Et les barrières volèrent en éclats

Sujet: Et les barrières volèrent en éclats Dim 3 Mar 2013 - 3:44

Aucun mot n’était sorti de la bouche du sang mêlé depuis sa concise présentation quelques minutes plus tôt et rien ne paraissait le décider à en émettre de nouveaux pour l’instant. Dans un silence de marbre, ils s’étaient rendus dans le cabanon qui tenait lieu d’habitation pour Tahly. Fermement étreint par des rideaux de lierres et incrusté d’épais lichens, le cabanon était presque invisible parmi la dense végétation des Wandres. L’hostilité et l’étouffement qu’inspiraient ces lieux disparaissaient une fois le seuil de la porte passée, laissant place à une odeur de parchemins vieillissant mêlée à la douceur de celle de clous de girofle et à l’âcreté de fagots séchés d’étranges fleurs. Bien que de taille respectable pour une maisonnée individuelle, les innombrables objets qui débordaient des étagères miteuses, recouvraient la table d’étude et commençaient à envahir le sol faisaient paraître l’endroit plus petit qu’il ne l’était. Les milles et uns bouts de papiers déchirés sur lesquels des symboles sibyllins avaient été gribouillés ne manquait pas d’apporter leur dose de mysticisme à ce havre de solitude. Au fond, contrastant avec la haine que la tueuse était sensée vouer aux autres races, sa tanière était bien plus chaleureuse qu’elle n’aurait pu le croire. L’air égaré, Eidren prit machinalement la serviette que lui tendait Tahly sans lui accorder le moindre regard. Après s’être à son tour délesté de sa cape, il sécha d’un mouvement las ses cheveux trempés par l’orage qui grondait encore.

- Cela fait longtemps que nous ne nous étions pas vu... Que deviens-tu ?

lui demanda Tahly.
Comme soudain affranchi de sa torpeur et réalisant que Tahly attendait une réponse, Eidren se retourna précipitamment. Les mots ne lui vinrent pas directement. Rodé à débiter des futilités, jouer sur chaque terme pour leur donner le sens qu’il désirait et ainsi manipuler les esprits l’avait presque rendu incapable de tenir une simple conversation dénuée d’arrières pensées. Face à n’importe qui d’autre, les phrases se seraient enchainées les unes après les autres d’une manière parfaitement naturelle, jusqu’à ce qu’il invite implicitement son interlocuteur à y mettre un terme. Mais cette fois là était différente. L’être qui se tenait en face de lui n’avait rien d’une marionnette qu’il manipulerait insidieusement. Elle n’était pas non plus ce genre de personne faisant mine d’ignorer ces jeux de manœuvres et de tromperies, persuadée de tirer les ficelles alors qu’en réalité ses mains sont déjà liées. La réelle nature de son hôte le lassait pantois, aussi se réfugia-t-il dans ce qui lui avait toujours sauvé la mise jusqu’à maintenant : sa respectueuse hypocrisie. Flegmatique et désabusé, il soupira.

Après tout, qu’aurait-il pu dire d’autre ? Quand bien même il avait partagée avec elle une expérience des plus insolites, Tahly demeurait l’une des représentantes du peuple dont la perfidie et la cruauté étaient les principaux attributs. Ignorant ce qu’elle pouvait bien lui vouloir et dépourvu de repères, l’esprit du sang mêlé se braqua. Instantanément, toutes les informations qu’il avait récupérées la concernant ressurgirent. Tahaliann Habascell, ancienne sorcière irascible du C’nros ayant finalement quitté le Puy, désormais poursuivie par ses pairs, et, d’après les dernières nouvelles, s’étant adonnée à des pratiques mystiques oubliées sinon interdites. Tout comme lui, elle était l’incarnation du pragmatisme et savait faire preuve d’un grand sang froid. En somme, une personnalité glaciale avec laquelle le sang mêlé préférait garder ses distances. Pourtant, ni prudence ni aversion ne transparaissait. La créature qui se tenait devant lui semblait être différente. Il avait beau défaire puis refaire inlassablement le puzzle en conjecturant sur la signification de chacun de ses actes, un élément, source de son incompréhension, lui échappait : la créature qui se tenait face à lui était différente sinon authentique. Plus encore, il ne parvenait pas à déterminer les causes du trouble que cela provoquait.

