Il était une fois | Nilah

Elles venaient à peine de quitter Thaar quand l'elfe se décida à poser une question à Alayda. Elle sentait bien que quelque chose n'allait pas, que quelque chose la gênait, et qu'elle n'osait pas en parler.

 - Que se passe-t-il Alayda ? T'ai-je contrarié ? Y a-t-il quelque chose dont tu voudrais me parler ? demanda-t-elle.
 - Et bien... Rien de très important mais, il y a quelques années de cela, Lil Ssin'um m'a emmené dans un petit village, un peu au sud de Thaar, et j'y ai laissé un cheval que j'apprécie beaucoup. Et, j'ai promis au fermier à qui je l'avais laissé de revenir le chercher pas plus tard qu'au printemps. Nous sommes au printemps, et je crains ne pouvoir tenir ma promesse si ce n'est maintenant, lui répondit-on doucement.
 - Je vois, et bien allons récupérer ce cheval, je ne pense pas que nous soyons à quelques jours près. Et puis, il n'est pas très loin, si ?

Un signe de la tête fut sa seule réponse. Alayda n'était pas très bavarde, contrairement à Eliwa, et cette dernière craignait toujours de trop la bousculer. Elle annonça le changement de destination à ses deux gardes et bientôt, ce fut la jeune humaine qui ouvrit la marche. N'ayant que le cheval de l'elfe comme monture, ils se déplaçaient à pied, et n'avançait pas si rapidement qu'elle l'aurait voulu. Mais elle n'avait pas les moyens de s'offrir trois chevaux, et elle s'était refusé à prendre ceux qui occupaient les écuries de son défunt Père. Elle les avait laissé là-bas, aux bons soins des filles de la maison, comme elle leur avait laissé l'établissement, en leur faisant promettre qu'elles n'y feraient plus séjourner une seule esclave, et qu'elle ne reprendrait pas le même commerce une fois qu'elle serait partie. Elle espérait ainsi leur donner un nouveau départ, et bien qu'elle sache qu'il n'était pas aisé de trouver une nouvelle profession, elle ne pouvait se résoudre au fait que d'autres jeunes filles pourraient vivre ce qu'elle avait vécu.

Amarthluin ne servait donc qu'à alléger les bagages de chacun, surtout ceux de sa jeune compagne, en fait. Elle avait emmené un sac bien rempli, lui précisant que c'était uniquement pour éviter que sa fille manque de quoique ce soit. Eliwa n'étant pas vraiment à l'aise avec tout ceci, elle n'avait pas bronché, et l'avait même remercié pour cette attention. La jeune elfe ne pouvait s'empêcher de penser à la réaction qu'aurait Altiom, si jamais elle réussissait à e trouver. Parce que s'il ne faisait aucun doute pour elle qu'il était le père, en serait-il convaincu ? Elle ne voulait pas que leur fille grandisse comme elle avait grandit, sans père, voire pire, sans famille. Elle angoissait parfois à l'idée qu'il puisse lui arriver quelque chose, et que son enfant se retrouve seule, sans parent. Bien sûr, il y avait Alayda, a qui elle avait fait promettre de protéger sa fille comme la prunelle de ses yeux, de la faire passer avant tout, et surtout, de ne jamais la mettre en danger. Elle lui avait demandé, si jamais un malheur devait lui arriver, qu'elle retourne à Thaar et envoie un émissaire en Péninsule pour annoncer la nouvelle au père de son enfant. Mais malgré toutes ces précautions, elle ne pouvait se défaire de ces petits instants d'angoisse.

Depuis qu'ils étaient partis, elle tenait sa fille contre elle, dans une sorte de grand foulard, qu'Alayada avait enroulé autour d'elle. Et lorsqu'elle pleurait, il lui suffisait seulement de murmurer quelques mots à son oreille pour qu'elle se calme presque aussitôt. Il était étrange de voir comment l'elfe se comportait avec cette enfant, elle qui n'avait aucunement attendu, voire soupçonné cet événement, elle semblait lui vouer un amour inconditionnel. Et bien que les gestes qu'elle avait pour elle ne soient pas encore très précis, ni même certains, ils laissaient toujours transparaître une infinie douceur. Elle était mère depuis seulement quelques ennéades, tant physiquement que psychologiquement, et on sentait bien celle qu'elle était avant n'avait pas encore totalement disparue. Elle était, en quelques sortes, à la croisée des chemins, mais cette fois, elle n'avait besoin d'aucune méditation pour savoir lequel elle devait emprunter.

