La revanche du Haut Prévôt! [terminé]

Les manants et menu métiers de Diantra, occupant le parvis de la basilique ainsi que les places attenantes sous des airs de kermesse populaire, retinrent leur souffle lorsque les hauts battants du temple grincèrent et s'entrouvrirent enfin. Mais le haut baronnage s'était bien vite délesté de l'irénisme qui seyait à la sainte solennité, et les pauvres hères eurent droit à un spectacle de triste défiance qui en déconfit plus d'un. Mais au défilé des chantres de la déshérence et séides du Malœil, des veules muscadins et damoiseaux froissés, succédait celui d’une forte troupe de plastrons et sigisbées bien fumés qui, remplaçant leurs chlamydes et autres précieux affiquets par autant d'acier trempé, s’élançaient vers le lieu ou s'étaient mussés les renégats malavisés une fois leur bile éructée. Criant hourvari et rameutant nombre d'autres bon chevaliers et estafiers, ils remontaient la voirie à vive allure jusqu'à atteindre la basse-cour et sa chemise où s'activait déjà la soldatesque, excitée par le passage d'une momie réputée régicide et voyant ore leurs craintes confirmées.

Or l'imprudence est la compagne du malheur, et Estienne de Sillé s'assura que la herse fut abaissée et bien garnie de gens avant de poursuivre son chemin, assisté des plus preux compagnons qu'un prud'homme puisse espérer ; dont Sigmund le Pieux, la Jaille et Prestépée, le capiston Odric et le doux Deux-Gueules. On s’enfonça ainsi dans la maison du roy à l'honneur bafoué, reboutant valetaille et échansons, violant la sérénité d'un gynécée dans le seul espoir de verser à Asdrubal la faisance de sa diatribe d'arsouille un peu plus vite. Car notre héros bien astré, ce puîné propulsé captal à l'occasion de la Jacquerie des Ardents, se sentait si remonté par l'affront à l'encontre de sa dame liliale qu'il ne savait guère s'il saurait entendre la réédition de ces suderons madrés et affétés, en oubliant jusqu'à sa gonne damassée de sable et d'amarante qui ferait pourtant office de bien piètre haubert. Puis la coterie à l'arroy décousu atteignit enfin les environs de la chambrée, non loin du solier de l'édifice. On y croisa là les premiers portefaix de ces grands larrons Soltarii, à qui l'on somma de se rendre aussitôt, en vain. Une fois que les arbalestes de la milice eurent lâchés quelques viretons, les vaillants donnèrent l'assaut et bientôt on s’égorgeait dans les coursives, alors que plus loin et en dessous se déchaînaient les forces démoniaques qu'avait recelé ce mulâtre Velterien par cœur enfiellé.

Toutefois, les errances de Velteroc étaient, pour l'heure, le cadet des soucis de la riante coterie qui s'apprêtait à étêter le Sud d'une main gantée de vertu. Parbleu! En sus de l'officier de justice Parangus et du pharisaïque frère Sigmund, ne pouvait-on mieux choisir, pour telle basse œuvre - de confiance -, que l'infaillible Deux-Gueules? Déjà homme de main de Semoras huitième du nom, le mâtin était on ne savait trop comment parvenu à survivre au sac de Diantra avant d'aller s'offrir une virginité morale auprès des baronnes olysseannes. De là, le soudard avait été propulsé à la tête du ramassis de reîtres formant la Garde Pourpre, appellation ronflante qui mussait des malandrins à en faire frémir la faune battant le pavé de Sharas. Bien que la Marquise se soit attachée à gratifier quelques bons et beaux chevaliers de cette dignité, l'essentiel de la bande tenait sa place du supposé honorable Benfred dont les préférences divergeaient, pour le moins, de celles de la belle.

