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 Par toute la Péninsule.

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Cléophas d'Angleroy
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MessageSujet: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeSam 22 Nov 2014 - 1:05


Diantra.

Ses mille tours chapelées de suie, ses murailles couvertes de mousse et de charbon, ses portes encore encornées des coups des béliers et ses grandes rues pavées résonnant des vivats d’une foule invisible : dans toute sa gloire muette, elle t’attendait, splendide et redoutable, la cité des morts et des dieux. Engoncée dans son corset de granit, ses collines débordant de l’horizon, la matrone qui avait vu des milliers d’hommes passer sur elle t’ouvrait les bras, prête à t’embrasser comme au jour de votre rencontre. Il suffisait de la regarder pour savoir qu’elle avait un jour été une femme superbe ; elle était encore coquette dans ses vieux jours et toujours se paraît de guirlandes froissées à ton arrivée.

Mais voilà, cette femme aujourd’hui expirait des panaches de fumée grise. Elle toussait, les poumons noyés dans la poussière. Les perles qui décoraient sa gorge s’étaient ternies, ses tétons s’étaient asséchés et ses jambes dodues que l’on aurait mangées à même la fange avaient perdu de leur fermeté. Ses yeux, vitreux, s’entouraient de cernes délicats où se battaient le mauve et le bistre.  A sa vision, ton cœur se serra. Car tu savais toi, qu’elle vivait là ses dernières heures ; et tandis qu’elle te jetait un sourire gonflé d’espoir, des larmes coulaient à l’intérieur de ton corps et te faisaient frissonner des pieds au cap.

Ton entrée fut aussi discrète que ta sortie, par une des portes les moins occupées. Point de bannières flottant aux vents, seulement la dignité de ton office qui ouvrait toute herse sur ton passage et décrochait à la populace des sourires et des courbettes humbles et serviles. Malgré les mains que tu levais, les saluts que tu renvoyais, le souci s’était emparé de ton âme. Tous ces visages encrassés qui respiraient la quiétude, savaient-ils qu’eux-aussi ne verraient sans doute pas l’été se lever et les blés blondir ? La pensée te passa, concentré que tu étais sur les tours du palais qui dominaient de leur faste une cité prise de torpeur. La chancellerie ne t’avait jamais parue si belle, si douce, enroulée de vignes, de roses et de clématites ; sous la lueur d’un soleil à demi voilé elle semblait inébranlable, comme sortie d’un autre monde.

Mais ce monde te rappela vite à sa réalité. Il y avait à Chrystabel des familles pétrifiées, mortes de peur et de faim. Le froid, le siège et l’angoisse avaient déjà dû en emporter quelques-uns dans les palais de Tari avant que les flammes et les épées ne se chargent du reste. Du haut de la tour, tu jetas un œil sur ce royaume qui criait à l’agonie ; voie d’eau sur la péninsule qui sombrait de toute part. Le Nord, pacifié n’était plus qu’un champ retourné par le pas des chevaux et les brasiers des folles. L’Oesgard, un royaume élevé sur les cendres, la fange et les os des soldats morts en vain. Au Sud, le duché de Soltariel voyait la gangrène de ses grandes familles gagner sur sa santé. Tandis qu’à l’Est, le Langecin ne s’était jamais autant rapproché de la sécession.

La question te traversa l’esprit : comment ?

Nulle prière, nulle boisson, nul conseiller ni roitelet qui traînaient dans les couloirs du palais n’avait la réponse. Les Dieux s’étaient fait muets, les seigneurs tous s’étaient terrés dans leurs castels sans donner signe de vie. Et la régente, enfin, abandonnant son office, avait fui vers Sharas. La nuit porterait conseil, pensais-tu alors que tu posais le fessier sur ton lit. Les rideaux tirés et les lampes éteintes, tu espérais que les Dieux vinssent sous forme de songe te prodiguer soins et conseils. Et tes yeux se fermèrent…

La nuit était déjà haute quand tu les rouvris. Pas un souffle dans le palais aux herses closes. Le pas leste, tu arpentas ses couloirs et fit mander Hécarion, un des conseillers qui t’avaient accompagnés à Chrystabel. Dans l’obscurité, lui et toi avez descendu des marches sans les compter jusqu’aux viscères de cette immense demeure ; là, après être passés de porte en porte, de tonneau en tonneau, vous trouvâtes ce que vous cherchiez : un mur écroulé, tas de pierres et de mortier.

« Jusqu’où descendent-ils ? »
« Profond, messire. »
« Bien…qui sait qu’ils existent ? »
« A part vous et moi, personne. Je pense que le mur a dû s’effondrer après le souffle de l’Arcanum. »
« Et tu es descendu jusqu’où ? »
« Jusqu’à ce que j’aie suffisamment d’huile pour revenir. D’après l’humidité des parois et l’odeur de vase, je dirais que je ne devais pas être loin du Garnaad. »
« Parfait. Tu sais s’il existe une sortie ? »
« J’en ai croisé plusieurs oui. Il ne devrait pas y avoir de problème. »
« Parfait, parfait. »
« Est-ce tout messire ? »
« Oui tu peux remonter…ou plutôt non. Dis-moi, des nouvelles de Scylla ? »
« Les notables s’échauffent, de ce que j’ai entendu, ils envisageraient de faire sécession. »
« Je vois. Et ce métèque ne risque pas d’arranger les choses. »
« J’ai bien peur que non… »
« Bien. Et Port-Royal ? Ont-ils –
« Reçu vos ordres ? Oui. La flotte est prête à prendre la mer. »
« Bien, bien. »
« Est-ce tout ? »
« Une chose encore : envoie une troupe à Sharas. La marquise devrait y arriver dans peu de temps. »
« Pour quoi faire messire ? »
« Elle possède une chose qui m’est très chère et qui est précieuse aux yeux de la péninsule. J’ai déjà reçu sa parole, elle me remettra. »
« Bien messire. Une centaine d’hommes, épées au clair ? »
« Non, une vingtaine. Sans apprêts. Tu peux y aller. »
« Bien messire. »
« Hécarion ! »
« Messire ? »
« Fais en sorte que Scylla reçoive mon message. »
« Ce sera fait messire.
»

L’homme à la peau cuivrée rebroussa chemin. Toi, tu restas longtemps à sonder la profondeur des souterrains avant de finalement te décider à remonter, empruntant les mêmes crevasses par lesquelles tu étais descendu jusque-là. A ton retour, point de surprise sinon que le soleil s’était levé. Les cloches de Diantra tintaient dans l’air, les brasiers s’élevaient dans les quartiers forgerons, les tanneurs s’affairaient dans les canaux et sur le fleuve, les caravanes déferlaient depuis les campagnes. Conformément à tes instructions, on dressait des pieux et creusait des tranchées devant les murailles, on consolidait les portes et dans l’arsenal on voyait débarquer des jarres de poix par centaines. On forgeait à sueur des épées, des vouges, des broignes et des cottes de maille ; on brodait de nouvelles bannières, on polissait les cors de guerre. Dans les ruelles on amassait de quoi hérisser des barricades, on testait les scorpions et les balistes, on hissait sur les tours du palais les couleurs du royaume et de Néera.

Ta belle te gratifiait de son chant du cygne et le tout avec une paix étonnante. Le peuple continuait de vivre tandis qu’on le préparait à faire guerre. Car dans les rues, le mot était arrivé que le seigneur de Velteroc, celui-là même qui avait insulté le roi et la mémoire d’Aetius avait massacré les soldats du Roi et assiégé leurs cousins de Chrystabel. La douleur était si grande que dans la journée, en habits de deuil, tu avais accueilli les dignitaires de Diantra et des seigneuries alentour dont les enfants étaient partis dans l’ost de la régente. Toute la journée tu avais vu leurs visages rongés par la douleur, déformés par la rage et l’envie de vengeance, abattus par une fatigue dolente. Aussi, lorsque la perspective que ce seigneur fasse marche vers Diantra s’était propagée dans la ville, le peuple de lui-même souhaita prendre les armes. Au son des chants de guerre et d’hymnes de louanges, le Guet fit trembler les murailles et les hommes et enfants vaillants paradaient, armes à la main.

Cette cité qui allait voir la ruine avait des allures de nation victorieuse. Les carillons emplissaient le ciel à côté des fumées d’encens et de graisse brûlés, des bruits de la ville et du cliquetis des armes et des armures dans les casernes, les arènes et toutes les places de Diantra. Cette image souleva dans ton corps un élan de joie et, les mains posées sur le créneau, tu t’étais laissé griser par des images de triomphe et de sacrifice. Elle avait été longue, cette journée et elle n’était pas finie, car il y avait des dizaines de milliers de familles qui criaient vengeance à l’ombre de Diantra. Les seigneurs des régions alentour avaient été convoqués à Diantra pour répondre à ce qui se passait à Chrystabel et il ne tarderait pas longtemps avant que tu ne les voies débarquer dans les rues hallucinées de la ville. Sur les murailles on déroulait déjà des toiles aux couleurs du Roi, on les pendait aux fenêtres comme à la veille d’un mariage : mariage de la terre et du sang.
Mais tu n’avais jamais aimé les mariages.

Aussi, après avoir passé l’heure du déjeuner abandonné aux litanies en compagnie du clergé et des familles en deuil, tu pris ta plume en main et traças quelques lignes sur un vélin.

