Réunion avec les conseillers

13ème jour de Favrius, 7ème année du 11ème Cycle

Jérôme venait de quitter Maélyne et il fit prévenir les membres de son conseil qu'il voulait les voir. Ceux-ci arrivèrent chacun à leur tour ou par petits groupes, les discussions allaient bon train et chacun voulait savoir le motif de sa convocation. Le baron préférait attendre que tout le monde soit la afin de ne pas se répéter, il l'expliqua à plusieurs reprises vu que tous n'arrivèrent pas en même temps. Enfin, tout le monde fut présent et il put débuter.

Il répéta dans un premier temps tout ce qu'il s'était passé avec Aymeric de Brochant, soulevant de nouveau des désapprobations. En effet, certains seigneurs voyaient déjà Jérôme à la tête du marquisat et ainsi les terres qui pouvaient leur être donné. D'autres, plus cartésiens, avaient bien compris qu'il aurait été compliqué de résister si tous les châtelains s'étaient ligués contre le baron. Enfin, cela était fait et le seigneur d'Etherna avait décidé en son âme et confiance, traçant le chemin qui s'ouvrait devant lui et éliminant les autres. Suite à ses deux conversations avec la dame d'Outremont et la capture de sa sœur, la donne changeait et il devait en avertir les membres de son conseil de guerre et écouter ce qu'ils en pensaient. Il leur dit tout, les craintes de Maélyne concernant Brochant ainsi que la protection qu'il lui avait donné tant qu'elle ne ferait rien contre le futur marquis. Il leur dit également l'idée de mariage qu'avait proposé l'ancienne dirigeante de Serramire et le fait qu'il avait envoyé des éclaireurs et des espions afin de découvrir l'endroit ou la châtelaine de Lourmel pouvait se trouver emprisonnée. L'arrivée prochaine de Brochant amènerait sans doute le début de la prochaine campagne et il demande de tenir les troupes prêtes pour un départ rapide, il ne voulait pas trainer car le chemin serait encore long et ardu.

Après avoir prit conseil, il se tourna vers Guilhem, celui qui avait permit la prise de Serramire avec un minimum de perte et avait été un allié providentiel dont Jérôme n'arrivait pas à cerner le tempérament.

"Que pensez vous de toute cela sire de Karas ? vous êtes mieux placé que quiconque ici, vous connaissez mieux que nous les seigneurs qui vont nous faire face. Quels conseils avez vous à m'apporter ?"

L'homme était originaire d'ici et il était évident qu'il était le mieux placé pour savoir comment se comporteraient ceux de son pays.

Guilhem répondit au baron comme celui-ci lui avait demandé, il était direct et il exposa sa stratégie à Jérôme. Elle était certes intelligente mais elle nécessitait de faire des choses auxquelles le seigneur d'Etherna n'était pas encore prêt. Il n'était pas idiot, il fallait l'espérer mais la naïveté était l'un de ses défauts et secrètement il espérait que la démonstration de force qui se ferait pourrait faire changer d'avis certains châtelains qui se rendrait sans effusion de sang, comprenant qu'ils avaient plus à perdre en continuant leur rébellion. Son grand cœur en était un autre et le devoir exacerbé qu'il avait en charge envers le peuple encore un. Ce dernier n'avait rien demandé, il faisait son labeur et il était barbare de leur faire endurer les frasques de la noblesse, toujours plus avare. Une fois que le seigneur de Karas eut terminé, Jérôme avait les sourcils froncés de celui qui était en colère. Pourtant lorsqu'il répondit, ce fut sur un ton neutre et très calme, après tout la stratégie de son interlocuteur n'était pas dénué de sens et avait de grandes chances de fonctionner et il avait répondu à ce qu'on lui avait demandé. C'était surtout le désarroi qui avait étreint son cerveau devant les atrocités que les hommes étaient capables de faire à leur propre race qui le chagrinait.

