Le passé, encore et toujours... [Oilossë Anah'Astra)

Il en avait fini avec Eterniril. Bien qu'il ne sut pas encore combien de troupes enverraient Oremian, l'Intendant, et son conseil, il avait la certitude qu'ils viendraient et avait bon espoir qu'il lui fasse part des nombres avant que le moment de bouger vers me Sud ne soit venu. Convaincre ces Elfes n'avaient pas été fort difficile, parmi les Elfes de Pierre les plus convaincu, paradoxalement à leur situation au coeur de l'Anaëh, ils avaient vite suivi le mouvement d'Aléandir sans qu'il ait grand besoin d'argumenter.

Ce qui l'avait le plus épuisé était leur culture du mystère et du secret. Déjà au temps où il était encore Intendant de Malereg, ils étaient cantonnés dans cette facétie et ce semblant de haute-sécurité. Chaque porte était gardée et les visiteurs étaient triés sur le volet à l'entrée du palais de marbre et de cristal. Mais depuis le Voile, cette farce avait atteint son paroxysme, au point que Timérion avait du faire valoir sa mission royale en plus de son statut de Seigneur Protecteur pour pouvoir passer les portes.

C'était de la folie de s'enfermer ainsi alors que tout se passait au dehors. D'ailleurs, il était certain que ces Elfes n'étaient pas très au fait des réalités de leurs propres terres. Parce qu'en Eterniril aussi, la colère grondait. Les clans était en porte à faux avec le Conseil qui fermait totalement les yeux sur leur existence et leurs revendications par la même. La politique de l'Autruche était de loin la pire des options envisageable, avec la répression militaire. Tôt ou tard, et mieux valait tard que tôt, Eterniril subirait le contre-coup de cette erreur. Mais ce serait après Ardamir, c'était certain.

Il espérait rencontrer un clan sur son chemin vers la Quatrième Saison. Au plus il aurait de soutient, au mieux ce serait pour Ardamir. Et les clans étaient une pièce qui avait rarement été jouée sur l'échiquier le cycle dernier. Leur style de combat particulier aurait de quoi déstabiliser les drows au moins pour un temps...

Cependant, ce n'était ni Yutar, ni Ardamir et sa guerre qui attirait le Seigneur de l'Epine Dorée dans les sous-bois de l'Eterniril. Il restait encore des plaies à panser en rapport avec sa dernière bataille, Uraal. Un nom qui semblait revenir sans cesse dans son esprit et qui le poursuivrait jusque dans la tombe, il le savait.

Durant son court séjour en Eterniril, il avait appris la triste nouvelle de la part d'un gradé de l'armée du Protectorat: le couple Anah'Astra avait été assassiné sauvagement dans les turpitudes du dernier siècle du cycle précédent. C'était une grande perte pour la Prime Forêt. Tout comme avec Aranos, le Capitaine des lanciers de l'armée royale, Timérion s'était lié d'amitié avec eux suite au champ de bataille. Le capitaine et les deux elfes faisaient d'ailleurs partie des rares Elfes à l'avoir soutenu lorsqu'il avait découvert Nimuë...

Il arrêta son Meharas à quelques distances de la petite cabane. Déliant le lierre qui enserrait sa jambe d'un subtile geste de la main, il descendit sa selle et se réceptionna plus ou moins souplement. Il reprit ensuite sa canne qui était glissée dans un fourreau accroché à la dite selle et fit signe à son escorte de ne pas bouger. Il n'y avait aucune raison d'oppresser l'habitante des lieux par leur présence.

Claudiquant jusqu'à la porte, tout en inspectant soigneusement les alentours de son seul oeil valide, au cas où une surprise se cacherait parmi les feuilles, il frappa trois coups ni trop fort, ni trop doux sur la porte de bois. Et s'écarta d'un pas, ne sachant pas dans quel sens elle pivoterait sur ses gonds. Et puis, il aimait autant ne pas être trop proche si l'occupante était devenue paranoïaque suite au triste sort connu par ses parents. Les Elfes étaient décidément sujet à une curieuse malédiction...

Accoudée à une petite table faite de vieux bois jonchée par un nombre indéterminable de paperasse, Oilossë aiguisait les lames de ses petits poignards. C'était un rituel quotidien; son petit plaisir personnel et même si ses armes ne le demandaient pas forcément, elle le répétait, chaque jour et toujours au même moment, après son premier repas de la journée. C'était pour la jeune elfe un de ces repères rassurants dont chaque être avait besoin.