« Puisse Néera porter ce message sur ses ailes avant que Chrystabel ne soit elle-aussi massacrée comme le reste de ces pauvres hommes devant ses murs. La nouvelle m’est parvenue de votre triste victoire contre les armées du Roi et c’est au nom de ce même Roi que je vous le demande : cessez votre sanglante entreprise. La péninsule n’a plus de sang à vous donner que celui de vos propres frères, n’allez pas leur demander de déposer leurs vies au nom d’une cause qui  n’est pas la leur.  Le royaume est en proie à la ruine. Pour le royaume, je demande trêve. Trêve avant qu’il ne reste de lui plus rien que cendres, que terre et que cadavres.

Vous dites agir pour le royaume, mais où est l’intérêt du royaume dans l’Erac retourné ? Où est l’intérêt du royaume dans ces milliers de familles massacrées ? Où est l’intérêt du royaume dans cette cité que vous assiégez ? Où est l’intérêt du royaume dans ces titres que vous vous êtes arrogés ? Où est l’intérêt du royaume dans le sillage de rebelles que vous avez tracé ?

Si c’est le royaume qui vous tient à cœur, cessez de répandre le sang et la discorde, acceptez cette trêve et nous discuterons du reste lorsque toutes les armées seront retournées dans leurs casernes, que les épées seront retournées aux fourreaux et que le sang des justes aura été honoré par la sépulture et les sacrements.

Je n’ai pas désir d’entretenir une flamme qui finira par s’éteindre faute de quoi la nourrir. Sauvons le royaume tant qu’il en reste quelque chose. Car il ne reste déjà presque plus rien à sauver. Plus rien à réclamer. La péninsule est éclatée en autant de fiefs qui chaque jour que le sang coule, s’éloignent les uns des autres.

Si votre désir est de marcher sur Diantra, je ne peux que prier pour que cette idée vous passe et que Néera nous garde tous, vous comme moi, que vous preniez cette décision car c’est ici que sera signée la fin de ce royaume fondé par nos ancêtres il y a plusieurs millénaires. Diantra est un peuple fier qui n’a jamais été prompt à se rendre ; il ne se rendra pas. Vous briserez ses portes, vous enfoncerez ses rues et l’ivresse du soldat vous dépassera. La cité sera saccagée, pillée, baignera dans le sang et le chaos. Eventuellement vous trouverez la voie jusqu’aux regalia, éventuellement vos soutiens qui comptent pour peu au nombre des pairs, feront de vous un roi.

Mais pour quel royaume ? Un lopin de terre livide et retournée. Langehack est comme un îlet glissant au large, Soltariel comme une pierre coulant au fond de l’étang, le Nord comme un fruit séchant au soleil. Et le Médian, un champ de bataille où ne poussent ni fleurs ni sourires.

Si c’est cette péninsule que vous voulez soumettre, si c’est cette péninsule que vous voulez poser sur vos tempes, soit. Néera nous garde que vous alliez jusque-là, car il n’y aura plus de péninsule à défendre.
Aussi, je vous le demande, abandonnez cette entreprise de malheur, revenez à vos sens et concluons cette trêve, pour le bien du royaume et de ses ouailles. L’ombre de l’interrègne plane sur le royaume, que cet interrègne soit un temps dévolu à la paix et à la convalescence plutôt qu’à l’agonie douloureuse.
Epargnons le peuple de querelles qui ne le concernent pas. De querelles qui ne nous concernent pas.

Au Nom de Néera et de la Couronne ; par Cléophas d’Angleroy, Grand Chancelier de la Couronne, Baron de Merval, Vicomte de Corvall.
»

Tu pris le temps de sécher l’encre et d’enrouler le vélin sur lui-même, de le cacheter de cire bleue et de l’enrouler d’un ruban indigo. Tu le remis à un messager aux couleurs du Roi qui portait une bannière blanche où s’enroulaient des lauriers d’or : signe de paix. Il fut envoyé à Chrystabel tandis que d’autres messagers étaient déjà partis pour Merval et Scylla, et qu’une troupe de cavaliers faisait route vers Sharas. Tels des étoiles filantes, ils couraient dans toutes les directions de la péninsule, et en mer, un navire s’apprêtait pour Thaar, toutes voiles dehors.

Tu profitas de ce moment de flottement pour arpenter les rues de Diantra et quelle ne fut pas ta surprise de voir suspendues aux frontons des temples et des portes des grandes bannières où était brodée l’inscription : « INNO GF CTI » que l’on scandait dans la basilique depuis la matinée et dans les processions qui engorgeaient les ruelles et auxquelles le peuple se joignait avec hardiesse.  Le sourire te prit les lèvres et toi aussi tu te joignis à la foule, scandant avec elle aux antiennes des prêtres et des prélats qui agitaient les encensoirs sur le chemin. Tes soucis s’envolèrent avec l’oliban, la myrrhe et l’ongle odorant tandis que le Soleil, pour ce dernier jour de gloire, avait décidé de t’apparaître dans son plus simple apprêt.



Dernière édition par Cléophas d'Angleroy le Ven 17 Juin 2016 - 15:09, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeMer 17 Déc 2014 - 12:15

6e jour de la 2e ennéade de Barkior. 8e année du 11e cycle.


Hector de Tall
Pas une goutte d’alcool depuis qu’il avait quitté le campement du comte de Velteroc et du détachement Langecins envoyé pour l’aider. Pas une goutte d’alcool diantre ! Mais l’attente en vaudrait surement la chandelle lorsqu’il parlerait au nom de son suzerain. Ils arrivaient en vue de la grande cité royale de Diantra avec leurs bannières qui claquaient au vent. On pouvait y voir celle d’Erac, de Langehack, de Velteroc, de Missède, de Hautval et celle récemment obtenue de Christabel. De loin, ils devaient plus ressembler à un défilé d’étendards que d’une délégation censée négocier la fin des hostilités. Et pourtant, ils étaient bien là pour ça.

A l’approche de la cité, ils virent des hommes en train de préparer les défenses. A n’en pas douter, Diantra se mettait sur le pied de guerre et préparait la réception d’un siège. Quel symbole de voir le centre de la puissance péninsulaire se préparer à sa survie.

Au fur et à mesure qu’ils avançaient, les regards autour d’eux se faisaient méfiants voire hostiles, mais à vrai dire, ce n’était pas ces hommes et femmes qu’ils étaient venu convaincre. Une fois devant les grandes portes de la cité royale, la délégation aux multiples bannières s’arrêta et attendit qu’on vienne leur ouvrir. Hector chercha alors sa gourde pour se rafraîchir le gosier mais ne trouva qu’un espace vide, à son grand désespoir…l’attente serait longue…
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Cléophas d'Angleroy
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MessageSujet: Re: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeVen 19 Déc 2014 - 12:52


« Messire, il y a du mouvement ! »
« Et il semblerait qu’ils aient sorti les guirlandes.
»

La vision ne t’étonna qu’à moitié. Ce semblant de victoire arraché à Chrystabel avait donné à tes interlocuteurs des allures de coq impérieux. Il leur faudrait encore plusieurs minutes avant d’arriver à bonne distance des murailles, suffisamment pour te laisser organiser les préparatifs. En moins de temps qu’il en fallait pour éructer, tu avalais déjà le marbre des halls du palais désormais noirs de nobliaux, de roitelets, de gardes et de mercenaires de toutes espèces et de toutes couleurs. A ton passage, les voix s’étouffèrent, laissant place à des sourires et des révérences. Combien de pères avaient été émasculés à Chrystabel ? Combien de mères avaient eues le ventre tranché ? Toi-même en les voyant tous vêtus de noir et prêts au combat sous les ors de ce palais qui avait vu les siècles lui brosser les dômes sans flancher, tu ne pouvais les compter. Tu ne comptais que sur leur admiration.

En posant le pied sur le parvis, tu t’attendais à tout sauf à cette vision. Ils t’attendaient. Plusieurs milliers de jeunes miliciens, leur glaive en main, s’étaient rassemblés comme une meute de louveteaux, leurs yeux gonflés d’espoir et d’un courage que seule connaît la jeunesse. Les sentinelles sur les murailles s’étaient détournées de la plaine, les palefreniers avaient lâché leurs sabots : tous ces visages tantôt ronds comme des fruits mûrs ou éprouvés comme l’enveloppe d’une châtaigne n’attendaient qu’un mot de ta part.

Tu leur adressas un signe.

La main levée, ils te répondirent à l’unisson en criant à gorge déployée : « Inno ! Néera ! Deina ! ». Et l’émotion de te soulever les tripes, décrochant de ton visage composé un rire spontané. Descendant les marches, suivi par la seigneurie dolente, les cris continuèrent en chœur « Inno ! Néera ! Deina ! » les aristocrates se mêlant aux voix de la plèbe. C’est alors que l’évidence t’apparut : ces jeunes faces avaient déjà tout perdu. Fût-ce leur mère, leur père, leur frère ou leur oncle ; fût-ce un ami d’enfance ou un amour de jeune fleur, chacun avait perdu le joyau de son âme, le vernis qui venait rehausser leur terne quotidien. Ils avaient déjà perdu leurs espoirs, de fonder une famille ou de perpétuer un nom. Qu’avaient-ils maintenant à perdre qu’une vie morne ? Qu’une vie sans saveur ? Que des journées sans cesse répétées, toujours les mêmes, toujours plus lentes ?

Diantra se fichait de se battre. Elle se battait déjà. Elle était déjà là, en armure, prête à se jeter une dernière fois dans l’arène et partir dans les flammes. Elle te le criait, elle te le montrait, parée de ses bannières, ses frontons gravés d’inscriptions que caressaient et répétaient les mages de l’Arcanum. Il fallait de peu pour tenir un siège, et Diantra possédait tout.

