A la demande d'un frère.

Favrius.

Songeant à la nouvelle politique qu'il se devait d'adopter, le Baron ne prêtait que peu d'attention au tumulte grandissant de la cité. Le printemps arrivait et sonnait du cor vigoureusement, les routes montagnardes s'ouvrant de nouveau et luttant férocement contre les dernières neiges, les cours d'eau encore gelés et toutes ces forces de l'hiver qui, le temps d'une saison, vous assiègent. Favrius entamait dès l'ores l'ultime ennéade avant qu'il ne s'achevât et en ce jour de Kyrianos, la cité baronniale s'agitait en tout sens qui le lui permettait. Des nouvelles marchandises arrivées de Berdes à la foire au mouton que donnait quelques négociants d'Aspremont, décidément, la printemps réussissait à tous, tous sauf le Baron lui-même qui s’épanchait toujours avec plus d'ardeur sur de vieux vélins, histoires d'un passé qui, d'antan, était sien. Sirotant un vin Hautvalois, cadeau qu'avait laissé la triste Blanche, Aemon n'en demeurait pas moins pantois quant à la nouvelle qui ne tarderait à suivre. Entrant au pas de course, l'intendant, d'habitude si placide et cadavérique, tenant plus du lémure que de l'humain stricto sensu, était bardé de rouge, essoufflé, haletant et suant à grosses gouttes. Surpris par un tel spectacle Aemon en releva jusqu'à ses deux sourcils et l’assaillait du regard pour l'empresser de parler. Le bougre n'y pu rien faire et dû s'appuyer contre une colonne pour y reprendre haleine et lorsqu'il pu enfin ouvrir la bouge sans risquer d'y cracher ses vieux poumons il la referma sur l'instant préférant tendre la lettre à son Seigneur, celle-ci étant, pour l'heure, plus bavarde qu'il n'aurait jamais pu l'être en pareille condition. La regardant avec attention, Aemon comprit pourquoi tant de hâte ; le sceau royal. La décachetant sans cérémonie il se mit à lire promptement son contenu, celui-ci demeurait concis, laconique et pourtant grave.

Relevant les yeux vers ce pauvre homme en âge d'être son grand-père, le Baron somma l'un de ses gardes d'aller chercher son écuyer, fils d'un châtelain. Une espèce de jeunot né avec deux pieds gauches et deux mains, mais ni d'un bord ni de l'autre hélas. Il était d'une sottise rude et d'une ignorance crasse, mais, pour harnacher, sangler, préparer, aiguiser, revêtir et tuer, il fallait bien l'admettre, il avait un certain talent. Icelui arriva en claudiquant, encore avait-il dû renverser quelque armure sur l'un de ses petons et, s'inclinant brusquement manqua de basculer. Il se mit alors à la tâche, sans plus tarder. L'intendant, toujours haletant ne comprenait que peu pareil spectacle lorsqu'il osa élever, enfin, la voix. Demandant ce qu'il se tramait le Baron ne lui accorda pas un regard et lui ordonna, de la manière la plus solennelle et la plus autoritaire qui soit :

« Appelez les bannerets. Qu'ils soient aujourd'hui dignes des vœux qu'ils ont prononcés et qu'ils se présentent au guet de Rivedroite. A ceux qui ne répondront pas à l'appel, les mains d'Ancenis enserreront leur gorge de forfaiteurs. »

Sur ces mots l'intendant vacilla dangereusement avant de repartir, trottinant et mouvant alors cet espèce d'agglomérat d'os brinquebalant tandis que l'écuyer se hâtait de préparer son sire et la garde émeraude de s'apprêter. La guerre les attendait, Erac les attendait.