Elle se demandait à quoi allait ressembler sa prochaine mission. Voilà une semaine qu'Oilossë s'était vue recevoir des congés qu'il lui tardait déjà de reprendre le travail. Elle avait reçu la veille une lettre du conseil d'Ardamir lui demandant de rejoindre le protectorat dans les jours prochains. L'espionne avait donc décider de prendre la route le surlendemain afin de pouvoir, le temps d'une journée, préparer ses affaires et quelques rations de nourriture. Elle avait déjà commencé par ranger sa petite cabane et par rassembler les affaires dont elle avait besoin: ses lames, son arc et son carquois rempli de flèches sculptées les jours précédents, le nécessaire hygiénique et pour dormir, quelques pièces et vêtements de rechange.

Le soleil baignait la pièce de sa lumière et Oilossë tendait son visage vers ses rayons pour profiter de la dernière chaleur avant l'arrivée de l'hiver. Par moment elle arrêtait de prendre soin de ses petites lames pour observer la pluie de feuilles à travers la vitre, elle trouvait les nuances magnifiques. C'est alors qu'elle regardait par la fenêtre qu'elle vit une ombre passer. Intriguée, elle s'approcha de la vitre et regarda discrètement à l'extérieur : un Meharas sellé était arrêté près d'un arbre. L'elfe en fût encore plus étonnée. Elle se demanda qui bien pouvait lui rendre visite (et surtout avec un Meharas comme monture), elle qui avait très peu de connaissances à part un vieil ami de ses parents, mais qui à ce moment là était en voyage d'affaire chez les humains. Elle entendit soudain trois coups à sa porte: elle allait vite avoir une réponse. Oilossë s'arma alors d'un petit poignard qu'elle glissa dans son dos et saisit d'une main hésitante la poignée.

Un elfe apparut devant elle. Elle le dévisagea pendant quelques secondes, à peine discernables pour ne pas offenser son invité, surprise par son visage défiguré. Cette elfe-là a dû en vivre des choses pensa-t-elle. Oilossë ne l'avait jamais vu, mais il ne lui sembla pas hostile. Restant tout de même de nature très méfiante voire associable, elle ne dit rien, laissant présumer qu'elle attendait de la part de son visiteur une quelconque présentation.



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Désolée pour le retard... J'espère que ça conviendra.
D'ailleurs je viens d'avoir une idée, vu que Tim est protecteur, pourquoi ne demanderait-il pas à Oilossë quelques un de ses services? A moins que ce soit contraire à sa politique

Le regard des Elfes orphelins... pensa-t-il alors qu'Oilosse ouvrait la porte. Un masque terne et froid semblait recouvrir son visage si jeune. Il était évident qu'elle venait à peine d'atteindre sa majorité. Et pourtant, on pouvait déjà discerner certains signe présent chez les anciens, ceux-là qui était passé par la peur, le froid, les combats et le chagrin. Cependant, ces légères traces des vicissitudes de la vie ne pouvait masquer une certaine inexpérience...

"Lâche ce couteau, mon enfant. Tu n'auras pas l'usage. Si les Aigles te voient, tu finiras clouer à ta propre porte avant même que ta main ne passe dans mon champ de vision..."

Mais présentement, les Sorni étaient peut-être le cadet des soucis de l'Elfe. Déjà, les plantes à ses pieds frémissaient déjà alors qu'il s'apprêtait à les lancer dans une croissance folle autour de ses jambes. Quant à sa canne, elle trouverait plus vite le chemin de sa tête que son couteau ne trouverait celui vers le coeur du protecteur. Mais ce n'était pas pour ce genre de leçon qu'il était venu la voir.

"Je suis venu te présenter mes condoléances. L'heure est tardive, je le sais, mais je n'ai pu faire plus vite. M'autorises-tu à entrer?"

Elle ressemblait à sa mère, avec une touche de défit profondément enfuit sous un masque mystérieux, certes, mais présente tout de même et qui rappelait indubitablement la tête de mule qu'était son père. Ils avaient partagé une guerre, ils avaient partagé la rage, le chagrin... Mais comme toujours, Timérion était seul sur son rocher alors que celui des autres s'effondrait face aux asseaux de la marée. La vie des immortels est rude, surtout quand ceux-là sont ceux qui survivent à leurs semblables.