Balayant vainement la pièce en quête du moindre indice, son regard en vint irrémédiablement à plonger dans le bleu des yeux glacés de la sombre. Inconscient, il s’aventura dans cet océan pour y être soudainement happé. Aux vaguelettes agitées succéda une houle de plus en plus violente qui se mua en véritable maelstrom azuré. Malmené par le chaos de ces flots déchainés, l’esprit du naufragé lutta pour regagner la surface qu’il savait pourtant hors d’atteinte, il se débattit farouchement jusqu’à ce que ces dernières forces l’abandonnent.
Esclave des courants, il fut emporté au plus profond des abysses, là où aucune lumière ne parvenait. Alors que son esprit était en perdition, les esquisses d’une invraisemblable vérité se firent brusquement jour et le ramenèrent à la surface…

Durant cette intense et pourtant brève réflexion, le sang mêlé n'avait pas tiqué. Brisant sa contemplation, il se contenta de rétorquer:

Spoiler:

Sujet: Re: Et les barrières volèrent en éclats Jeu 7 Mar 2013 - 21:13

Une fois que l'invité imprévu prit la serviette qui lui était tendue, la Drow s'occupa sans plus tarder de ses longs cheveux de neige plus trempés que si elle sortait d'un bon bain chaud. Malgré sa cape, ses vêtements avaient été quelque peu trempés eux aussi, notamment à cause de sa chute lors du récent combat. Cela ne la dérangeait pas outre mesure, si bien qu'elle écouta attentivement la réponse d'Eidren tout en finissant de sécher sa douce chevelure. Ainsi il n'était rien et n'est pas plus qu'avant ? Drôle de réflexion quand on sait qu'on peut toujours décendre plus bas que ce que l'on est. Elle connaissait cela : de mage du C'Nros toujours en recherche d'amélioration de sorts et fermée à tout ce qui n'était pas Drow, elle en était réduite à vivre loin de son peuple natal, avait quitté l'armée, s'était retrouvée dans les Wandres, coin sympathiquement sauvage auquel elle s'était habituée mais où les livres magiques ne couraient pas les rues... puisqu'il n'y avait pas de rues. De cela, elle ne le regrettait pas tant que ça puisqu'elle était partie de son plein gré - avant de se faire tuer, bien entendu. Non. Le pire, c'était d'avoir rencontré cette vieille folle de Mamé Kamat ! Certes elle avait été d'une grande aide pour tout ce qui est télékinésie, certes elle avait appris d'étonnantes choses bien pratiques, mais l'impact qu'avait eu la vieille sur son coeur sombre s'était montré être bien plus puissant qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle en était sortie de là humanisée, oui, humanisée ! Elle avait beau ne pas vraiment aimer les autres races, ce petit changement du départ avait fini par se faire sentir en elle, quoi qu'elle ait pu faire. Un bien triste épisode...

Sortant de ses pensées, la Sombre se tourna vers le Demi-Elfe qu'elle n'avait pas revu depuis bien trois années. A vraiment l'admirer, il n'avait pas changé depuis leur singulière et dernière aventure. Son visage ne trahissait aucune émotion, si bien qu'il n'était pas évident de deviner à quoi il pensait. Certainement devait-il se méfier d'elle, et à juste titre ; elle savait se montrer dangereuse encore. Mais était-ce ce dont elle avait envie ? La Sombre se demanda un instant si elle pourrait profiter de la venue d'Eidren pour obtenir quelque chose, comme elle en avait l'habitude lors de ses voyages à Thaar ou Sol'Dorn, mais l'envie n'y était pas. Pour une fois ce n'était pas par flemme, juste parce qu'elle n'en avait pas envie. Les bonnes rencontres en ces lieux étaient rares, voire même inexistantes : à part croiser la route d'un barbare sans cervelle qui n'a pour envie de que sauter sur la première femelle qu'il croise, que pouvez-vous espérer croiser en les Wandres ? Donc non, rien à tirer, juste l'envie d'avoir une rencontre sympathique avec quelqu'un. C'est tout.
C'est alors qu'elle se rendit compte que le regard d'Eidren s'était arrêté dans le sien, ce qui ne fit qu'attirer son attention sur les yeux couleur de jade d'Eidren. Il en fut ainsi jusqu'à ce que l'assassin ne reprenne la parole.

"...Je te retourne la question. Je ne m'attendais pas à te retrouver de si tôt, encore moins dans un endroit aussi reculé et inhospitalier.
-Ce que je deviens ?

Un fin sourire égaya le visage de la sorcière qui se détourna de son ancien compagnon de voyage pour aller jusqu'à la table où toute une tonne de paperasse empêchait quiconque de ne serait-ce s'assoir sur l'un des sièges. Elle mit les mains sur sa taille, sembla réfléchir un instant puis leva sa main droite en un geste grâcieux. Alors les différents papiers commencèrent à voler dans les airs, se répartissant en tas plus ou moins distincts. Puis elle les fit se poser dans un coin de la pièce comme si c'était chose des plus naturelles, laissant dorénavant une table et deux chaises libres.

