En face des "trois soeurs" à gauche [Pv Rhys]

Le grand Astre inondait Thaar de sa lumière et de sa chaleur depuis quelques heures déjà lorsque Rhys arriva à l’hôtel particulier que lui et certains Sans-Couleur occupaient. Situé dans les hauts-quartiers de la ville, le bâtiment était suffisamment vaste pour accueillir tout le groupe, mais certains préféraient vivre de leur côté. Généreusement fourni par un client satisfait il y a quelques années, l’endroit n’était donc occupé que par quatre des sept membres du groupe : Eyrin, Olvar, Nymaël et lui-même, bien qu’il louât une chambre à l’année au Lion d’Or, ne serait-ce que pour avoir un espace privé dans le cas où il en aurait besoin. Il en revenait d’ailleurs.

Il fut surpris de ne trouver qu’Eyrin en entrant : bien qu’Olvar passe souvent ses journées et une partie de ses nuits dehors, Nymaël, lui, s’absentait rarement pendant la journée. La jeune femme lui adressa un sourire en le voyant entrer, qu’il lui rendit, avant de demander :

- Tu es seule ?

Il connaissait la réponse, mais c’était une façon moins longue de demander ce qu’il en était de l’estréventin et de l’elfe. Et lorsque l’on a le crâne prêt à exploser et peu dormi, tout est une bonne façon de s’économiser.

- Oui. Olvar et Nymaël sont sortis un peu plus tôt. Quelque chose à propos de paris truqués, ce me semble..

Elle sembla remarquer la mine peu avenante du jeune homme.

- Réveil difficile ?, fit-elle, un sourire en coin aux lèvres.
- Tu n’as pas idée… J’ai besoin d’un bain, répondit-il en se frottant les yeux de la main.

Il se défit de son manteau et de sa ceinture alors que le silence retombait, les abandonnant tous deux sur la première chaise qu’il trouva, se disant qu’il rangerait plus tard. Il prenait la direction de la salle d’eau lorsque la voix d’Eyrin s’éleva à nouveau.

- Une lettre est arrivée ce matin. Elle est pour un certain Blanval, mais...

Rhys s’interrompit net à l’évocation de son véritable nom de famille. Quelque chose dans son expression dût faire taire la jeune femme, qui se contenta de pointer la table du doigt, affichant une mine inquiète. Rhys s’empara de la lettre, la décacheta, la lut une fois, jeta un œil à la fenêtre pour estimer l’heure, la relut une autre fois et hésita un moment entre la brûler ou la garder. Il décida néanmoins de la garder dans le cas où on lui demanderait une preuve. Puis, et seulement alors, il réalisa qu’une seule personne au monde avait pu employer son véritable nom dans une missive. Et si Oschide avait besoin de l’aide des Sans-Couleur, il l’aurait.

*

La nuit était tombée depuis peu lorsque Rhys arriva devant Les Trois Sœurs. L’établissement, dirigé par Lyssa, Yorine et Allora, trois sœurs, était aussi réputé pour ses biens que pour ses services, et prospérait depuis des années. Arrivé devant la porte, il fit volte-face, pivotant sur ses talons, et chercha des yeux le comptoir indiqué dans la lettre. Son regard en rencontra un autre, et il réalisa que celui-ci était probablement rivé sur lui depuis qu’il était entré dans la rue. Il s’approcha, découvrant le visage de l’individu qui le fixait en souriant. Il prit la parole à voix basse, après avoir vérifié qu’il était seul dans la rue.

- Je suis Rhys de Blanval, fit-il en arborant la lettre reçue le matin même. Je suppose que nous savons tous deux pourquoi nous sommes ici.

Cicéro était seul dans la pénombre, attendant patiemment que le mercenaire se pointe. Il s’était demandé dans l’après-midi s’il le verrait ou non et il lui apparaissait alors très clairement que ça, seuls les dieux pouvaient le savoir. Après s’être détendu dans une taverne pour boire quelques bons vins des cités libres. Puis, il s’en était allé « aux trois sœurs » pour retrouver sa Yorine et se détendre encore plus. Mais la nuit était tombée et l’heure du rendez-vous approchait.  C’est alors qu’il aperçut le fameux type qui devait être engagé. Il était un peu plus jeune que lui et arborait un physique qui ne devait pas manquer de plaire aux pucelles de Thaar.