Les messagers devaient maintenant être au-devant des portes. Ton regard parcourut la multitude de crânes amassés derrière toi, pour s’arrêter sur une tête affable. Damys, un des mages de l’Arcanum que tu avais traîné en Edelys pour qu’il échappât à la répression populaire. Cet homme qui avait traversé Miradelphia de part en part pour s’établir à Diantra avait le visage basané des estréventins. S’il avait échappé à maints périls pendant ses pérégrinations, le destin fit qu’il atterrit à la capitale deux nuits avant le fâcheux incident qui avait coûté la vie au régent et au Roi. A peine avait-il pris ses fonctions qu’il se retrouvait pourchassé par une meute diantraise qui avait soif de sang. Cette nuit, lorsque le chef de la garde était venu dans la caserne, avec une soixantaine de pelisses noires, il n’avait pas compris ce qui était en train de se passer. On lui avait seulement dit de se taire et de suivre les instructions. Il aurait pu envoyer le jeune impudent dans les limbes ou lui faire prendre feu de l’intérieur, mais une voix dans sa tête lui disait de lui faire confiance, cette même voix qui  un jour lui avait dit d’apprendre le pouvoir des plantes et des runes. Quatre jours plus tard, après avoir essaimé différentes propriétés disséminées dans les plaines royales en compagnie de ses compères de l’Arcanum qui n’étaient pas parti vers le Nord, il posa ses yeux sur une haute colline couronnée d’un palais plus blanc que la neige. C’est là, lui avait-on dit, qu’il s’exercerait jusqu’à ce que la crise passe. Lorsqu’il demanda où il était, une voix déchirée par un accent qu’il n’avait entendu qu’à quelques endroits de l’Estrévent lui répondit « A Merval, messire. ».

Aussi quand ton regard s’arrêta sur lui, tu savais qu’il serait la bonne personne. Sa monture harnachée et sellée, tu le flanquas de quelques hommes et les envoyas descendre vers la plaine. Les ruelles de Diantra s’étant hérissées de barricades, il leur faudrait bien plus de temps que d’habitude pour progresser jusqu’à la porte de la muraille extérieure. Les mille clochers de la ville luisaient d’un éclat ocre, lui donnant l’air d’une cité incendiée. Du haut du parapet tu regardais la troupe avancer dans les ruelles sinueuses, la foule amassée aux fenêtres. L’un des gardes laissa au vent sa bannière blanche, tandis que l’autre brandissait fièrement celle nouvellement brodée où sur un champ de pourpre on pouvait lire à lettres d’argent l’inscription désormais sur tous les frontons de la ville « Inno ». Une fois les portes ouvertes et la herse levée, les émissaires diantrais durent attendre pendant que des sapeurs jetaient une passerelle par-dessus le fossé qu’ils avaient creusé. Les planches choisies ne supporteraient le poids de trois chevaux en marche, aussi avancèrent-ils l’un après l’autre.

Arrivés à bonne distance des nordistes, Damys leur lança :

« Ma foi messieurs, je ne vois dans vos chiffons aucun qui porte la couleur de la paix ! Est-ce pour nous déclarer une nouvelle fois la guerre que vous êtes venus jusqu’ici ! Si c’est le cas, sachez que vous n’aviez pas à vous donner tant de mal, Diantra avait compris la situation bien avant Chrystabel ! »

Damys alors se tourna vers un des pantins, cherchant de quoi boire, car le Soleil brûlait haut. Ne trouvant rien, il dit pour lui-même : « que la paix valait bien une bouche sèche ».
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Nimmio de Velteroc
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MessageSujet: Re: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeLun 22 Déc 2014 - 16:01


Le Duc du Médian était assit songeur, observant l’horizon rosé en cette magnifique tombée du jour. Bientôt, la rosée perlerait sur la plaine en contrebas et il lui faudrait rentrer se mettre au chaud et retrouver les hommes qui assuraient sa sécurité. Mais il avait besoin de solitude et de repos. Cela faisait plusieurs ennéades qu'il guerroyait contre l’infâme usurpatrice et ses sbires résolus. Mais aujourd'hui, il avait remporté une grande victoire. Christabel s'était rendu sans que trop de sang ne soit versé. Les habitants avaient pu constater de leurs yeux que l'Ogre du Médian n'avait pas les appétits qu'on voulait bien lui prêter et que ses soldats, fermement encadrés n'étaient pas les pillards sanguinaires qu'ils avaient imaginés.

Une nouvelle ère s'ouvrait devant lui et peu de chose se dressaient encore en travers de la route de la paix et de la réunification. Les soutiens à son entreprise étaient de plus en plus nombreux et de moins en moins dissimulés. Langehack, Missède, Erac, Seramire, Ethernat, Velteroc, Hautval et maintenant Christabel faisaient partie d'une même communauté d'intérêt. Bientôt, Esteria entendrait raison et se rendrait certainement. La nouvelle de la capitulation honorable de leurs voisins avait dù les atteindre rapidement, de même que la présence de Nakor auprès des Velteriens, symbole du soutien des partisans du Roi Trystan aux entreprises du Duc.

Seuls Diantra, Missède et Scylla semblaient lutter encore contre inéluctabilité. Ils avaient perdu la guerre qu'ils avaient créés par leur gourmandise, leur mépris et leur arrogance et, drapés dans cette fausse honorabilité qu'ils tentaient vainement de s'accorder, ils venaient de faire parvenir à Nimmio une missive l'enjoignant, au nom de l'intérêt du royaume de déposer les armes et de leur accorder une trêve. Ils ne manquaient définitivement pas d'air.

Où était leur sens de l'intérêt général quand les appétits de l'usurpatrice l’amené à prendre le trône lors d'un coup de force ? Où était-il quand ils l'avaient jeté, lui, comme un mal propre alors qu'il venait apporter son aide à rassembler ce qui était épars depuis la mort de Trystan ? Où était-il quand ils ont tenté de porter atteinte à son ambassade diplomatique lors des funérailles du Roi Eliam, répandant le sang de sa garde et déclarant par la même occasion une guerre contre lui et les siens ? Où était-il quand ledit sire rédacteur de la présente lettre venait énumérer les chefs d'accusation à son encontre, menant l'insulte au delà du raisonnable et détruisant les derniers vestiges de conciliation possible ? Où était-il leur sens de l'intérêt général encore lorsqu'ils ont levé l'armée Royale pour venir porter atteinte à l'intégrité de ses terres ? Où était l'intérêt général quand ils avaient laissé le royaume se désagréger, préférant  s'accaparer de nouvelles terres plutôt que de négocier avec les sécessionnistes ?

Non en réalité, ils n'avaient rien de défenseurs pour le royaume. Ils n'était rien de plus que des traîtres pris sur le faite et qui tentaient à présent de se sauver en renversant le rapport de causalité, en l'accusant lui des méfaits dont ils s'étaient rendus coupables. Et il lui revenait à lui, Nimmio de Velteroc que de mettre fin à leur cupide forfait. La régente tomberait et le roi serrait soumis au jugement des grands de la péninsule afin se savoir si sa légitimité était bien réelle et dans quelle condition elle s’exercerait le cas échéant.

Plutôt que de répondre de manière manuscrite à la missive qu'il tenait dans les mains, il avait demandé à son cousin Clotaire de se rendre en son nom à Diantra afin de négocier les termes de la reddition des derniers Régentistes. Comme pour Christabel, il leur ferrait une proposition des plus honorables et acceptable en échange de la fin de leur emprise sur la capitale et ce qui restait du royaume. Mais il était également préparé à devoir assiéger la capitale si d'aventure ils fussent incapable d'entendre raison. Bien que la seconde possibilité ne lui déplaise au plus haut point, il savait désormais que les Cinq étaient avec lui et que le sang versé l'était pour une noble cause. Mais si Christabel avait su entendre raison, pourquoi Diantra voudrait-elle brûler ?

_______________________________________________


Clotaire s'était mis en route à l'aube du lendemain. Paré de ses plus beaux atours et accompagné par une non moins splendide escorte, il avait fière allure. Entouré des porte-bannières de ses alliés, de quelques chevaliers pour les escorter et d'hommes d'armes montés, il traversa les terres royales en direction de la capitale. Les paysans qui labouraient encore leurs terres dans les environs purent voir passer l'ambassade non sans étonnement. Après une paire de jours de trajet, la ville fut en vue et un messager se détachât du la colonne afin de les avertir de leur arrivée.

Peu de temps après, ils furent accueillis, devant les portes de la ville par celui qui s'annonçait sans doute être le négociateur des régentistes. La ville était paré de ses atours défensifs et fourmillait d'activité. On regardait les médianais avec étonnement et suspicion où tout simplement avec curiosité. Clotaire, quand à lui, en bon général velterien observait instinctivement les murailles et autres défenses afin d'en jauger l'efficacité. Il fut alors sortis de ses rêveries par celui qui s'avança face à lui. On lui servit le discours habituel de Diantra la pacifique qui faisait face honorablement aux bellicistes du médian. Mais in n'en avait cure. Cela faisait bien longtemps que ces mensonges avaient cessé de faire le moindre effet sur lui et ses hommes. C'est sous le claquement des étendards de la coalition des deux médians qu'il entreprit alors de nouer le dialogue avec le diantrais.

