Un malheur peut en cacher un autre [pv]

Assit sur une chaise non loin du lit où reposait sa femme, Oschide la regardait en espérant qu'elle se réveille. Il allait partir pour Diantra le lendemain et Méliane semblait avoir sombré dans un profond sommeil. Elle respirait pourtant et bougeait quelque fois, le laissant croire à chaque fois qu'elle ouvrirait les yeux et trouverait du réconfort en lui. Mais rien ne se fit. Ils n'étaient que tous les deux dans la grande chambre, le duc avec expressément ordonné que personne ne viennent l'importuner. Comment en étaient-ils arrivés là ? Comment avaient-ils pu connaître un si grand malheur alors que tout était allé pour le mieux jusqu'à cette nuit où elle montra les premiers symptômes d'un mal qui ne semblait s'estomper. Avant de la quitter, Oschide lui adressa un baiser sur le front et sur la bouche, et adressa une prière à Néera pour qu'elle la garde en vie jusqu'à son retour. Une fois à la porte, il la regarda comme s'il lui disait adieu, mais il préféra chasser cette vision funeste de son esprit.

Le mestre Ocidias l'attendait juste derrière. Le vieil homme arborait comme à son habitude une barbe longue, avec une tunique modeste. Son apparence humble ne cachait pourtant pas sa grande expérience et notoriété dans le palais ducal. Il était celui qui avait pris en charge dès le début son épouse et s'il n'avait pas encore su dire quel était ce mal qui la rongeait, Oschide avait l'espoir que cela change avant son départ. Ocidias lui mit alors une main sur l'épaule comme s'il avait été son grand père qui allait lui enseigner la vie.

-Altesse, nous devons parler.

Son ton était grave et masquait vraisemblablement une chose qu'Oschide détesterait d'entendre. Mais il n'était pas question ici d'une bataille perdue où d'un noble perturbateur, il s'agissait de sa femme et Oschide suivit sans broncher le vieux mestre. Une fois arrivée dans la salle du conseil, ils s'assirent tous deux à proximité, Oschide sur son siège et Ocidias sur le siège normalement réservé à l'intendant.

-Je vous écoute, mestre.

Le vieil homme parut un peu soucieux, Oschide s'attendait au pire. Mais si elle allait mourir, il devait le savoir, peu importe les répercussions que cela aurait sur lui.

-Altesse, nous pensons que votre épouse souffre d'un mal qui touche de nombreuses femmes lorsqu'elles attendent un enfant.

Ses yeux faillirent sortir de leurs orbites. Qu'avait-il dit ? Etait-ce bien le mot « enfant » qu'il avait employé ?

-Vous pensez ? Vous êtes en train de me dire qu'elle est enceinte et que c'est donc ça le mal qui la tue à petit feu ?

-C'est bien ça, altesse. Il peut arriver que des grossesses soient difficiles si la mère a déjà eu des problèmes par le passé. Je me suis occupé de son altesse Méliane depuis qu'elle est arrivée sur le trône de Langehack, et j'ai pu constater certaines ecchymoses qui sont généralement liées à des coups, des brûlures où des saignements. Il est donc probable qu'elle ait pu souffert de son premier accouchement et qu'elle n'a pas reçu tous les soins nécessaires.

Oschide déjantait complétement. Il avait l'impression d'avoir appris du mestre tout ce qu'elle lui avait caché depuis si longtemps. Elle ne lui avait jamais parlé de sa vie précédente, et encore moins de son premier époux. Etait-ce lui qui l'avait battu et fait saigner ? Le mestre ne pourrait lui répondre, mais Oschide était déjà déterminé à éclaircir ce problème. Dans tous les cas, Ocidias venait de lui annoncer qu'il serait peut-être père et la nouvelle avait eu un effet de coup de hache.

-Si elle est enceinte, est-ce que l'enfant sera en vie à sa naissance ?

Ocidias se pinça les lèvres et prit un air perplexe.

-Il se pourrait qu'elle survive assez longtemps pour donner naissance, mais cela....cela pourrait la tuer. Ce pourquoi je préfère vous en parler maintenant afin que vous puissiez prendre la meilleure décision, altesse.

