Echanges épistolaires [Alanya]

Citation :

Votre Honneur,

Je ne suis pas alonnais de naissance et je n’ai aucune responsabilité à votre Conseil, mais la situation de cette baronnie à laquelle j’ai consacré près d’une décennie de ma vie ne m’autorise plus aujourd’hui à rester muet.

Nombre d’ennéades se sont écoulées depuis votre départ pour les terres du Sud. Votre mari est par malheur décédé, le Royaume est au bord de l’implosion et les drows se massent à vos frontières. Pourtant, vous demeurez en Ydril, au moment même où les grands féodaux qui vous devraient obéissance complotent dans votre dos et tentent d’arracher à votre mère le pouvoir qu’elle tient de vous.

Il est plus que temps pour vous de reprendre la route du Nord, et de rappeler à l’ordre ceux qui par serment doivent vous obéir. Ne vous laissez pas abuser par leurs fausses promesses, seule la force permet de s’imposer à eux. Vous disposez de cette force, vos fiefs sont nombreux et l’armée que je vous ai léguée puissante. Mais pour renoncer à montrer cette puissance, vous risquez un jour de devoir vous en servir contre votre propre peuple.

Vous êtes femme, et serez à ce titre en proie à la misogynie d’une partie de vos vassaux. N’oubliez pas que deux de celles qui vont ont précédées connurent des règnes calamiteux. Pearla mit Alonna à la botte de Serramire, et Constance à celle d’Oesgard. Les alonnais sont fiers, et supportent mal l’ingérance étrangère dans leurs affaires. Allez-vous reproduire avec Ydril les mêmes erreurs ? Je prie les Cinq que tel ne soit pas le cas.

Soyez sure, madame, que je reste votre vassal très dévoué et que si je m’autorise dans cette missive une franchise causée par l’amour que je porte à Alonna, jamais en public je ne remettrais vos actes en cause.

Hanegard Kastelord, seigneur de Val-Néera
Écrit au camp devant Christabel, le 3ème jour de la 1ère ennéade de Barkios

Langehack avait de ces beautés raffinés du sud la richesse, tant dans le coeur des hommes que dans leur quotidien. Elle était arrivé presque une énnéade plus tôt. Oschide couronné duc et Méliane malade, ils attendaient tout trois l'arrivée imminente des Anoszias, venus d'Ydril pour se retrouver: la guerre avait fait des ravages et cette famille semblait plus unie encore que par les liens du sang. En y pensant, une main involontaire se posa sur mon ventre. Cléanthe. Il serait un dragon du Nord, aussi intransigeant que malin, aussi fort que clément. Il serait seigneur et maitre, il serait l'Enfant de l'Alonnan. Mon premier fils. Comment en avais-je la certitude alors que j'apprenais à peine la nouvelle? Quelque chose de puissant au fond de moi me poussait à croire que ce serait un être exceptionnel. La rapide rencontre avec son père, le Comte-Régent Arichis avait sonné comme le changement. J'étais partie d'Alonna en veuve tout juste assise sur un trône menacé et j'en revenais en femme conquérante. Plus de barrière, rien ne m'empêcherait d'avancer et j'entendais bien faire comprendre ma nouvelle influence à toute la Péninsule. Bientôt, le Nord redeviendrait celui que l'on craint et que l'on respecte. Elle en avait déjà les projets.
Ce même huitième jour de Barkios, on lui amena une missive de Christabel. Ce qui se passait là bas n'avait échappé à personne et je fus presque étonnée de découvrir les lettres manuscrites de mon prédécesseur, le seigneur Hanegard de Kastlelord. Un sourire s'épanoui sur mon visage, bien vite éffacé par les nouvelles qu'il apportait. Voilà bien longtemps que je n'avais reçu aucune nouvelle de ma terre et ce que j'en apprenais me faisait froid dans le dos. Pourtant il me faudrait forte patience avant de reprendre la route. Trempant la plume dans l'encre, je laissais courir ma main sur le vélin encore vierge que l'on envoya plus tard en direction du campement de l'Ogre de l'Atral.

Seigneur Hanegard de Kastlelord, protecteur de Val-Néera et ami de l'Alonnan,
de son Honneur Alanya de Broissieux, baronne d'Alonna.

