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 Cet endroit en vaut bien un autre

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Wenceslas de Karlsburg
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Wenceslas de Karlsburg


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MessageSujet: Cet endroit en vaut bien un autre   Cet endroit en vaut bien un autre I_icon_minitimeMar 23 Déc 2014 - 22:47


An 8, 11ème cycle
La 9ème ennéade de Fävrius
Le 6ème jour...


Ils étaient tous là dans la grande tente, alignés debout dans leurs armures usées par la guerre, tenant leur heaume sous le bras, un air grave sur leur tête nue. Gardant une distance prudente, plus par crainte de la contagion que par respect, les nobles chevaliers arétans assistaient au déclin de leur maître, chaque jour plus visible. Le mal qui le rongeait l'avait d'abord atteint physiquement, sans altérer en rien sa détermination à poursuivre la campagne jusqu'au bout ; les médecins avaient eu tout le mal du monde à le convaincre de garder le lit. Durant les premiers jours, on l'avait vu entrer dans de violentes crises de colère, lui qui d'ordinaire restait seul maître de ses émotions.
Mais cela n'avait pas duré, son état n'ayant cessé d'empirer depuis qu'ils avaient prit la décision de rentrer. Une décision prise à la hâte, dans l'espoir que la douceur du foyer rendrait au comte les forces qui lui faisaient aujourd'hui défaut - ou au moins l'espoir qu'il puisse mourir chez lui. Une décision qui s'expliquait aussi par l'enlisement du conflit, alors même qu'une partie des vassaux de Wenceslas ne se sentait pas concernée par les événements d'Oësgard et n'aspiraient qu'à rentrer chez eux. Une décision qui les avait conduit à passer par Serramire, afin de gagner du temps.
Une décision que le père Bréguet, un guérisseur envoyé par le marquis de Serramire et qui se tenait depuis quelques nuits au chevet du comte, n'avait eu de cesse de critiquer : le comte n'était pas en état de voyager. Personne ne l'avait écouté.

Depuis deux jours l'ost arétan s'était arrêté à la frontière occidentale de Serramire ; le comte ne pourrait aller plus loin. Depuis lors, le temps semblait comme suspendu. Suspendu aux battements de cœur d'un homme qui avait vieilli trop vite. Suspendu au peu de vie qu'abritait encore son corps cadavérique. A la lueur des bougies, le visage amaigri du comte - et les dieux savent qu'il était déjà maigre en bonne santé - avait la pâleur de la mort.

Roderik de Wenden, le cousin et l'un des premiers vassaux du comte, se taisait comme les autres. En son for intérieur cependant, une multitude de questions pragmatiques se bousculaient. Le devenir du conflit dans le Nord. Les conséquences du nouveau conflit dans le Médian, menaçant directement Diantra. Au milieu de cela, l'avenir de la malelande et de leur famille. Personne n'avait jugé bon d'informer le comte des derniers événements. On craignait probablement que la nouvelle de la fuite de la régente, grande bienfaitrice de Wenceslas que celui-ci s'était juré de protéger, ne pourrait que l'achever. Ce qui ne serait peut-être pas un mal, se disait Roderik. Nous ne pouvons demeurer coincés ici éternellement. Nous attendons tous là, bêtement, comme s'il allait subitement se rétablir. Cela n'a aucun sens. Nul doute que les autres se posaient les mêmes questions et en arrivaient aux mêmes conclusions, mais aucun n'osait énoncer à haute voix cette inconfortable vérité.

Le comte toussa. Il n'avait pas dit un mot depuis la veille, si bien que le moindre son qui émanait de lui alertait tout le monde, comme si on s'attendait à ce qu'il tente de communiquer. Cela aussi, ça agaçait Roderik. A ce rythme, je n'ose imaginer ce qu'ils vont penser s'il lâche une caisse. Par tous les dieux, qu'on en finisse, tout ceci manque totalement de dignité.