Et bien Monsieur, quel accueil ! Comme vous le voyez, nous ne somme pas venu si nombreux que votre sécurité fut compromise. La paix nous semble ainsi la meilleur des options pour expliquer notre entrevue. Mais il est amusant de voir ceux ayant déclaré la guerre demander à ceux qui viennent discuter la paix s'ils comptent être à nouveaux les bellicistes de l'histoire. Mais non mon bon ami, je suis mandaté par sa Grâce le Duc Nimmio afin de trouver un terrain d'entente à la cessation des hostilités et à la réunification du royaume. Êtres vous cependant plus enclin à discuter que la dernière fois qu'il a été donné à notre seigneur de fouler ces terres ?
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Cléophas d'Angleroy
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MessageSujet: Re: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeLun 22 Déc 2014 - 23:32

"Un, deux, trois, ils iront au bois. Quatre, cinq, six, cueillir des cerises. Sept, huit, neuf, dans un cachot neuf. Dix, onze, douze –"

La comptine fut stoppée net par les palabres de l’émissaire étranger. Ce qui était fort dommage, de l’avis même de Damys, cette chansonnette valait d’être poussée jusqu’à la fin. Le mage écouta avec une attention modérée le discours du freluquet. Mais à tout dire, ses pensées étaient perdues bien loin, derrière ces fanions qu’ils appelaient bannières. Elles allaient là où la chaussée franchissait le fleuve en un maigre pont de bois. Du temps d’Aetius, Damys savait que l’Arcanum avait fait pression afin de reconstruire un pont de pierre, à la hauteur de Diantra. Le régent s’y était toujours opposé, arguant des coûts mirobolants, des conflits toujours pesants au Nord, voire une pénurie de pierre de qualité.

Personne n’avait compris son acharnement à l’époque. Les marchands auraient préféré une chaussée plus large, les équarrisseurs et autres chalands une chaussée plus solide, les nobles une plus fastueuse, les mages une plus mystique. Mais le bon Damys, dans toute sa sagesse, avait compris toute l’ingéniosité du régent. Même mort, cet homme avait encore de quoi surprendre. Ce qui le surprenait encore plus était l’assurance de ce jeune pédant agitant ses chiffons comme un enfant son doigt pour un effet plus ou moins similaire. Ainsi, tandis qu’il parlait le torse bombé et le front clair, Damys passait en revue le nombre de mélopées qu’il avait entendues de la bouche des geôliers mervalois.

Quand vint le moment de lui de répondre.

« A discuter nous sommes enclin garçon ! Mais laissez-moi vous dire une chose : votre vit doit avoir grandement grossi si vous croyez qu’il puisse toucher ces murailles. Je crains que le zénith soit une heure peu vouée aux parlementes. Lorsqu’il aura dégonflé, revenez-nous voir messire. Là nous pourrons entamer de vraies négociations. Avant cela, je crains pour la sûreté de nos frères diantrais. A l’aube messieurs ! »

Damys adressa un signe bref à ses acolytes, qui étonnés, lui embrayèrent le pas. Ils rentrèrent au pas et au frais à l’ombre de l’imposante muraille diantraise. On jeta sous leurs pas la passerelle de bois, on ferma derrière eux la lourde herse, on monta après eux la garde sur la plaine, on ouvrit devant eux des passages dans la rue.

Les négociations prévoiraient d’être longues.

------------------------

A la venue du nouveau jour, Damys avait passé une courte nuit. Cléophas lui avait demandé de rédiger un exemplaire du traité à signer, prétextant que cela écourterait les négociations. Damys avait commencé à rétorquer que la diplomatie se faisait à face à face, ce à quoi le chancelier lui rétorqua que cela lui épargnerait d’avoir à tirer le verbe avec cet éphèbe tout droit venu de l’Eraçon. Il n’eut besoin de plus. Le mage avait saisi une plume et un encrier et suivait à la lettre les instructions données par le chancelier. Les articles se succédaient, les uns aux autres, tracés du sang de la noblesse diantraise.

Noblesse qui après s’être massée aux portes et armée jusqu’aux dents était maintenant à l’aube du départ. Ils avaient été prévenus en même temps que les nobliaux de la cour diantraise, qui vivaient aux crochets d’un trésor emporté en mer ; puis ce furent le tour des grands marchands et des chefs des corporations qui amassaient leurs richesses dans de grands coffres. Tous les chevaux, mules, mulets et porteurs de la ville se bousculaient sur les places du marché, du temple, des tanneurs et des cordiers, les bras et les croupes chargées de denrées. On fit même sortir des boucs et des béliers des ménageries du palais, leurs cornes croulant sous les étoffes et les perles. Dans la ville, le mot se passait doucement, mais personne n’en était vraiment certain : Diantra allait faire une sortie.

Le cachet d’or pendait du vélin, ponctuant le pas de la monture. A l’heure où les cités sortent de leur torpeur, Diantra elle était éveillée. Mue par une énergie invisible, au son des cloches, des litanies et des chants de guerre, la bonne femme allait son train et vaquait à ses occupations. On pendait le linge, on frappait l’acier, on donnait à manger aux nourrissons, on renforçait la grande porte, on sortait l’indigo de ses caisses, on plaçait les balistes au sommet des tourelles, on débarrassait la chaussée de sa fange, on faisait chauffer des marmites de poix dans les échauguettes. Accessoirement, on tournait le visage vers la délégation de la Couronne qui une nouvelle fois allait tenter d’extirper la paix aux belliqueux. De la bouche des enfants « Le boucher du Nord » ne consentirait jamais à une paix ; de celles des adultes ce sont eux qui n’y consentiraient pas. Le Soleil avait beau s’élever dans un ciel peinturé d’éclats de lavande, d’ocre et d’azur ; l’atmosphère était pesante de rancune.

Oui, les négociations seraient longues. Et ardues.

Portes, herse, passerelle, sabots, bannières. Le rituel fut le même que la veille déjà rôdé, à croire que les manutentionnaires avaient déjà en tête de le reproduire des dizaines de fois dans les jours qui suivraient. Damys espérait qu’il n’en serait rien. Il vint les mains vides et l’esprit détendu à cette deuxième journée de négociations. A en voir les faces des émissaires du Nord, eux aussi avaient en tête de cesser les palabres, leurs cernes et leur teint pâle brillant par leur éloquence.  

« Le bon jour jeunes sieurs ! La joie de vous revoir si fraîchement reposés. La nuit porte conseil dit-on, aussi me voici, la main blanche avec une proposition à vous faire. Je suis bien aise de vous voir venir sans bannières, nous pourrons discuter tranquillement sans être dérangés par l’intempestif claquement de la voile au vent.

Ainsi, la déclaration de paix unilatérale venant de la Couronne. Elle ne sera effective que si les conditions citées sont rencontrées. Je vous laisse à loisir de la parcourir. Comme vous pourrez le constater, le sceau de la Couronne y est déjà apposé et la signature du Grand Chancelier, son dernier représentant.
Peut-être voudriez-vous quelque rafraîchissement avant la montée du Soleil ? Nous avons de la glace et un sirop de verveine : il n’y a rien de plus désaltérant par une pareille chaleur.
»

Le mage tendit la coupe à son interlocuteur et à ses sicaires en même temps que le parchemin. Alors que l’émissaire le déroulait, Damys aperçut la commissure de ses lèvres se retrousser imperceptiblement.

Cléophas le lui avait promis.

--------------------


Quelle ne fut pas ta surprise de revoir dans l’heure même, ton émissaire se réjouir de quelques mets sucrés au pied de la tour. Satisfait, il t’avait conté l’entrevue avec sa précision légendaire : du chant d’une mésange posée sur une courtine à la bannière écornée de Missède, sans doute tirée d’un vieil entrepôt, sans oublier l’entrevue elle-même. Bien qu’au fond de toi tu approuvasses son comportement, tu n’en étais pas moins mécontent. Certes, transiger ne signifiait pas s’aplatir et l’honneur de la Couronne avait été insulté avec une sûreté détestable, mais il n’empêchait que l’on parlait de paix.

La paix, ce mot qui te semblait jour après jour plus diffus, moins réel. La paix tu ne l’avais connue qu’à Merval, seulement parce qu’elle sortait épuisée de ses escarmouches. Malgré tout, tu nourrissais l’espoir de retourner sur la côte et d’y boire des liqueurs de fruits mûrs et des décoctions de chanvre. Ton âme s’éprenait de chaos de grès, d’embruns iodés, et de voiles empourprées. Mais elle s’éprenait de bien d’autres choses, depuis ce jour que tu avais mis la main sur un ancien registre pharétan. Il n’avait rien d’exceptionnel. Au mieux, tu aurais pu en tirer quelques sous pour l’état presque parfait de sa reliure mais son contenu ne justifiait pas que l’on s’y intéressât. On y lisait les entrées et sorties de la halle aux tissus d’un maître drapier de l’empire. Pourtant, cet alphabet, cette langue, ces chiffres et cet entrepôt sémillant de vie venaient de susciter en toi des sensations encore inconnues, une extase inédite enfleurée des arômes de bois précieux, de métal et de sueur que transpirait les pharétans. Depuis ce jour, les codex s’étaient entassés dans la bibliothèque de Merval et tous ceux du palais royal qui traitaient de l’empire avaient été déplacés dans ta capitale. Dans ta capitale…

«
-Non, Damys écoutez-moi. J’entends votre hargne, mais depuis quand les ambassadeurs sont-ils supposés fermer les portes à leurs hôtes ? Aussi imbuvables soient-ils, les portes doivent leur rester ouvertes.
-Mais, Messire.
-Ne me fichez pas de messire Damys. Je vous pensais plus sage que cela. Pour l’amour de Néera, vous êtes de l’Arcanum. Est-ce que vous n’êtes pas censé avoir une sorte de code d’éthique ou quelque chose de la sorte ?
-Pas que je sache, Messire.
-Voilà qui est bien fait.
-Vous soupirez Messire ?
-Evidemment que je soupire ! Notre seule chance d’obtenir la paix et vous vous essuyez le derrière avec !
-Je pensais que
-Ne pensez pas, Damys, cela vaudra mieux pour tout le monde…Bien, trouvez-moi un vélin.
-Un vélin ?
-Un vélin ! Et une plume. J’en ai plus qu’assez d’écrire à vide.
-Est-ce une…
-Déclaration de paix. Oui, c’en est une. Comme s’il en fallait une autre…
»

Le mage s’était empressé de chercher une plume et un vélin de grande dimension. Il n’y aurait ni enluminures ni lettrines à couleur d’or, point de formules alambiquées, point de circonlocutions. Tu en avais marre de l’amphigouri, à voir jusqu’où il t’avait mené tu avais toutes les raisons de le haïr. Au point de l’éviter complètement. Les articles se succéderaient, affutés comme des lames, à ceci près qu’ils ne feraient pas couler le sang.