- Je suis Rhys de Blanval, fit-il en arborant la lettre reçue le matin même. Je suppose que nous savons tous deux pourquoi nous sommes ici.

C’était donc lui le fameux Rhys dont son chef lui avait parlé. Cicéro l’observa brièvement et lui sourit avant d’ouvrir la bouche pour lui montrer que son absence de langue l’empêcherait de parler. Il lui fit signe de le suivre par un brusque va et vient avec sa main et s’enfonça dans le comptoir seulement éclairé par le faible clair de lune qui régnait dans le port de Thaar. Le mercenaire n’avait pas de soucis à se faire puisque Cicéro était seul vu qu’il avait été envoyé expressément pour cette mission. Il arriva près d’une petite table ou une bougie éclairait du mieux qu’elle pouvait ce qui se trouvait dessus. Il y avait donc une lettre et un petit sac remplit d’espèces sonnantes et trébuchantes. Cicéro prit la lettre et la donna directement dans les mains du fameux Blanval. Il prit alors la bougie dans les mains pour permettre une meilleure lecture.

Rhys de Blanval,

Une connaissance qui vous est proche nous a fait part de vos aptitudes et de vos capacités à pouvoir mener des actions délicates. Nous souhaiterions un homme de confiance et tout semble vous indiquer. Contre le sac remplit d’écus que vous trouverez comme première avance sur la table, nous vous demandons d’envoyer une personne possédant des aptitudes pour pouvoir s’infiltrer et recueillir des informations. Cette personne pourra d’ores et déjà prendre la mer avec l’homme qui vous fait face et en qui nous faisons pleinement confiance. La suite des détails arrivera le moment venu.

S.

Sans savoir si le mercenaire accepterait la mission ou non, Cicéro sous pesait déjà le sac d’écus qui se faisait assez lourd. Pas de doute qu’il l’aurait déjà volé s’il n’avait été qu’un brigand de petits chemins. Mais non, il n’était pas cela. Ses besognes étaient souvent sales et secrète, mais il travaillait déjà pour le même depuis pas mal d’années et au final, si le travail payait, il restait. Et autant dire, qu’avec ces hommes, le travail payait toujours et régulièrement. Lorsque le mercenaire eut finit de lire, Cicéro lui adressa un large sourire révélant ainsi l’immonde espace qui régnait dans sa bouche et il donna le petit sac comme pour anticiper la décision de l’homme qui lui faisait face.

L’absence de langue dans la cavité buccale de l’émissaire en face de lui piqua la curiosité de Rhys : un homme que l’on punit vraisemblablement pour avoir trop parlé mais que l’on souhaite tout de même garder à son service a forcément des qualités ou des compétences rares, et il aurait souhaité savoir lesquelles. Malheureusement, il ne pourrait pas en discuter avec lui. Et de toute façon cela importait peu.

Il le suivit à l’intérieur, méfiant malgré tout et prêt à dégainer, mais se détendit en constatant que dans la pièce ne se trouvaient que le messager muet et lui-même. Sans s’asseoir, il saisit la lettre que lui tendait l’homme, la lut une fois, puis une seconde, avant de la tendre au-dessus de la flamme de la bougie et de la laisser se consumer sur la table.

Le calendrier était mauvais. Olvar, Ballard, Ellandra et lui-même, soit l’entièreté des combattants des Sans-Couleur, devaient quitter Thaar sous peu et ne seraient donc pas disponibles, et Ballard aurait parfaitement convenu pour la tâche. Ne restait alors que Byorr qui, bien que moins polyvalent, était spécialisé en infiltration. Il fallait néanmoins le trouver… Mais Rhys avait une bonne idée d’où aller le dénicher.

- Un homme sera ici même demain à l’aube, prêt à partir, fit-il au messager.

C’était concis, mais il n’y avait de toute évidence pas grande utilité à parler des heures à un muet.  Il saisit le sac de pièces que lui tendait l’homme, surpris du poids qu’il possédait, puis le salua et quitta la pièce d’un pas vif. Il avait un voleur à attraper et quelques heures seulement devant lui pour le faire.