Le jeune seigneur quitta la tente, indifférent à ce que pouvaient en penser le reste des hommes présents. Des courtisans qui tentent de se faire bien voir d'un mort. A-t-on déjà vu chose plus vide de sens ? La matinée était sombre, les nuages bas, le ciel gris. Les arétans ont l'habitude du mauvais temps, mais ce jour l'air était chargé de menaces. Roderik contempla quelques instants le ciel, éprouvant un sentiment semblable à celui qu'il avait éprouvé avant le siège d'Erbay. Wenceslas a fait tirer sur les civils qui tentaient de fuir. Il a répandu la maladie entre les murs de l'ennemi, puis une fois la ville tombée, l'a livrée à la violence des pires de ses reîtres. Se peut-il qu'il récolte le fruit des graines qu'il a lui-même semées ? Les dieux nous jugent-ils vraiment à hauteur de nos actions ? La pluie se mit à tomber, Roderik demeurant indifférent aux gouttelettes qui lui cinglaient le visage et qui crépitaient à ses pieds. Probablement pas. Le destin frappe au hasard, et Wenceslas a tiré la mauvaise carte. Lui qui voulait unir la malelande et élever sa famille n'aura eu que peu de temps pour le faire. Les fondations sont posées, mais elles restent fragiles. Sa maison se maintiendra peut-être au pouvoir, mais lui, nul ne le regrettera.

Lui, en tout cas, n'avait pas de regret. Certes le comte l'avait bien avantagé ; Roderik gardait toutefois rancune que celui-ci ait dédaigné la main de sa soeur, lui préférant une sudienne sans véritable envergure. Une sudienne qu'il n'épouserait jamais, finalement. Roderik devait avant tout songer aux intérêts de sa maison. Si le temps s'était figé, ici en Serramire, il était certain que des choses allaient se passer en Arétria lorsque la nouvelle se répandrait. La succession irait probablement à Alwin, l'oncle paternel de Wenceslas, qui l'avait toujours conseillé et qui régentait déjà Arétria depuis le départ de l'ost. Mais quoiqu'il arrive, les Wenden devaient avoir voix au chapitre. L'avenir était incertain ; cela inquiétait Roderik, plus qu'il ne voudrait l'admettre. Depuis la mort de son père, le seigneur Ganelon, bien des choses reposaient sur ses épaules. Il s'était montré fort en toutes circonstances. Plus qu'il ne l'était, en vérité. Mais faire semblant d'être fort est souvent plus utile que de l'être réellement.
Il demeura là, dehors sous la pluie, jusqu'à ce que la main du père Bréguet vienne se poser sur son épaule.

- Il vous demande, dit-il simplement.

Roderik ne réagit pas immédiatement. La perspective d'une entrevue avec un cadavre ne l'enchantait guère. Sa première idée fut d'ignorer la dernière volonté du comte et de rentrer à Wenden.
Finalement, il se dirigea d'un pas lent vers la tente, la pluie laissant des traînées pâles sur son armure sombre.
En rentrant dans la tente alors que le reste de l'état-major vidait les lieux, la vue du visage squelettique de Wenceslas tourné vers lui le fit frissonner. Si la mort ne l'avait pas encore emporté, il était clair qu'elle l'habitait déjà depuis quelques jours. Il se dégageait de lui une odeur de charogne qui donna à Roderik l'envie de vomir.
Le seigneur de Wenden mit un genou au sol. Alors, dans un effort qu'il ne paraissait plus capable d'accomplir, le comte se redressa légèrement et parla d'une voix rauque, comme provenant d'outre-tombe.

Les paroles qui furent échangées entre le comte et son cousin ne sont pas de celles qui peuvent se dire dans une conversation entre vivants. Et nul n'en sut la teneur. Toujours est-il que Roderik ne fut plus le même lorsqu'il quitta la tente.

A la fin du jour, l'âme de l'Aigle de Karlsburg s'en alla rejoindre celles de ses ancêtres, disparaissant de ce monde sans avoir eu le temps de regagner sa terre natale. Mais, ainsi qu'il l'eut dit lui-même au père Bréguet quelques jours avant son trépas, cet endroit en vaut bien un autre.



FIN
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