«
-Tu feras précéder le tout des formules qu’il convient.
-Bien Messire.
-Puisque la Couronne ne peut se soumettre à un vassal, en vertu des lois organiques du Royaume ; puisque la Couronne ne peut exempter de jugement un vassal ayant commis trahison, en vertu des lois organiques du Royaume ; puisque la cité de Diantra et tous ses habitants ne sont et ne seront pas en état de se rendre, moi, Cléophas d’Angleroy, Grand Chancelier royal, Baron de Merval &c. déclare la paix selon les articles suivants :



  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc obtiendra la totale indépendance et le dominion sur l’Eraçon.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, sera délié de tout lien de vassalité envers la Couronne de Diantra. Il en sera de même pour son épouse, la Baronne du Val. Il en sera de même pour ses enfants.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, renoncera à toute action belliqueuse à l’encontre de la Couronne de Diantra ou de ses vassaux, qui comptent au nombre de la moitié des pairs du Royaume.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, obtiendra de ses vassaux les barons de Missède et les ducs de Langehack de renoncer à leurs ambitions belliqueuses à l’encontre de la Couronne de Diantra ou de ses vassaux.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, s’engagera sur son nom à ce que lesdits vassaux ne rompent pas l’accord de paix.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, ne s’opposera aucunement à ce que des seigneurs rejoignent la Couronne de Diantra.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, obtiendra l’abandon des charges qui pèsent contre lui.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, ne pourra prétendre à la Couronne ni au dominion sur la péninsule, en vertu du sixième article de cette déclaration.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, ne pourra prétendre à dominer la cité de Diantra.
  • Le dénomme Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, pourra prétendre à la couronne, à la royauté ou à tout autre titre qu’il souhaitera sur les terres de l’Erac.
  • Le dénommé Nimmio de Velteroc, Comte de Velteroc, ne pourra prétendre à aucune autre conquête sur les terres de la Couronne, en faveur d’une paix durable.

    En contrepartie, la Couronne de Diantra s’engage :

  • A ne poursuivre de volontés belliqueuses concernant le dénommé Nimmio de Velteroc ou ses sujets.
  • A assurer la sauvegarde des institutions régaliennes et la garde du Roi Bohémond Ier, selon les volontés de la régente déposée.
  • A retirer le reste de ses troupes et de ses agents des terres de l’Erac.
  • A abandonner tout jugement et toute condamnation valant pour le dénomme Nimmio de Velteroc ou ses vassaux.
  • A établir des liens de paix durables entre les deux entités créées suite à cette déclaration.
  • A poursuivre l’objectif de paix et à défendre les marches septentrionales du Royaume.


-Tu as tout ?
-Oui Messire.
-Parfait, copie-le plusieurs fois, et qu’il soit lu demain dans toute la ville.
-Le sceau Messire ?
-Je l’apposerai avant ton départ.
»

Tu savais, au fond de toi que cette déclaration était la première marche vers la reconquête de ton extase perdue. Et cela t’éveillait plus que tout espoir de paix.

J’espère que cela vous réjouira autant que moi Messire. L’odeur de la paix, je pourrais la sentir d’ici.

Damys avait alors dit.
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MessageSujet: Re: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeVen 26 Déc 2014 - 16:06


Clotaire fit une moue intriguée lorsqu'on lui remit le vélin rédigé par le Chancelier de Diantra. Décidément, ces hommes de la capitale étaient bien étranges et ne embarrassaient pas des formes habituelles que prenaient les négociations de fin de conflit. Donner de la sorte, ce qui semblait être un traité de paix pré-rédigé et cela sans discussions préalables relevait de l'excès de confiance. Mais le seigneur du médian ne laissa rien paraître. Il se contenta de donner ledit document à son second et de s'en retourner à sa tente ainsi accompagné. Là, il déplia le vélin et parcourut attentivement les termes qui étaient proposés à sa grâce le Duc du Médian pour que les affres de la guerre prennent fin.

Force était de constater que Diantra, à son habitude ne comprenait rien au reste du Royaume et à la volonté des seigneurs qui le composaient. Ainsi, pour mettre fin au conflit, il était proposé ni plus ni moins que la création d'un Royaume indépendant du médian. Où avaient-ils été chercher que le Duc du Médian souhaitait que la péninsule soit partitionnée en plusieurs royaumes. Nimmio n'avait il pas cessé de prêcher pour une péninsule unie ? N'étais-ce pas ce qu'il avait proposé lors de son entrevue avec celle qui allait usurper le titre royal par la suite ?

Clotaire savait parfaitement quelle serrait la réaction de son cousin et Suzerin à ces propositions. Il allait les rejeter avec force et vigueur et vive comme une insulte que l'on se permette de rédiger un traité sans discussion préalable et déclarer la paix de manière unilatérale de la sorte et selon ses propres termes. Les choses ne fonctionnaient pas de la sorte et le Chancelier s'en rendrait rapidement compte.

Un pigeon partit alors en direction du nord et, le lendemain, Clotaire et son entourage se présentât à nouveau devant les portes de la Capitale péninsulaire.Il avait reçu, dans la nuit, un groupe de cavalier était venu lui apporter de bonnes nouvelles supplémentaires. Il convenait à présent d'expliquer au sieur Chancelier de Diantra que la situation était bien moins confortable pour lui qu'il ne le pensait. En effet, les bannières qui se présentaient devant la ville s’étaient vu augmenter de deux consoeures supplémentaires en la bannière d'Alonna et celle d'Esteria. La Coalition croissait de jours en jours...

Sa Grâce le Duc Nimmio de Velteroc, par mon intermédiaire représenté, refuse les propositions faites par la Ville de Diantra. Il ne revient pas à la Ville de Diantra de statuer seule sur les conditions de la la paix. La paix ne peut être que l'objet d'un accord discuté dans l'intérêt du royaume et certainement pas une déclaration unilatérale. Lorsque vous serrez disposés à prendre le Duc du Médian pour ce qu'il est, c'est à dire un seigneur soucieux de restaurer l'unité de la péninsule et non pas un roitelet cherchant à se tailler un royaume au sein de ces terres, nous pourrons discuter sereinement d'un réel traité de paix.

Il marqua une pause et son suivant lui apporta un parchemin de fort bonne taille. Il le prit et descella le sceau qui le maintenait fermé. Il me déroula alors devant lui et entreprit de le lire à haute voix. Il s'agissait des exigences du Duc pour accepter la paix.


Sa Grâce le Duc Nimmio de Velteroc, par mon intermédiaire représenté et portant sur ses épaules l'honneur d'Erac, Velteroc, Hautval, Christabel, Esteria, Missède, Langehack, Seramire, Alonna et Ethernat,  énonce ce qui suit comme les exigences préalables à toute paix avec Diantra et reconnaît le Chancelier Cléophas d'Angleroy comme représentant de la Coalition de l'Usurpatrice Arsinoé d'Olysséa.

Premièrement, sont préalable à toute déclaration de paix :
- Le renoncement par l'usurpatrice, de la régence du Royaume
- La reddition et le démantèlement des Ost restants en Olysséa, Sainte Berthilde, Odelian, Merval, Scylla et dans les Terres Royales
- La reconnaissance du Grand Duché du Médian en tant qu'entité une et indivisible et de son Duc, Nimmio de Velteroc.
- La mise en place d'une régence extraordinaire, le temps que prennent fin les troubles qui secouent la péninsule.
- La régence extraordinaire sera composée du triumvirat suivant : Nimmio de Velteroc : Régent, Oschide d'Anoszia : Sénéshal, Cléophas d'Angleroy : Chancelier et protecteur des terres royales.
- La prévisions de la convocation des grands de la péninsule pour la tenue d'un conseil de régence extraordinaire afin de statuer sur l'avenir du royaume une fois les Sombres repoussés hors de la péninsule.
- La convocation des armes péninsulaires afin de prêter main forte aux territoires du nord de la péninsule contre les Sombres.
- La reconnaissance par  Merval et Scylla, de la suzeraineté du Duché de Langehack sur leurs terres.
- La reconnaissance de la suzeraineté de Velteroc sur l'île d'Achid Kamil.
- La reconnaissance de la vassalité d'Isgaard vis à vis de Missède.
- L'ouverture des portes de Diantra pour la mise en place de la régence extraordinaire et la signature du traité de paix.