Il avait vécu près de deux cycles. Et il était prêt à parier qu'il survivrait également à la jeune Elfe qui se tenait devant lui. Pas parce qu'elle n'était pas assez forte, ni parce qu'elle faisait montre d'un trop plein d'assurance, non, ça ne viendrait pas d'elle, mais le destin semblait vouloir que Timérion Adantar survive à tous ceux dont il croisait le chemin. Ou du moins, telles étaient les sombres pensées qui traversèrent l'esprit du vieil Estropié.

HRP:

Une petite cabane, pas très spatieux mais assez confortable cependant. Elle ne pouvait imaginer à quel point elle semblait être un palais au vieil Elfe. Un petit coin simple, perdu au milieu de l'Anaëh, plongé dans la Symphonie. Loin de la politique, loin de la guerre... Ils auraient pu vivre longtemps et heureux dans ce genre d'endroit, Nimuë et lui. Mais ce futur leur était refusé dés le départ. Il était évident que le départ était imminent pour la jeune Elfe. Partout s'entassaient des fournitures en tout genre, dont une belle collection de lame que le Seigneur Protecteur ne manqua pas de remarquer et d'admirer. Mais quel genre de métier pouvait bien exercer la fille de ses deux compagnons de bataille?

"C'est bien aimable à toi de me laisser entrer dans ta demeure. Elle est bien agréable, est-elle de ton fait? Mais j'en oublie les politesses. Je me nomme Timérion Adantar. Je suis le Seigneur Protecteur de l'Epine Dorée. Peut-être mon nom t'évoque-t-il quelque chose? Je combattit avec tes parents lors de la bataille du lac Uraal ainsi qu'avec Aranos Helmelion, le Capitaine d'infanterie de l'armée royale.

Si tu n'y vois pas d'inconvénient, je vais me permettre de prendre un siège. J'ai fait un long voyage et ma jambe est bien trop indigne de confiance que pour que je lui en demande tant."

S'exécutant, il attira à lui une chaise et s'y installa. Sa jambe n'était pas douloureuse, mais il valait mieux prévenir que souffrir. Son regard se reporta à nouveau sur la jeune Elfe. Elle était si jeune et pourtant cela faisait déjà si longtemps que ses parents étaient décédés. Sans le vouloir, il eut un élan d'affection et de sympathie pour elle. Peut-être parce qu'il n'avait jamais pu avoir d'enfant. Oui, peut-être était ce là la fibre paternelle qu'il n'avait jamais pu exprimer.

HRP:

"Tu ne peux savoir à quel point je comprends ton point de vue. Et je ne doute pas que ma défunte épouse l'aurait approuvé également. Cependant, la vie nous mène parfois en d'étrange place et pas toujours là où on souhaiterait se retrouver..."

Et il pensa avec amertume que lui-même préférerait reposer au fond du Tindanen au coté de Nimuë, au lieu de battre l'Anaëh dans l'espoir que les protectorats n'aient pas oublié leur devoir et là où se trouvait le danger. Mais il n'en dirait mot. Il n'était pas venu ici pour accabler de ses sombres ruminations la jeune Elfe qui se tenait devant lui. Certes non, et il était d'ailleurs temps de répondre à sa question, même si il ne s'estimait pas le meilleur placé pour pouvoir lui donner ce qu'elle demandait.

"Pour être tout à fait honnête, je ne puis pas te dire grand chose à propos d'eux. Nous étions compagnons de bataille. Le lien qui nous unit est donc plus viscéral que rationnel. Cependant, je les ai côtoyés, il est vrai, peut-être même plus longtemps que toi-même à mon grand regret. Celebrilas, ton père, était un Elfe d'une grande patience, méticuleux en toute chose et très convivial. Son rire était aisé et il se liait facilement d'amitié avec quiconque. Il est certain que le timbre de ses éclats manque à la Prime Forêt. De ce que je me souviens, il avait toujours une oeuvre en cours et ne laissait jamais ses mains inactives.

De ta mère, j'ai moins à te conter. Elle était plus taiseuse. Pas timide, non, mais plutôt réservée et discrète. Pourtant, derrière cette apparence froide et distante, je n'ai jamais douté qu'elle devait cacher une grande tendresse. Mais les guerres l'avait certainement forcée à se prémunir de l'horreur, ce qui fait qu'elle ne parlait que rarement mais jamais avec des mots inutiles.

Je les ai vu combattre de concert également, mais je ne sais pas si ce genre de récits t'intéresse réellement..."