"Votre stratégie est astucieuse c'est indéniable. Les Wandres sont un soucis récurrent pour le marquisat et la faiblesse devant ces hommes mettrait sans doute fin au seigneur autoproclamé. Pourtant je me demande si aujourd'hui il y en a un, de seigneur, ou si c'est un conseil de châtelains réunis qui prend les décisions depuis qu'ils ont déclaré leur indépendance. Ainsi on peut se demander qui serait mit en fâcheuse posture pour les mésaventures que ne manqueraient pas de perpétrer les barbares qui sont sous votre commandement."

Il marqua une courte pause avant de reprendre

"Je vous accorde que cela ne fait pas très longtemps que nous nous connaissons mais j'aurais pensé que depuis le début du siège que fut celui de la capitale, vous aviez compris que je ne suis pas ce genre d'homme. Le peuple n'est pas responsable des décisions de leurs seigneurs respectifs. Les pauvres ne font que travailler encore et encore et il me répugne de les faire souffrir plus que ce qu'il faut. De plus vous souhaitez devenir le seigneur de Bastylle, c'est du moins ce que vous m'avez demandé et vous voulez faire souffrir la population qui deviendrait la votre ?"

Il regardait Guilhem dans les yeux tout en parlant, a aucun moment il ne le lâcha, observant les réactions de celui-ci

"Vos wandrais ont besoin d'exercice ? pensez vous qu'ils pourraient s'occuper des lignes de ravitaillement d'un secteur donné sans toucher à la population ? ou en sont ils incapable ?

De plus, je me demandais si vous aviez connaissance des caractères des châtelains de Bastylle, vous êtes après tout voisin de ceux-ci. Je me posais la question de savoir s'il y en avait de plus lâches qui prendraient peur ou des cupides, avides de négocier ?"

Jérôme voulait en savoir plus sur Guilhem, il lui parla donc d'autre chose que la guerre en cours

"Quel genre de seigneur êtes vous ? l'un de ceux qui dirigent d'une main de fer ou au contraire, vous êtes attentif. Vous semblez quelqu'un d'implacable mais connaissez vous la compassion ou alors vous êtes sans pitié."

Jérôme se demandait si l'homme allait lui répondre franchement ou s'il allait chercher à dévier la conversation ou lui mentir éhontément.



Le conseil dura encore jusqu'à ce qu'un garde n'interrompe la conversation, annonçant au baron qu'un homme voulait le voir en personne. Jérôme interrogea le garde qui expliqua que cinq cavaliers s'étaient présentés aux portes de Serramire. Le chef de ce groupe se présentait comme un certain Léopold de Saint-Cyril, il disait parler au nom du seigneur d'Adhémar un châtelain de Sainte Berthilde. Il expliquait qu'il était venu avec quelques troupes pour aider. Jérôme se souvenait de ce seigneur, un homme d'âge mur qui avait conseillé la marquise durant la guerre contre le comte et le baron du marquisat. Il n'avait pas parlé de vive voix à aucun des deux, chacun restant de son côté et avec ses troupes mais ils avaient été allié il n'y avait pas si longtemps que cela. Il demanda qu'on les introduise dans la salle ou il était en compagnie de Guilhem, ne demandant pas à celui-ci de partir. Les deux hommes entrèrent, le capitaine était un homme d'une quarantaine d'années qu faisait presque peur. Jérôme ne se souvenait malheureusement plus de lui, s'étant contenté des seigneurs locaux. De plus qu'il n'y avait pas eu suffisemment de batailles pour se rendre compte des officiers compétents ou non. Le baron s'approcha des deux hommes, leur tendant une main chaleureuse

"C'est une joie de vous accueillir en ces lieux. J'espère que vous avez fait bon chemin pour arriver jusqu'ici ?"

Jérôme voulait de la franchise, il avait été servit. Il avait gardé les sourcils froncés tout le temps du monologue de Guilhem et une chose était certain, il n'avait pas du tout apprécié ce qu'il avait entendu. Non pas par les insultes voilées par le ton calme et posé, bien qu'enrichit d'une note d'agacement mais bien par ce qu'il semblait penser de lui et de sa façon de voir les choses. Il était temps de remettre certaines choses au point. Le baron se dressa de tout sa taille et il s'avança vers l'homme qui lui faisait face, pourtant le ton qu'il employa fut calme et posé bien qu'un peu sec. Il n'avait pas du tout demandé à Guilhem d'être franc mais il appréciait qu'il le fut, il n'était donc pas temps de lui reprocher sinon il n'aurait plus jamais l'occasion d'en avoir de nouveau.