Deuxièmement, sa Grâce le Duc Nimmio de Velteroc consent en contrepartie,

- A ce que les terres appartenant à Arsinoé d'Olysséa par sa propre lignées lui soient maintenues et soient préservées des affres de la guerre.
- A ce que les terres appartenant à Madeleyne d'Odelian par sa propre lignée lui soient maintenues et préservées des affres de la guerre.
- Que les terres appartenant à Cléophas d'Angleroy par sa propre lignée lui soient maintenues et préservées des affres de la guerre.
- Que la ville de Diantra demeure libre et préservée des affres de la guerre et qu'elle demeure la capitale du Royaume.
- Que Cléophas d'Angleroy demeure le chancelier du Royaume et protecteur de la ville de Diantra afin de s'assurer du respect des engagements des partis contractants et de veiller, comme il le fait à la préservation du royaume.
- A libérer les prisonniers de guerre actuellement détenus en Velteroc et a permettre aux familles des nobles de payer la rançon de leurs proches.
- A mettre fin à la guerre et à disperser ses Osts hormis les troupes nécessaires à repousser les Sombres.
- A assurer la libre circulation des marchandises entre le nord et le sud de la péninsule et ainsi assurer l'approvisionnement de la capitale du Royaume.


L'énoncé était terminé et Clotaire de Velteroc replia le vélin avant de le remettre à son suivant. Ce dernier le récupéra et le referma avec délicatesse dans le tube de bois qui le contenait initialement. Il avança ensuite jusqu'à arriver au niveau des représentants de Diantra et leur remit le document. L'émissaire de velteroc reprit alors.

Vous direz au Chancelier Cléophas qu'à la différence de sa déclaration de paix unilatérale, ces exigences sont à discuter et il est le bienvenu pour le faire s'il le souhaite.

Les émissaires Velteriens saluèrent alors solennellement les Diantrais avant de s'en retourner à leur campement. Nul doute que tout cela allait faire du bruit dans la capitale, toujours habituée à dicter et énoncer, jamais à négocier.


Dernière édition par Nimmio de Velteroc le Ven 26 Déc 2014 - 16:54, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Par toute la Péninsule.   Par toute la Péninsule. I_icon_minitimeSam 27 Déc 2014 - 0:08

« Dites-moi ! Que lui répondrai-je ! ».

Leur cri fit trembler les murs de toute la cité. Du haut de ton promontoire de fortune, élevé à la hâte sur les hauteurs de la place du marché, tu jubilais. Tu allais enfin goûter à la paix et Diantra verrait des jours nouveaux ; meilleurs ceux-là. La foule encadrée par des rangs de soldats aux uniformes bigarrés te lançait des vivats et des acclamations. La place et les rues attenantes débordaient de liesse, des balcons se déversaient des cris de joie, des chants résonnaient au coin des rues et toi, toi tu goûtais ce suc avec une délectation subtile, jetant un regard à Damys qui assistait à la scène plus fasciné qu’un enfant.
« Tu vois » lui lanças-tu « je t’avais dit qu’ils décideraient pour nous. »


--------------------------------------

« Ce n’est pas…ce à quoi je m’attendais Damys. »


Quand le mage était revenu de la session de pourparlers, tu étais dans les jardins du palais avec un de tes conseillers. C’était un des seigneurs des terres royales, un de ceux qui avaient fui le pays Christabelain quand le spectre de la guerre s’était soulevé. Son regard en disait long sur ce qu’il ressentait au plus profond de son être, suffisamment pour que tu te penches sur son cas avec affection. Pendant que le Boucher se pavanait sur son lit de cadavres, lui te racontait l’épopée de son retour à Diantra, accompagné de ses gens, de ses armes, de ses trésors et de tout ce qu’il avait pu emporter. Il faisait partie de ces chanceux qui avaient quitté Christabel avant, pendant ou peu après le siège et comme lui lorsque la nouvelle se propagea, des centaines de seigneurs inféodés à la Couronne étaient venus chercher la protection des murs de Diantra : pour leur vie, leur famille, leur trésor et leurs ouailles. Depuis les jardins tu les avais vues, ces familles perdues, ces paysans effrayés traînant dans des charrues de fortune ou des carrosses trop ornés le peu d’espoirs qu’il leur restait.

Ils étaient prêts.

Prêts à tout quitter car ils avaient déjà tout perdu. Prêts à tout recommencer car ils ne voulaient pas continuer. Diantra avait donné le couvert à ses hôtes épuisés d’un voyage parfois long et fastidieux alors qu’elle-même vidait ses placards et ses alcôves. Le mot était vite passé. Les rues et les portes étaient toutes encombrées de denrées, de carrioles, d’ânes, de mulets, de caravaniers, de banderoles, de sicaires, de marchands, de coffres, de toiles, de roulottes aussi. La menace d’un siège n’avait pas endormi ta bonne amie, elle l’avait réveillée et ragaillardie. Doucement mais sûrement depuis plusieurs jours, on voyait une file de bonshommes s’étirer dans la plaine et aller vers le Sud. Ils fuyaient. Le spectre de la guerre ou de la servitude, celui de la mort brutale ou du deuil ; qu’importe quelle était leur motivation, l’acte était toujours le même : ils quittaient les lieux. La ville s’était déjà vidée suite aux nombreuses guerres civiles, la révolte du Médian ayant éclatée, les citoyens diantrais s’étaient préparés au pire, la nouvelle de Chrystabel étant arrivée, tu n’avais rien pu faire.

Qui aurais-tu été pour les soumettre à une mort certaine ? A la famine et aux maladies ? A la solitude et à l’angoisse qu’amènent les sièges ?

Non, tu avais laissé faire. Tu envoyais les prêtres donner leurs bénédictions aux voyageurs, tu demandais compte au Guet du nombre d’émigrants, tu rassurais les seigneurs et leur donnait une bise sur le front lorsqu’ils souhaitaient te quitter. Oui. Si Diantra avait pu amasser autant de bibelots dans ses rues, c’est bien parce qu’elles s’étaient quasiment vidées. Le jour on voyait la porte Sud vomir des centaines de familles, la nuit on voyait leurs torches se suivre dans l’horizon obscur. Toujours dans ton entourage, la même question qui revenait : « Avons-nous fait le bon choix ? » et toujours dans ton esprit cette voix qui répondait : « Nous n’avons rien fait. »

Quand le mage était revenu de la session de pourparlers, tu jetais sans le savoir tes derniers regards sur Diantra. Elle aussi était prête à dire au revoir, et elle te saluait avec sa grâce des premiers jours. C’était le zénith et les diantrais s’accordaient pour dire que c’était le plus beau moment de la journée, celui où Diantra se parait de couleurs éclatantes et laissait tomber la robe terne des gris matins de printemps ; celui où elle était le plus bouillonnante et faisait chanter les forges et les bordels ; celui où elle venait de se parfumer de safran, d’oliban, de santal et de poisson frais ; celui où elle veillait sur ses enfants qui jouaient dans les rues ; celui où elle faisait vrombir ses cloches et ses brasiers ardents ; celui où elle se révélait en somme comme la capitale qu’elle continuait d’être. Mais ce zénith était particulier. Point de couleurs éclatantes, mais un panorama morne. Point d’ébullition mais un débordement de vie. Point de safran, point d’oliban, mais les braises et la poix. Point d’enfants mais le vide. Point de révélation que celle d’une illusion : on t’avait mené en bateau.

Diantra avait cessé d’être la capitale de ce royaume le jour où des félons l’avaient attaquée. Ce n’était plus qu’une ruine depuis, un chat échaudé, une vieillarde apeurée à l’idée de se lever sans sa canne. Personne ne pouvait nier les bâtiments en ruine, personne ne pouvait nier les rues encore cabossées des pluies catapultées ; les tours décapitées, les créneaux écornés. Cette cité jadis florissante était devenue l’épicentre de tous les maux du royaume et son peuple naguère le plus heureux de la péninsule était devenu prisonnier d’une ville qui ne le laissait plus respirer. Alors lorsque l’occasion de s’enfuir s’était présentée, ils l’avaient saisie et s’y étaient accrochés comme à une corde en mer.

Tu le savais, un exode aussi massif ne pourrait passer inaperçu. Mais après tout, il fallait peu de temps pour traverser les terres royales, ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants avaient déjà trouvé refuge dans une des contrées voisines. Malgré l'ombre d'un autre conflit, les peuples vivaient tranquillement et s'armaient de patience à l'idée de devoir voyager avec une demeure sur leur dos ; et ils avançaient bon an mal an, gardés sur leurs chemins par le reste des compagnies royales. Les seigneurs ralliés à la Couronne avaient répondu à ton appel, et ils étaient venus renforcer la défense de la capitale, ne voulant pas se retrouver seuls devant l'ost débaroulant du Nord. Leur loyauté était à l'image de leur courage : exemplaire.
Ils avaient été courageux lorsque leurs maisons ont été attaquées. Ils avaient été courageux lorsqu’ils ont abandonné leurs terres pour te rallier. Ils avaient été courageux lorsqu’ils étaient venus de te demander justice. Oui, ces hommes avaient eu bien du courage, plus que tu n’en avais jamais vu. Ils en auraient bien pour la suite.

Quand le mage était revenu de la session de pourparlers, tu savais que ton destin t’attendait au pied du parchemin.

Damys te regardait.