-Je progresse en magie, tout simplement. Je suis toujours à la recherche de meilleurs techniques. Pour l'endroit inhospitalier, je trouve que les forêts elfiques sont bien pires que cet endroit ! Et puis ce n'est pas comme si je ne pouvais pas me montrer inhospitalière quand je le veux, non ?
Un sourire malicieux aux lèvres, Tahly lui montra la table et lui enjoignit :
-Voudrais-tu une boisson chaude ? Ce sera ça de gagné sur la pluie. Connaissant cette région, elle ne risque pas de s'arrêter avant de longues heures.

A peine la réponse d'Eidren formulée qu'elle alla à ce qui lui servait de cuisine, une petite pièce sans grand intérêt. Quelques petites fioles reposaient sur des étagères, mais on était loin des doigts de pieds ou lézards morts de la vieille Humaine qui lui avait enseigné une petite partie de sa passion. Elle alluma rapidement un feu et mit l'eau à bouillir. Cela ne prit pas bien longtemps, l'assassin eut juste le temps de regarder de loin les détails de la petite maisonnée. Alors qu'elle servait le breuvage à la façon des siens, c'est-à-dire mettre la boisson dans un récipient comment puis seulement après servir dans les tasses (au moins faisait-elle montre qu'elle ne voulait l'empoisonner), un coup de tonnerre se fit entendre avec grande force et la pluie martela avec grande intensité le toit de la cabane. A moins que le vent ne pousse ce nuage assez rapidement, ils en auraient pour la nuit entière.

-J'ai l'impression que tu ne pourras que sortir plus mouillé que tu ne l'es déjà d'ici, à moins que tu ne préfères que la pluie ne s'arrête avant. Si tu veux rester ici pour la nuit..."

Elle avait dit ces derniers mots en se penchant vers lui, sa tête si proche de la sienne, comme si une partie d'elle-même ne souhaitait pas qu'ils soient trop forts, de peur que quelqu'un ne les entende. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Aurait-elle perdu la tête ? Depuis quand acceptait-elle quelqu'un sous son toit ?

Depuis maintenant.

Si proches…
Si proches l’un de l’autre qu’il pouvait sentir son odeur délicate. Fermant un instant les yeux, il s’enivra de ce parfum amer et pourtant si fruité qui lui rappelait les genets d’or qui fleurissaient au début du printemps. Inconsciemment, il conjura sa magie et ses sens s’amplifièrent. Il ouvrit les yeux et éloigna légèrement son visage de celui de la drow. Son teint si pur, sa chevelure d’albâtre, ses traits harmonieux, ses courbes voluptueuses,…Le sang mêlé s’aperçut dès lors qu’il était prisonnier. Prisonnier de l’elfe noire dont la simple présence l’envoutait. Brusquement, il détourna les yeux. La transe se rompit et son instinct se réveilla. Il quitta sa chaise, contraignant la drow à s’écarter précipitamment de son chemin. Elle lui lança un regard plein d’incompréhension qu’il se garda de croiser.

Rongé par un doute féroce, il avait agit sans réfléchir, comme s’il avait fugacement perdu le contrôle de son corps. Son esprit était assaillit par un violent torrent de sentiments contradictoires alors que, quelques secondes plus tôt, tout paraissait limpide. Posée sur la poignée de la porte, sa main tremblait. Il allait partir. Son doute s’était mu en une peur primale qui lui tenaillait les entrailles. Poussé par cette terreur innommable qui revenait le hanter, il n’aspirait qu’à une seule chose, fuir, quitter cet endroit aussi vite que possible pour s’éloigner de Tahly. Dans son dos, il entendit une voix faible l’appeler:

Le sang du demi-elfe se glaça. En l’espace d’une fraction de seconde, une foule de souvenirs rejaillirent. Un manoir en feu, des cris de haine et de douleur, l’odeur de la trahison et de la mort…Parmi les cadavres ravagés, il revit un corps meurtri, un visage ensanglanté. Gonflés par la douleur et les larmes, des yeux gris et brun le fixaient sans le voir. Elle l’appelait, murmurait son nom…

Une main d’ébène à la poigne réconfortante se posa sur l’épaule du sang mêlé, mettant fin à son cauchemar. Sentant la présence rassurante de la drow derrière lui, il se détendit. Les fantômes qui hantaient sa mémoire se dissipèrent peu à peu. Hésitante, sa main s’éloigna de la porte puis il se retourna. Le regard chargé d’incompréhension et, à la surprise d’Eidren, de ce qui devait être de la tristesse, Tahly le contemplait. La tueuse irascible aux piques acérées n’était plus, un ange noir d’une magnificence sans pareille avait pris sa place. Délicatement, Eidren prit entre ses mains celles de la sombre qui frémirent à son contact. Ses craintes disparues, il osa un premier pas en avant, Tahly demeura immobile. Un second pas et leur corps se touchèrent presque. Eidren retrouva cette proximité que la peur lui avait fait fuir un instant auparavant. Mais la peur n’était plus et imperceptiblement, les deux êtres s’approchèrent l’un de l’autre, puis les lèvres du sang mêlé vinrent cueillir celle de la sombre.
Leurs mains se lièrent et se délièrent, l’étreinte se fit plus forte, plus impétueuse. Le désir latent, né le jour de leur rencontre et qui n’avait cessé de fructifier en sommeil depuis se libérait enfin de ses entraves. Poussés par cette ardeur grandissante, les atours tombèrent les uns après les autres, accroissant l’intensité et l’ardeur des marques de tendresse. Puis, affranchissant leurs esprits de toutes barrières, ils ne firent qu’un, laissant le désir s’exprimer dans sa manière la plus pure.