De la sorte, c'est accompagné d'anciens francs-coureurs anoblis sur le tard que le maroufle balafré se fendit un chemin vermeil à travers salons et gens de Soltariel. S'il avait eu un cœur, nul doute qu'il aurait versé une larmichette grasse de nostalgie lorsqu'il prononça ses paroles d'encouragement à ses compagnons. Pour peu, on se serait cru revenu aux temps du roy aux yeux débiles! Quel sang que celui de la famille d'Olyssea, tout de même. Au final, peu importait le loup : tant Semoras que Clelia ou, aujourd'hui, Arsinoé lui avaient offert l'occasion de s'esbaudir de bien sanglante manière. Aussi, ce fut un fort vilain sourire sur le museau, ou sur les museaux plus exactement, qu'il déclara à ses spadassins: « Mes danselons! En ce jour, nous étêtons maroufles et fourrageons de félonnes tripailles! D'un glaive vindicatif nous apporterons la paix du Roy! Gloire à lui, mort aux vilenables partizans de la discorde! Dans l'heure, je veux voir vos lames rougies d'avoir rendu blafards les Soltarii! Que les membres de leur mesnie soient vidés de leur sang avant d'avoir fini d'énoncer leurs titres de noblesse. Une fois ces paltoquets percés, embastillez-moi duc et archonte! Allons, en avant mes beaux, en avant! HARO SUR l'HARPAGNON! » un tonnerre de redoutables hosannas répondit à sa virulente tirade.

Cependant, une fois plongé tant dans le cœur de l'action que celui des Soltarii, la place ne fut plus à la nostalgie. D'aucun aurait même qualifié le spectacle de barbare, notamment lorsqu'une tapisserie fut souillée par des projections de cervelet dont un coup de masse rageur s'était rendu coupable, mais c'eut été passer à côté de l'essentiel, de la beauté cachée de la chose. En effet, ce fut avec une efficacité rare et digne d'éloges que la coterie progressa dans le bâtiment. L'adversaire avait été pris au dépourvu, l'attaque survenue sans crier gare. Pas une issue ne fut négligée et les sommations bien souvent suivies de viretons dans la seconde. Ce n'était, d'ailleurs, pas de ces armes d'alguazils bonnes à chasser les chats mais plutôt ces arbalètes à cric de soldats qui vous clouaient proprement les bougres aux murs. Ne prétendait-on pas que des nigromanciens se terraient dans la cour du duc? Il convenait, par conséquent, d'abattre tous les traîtres avant qu'ils n'aient pu tisser leurs charmes démoniaques.

Ainsi, ce fut peu après avoir méchamment broyé le visage d'un page équivoque de ses gantelets à l'écrevisse que Benfred "Deux-Gueules" accompagné du captal et du reste de la troupe parvint au petit salon où s'entretenaient les deux aristocrates suderons. La pièce fut promptement investie et les deux félons menacés par suffisamment d'arbalètes pour abattre un Frakar. Alors, une ridule mauvaise à la commissure de ses trop nombreuses lèvres, l'olysséen déclara : « Messires Asdrusbal de Soltariel et Altiom d'Ydril! Je vous arrête sur ordre de la Régente et du Conseil sous les neuf chefs d'accusation, non exclusifs, suivant : de parjure, de félonie, d'attentat à la personne du roy, de conjuration, d'animalité, de blasphème, de nigromancie, de profanation de tombeaux et d'actes de cannibalisme! »

Serviables, quelques pandours faisaient déjà tinter des chaînes, dans un coin de la pièce, en adressant des œillades suggestives au duo de Suderons.

Le capiston homoncule s’élança lors et à brûle pourpoint, admonestant cette ultime malechevance d'un puissant horion de son gantelet à l'écrevisse, barbouillant cette toile blafarde du sang de ses chiens. Rares étaient les occasions de jeter ainsi son gant à ceux de si haute extrace ! Le bourreau se saisit adonc de cette crinière maudite, ponctuant le mouvement d'un « Fot-en-cul ! » rageur pour ensuite mieux s’enquérir sur le sort de la cousine du drôle, qui par un heureux hasard lui faisait aussi office d'épouse. Hélas, la meilleure volonté n'y fit rien et il devint vite apparent que, lièvre, la donzelle s'était dérobée de la justice par le biais de quelque poterne. Mais à quoi au juste avait-elle échappé ? L'honneur du roy était sauf, mais aucun des meneurs de cette vaillante coterie ne pouvait prétendre avoir songé au sort d'éventuels rescapés. Ainsi, si l'on se permit de passer au fil de l'épée les séides de Velteroc, il convenait de trier le bon grain de l'ivraie. Altiom fut remis aux gens du roy et entreposé dans les bas fonds de la Valiance, ou il pourrait entrapercevoir la vérité de sa forfaiture loin du soleil et de la piquette. Asdrubal lui fut encapuchonné et encachoté dans la gaillarde ferté d'Edelys, sous le donjon et non loin du cellier, de la régente et de ses gens.