trafic fluvial. Cette augmentation, pour légère qu’elle soit, fait peser un doute sur l’avenir du commerce le long du fleuve. La Syrilia ne constitue certes pas une voie commerciale majeure, toutefois les traités la régissant ont même valeur que tout autre. Il est arrivé par le passé que de tels traités soient modifiés, mais depuis que la paix règne entre nos deux terres une modification n’a jamais été décidée de façon unilatérale et sans concertation préalable.

Je veux croire qu’il ne s’agit pas là d’un manque à la parole donnée par Odélian, nul ne pouvant décemment remettre en cause votre honneur, mais une erreur de vos clercs faisant preuve de trop d’empressement.

Dans l’attente de votre réponse, qui nous permettra j’en suis sur de régler au mieux ce regrettable incident, puisse Néera veiller sur vous.

Hanegard Kastelord, baron d’Alonna.

Et bien, le moins que l’on puisse dire c’est que les (mauvaises) nouvelles s’enchainaient et que l’on était bien renseigné côté Alonna sur les déplacements du Comte. Après qu’on lui apprenait la mort du roy, une autre estafette aux couleurs d’Alonna s’en venait vers lui après avoir passé le barrage de sécurité. Il traversa la grande rue qui commençait à se bloquer (et la foule s’agiter) devant le cortège du comte et ses messagers que s’enchainaient devant lui. Pas tout à fait remis de la gravité de la nouvelle (Non pas que Grégoire connaissait ou même estimait son souverain, le bien nommé Trystan, mais c’était plutôt toutes les conséquences qui découleraient de cette mort qu’il envisageait) il mit un moment avant de sortir de ses pensées et demander à ce que son conseiller lui fasse la lecture du message apporté.

Ça en devenait légèrement ridicule, la lecture de ses documents se faisant en pleine rue; Grégoire allait bientôt avoir la réputation de traiter ses affaires avec légèreté et le comte se promit que si une nouvelle missive arrivait, il ferait exécuté le messager sur le champs qu’il soit de sa maison ou non (déjà que pour le second…). Ainsi l’un des conseillers (on va dire le même que tout à l’heure) décacheta le message, faisant sauter la cire du sceau et entama la lecture de la dépêche en essayant que sa voix ne soit audible qu’aux oreilles de sa grandeur. Grégoire à la lecture, sembla écouter avec attention mais quelques reniflements et autres mimiques laissèrent penser que le contenu de la lettre n’était pas un son des plus doux à ses oreilles. Une fois la dernière lignes lue, le Comte réfléchit un instant puis sans regarder le conseiller légèrement en retrait :

" Prenez de quoi écrire, je vais vous dicter la réponse : "

Ce qui donna ceci :

Citation :

Cher baron, frère du Nord,

Je vous remercie de ces vœux et je souhaite à mon tour que les cinq bénissent votre maison.

Nouvelles inquiétantes dites-vous ? Le terme parait un peu fort, mais l’inquiétude se mesure différemment chez chacun alors pourquoi pas. Je suis désolé de vous l’apprendre Hanegard Kastelord mais mon frère est mort et sa politique n’est plus. Et si je vous le concède les traités qu’il avait établis peuvent encore avoir cours aujourd'hui, je me vois dans l’obligation de les modifier. N'étant pas la même personne que mon frère, il est normal que certaines choses changent et l'honneur n'a rien à voir dans cette affaire.

Ces fortifications qui sont misent en places sur ma propriété ont l’objectif d’être un moyen de défense. Elles défendront la côte Odélianne d’une éventuelle attaque mais serviront aussi à défendre son économie. En effet vous n’êtes pas sans savoir que la baronnie de Missède a investi le Nord et y a déclaré une châtellenie. Ces derniers ont de plus ouvert une voie commerciale maritime partant du Médian et qui remonterait jusque dans vos terres. En ces temps de troubles aussi bien politiques qu’économiques, Odélian ne peut se permettre dans, sa politique protectionniste, de se voir voler une partie de son économie par cette voie faisant concurrence à celles déjà misent en place.

Il faudra effectivement que les traités commerciaux établis soient révisés et je suis désolé si l’augmentation de la taxe que j’ai moi-même décidé vous parait insultante, cette décision a été aussi unilatérale et sans concertation préalable que l’a été cette nouvelle route commerciale crée entre Missède et Alonna.

Cependant je ne cracherai pas sur un fils et frère du Nord et je vous propose donc la chose suivante :

La taxe sera augmentée sur le fleuve mais sera diminué sur la terre. Ainsi les taxes seront équilibrées comme au temps jadis.

L’affaire me parait bonne et vous m’en verriez navré si vous la refuseriez. Il semblerait que la communication a cafouillé entre nos deux contrées mais j’espère qu’à présent les choses rentrerons dans l’ordre.

Que Néera vous garde,

Grégoire de Dens, Comte d’Odélian.

On relu, cacheta et remis la missive au messager.