Maintenant que l'évocation des seigneurs étaient faites, il passa aux barbares des Wandres

Une lueur passa dans les yeux de Jérôme et ce n'était pas de la tendresse mais une flamme de colère, à croire qu'il n'était pas si doux que le pensait son interlocuteur. Il continua d'ailleurs avec un ton plus emporté, mais sans hargne

Jérôme marqua une très courte pause, ne laissant pas Guilhem répondre, il enchaina

"Vous êtes un homme dont la manière de diriger me chagrine" il regarda la réaction de son interlocuteur sans s'arrêter "mais je suis un homme d'honneur et je ne reviens jamais sur une promesse. Vous avez joué votre rôle et je tiendrais mes engagement. Par contre, n'oubliez pas qu'en échange, je demanderais votre serment et votre loyauté et j'escompte que cela ait une importance pour vous.  Je suis peut être emprunt de naïveté, j'en suis conscient mais sachez que je ne suis pas l'imbécile que vous semblez croire que je suis."

Il ne restait plus qu'un dernier point à traiter

Guilhem et Jérôme n'étaient pas parti pour bien s'entendre, c'était malheureux mais c'était ainsi. Le baron était quelqu'un qui avait de la noblesse d'âme plus que de sang alors que l'autre semblait être un tyran avide de pouvoir qui ne se souciait aucunement de sa gestion et des personnes qu'il administrait. C'était affligeant que de constater cela, du moins pour quelqu'un pétri d'honneur comme il l'était. Le seigneur de Karras détestait la façon de faire de Jérôme et cela se voyait clairement sur son visage. Les deux hommes avaient deux façons complètements différentes de voir les choses et Guilhem sous-estimait clairement Jérôme. Cela indifféra ce dernier, il y a plusieurs façons de mener des terres et des hommes tout comme il y avait plusieurs façons de faire la guerre. Le baron passait pour un idéaliste, très bien, c'était le cas dans une certaine mesure. En ce moment, il était en campagne de conquêtes et tuer le peuple qui devrait labourer et moissonner les champs de ses futures terres était ridicule. Surtout que les nobles rebelles et leurs soldats étaient de toute façon emmurés dans leurs châteaux, rendant la tactique que voulait Guilhem impuissante. En effet, la guerre était la actuellement et les châteaux seraient bientôt encerclés, ou était donc l’intérêt de raser les champs des moissons à venir qui ne pouvaient de toute façon pas arriver jusqu'aux futurs assiégés ? Ce n'était que de la violence gratuite. Enfin de toute façon c'était ainsi. Si Guilhem voulait pousser ses guerriers wandrais au pillage, il ne fallait pas qu'il oublie que Guillaume avait instruction de détruire tous les camps de brigands qu'il trouverait sur son passage, il fallait espérer que les barbares ne tomberaient pas dessus.

Le seigneur de Karras avait une idée en tête et il apparaissait que le temps de le dévoiler était arrivé. Il parla donc une fois de plus de la tactique qu'il trouvait pitoyable du baron et il déplia une carte de Serramire et ses environs. Il indiqua une zone au nord, nord-ouest de la carte et il expliqua son intention de repousser les frontières et de se tailler son propre fief. Jérôme ne répondit pas immédiatement, il prit son menton entre son pouce et son index droit tout en réfléchissant à ce qu'on lui proposait. Il fallait dire que le projet était ambitieux et qu'il était séduisant également pour le baron. D'un côté, il perdait un vassal mais vu qu'il récupérait la région de Bastylle et qu'ils ne semblaient pas se porter dans leurs cœurs, ce n'était pas si terrible que cela. Surtout s'il faisait serment au marquis Brochant, alors cela amènerait de nouvelles terres à celui-ci et il serait surement content. Ensuite, la frontière serait plus facilement défendable qu'elle ne l'était actuellement tout en ouvrant le marquisat sur l'océan. Et pour finir, une partie de Bastylle aurait une zone tampon avec les Wandres au dessus, ce qui ralentirait sans doute les pillages. Le point noir, c'est que c'était un pays sauvage et que ses habitants ne se laisseraient pas faire aussi facilement que cela. Le projet était donc ambitieux, maintenant il fallait être certain que le jeu en valait la chandelle. Il se tapotait maintenant le menton de son index

"Je vois"

Il réfléchit encore un instant.