Un instant d'hésitation. C'était cela non seulement pour le demi-elfe, mais également pour la sombre qui avait pour la première fois du mal à se comprendre. Elle sentait comme son coeur battre et, s'en sentait fautive sans même comprendre ce qu'il se passait. Elle voyait juste qu'elle réagissait anormalement, faiblement. Et elle n'aimait pas ça.Et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer le faciès de celui qui la regardait, aussi désemparé qu'elle, comme ensorcelée. Ensorcelée par quoi ? Ce n'était pas un puissant mage, n'avait pas la belle carrure d'un Sombre et en plus avait du sang elfique dans les veines ! Qu'est-ce qui pouvait aller à tout cela ? Théoriquement, rien. Après...

"Je…Ecoutez, merci de votre hospitalité mais je dois…

Eidren se leva subitement de sa chaise, forçant la Drow à se reculer et ne croisant pas le regard de cette même personne. Souhaitait-il partir ? Avec le temps qu'il faisait ? Savait-il seulement ce qu'il faisait ? Non, certainement pas, il ne devait pas assez connaître la région.

-Eidren...

Comme une femme dont la douceur ne se laissait découvrir qu'en cet instant, la Sombre fit quelques pas vers son invité de la soirée, sans bruit. La main du demi-elfe était toujours posée sur la poignée de la porte, ne l'ouvrait pas pour autant. Cette porte n'était pas fermée à clef, non. Il semblait plutôt pris dans ses pensées qui ne devaient pas spécialement être agréables vu le peu de visage qu'elle pouvait apercevoir. S'approchant encore jusqu'à être à bout de bras de lui, elle déposa délicatement sa main d'ébène sur l'épaule du demi. Mais elle ne dit rien. Quelque chose se passait là maintenant, mais quoi ? Quoi qu'il en soit, ce simple geste sembla le détendre et après quelque hésitation il se retourna vers elle. Les yeux dans les yeux, ils se firent face ainsi un instant avant qu'un premier pas ne se fasse, puis un deuxième moins hésitant, puis que leurs mains viennent s'entre-croiser. Tahly ne pouvait se détacher du regard d'Eidren, le contact avec ses mains habituées à manier des armes lui était d'un réconfort qui balayait le doute qui étreignait son coeur. Sa main droite se détacha de celle de ce compagnon d'infortune rencontré il y a de cela plusieurs années pour venir caresser la douce joue du sang-mêlé. Le temps sembla comme se figer et sans qu'elle n'esquisse plus le moindre mouvement, elle sentit le contact de douces lèvres contre les siennes. Elle ferma les yeux et son coeur se mit à battre avec force.

Toute la suite se passa sans contraintes, le plus naturellement du monde. Les deux amants s'embrassèrent longuement, se donnant moultes caresses, laissant tomber petit à petit ce qui cachait la nudité de leurs corps. Le désir y était, mais seulement cela ? Non, certainement pas. Tahaliann le ressentait autrement ; il y avait quelque chose qu'elle ne connaissait pas jusque là dans leur relation. Etait-ce ce que l'on appelait l'amour ? Peut-être pas. Elle s'en fichait presque - quoi que... - savourant l'instant présent, sans fourberie ni magie.

Tahaliann rouvrit les yeux, un sourire aux lèvres. Elle avait une bonne nuit, bien chaude comme il le fallait... cela lui avait manqué, elle devait dire. Enfin, là il s'était passé quelque chose en plus, un "je-ne-sais-quoi" très particulier. Renvoyant cette pensée pour plus tard, elle se retourna dans le lit pour le découvrir... vide. Le demi-elfe était déjà parti, sans faire de bruits, faisant se refermer cet étrange instant de rêve que la sombre n'avait pu qu'apprécier. Aurait-elle voulu que cela continue ? Que le rêve ne se brise pas ? Elle n'en savait rien. Mais la seule réaction qu'elle eut à ce constant fut de laisser une rire traverser ses lèvres avant de laisser sa vie reprendre son cour.

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