« Etes-vous sûr de ce que vous faites Messire ? »
« Non. Mais j’ai confiance en ces gens dehors qui me regardent avec déférence. J’ai confiance en Néera qui protège cette cité. J’ai confiance en tous ceux qui ont quitté Diantra, Damys. »
« Porterai-je la nouvelle à l’émissaire Messire ? »
« Plus tard, Damys, plus tard. Je veux être le premier à l’annoncer au peuple diantrais. Fais porter des victuailles à nos amis du Nord, du gibier, des fruits et de la glace. Fais-leur dire qu’il me faut encore du temps pour réfléchir. Je vais me retirer Damys, et prier notre Bonne Mère, qu’elle puisse m’accorder l’inspiration. »
« Ce sera fait, Messire.
»

Il quitta l’office d’un pas feutré, te laissant seul à tes chimères et à tes doutes. La nuit commençait déjà à poindre lorsque tu t’effondras sur le sol, abîmé en prière. Tes paumes tournées vers le ciel, ton front touchait le marbre froid du palais ; au-dehors on entendait quelque cloche sonner la venue de la nuit et les dernières prières avant l’aube. Le palais retenait son souffle à mesure que tu abandonnais le tien à la déesse des Hommes. Le froid t’enveloppait comme un châle, glaçant tes os et tes organes, empourprant tes lèvres et tes joues. Chacune de tes respirations était ponctuée d’un nuage, comme si tu avais rejoint pour un moment la demeure des Dieux. Pas un son, pas un pas, pas un cil battant dans l’immensité du hall ; ni ombre sous les colonnes – tu étais seul.

Elle t’apparut en un éclair. Ce soir-là, tu vis une déesse au corps de flammes se lever devant toi et te parler en une langue inconnue. Ce soir-là, tu la vis déverser sur tes lèvres une braise liquide et sur tes yeux des charbons ardents. Ce soir-là, ton sang bullait comme dans une marmite. Ta faim de sagesse, rassasiée de visions multiples dont tu eus du mal à te souvenir. Terrifié par la vision, tu te mis à crier, sentant ta chair se décoller de tes os tu te mis à crier de plus belle mais ce soir-là, tu étais seul dans le palais. Ta voix se perdait dans les multiples dômes de l’antique demeure des rois de la péninsule qui te regardaient avec pitié de leurs demeures immortelles. Les flammes te dévoraient les rétines, brûlaient tes cheveux ; l’or fondu de ta couronne et de ton sceptre fit fondre jusque tes os tandis que tes viscères se mettaient à fumer. Néera continuait de te parler, sa voix comme le tonnerre faisant saigner tes tympans. Pourtant dans toute cette douleur, tu avais senti une proximité inédite avec ta Créatrice et à la souffrance commençait à se mêler un cri d’extase. Les visions se clarifiaient, le temple incendié, les autels saccagés et les grandes voiles qui étincelaient d’une lueur blanche, jusqu’au gryffon couché sous la cendre : tout prenait sens. Tout prenait sens ! Par tous les Dieux et les saints, tout prenait enfin sens ! Tout, tout, tout prenait sens ! Tu éclatas de joie tandis que tes yeux fondaient comme de la cire et que tes joues se détachaient de tes pommettes comme l’écorce d’une orange ! Mais qu’importait la douleur, tout prenait sens ! Tout prenait enfin sens par tous les Saints ! Et Néera qui te regardait d’un air bienveillant te parlait en une langue intelligible. Tes sens s’éveillaient de plus en plus et tu sentais ton esprit se détacher de ton corps à mesure qu’il se liquéfiait ! Oh, Cléophas, tu avais enfin compris ! Tu avais enfin tout compris…Dommage que tu l’aies compris au moment de mourir…

Quand tes yeux se rouvrirent, la première chose que tu constates fut le silence olympien. Puis ton front glacé et les quelques gouttes de sang qui avaient coulé de ton nez et formé une mare écarlate entre tes deux joues. Tes mains étaient toujours aussi pourpres, et tes lèvres engourdies, mais tu étais bien là. Devant toi, plus rien que les froides effigies des anciens rois, encore couverts de la suie des conflits passés. Le trône était noyé dans l’obscurité, le dais à peine caressé par les rayons des lunes. Quelque part, tu pouvais encore voir dans les grains de poussière en suspension, la robe de l’immortelle déesse. Elle te disait d’y aller. De persévérer.

C’était animé d’une telle vision que tu te présentas au peuple de Diantra, au milieu du second jour après les négociations. On avait placardé dans les rues, annoncé dans les tavernes que le Chancelier allait faire une grande annonce sur la place du marché. Quoique la cité se fût vidée, la place était pleine à craquer de gardes, de soldats, de miliciens, de boutiquiers, de tanneurs, de chausseurs, de forgerons et de seigneurs. On te façonna une estrade de fortune, et dans la place on avait placé des crieurs publics qui relaieraient ton discours. La machine était prête à être lancée, les engrenages enserrés les uns dans les autres. Le ciel était voilé en ce jour, offrant à la cité une robe grisâtre, presque mouillée. Quelques fumerolles s’échappaient des auberges, des vapeurs s’échappaient des bordels qui, à la hâte, avaient rejoint ce qui restait de Diantra pour t’écouter parler. Malgré ton rôle à la tête du royaume, tu n’avais jamais eu à t’adresser aux foules ; à vrai dire, les foules t’avaient toujours effrayé. Pas celle-ci. Pas aujourd’hui.

« Mes frères ! » avais-tu lancé, alors que les hérauts te servaient d’écho dans la ville « je ne viens pas venger vos frères ! Je ne viens pas venger vos fils ! Cette aventure que nous avons vécue ensemble doit prendre fin. Oui, mes frères, Diantra est essoufflée et la Couronne acculée. Le boucher du Nord s’approche de nos portes et je ne souffrirai pas qu’il touche à un de vos cheveux !

Mes frères, il y a derrière ces murs un homme qui a répandu sans scrupule le sang de vos familles et qui voudrait que je signe votre reddition, votre soumission ! Il y a derrière ces murs, un homme qui après s’être repu sur les cadavres de vos familles, voudrait faire de vous des esclaves ! Il y a derrière ces murs un homme qui demande à ce que je vous abandonne à ses sbires et vous laisse l’accueillir en triomphe ! Lorsque je suis allé lui proposer la paix, savez-vous ce qu’il m’a répondu ? Que Diantra n’avait pas à statuer sur son sort !
»


Les cris qui ponctuèrent cette phrase venaient de t’apporter la réponse que tu cherchais tant. Tu aurais pu ne pas continuer, en rester là car tout était déjà gagné, mais tu avais fait l’effort d’écrire un discours à ce peuple et cette énergie vigoureuse te donnait envie de continuer.

« Oui mes frères ! Cet homme ne vous considère rien moins qu’un butin de guerre ! Qu’une putain ! Que l’on se partage entre cousins ! Que lui répondrai-je mes frères ? Que dirai-je à cet émissaire qui me crache au visage ? »

« A mort ! A mort ! »
Le peuple reprit ce refrain à chacune de tes questions criant toujours plus fort, comme pour faire saigner les oreilles du boucher de Chrystabel.

« Mes frères ! Nous sommes les derniers êtres vivants dans ces murs, nos familles, nos amis, nos voisins sont partis vers le Sud où ils sont attendus ! Je vous le dis, il y a sur cette péninsule, des lieux qui vous attendent, où l’herbe est plus verte ! Des cités plus blanches ! Des demeures plus hautes ! Des campagnes plus fertiles ! Et des familles en paix ! Mes frères, Diantra agonise aussi je vous le dis, laissons-la agoniser dignement ! Laissons-la mourir en paix, débarrassée de ses citoyens qui  l’épuisent ! Au midi de demain, j’irai devant les émissaires me rendre en votre nom et signer la reddition de cette ville…qu’elle soit vide lorsqu’ils y entrent ! Voici le dernier ordre de votre Roi : abandonnez cette cité, suivez les seigneurs de la Couronne, suivez leurs hommes vers un avenir meilleur ! Quittez vos demeures de malheur, quittez vos navires de fléau ! Lâchez l’ancre funeste qui nous retient dans cette prison qui s’effondre déjà sur elle-même ! »


Les acclamations explosèrent dans la place comme autant de fusées les jours de fête. Diantra rugissait de joie, de haine, d’agressivité, frappant le pavé comme pour réveiller les dieux et les esprits. Le Haut Prêtre était resté en retrait durant toute cette affaire, mais voilà qu’il s’affichait désormais à tes côtés en compagnie des quelques mages restants de l’Arcanum et de la poignée de seigneurs qui n’avaient pas abandonné les lieux. Son habit était écorné comme les murs de la belle, sa crosse noircie de fange mais son visage respirait l’espoir. Le peuple scanda l’antienne tant entendue ces derniers temps « Inno ! Néera ! Deina ! » à la satisfaction du Haut Prêtre. Toi, tu assistais à la scène, flottant au dessus de la foule, porté par leurs vivats.

« Mes frères, demain j’irai voir cet homme qui massacre ses ouailles pour le bien du Royaume. Et je vous le demande mes frères, que lui dirai-je à cet homme ? Dites-moi ! Que lui répondrai-je ! »

« A mort ! Inno ! Néera ! Deina ! A mort
»
la foule reprit alors en chœur.

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La journée avait été longue. On t’avait serré la main, embrassé, toi qui n’aimais pas les foules, tu avais été servi. Les seigneurs avaient baissé le front en te voyant, le Haut Prêtre t’avait béni de sel et d’eau. On avait ouvert les portes en grand, armé des barges remplies de denrées qui allaient flotter vers le Sud. Les diantrais avaient décidé d’abandonner leurs derniers biens à leur cité mal aimée alors qu’ils la quittaient à leur tour. Une fois de retour à la chancellerie, tu t’attelas aux derniers préparatifs : le grand sceau royal rejoint une de tes poches, on fit un grand feu des lettres de la royauté et de l’Arcanum, auquel on ajoute des branches de genévrier et des onces de myrrhe et d’ongle odorant pour enfumer le palais. Les nuages d’encens allèrent se mêler à ceux qui avaient couvert le ciel depuis la nuit dernière. L’air était encombré, l’atmosphère humide, l’ambiance électrique. Un orage se préparait.