Il avait observé son interlocutrice pendant toute sa tirade. Elle l'avait écouté à n'en pas douter. Elle semblait captivée par le peu qu'il avait à lui confier comme informations sur ses géniteurs. Mais malgré cet intérêt évident, elle ne pouvait empêcher ses yeux de revenir constamment sur sa jambe meurtrie. Et cela, le Protecteur n'avait pu que le remarquer. Et cela lui fut un prétexte pour repousser les souvenir du terrible jour où il était revenu de Yutar en compagnie d'alliés et d'amis pour mieux s'effondrer devant le corps déchiré et sans vie de sa femme.

"Mon infirmité semble soulever une certaine interrogation dans ton esprit. N'hésite pas à poser tes question, mon enfant. Nous ne sommes pas dans un palais, tu l'as dit toi-même, et ce n'est certainement pas en tant que Seigneur Protecteur que je suis venu. Je ne sais pas si tu peux me considérer comme un ami, mais en tout cas, c'est ainsi que je suis venu à toi."

HRP:

Timérion se contenta de lever un sourcils devant le tourment de sa jeune interlocutrice, mais il ne fit pas de commentaire. Elle n'avait pas besoin de ça. Pas besoin des conseils creux qu'un vieillard pouvait lui prodiguer. Ou du moins, pas pour le moment... Aussi se contenta-t-il d'attendre. Il ne connaissait que trop bien à quel point il était désagréable de se voir déranger dans les petits moments de submersion. Et si lui avait trouvé une parade, il ne pouvait en vouloir à la jeune Elfe de ne pas encore s'être défaite de ce léger handicape. Elle aurait toute la vie devant elle pour cela... Si quelqu'un ne venait pas la lui faucher avant que ce ne fut fait.

"Je doute que tu puisse tirer un quelconque bénéfice de mes mésaventures. Mais, si tu le désires, je pourrai t'en dire plus. Ne t'excuse pas, je comprends ce que ça peut te faire. Je vais faire mon possible pour étancher ta soif de savoir concernant tes parents. Même si je ne doute pas que ce soit chose impossible..."

Il se tut un instant avant de poursuivre. Autant pour rassembler les souvenirs qu'il avait du jeune couple que pour se préparer à revisiter ses terribles souvenirs à lui. La bataille du lac Uraal n'était pas la pire épreuve qu'avait connue l'Anaëh mais elle était, et de loin, la pire qui lui ait été infligée. Et se replonger dans ses événements à la fois marquants et immanquables et pourtant si durs et si horribles. Méthodiquement, il sélectionna les images, tria, refoula celles qu'il ne souhaitait pas voir resurgir. Finalement, il fut enfin prêt et pu reprendre son récit.

"Ils se battaient en paire avec une redoutable efficacité. Izilwen était la lance et Celebrilas le bouclier. Elle frappait juste et il parait bien. Là où une faiblesse se voyait la lame de ta mère trouvait son chemin, et là où un coup tombait, ton père l'interceptait. C'était leur force, ce qu'ils avaient développer en entrant chez les aigles. Ils maîtrisaient le combat en duo mieux que quiconque et, mieux que savoir se débrouiller seuls, ils savaient l'intégrer à la formation et la tactique que les restes des troupes employaient.

On parle souvent du général Drow qui tomba sous les coups de ta mère. Mais si ce fut bien elle qui lui porta un revers fatal, elle n'aurait pas tenu longtemps sans le concours de ton père. Il était d'ailleurs étrange de les voir combattre. De les voir ainsi métamorphosés. Ton père, d'habitude si calme, était vif et toujours en mouvement une fois le combat commencé. Quant à ta mère, sa réserve tombait pour qu'elle se transforme en une véritable bête sauvage, n'hésitant pas à hurler tant ses frappes étaient violentes. Une légende veut qu'elle eut été capable de briser une lame dans sa rage.

Mais je crois surtout que ce dont je me rappelle le mieux. C'est qu'ils n'aimaient pas le combat. En cela, ils étaient de vrais soldats, digne de Calimenthar. Parce que ceux qui doivent quitter leur foyer pour aller porter la mort pour le défendre ne peuvent aimer faire rougir leurs armes. En tout cas, c'était une idée que nous partagions..."

A ces mots, il retomba dans le silence. Il se souvenait fort bien de leurs visages à tous les deux. Et il lui était douloureux de penser que, une fois encore, il avait survécu à un Elfe de la prime forêt. Et la douleur semblait chaque fois plus vive parce qu'il lui semblait chaque fois que c'était là des Elfes d'une bien plus grande valeur que la sienne. Ainsi semblait aller le destin... "Le vieux s'attarde, l'estropié traînasse, le jeune se meure, le bon trépasse", pensa-t-il amèrement.