Seigneur il me plait d'avoir de vos nouvelles. Les temps troublés sont fléau et j'eus peur de perdre quelques amis de plus.
Sachez d'abord que vous êtes et serez toujours le bienvenu en Alonna. Vous avez été un baron bénéfique pour cette terre et j'espère faire de votre héritage quelque chose qui saura ravir vos yeux.
Votre inquiétude est somme toute justifiée et j'espère rassurer votre esprit en vous annonçant que j'ai déjà entammé mon retour dans le Nord. Malheureusement, vous le savez, les devoirs politiques passent avant mes envies et bientôt je partirais avec le Duc de Langehack pour rencontrer votre suzerain à Diantra. La guerre qu'il a mené contre la Régente fut rapide et couronné de succès. Pourtant mon instinct me dit que tout n'est pas encore fini et bientôt de nouvelles tensions verront le jour. Certains seigneurs ont les dents longues et le duc du Médian aura besoin d'alliés fiables.
Le pouvoir est aussi bon qu'il est néfaste et il me déplairait grandement de le voir distribué à défaut à quelques coquins qui n'auraient pas même d'interêt de l'avoir.
Soyez pour votre suzerain l'ami que vous avez été et que vous êtes encore pour ma famille. Vous avez toujours été de bons conseils et j'espère que cela durera encore.

J'espère que votre femme Jena se porte bien. J'aimerais qu'elle dirige la cérémonie de baptême de mon enfant à naitre, en souvenir de notre amitié.
Que les Cinq vous protègent comme ils l'ont toujours fait,
Alanya de Broissieux.

Citation :

Votre Honneur,

Votre missive me rassure, et je me réjouis de votre retour vers le Nord. Hélas, vous avez mille fois raison au sujet de l’avenir et il ne fait en effet que peu de doutes quant à la prolongation des tensions dans la Péninsule. La victoire du Duc Nimmio a donné le coup de grâce à l’édifice branlant que constituait la Couronne de Diantra depuis la mort du roi Trystan, de glorieuse mémoire et dernier souverain véritable. Mais cela ne suffira pas à ramener la paix, comme nous l’espérions un temps. Plusieurs, déjà, appètent à étendre leur influence. Je ne suis point prophète, mais la situation géopolitique actuelle semble conduire à la constitution de trois blocs, probablement centrés autour de Soltariel, Velteroc et Serramire. J’espère que votre rencontre à Diantra avec le Duc Nimmio vous permettra de nouer une relation d’amitié qui sera le premier pas vers une stabilisation à plus large échelle de la Péninsule.

Je ne peux par ailleurs que vous conseiller la prudence vis-à-vis du marquis de Serramire, ses ambitions l’amèneront inévitablement un jour ou l’autre à tenter de replacer Alonna dans sa sphère d’influence, probablement via du bluff ou des menaces. Ne sous-estimez surtout pas votre propre force, Serramire n’a ni les moyens militaires ni la puissance économique pour vous forcer la main. Oësgard n’est plus en mesure de mener une réelle politique extérieure, Arétria regarde avec méfiance son ambitieux voisin et Odélian se débat dans des ses querelles de succession. Méfiez-vous de ceux qui vous inciteraient à tout accepter de la part de Serramire sans rien obtenir de solide en échange, car vous constituez l’allié le plus solide que peut obtenir le marquis… ou son plus redoutable adversaire. Soyez sure qu’il en est parfaitement conscient.

Sachez que ma femme sera honorée de présenter votre enfant à la Déesse, scellant par la même votre lignée avec Alonna. La présence d’un héritier sera accueillie avec joie, car ainsi est garantie la stabilité politique que nous devons tous souhaiter pour cette belle terre. Je vais entamer pour ma part un voyage dans les Wandres qui durera plusieurs ennéades afin de veiller aux intérêts de Fort Norkan. Si cela vous agrée, il me serait doux à mon retour de passer par Alonna afin d’y renouveler mon serment envers vous et traiter toute affaire qui vous agréerait.

Hanegard Kastelord, seigneur de Val-Néera
Écrit à Beltrod, le 5ème jour de la 3ème ennéade de Barkios