En plein milieu de la nuit, tout était achevé. La chancellerie était vidée de ses papiers, ne resteraient que le vieux mobilier, les fresques et la vinasse. Sur le parvis, on fit une grande célébration nocturne, en compagnie du reste du clergé et des quelques féaux. On chanta, on dansa et on mangea les gibiers les plus fins qui étaient restés dans les garde-manger du palais. Le fumet qui s’élevait avait attiré quelques bourgeois et va-nu-pieds devant la herse, que l’on fit lever afin qu’ils puissent prendre part au festin. Les festivités auraient duré plusieurs heures n’était le premier éclair qui déchira le ciel : la pluie ne tarderait pas à suivre. Il sonna la fin des réjouissances, et la reprise de l’effort. En ce qui te concernait, l’effort touchait à sa fin et tu n’en étais que plus heureux. En dépit des éclairs toujours plus nombreux qui électrisaient l’horizon, tu te couchas dans des draps frais avec une quiétude étonnante tant le tonnerre faisait vibrer les murs.

Quand les premiers cris se firent entendre dans la ville, tu étais profondément endormi. Tu n’entendis point l’appel du serviteur résonner dans l’escalier, ni l’avertissement des seigneurs, ni la terreur des porteurs d’eau. Tu n’entendis pas non plus le plancher de la salle de réception de la chancellerie s’effondrer sous l’effet de la chaleur. Ni les flammes crépiter sous l’embrasure des portes.

Mais au fond, tu n’en avais cure. Cela faisait bien longtemps que tu savais que cette nuit à Diantra serait ta dernière.

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Je n’ai jamais été un gros dormeur. Pour être honnête, je suis insomniaque depuis que j’ai vu m’apparaître un de ces démons des contes pour enfants. Depuis, je ne dors plus. Vous me direz, c’est idiot d’être un mage et de n’être pas concentré, pire, vous me direz que c’est dangereux mais bon…sachant que mon travail ne consiste plus qu’à faire des potions et des philtres, je me dis que je peux bien m’autoriser quelques heures de sommeil en moins. Je dois tout de même avouer que j’aurais bien aimé pouvoir m’allonger dans un drap moelleux, me lever au chant du coq, m’endormir au son des cloches et en même temps, si je n’avais pas été insomniaque, je n’aurais jamais pu vous raconter ce qui m’est arrivé cette nuit de Bàrkios.

A vous dire le vrai, je n’ai jamais vraiment apprécié le sieur d’Angleroy. Je ne veux pas dire que je le détestais, loin de là, mais ce n’était pas mon meilleur ami pour autant. C’était celui à qui je devais ma vie certes, mais celui à qui je devais rendre compte, et je n’aimais pas rendre compte, ni quand j’étais gamin, ni quand j’étais plus vieux. Toujours est-il que de le voir partir dans cette tour en flammes, ça m’a fait un choc.
Après tout, comme je l’ai dit, je lui devais ma vie. C’est lui qui nous avait fait sortir par une porte dérobée avec mes confrères de l’Arcanum et avait pris sur lui d’aller contre l’injonction de la Reine et la colère populaire. Sans lui, j’aurais été violé, décapité et laissé pour mort dans un caniveau. Parce que oui, c’était le traitement que l’on réservait aux mages, du moins à ceux qui étaient le plus en forme et sachant que je suis plutôt jeune et de bonne facture, mes chances de passer au « fil de l’épée » étaient plus larges, si je peux me permettre le jeu de mots.

Mon nom est Damys, de la maison d’Hovron. C’est une petite famille de la bourgeoisie estréventine, rien de bien important à savoir sinon que je me suis retrouvé au service de cet homme qu’était le chancelier du Royaume. Un grand homme. Pas tant en terme de taille qu’en terme de valeur. C’est lui qui avait permis aux diantrais de fuir le joug terrible du Boucher, le Velterien et de trouver refuge. Qui nous a permis d’ailleurs, vu que j’étais aussi de ceux qui sont partis.

Le tout s’est passé de manière assez surréelle à vrai dire. D’abord, il y a eu cet incendie. Ce n’était pas un brasier terrible qui a réduit Diantra à un état de cendres, non. A vrai dire, c’était plusieurs incendies, dispersés dans la ville. A croire que les dieux s’étaient ligués contre nous. Je veux dire, depuis quand la foudre frappe t-elle autant de fois dans le même périmètre ? S’il n’y avait pas eu autant de toiles, de bannières et de poix, le feu ne se serait peut-être pas propagé aussi vite mais que voulez-vous, nous étions menacés de siège ? On a fait ce qu’on a pu. Le feu n’a pas tout ravagé. Il a pris tout le palais, une partie de la ville haute et tout le quartier des forgerons. Une partie des murailles aussi…dans notre excitation on avait eu l’idée de pendre aux murailles des centaines de bannières et de fanions aux couleurs de toutes les maisons nobles assemblées dans la ville.

Très mauvaise idée.

Les porteurs d’eau n’ont pas compris ce qui se passait, ni personne d’ailleurs. Lorsque je suis sorti, j’avais l’impression d’être encerclé par les flammes. On n’y voyait pas à deux mètres tant la fumée était épaisse. J’ai dû y aller de quelques sortilèges afin de ne pas finir asphyxié, mais beaucoup n’ont pas eu le même savoir que moi. On a compté beaucoup de cadavres le lendemain, non pas calcinés mais étouffés. Morts dans leur sommeil pour la plupart, ce qui est toujours mieux que finir pendu ou affamé comme ces pauvres de Chrystabel.

Le peuple a organisé des chaînes humaines pour porter l’eau depuis le fleuve jusqu’aux foyers. Avec l’aide de quelques mages, on a pu éteindre certains foyers, en contenir d’autres avant que toute la cité ne parte en fumée, mais il n’en a pas été du palais. Le chancelier y avait entreposé des jarres de feu de Pharet lors de son arrivée, jarres qui se déversèrent allègrement quand les murs qui soutenaient leurs entrepôts s’effondrèrent sur elles. Le palais et ses environs étaient presque pourpres et s’en élevaient des fumées toxiques, sulfurées et métalliques qui condamnèrent dans l’œuf toute initiative de notre part. Lorsque je suis sorti de la ville avec mes deux acolytes le lendemain, elle fumait encore de quelques incendies que nous n’avions pas pu éteindre. C’était, je crois, le plus triste matin de mon existence et j’étais bien content de ne pas m’être réveillé devant une vision aussi…glaçante.

Le chancelier m’avait donné des instructions, je savais quoi dire. Par mesure de précaution, nous avons attendu au plus haut de l’après-midi pour retrouver les émissaires du camp velterien. Ceux-là étaient encore ébahis de cette Diantra de flammes. Mais que pouvaient-ils faire ? Pas plus que nous en somme. Le Haut Prêtre nous a rejoint devant les murs, là où nous avions creusé des tranchées. Nous y empilâmes les cadavres de tous nos frères morts dans les flammes, qui se comptaient tout de même en plusieurs milliers. Nous n’étions pas beaucoup à être restés à Diantra, mais une bonne partie s’était établie dans des quartiers de fortune, faits de bric et de broc. Ils ont été les premières victimes de ces rues incendiaires. Inutile de préciser que c’était pour nous un jour de grand deuil. Ni que mon visage était couvert de cernes et de suie lorsque je me suis présenté à l’ambassade étrangère.

La réponse de la Couronne avait été simplifiée par celle des diantrais à la proposition du velterien. Puisque le peuple ne pouvait s’accommoder de pareilles conditions, le peuple avait décidé de migrer. La Couronne resterait sauve et non pas bradée à quelques opportunistes qui n’hésitaient pas à écraser dans le sang des résistances qu’ils avaient eux-mêmes créées. Au moins, ils auraient Diantra, pensai-je alors. A voir si le sang sur leurs mains suffirait à éteindre les flammes de leur orgueil. Oui, j’ai le verbe poétique.

C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux ambassadeurs :
« Vous vouliez Diantra, elle est vôtre. La Couronne signe la reddition de ses murs, et de tout ce qu’ils contiendraient. Merval n’ayant eu aucune implication dans le conflit, elle ne saurait être prise à parti par vos maîtres. De même, Scylla ne prêtera pas serment à un homme qui n’est même pas reconnu par les seigneurs de sa terre.

Recevez Diantra en gage de notre bonne volonté, le reste de vos conditions ne pouvant aucunement être réunies. A croire, messieurs, que vous n’avez jamais souhaité la paix, simplement à gagner du temps le temps que votre ost se presse à nos portes.

Régnez comme vous le voudrez sur votre Grand Médian. Il est tout ce qui vous reste de la péninsule.
Nous réitérons notre volonté de paix, selon des conditions plus réalistes que celles que vous proposez.
»


J’étais plutôt content de mon mot. Très épuisé par la journée, mais content. J’ai avancé avec le reste des diantrais qui n’avaient pas été enterrés et ces milliers de soldats et de miliciens pour escorte. Nous avons atteint la côte, que nous longerions à proximité de navires. Dans mon cas, ayant le pied marin plutôt que terrien, je pris place dans une nef en tant qu’émissaire de la part du Chancelier. Il m’avait dit de rejoindre le Sud, qu’on m’y attendrait et c’est vrai. Comme toujours, il avait eu raison, car on m’y avait attendu.

C’est ainsi, en cette ennéade de Barkios, que moi, Damys de la maison d’Hovron, mage de l’Arcanum près la Couronne, posai pied pour la première fois dans ma nouvelle demeure, dans mon nouveau royaume : Soltaar.
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