Je veux bien admettre qu’il n’est pas aisé de suivre les missives qui se déplacent entre deux baronnies, mais nous ne pouvons décemment pas couper les échanges à ce moment, non ? Nous suivrons donc le messager lors de sa chevauchée jusqu’à Alonna, nous le verrons remettre la missive de Grégoire à Hanegard, nous verrons Hanegard en parler à son conseil puis dicter à son tour la réponse, et enfin le messager repartir de nouveau en direction du sud en compagnie d’une délégation dont le rôle apparaitra dans peu de lignes. Nous ne verrons par contre pas les détails de toutes ces scènes car cela n’apporterait pas grand-chose à l’histoire.

Bref, la réponse du baron d’Alonna arriva donc au comte quelques jours plus tard, mais je serais bien incapable de vous dire si ce dernier se trouvait alors toujours à l’Étau, de retour dans sa capitale ou en train de danser la gigue en compagne des soldats Missédois stationnés à Isgaard. Mon instinct de fin limier, qui n’a rien à envier à celui de Sherlock Holmes, me fait toutefois soupçonner que la troisième possibilité est la plus improbable. Quoi qu’il en soit, la missive lui arriva, et pas en pleine rue cette fois. Soyons indiscrets jusqu’au bout et lisons là discrètement par-dessus son épaule.

Citation :

Cher comte,

Le maintien de bonnes relations entre Odélian et Alonna a toujours constitué pour moi un pilier de la stabilité politique dans le Nord du royaume, aussi je me réjouis de lire votre missive car elle dissipe les malentendus qui auraient pu naître. Votre proposition de diminuer les taxes sur terre en compensation de la hausse de celles sur le fleuve m’agréé. Je l’accepte donc et vous envoie avec cette missive des plénipotentiaires de ma chancellerie en charge de travailler avec vos propres clercs afin de permettre une actualisation des traités.

Je profite de cette missive pour vous entretenir des nouvelles fort graves en provenance du Sud. Je présume que vous avez été prévenu de l’assassinat du roi Trystan lors des émeutes qui opposèrent le peuple de la capitale aux troupes du comte de Scylla. S’il semble impossible à ce stade d’identifier le régicide, cette disparition va entrainer des secousses dans le royaume telles que nous n’en avons pas connu depuis la guerre civile. De ce fait, je pense qu’il serait bon que nous nous rencontrions afin de faire le point sur cette situation à laquelle nous allons tous être confrontés.

Votre bien dévoué
Hanegard Kastelord, baron d’Alonna.

Nous nous retrouvons à Odélian quelques jours plus tard. L’action prend place dans une petite salle, une pièce modérément petite, situait à l’arrière de la salle d’audience et où Grégoire avait pris l’habitude de siéger avec son conseil afin de traiter des affaires courantes du comté (les affaires publiques ou de grandes importances se déroulant fort logiquement dans la salle d’audience). Ainsi en cette matinée d’hiver on passait en revue diverses affaires en rapport avec la ville : l’ordre publique, la salubrité, les réserves des greniers, l’organisation des marchés, etc…

On traita aussi des affaires concernant plus généralement le comté et notamment une histoire de brigands aperçus près de Padrémont, des rumeurs diverses et le courrier interne et externe au territoire. Ainsi après avoir effectué une pause pendant la séance, nous voila au sujet qui nous intéresse en la lettre de réponse du Baron d’Alonna, Hanegard Kastelord. On décacheta la missive et on en fit la lecture au comte qui fut surpris d’apprendre qu’une délégation avait suivi le courrier. L’un des conseillers vint préciser qu’en effet une délégation était arrivée en même temps que le message et qu’on l’avait logé dans une aile du château. Grégoire fit donner des ordres afin que ses juristes et clercs (copistes) s’organisent afin qu’il rencontre au plus vite la délégation étrangère et que le travail s’effectue au plus vite; de plus il demanda à son conseiller aux affaires étrangères de chapeauter l’ensemble. Puis il dicta sa réponse et l’a remis au messager accompagnant la délégation.

La réponse était la suivante :

Citation :

A l’attention d’Hanegard Kasterlord, baron d’Alonna,
Je suis ravi baron que le malentendu se soit dissipé entre nos deux contrées et que vous ayez accepté ma proposition avec joie. Je vous informe aussi par ce courrier qu’au moment même où ces lignes s’écrivent, que nos spécialistes s’attèlent déjà à régler les détails juridiques des traités litigieux.

Je vous informe aussi que j’ai moi aussi eu vent de la mort de notre souverain. Si je n’ai eu que peu de détails sur cette tragique affaire, je ne peux que voir d’un mauvais œil, les conséquences que vont engendrer une telle perte pour le royaume. J’accepte donc avec intérêt l’idée d’une rencontre et vous invites sur mes terres afin que la situation soit étudiée.

Dans l’attente d’une réponse ou de votre arrivée, mes respects,

Comte Grégoire d’Odélian.