***

Ils marchaient depuis deux jours quand Alayda annonça enfin le village. Ils ne pouvaient voir les toitures des bâtisses, mais ils pouvaient ressentir une certaine activité humaine. Dans les champs autour d'eux, ils pouvaient apercevoir parfois quelques paysans, et sur la route, ils croisaient un peu plus de monde. Quand ils passèrent enfin la porte, la jeune humaine leur proposa de prendre une chambre à l'auberge, pour prendre une nuit de repos. Eliwa ne refusa absolument pas la proposition, et elle s'y rendit aussitôt, tendis que sa compagne s'en allait récupérer son cheval. L'auberge dans laquelle elle entra n'était pas différente de toutes celles qu'elle avait pu voir, et elle mit rapidement Amarthluin et sa louve dans l'écurie, avant de monter dans la chambre qu'on lui avait attribué. La chambre mitoyenne hébergeait ses deux gardes, qui, d'un commun accord, avaient décidé de prendre chacun un tour de garde. La chose fit doucement sourire l'elfe, car elle ne les connaissait à peine, et il sacrifiaient pourtant une partie de leur sommeil pour veiller sur le sien et sur celui de son enfant. D'ordinaire, elle ne dormait pas beaucoup, comme tout ceux de son peuple, mais depuis la naissance de son enfant, elle ressentait plus souvent le besoin de se reposer. Alayda revint rapidement, et elle ne fut pas longue à trouver le chemin de sa chambre.

 - Il va falloir lui trouver un nom, tu ne penses pas ? lui demanda-t-elle.
 - Si, bien sûr que si, mais je ne veux rien décider sans Altiom, tu sais. J'aurais l'impression de, je ne sais pas, de me l'approprier peut-être ? Après tout, ce n'est pas seulement mon enfant, c'est notre enfant, tu comprends ?
 - Oh. Oui, je crois que je comprends.
 - Mais tu as raison, en attendant, on peut tout de même lui trouver une sorte de surnom, répondit-elle. Que dis-tu de Mîrmae ? Je crois qu'on peut le traduire par ''doux trésor'' en langage commun. Ma mère avait l'habitude de m'appeler comme ça, quand, enfin...
 - Oui, oui c'est bien, c'est très bien, c'est mieux que, que rien en fait, c'est parfait, la coupa-t-on.

Il était vrai qu'elle n'avait pas vraiment voulu lui trouver un nom, pas tout de suite, pas maintenant, pas toute seule. Parce qu'elle n'avait pas envie d'être seule, comme sa mère l'avait été. Elle n'avait pas envie que son enfant ressente ce manque sans cesse, sans vraiment savoir d'où il venait. Alors elle n'avait pas voulu faire de choix seule, parce qu'elle avait l'impression que si elle le faisait, elle prenait la décision d'élever son enfant sans l'aide de personne. Mais après tout, ce n'était qu'un nom, pourquoi s'en faire à ce point pour ça ? Ne devrait-elle pas plutôt s'inquiéter à propos de la façon dont elle retrouverait Altiom ? Si, certainement, mais elle pouvait gérer un nom, alors qu'elle savait ne pouvoir gérer cette seconde chose.

 - Je crois que j'ai besoin d'aller faire un tour, tu veux bien garder un œil sur ma fille ? demanda-t-elle à Alayda.

Cette dernière répondit aussitôt par l'affirmatif. Eliwa lui sourit rapidement puis disparut dans la nuit. Elle hésita un instant à prendre sa louve avec elle, puis se dit qu'elle n'allait pas la déranger pour un peu de compagnie. Après tout, la solitude avait du bon, et un bol d'air frais ne requerrait aucunement une compagnie. Elle marcha jusqu'à la place centrale, où elle s'assit sur un banc en pierre. Elle était perdue dans ses pensées depuis un petit moment lorsqu'un léger bruit de pas se fit entendre derrière elle. Par réflexe, elle porta sa main à sa cuisse, là où elle rangeait habituellement sa dague. Qu'elle avait laissé dans la chambre. ''Et merde''. Ce fut tout ce qui lui vint à l'esprit avant qu'elle ne se retrouve face à une petite dizaine d'hommes, qui manifestement, en avaient après elle. Et si elle rendit les premiers coups qu'on lui porta, elle fut bientôt dépassé par le nombre. Elle sombra finalement dans l'inconscience quand on cru bon de la frapper à l'arrière de la tête.

HRP:

Quand elle était revenue à elle, elle avait senti le poids des chaînes autour de ses poignets et de ses chevilles. Et il ne lui avait pas fallu longtemps pour réaliser qu'elle était prisonnière. Seulement, elle avait été à des lieues de penser qu'elle allait être vendue sur le marché le lendemain. Parce qu'elle n'avait rien d'une esclave, et si elle avait déjà servi Père dans sa jeunesse, elle doutait pouvoir recommencer. Et ce fut presque avec soulagement qu'elle constata ne faire aucun envieux. Jusqu'à ce qu'une jeune femme, une très jeune femme même, décide de l'acheter. Pourquoi donc ? La façon dont elle avait parlé ne dénotait aucune intention, et c'était bien ce qui inquiétait l'elfe. La prenait-elle sur un coup de tête ? En se disant qu'elle pourrait peut-être lui servir un jour ? Non parce qu'Eliwa ne comptait pas rester enchaînée bien longtemps. Elle devait retrouver sa fille. Sa fille qu'elle avait laissée derrière elle. Dans les bras d'une étrangère. Parce que oui, elle ne connaissait absolument pas Alayda. Elle l'avait côtoyée pendant quelques ennéades, mais était-ce suffisant pour dire qu'elle la connaissait ? Sûrement pas. Une boule s'installa alors au creux de son estomac et sa gorge se serra. Elle n'avait pas été préparée à recevoir ce cadeau de Kÿria, et maintenant qu'elle commençait à se faire à l'idée, on l'arrachait à elle sans vergogne. Qu'avait-elle bien pu faire pour que les dieux la punissent ainsi ? Elle avait cru, pendant un court instant, qu'elle avait trouvé une certaine tranquillité, ou tout du moins, qu'elle était en bonne voie pour la trouver. Mais elle avait visiblement fait erreur.