"Un projet audacieux, je présume que vous avez déjà réfléchis à cela et aux moyens à entreprendre ? Si j'accepte de vous aider à vous tailler votre châtellenie, je demande en échange de mon aide une zone ou je pourrais faire un port ainsi qu'un libre droit de passage de vos futures terres vers les miennes."

Vu le projet de Guilhem et le cout qu'il allait en découler, la requête était justifiée et absolument pas disproportionnée.

Suite à la demande du baron sur l'organisation, les explications ne tardèrent pas à arriver, le seigneur de Karras avait parfaitement planifier son projet. Il était évident que c'était encore plus favorable à Lourmel qui n'aurait alors plus aucune frontière avec les Wandres alors que Bastylle en avait encore au nord est, un endroit qui n'avait, en plus, pas la protection des montagnes. Guilhem avait également négocier un accord avec deux clans de cette région de barbares, un exploit qui apportait un poids certain dans la réussite de l'aventure. Le tout était orchestré de façon magistrale. Des forts civiliseraient les clans à la manière de la péninsule et apporterait une puissance aux chefs barbares qui deviendraient alors des châtelains. La question était alors de savoir si ceux-ci finiraient par entrer dans le monde de la noblesse, vu leur statut. Cela amena un sourire au baron qui s'imaginait le cocasse de la situation. Il reprit son sérieux car ce n'était pas le lieu, ni le moment de s'amuser. La stratégie semblait avoir déjà été mise au point, c'était admirable mais il faudrait bien évidemment compter sur les dirigeants qui ne verraient peut être pas d'un bon œil de se faire diriger par quelqu'un d'autre, en plus d'être accompagné de barbares qu'ils détestaient. Enfin cela serait une autre histoire. L'homme montra une fois de plus son côté impitoyable et sanguinaire mais cela ne dérangea pas le moins du monde le baron. D'une part parce qu'il s'agissait cette fois de barbare et ils ne comprenait que la force, d'autres part car ce ne serait pas des gens qui feraient ensuite partis de son peuple, aussi cela l'indifférait. Guilhem termina par la zone désirée par Jérôme. Il était clair que c'était délicat de céder une partie de son territoire et le baron avait lancé cela pour plusieurs raisons. La première étant que s'il l'obtenait, il aurait une ouverture sur la mer et c'était parfait. La seconde parce qu'il était presque certain que le seigneur de Karras ne serait pas d'accord, alors il fallait taper haut pour avoir ce qu'il fallait. Et de toute façon, il pouvait toujours refuser s'il n'obtenait pas satisfaction. Deux villes portuaires qui se feraient concurrence n'était pas non plus une bonne chose, surtout si elles étaient rapprochées. Aussi il écouta l'offre et elle lui sembla convenable. Il sourit à son interlocuteur

"Je vois que vous avez parfaitement planifié le tout et que vous avez débuté cela depuis longtemps. Ce n'est pas juste une idée sortie de votre esprit et vous avez tout calculé"

Il tendit sa main afin de serrer celle de son interlocuteur, et d'accepter d'un premier accord verbal tout cela

"Je suis partant. D'abord faisons en sorte que Bastylle tombe, sinon rien de tout cela ne pourra voir le jour. Ensuite, je vous apporterais mon soutien dans votre entreprise. J'espère que Lourmel accueillera cela aussi bien que moi et que vos "amis" des Wandres sont des gens fiables."

Que dire de plus ? il n'était pas nécessaire de s'étaler des heures sur quelque choses ou les deux parties sont d'accord