Quand on tira sur ses chaînes, elle ne résista pas et suivit la jeune femme docilement. Se débattre n'aurait pas servi à grand chose. Au mieux elle aurait eu mal, au pire elle aurait écourté sa vie. Même si celle qui l'avait achetée n'avait pas l'air d'être impulsive et colérique, elle se méfiait. Elle se demandait d'ailleurs où on l'emmenait, mais elle n'osa poser la question. Peut-être qu'on n'allait pas apprécier d'être questionner et qu'on allait le lui faire savoir violemment. Et elle n'avait pas le cœur à se défendre, ne serait-ce qu'un temps soit peu. Sa tête sourdait encore, et elle soupçonnait ses ravisseurs de l'avoir frappée à plusieurs reprises, histoire qu'elle reste tranquille pendant le trajet. D'ailleurs, elle ne reconnaissait pas la ville, elle n'avait aucune idée d'où elle était, sinon en Ithrii-vaan, si elle tenait compte de l'ambiance et du climat. Et de se savoir encore dans cette région la soulageait un peu. Elle n'avait pas été emportée à l'autre bout du monde, et elle n'aurait pas à parcourir une trop grande distance pour retrouver son enfant, quand elle serait libre à nouveau. Mais pour le moment, elle se concentrait sur l'acheteuse. Assez grande, sale et déguenillée, elle lui faisait penser à une enfant des rues, qui aurait eu à s'élever, à grandir, et à survivre seule. Et il était vraiment étrange qu'elle se permette d'acquérir une esclave. Elle fit donc profil bas jusqu'à ce qu'on lui adresse la parole.

HRP:

Quand on lui posa une question, elle ne répondit pas. D'abord parce qu'elle n'avait pas été autorisée à parler, ensuite parce qu'avec le brouhaha ambiant, elle aurait eu bien du mal à se faire comprendre. Il valait certainement mieux attendre qu'elles puissent s'entendre pour dire quoique ce soit. Bien sûr, le bruit ne se tut pas, la ville était en effervescence, mais par endroit, on pouvait parler convenablement, sans crier, seulement en haussant légèrement la voix. Si elle se demanda un instant où la jeune femme pouvait bien vouloir la mener, cela ne dura pas bien longtemps. En effet, elle s'arrêta rapidement pour lui lancer les clefs de ses chaînes et lâcher la corde qui la retenait. Un sourire apparut sur les lèvres de l'elfe, qui ouvrit aussitôt la serrure. Elle se doutait bien que celle qui l'avait acheté n'était pas une de celles qui dirigeaient, une de celles qui commandaient. Elle avait cru un temps qu'elle n'était qu'une autre esclave qui faisait une course pour son maître, mais cela n'était visiblement pas le cas. Ou elle prenait de bien gros risques pour une inconnue qui ne lui avait même pas adressé la parole.  

 - Eliwa. Merci de m'avoir tirée de là bas, répondit-elle. Si je ne t'ai pas répondu plus tôt, ce n'est pas parce que je ne suis pas bavarde. Seulement, on ne sait jamais sur quel genre de maître on tombe, alors j'ai préféré faire profil bas, je pense que tu comprendras.

Eliwa se massa doucement les poignets, endoloris par le port désagréable des chaînes, avant de s'étirer scrupuleusement. Ses muscles avaient été maltraités dans le transport, sans parler du temps qu'elle avait passé éveillée, mais dans une position atroce. Une fois qu'elle sut avoir reprit le contrôle de son corps, elle porta une main à sa tête. Le sang avait séché le long d'une de ses tempes, et lorsqu'elle aventurait sa main sous ses cheveux, elle pouvait nettement sentir une bosse, encore sensible au toucher. Ils ne l'avaient pas ratée, visiblement.

 - Pourquoi m'as-tu achetée, au fait ? Si tu avais l'intention de me libérer ensuite, qu'y gagnes-tu ?

Il était vrai qu'elle n'était pas totalement en confiance. Certes la dénommée Nilah n'avait pas l'air d'avoir une idée précise derrière la tête, elle ne semblait pas plus dangereuse que cela, mais on ne savait jamais. Elle avait appris à se méfier, notamment de ce genre de choses. Il était vrai qu'elle lui était désormais redevable, et elle n'espérait pas que ce fut là le but initial. Oui, elle espérait qu'il reste encore quelques bonne âmes dans ce monde, qui ne faisaient pas les choses par pur intérêt, mais parfois par simple générosité. Etait-ce trop espérer ? Elle le saurait rapidement.