-Vous me demandez si je veux qu'elle meure où qu'elle vive ? Est-cela Mestre ? Je dois donner le droit de vie ou de mort sur ma propre épouse ?

-Je comprends, altesse, mais si mes craintes sont fondées et qu'elle est bien enceinte, nous pouvons faire cesser la grossesse pour lui permettre de vivre, vous me comprenez ?

-Méliane me tuerait si elle apprenait que j'ai tué notre enfant, et elle préférerait surement mourir que de laisser cela se produire. Alors écoutez-moi bien mestre. Si ce que vous dites est vrai, ni l'un, ni l'autre ne mourra, je vous l'ordonne. Et s'il me faut recourir à la sorcellerie pour qu'un tel miracle puisse avoir lieu, je ne me priverais pas !

Il cogna son poing sur la table et se leva brusquement. Sa décision était prise et il ne reviendrait pas dessus. Au fond de lui, il espérait ne pas avoir à en venir jusque-là, mais si la médecine ne pouvait plus rien faire, alors peut-être qu'un mage saurait comment la sauver, elle et l'enfant.

-Tenez-moi au courant de son état de santé lorsque je serai à Diantra. S'il s'aggrave, je reviendrai quoiqu'il en soit.

Le vieil homme hocha de la tête comme pour acquiesçer, et quitta la salle d'un pas rapide. De nouveau seul, Oschide se rassit brusquement et observa les quelques rayons qui traversait la fenêtre. Pourquoi l'accablait-on de tant de malheurs alors qu'il ne demandait qu'à vivre ?

De là où il était assis, il entendait les hommes se préparer au départ pour Diantra. Oschide avait l’impression que l’activité ne s’était jamais estompée dans le palais ducal, et ce, depuis qu’il avait été fait duc en épousant Méliane. Dans ces moments où il pouvait être enfin seul, il profitait de cette solitude pour faire le vide, néanmoins, des centaines de pensées le ramenaient inexorablement vers la réalité. Ne pouvant faiblir, pour sa femme, pour ce qui était maintenant son duché, il lutterait jusqu’au bout pour que Langehack s’en tire la tête haute dans cette guerre qui ne cesserait surement pas maintenant. Sans prévenir, un homme de grande taille à la barbe blanche fit son apparition dans la salle du conseil. Ser Vilsteir d’Olside était un homme de confiance, où peut-être était-ce le seul en qui il pouvait vraiment avoir confiance. L’homme était certes âgé, mais son expérience d’homme de terrain et de politicien Langecins lui donnait une certaine notoriété qui aurait pu éclipsée celle des plus grands nobles. Le visage réconfortant comme à son habitude, le sénéchal s’assit non loin de lui et posa ses yeux dans les siens comme pour démasquer un quelconque sentiment.

-Ocidias vous a parlé de Méliane ? Je m’inquiète pour elle, éclairez-moi altesse.

Oschide attendit quelques instants avant de répondre, il venait tout juste d’avaler la nouvelle, et voilà qu’il devait en parler.

-Il se peut que Méliane soit enceinte, Vilsteir…

Tout d’abord le visage du vieillard parut radieux, puis il s’assombrit petit à petit.

-Est-ce la cause de sa maladie ?

-Il se pourrait bien…

Cherchant par tous les moyens à changer de sujet, le duc préféra aborder la gestion des terres durant son absence.

-Vilsteir, mon épouse vous considérez presque comme un père, et je vous considère moi comme un ami. J’aimerais que durant mon absence vous mainteniez les conseils des nobles. Je ne peux prendre le risque de vous nommer régent sous peine d’en vexer un ou deux, mais s’ils se sentent sur le même pied d’égalité, ils vous écouteront.

-Comptez sur moi, altesse. Mais si l’un d’entre eux venait à faire défection, quels seront vos ordres ?

-Ne vous inquiétez pas pour ça. Brevise est sur le point de marier sa fille à mon cousin, il ne tournera pas le dos. Tall a son fils à Diantra que je m’en vais rejoindre, et j’emmène également avec moi le capitaine des aigles de sang qui n’est autre que le frère cadet du seigneur d’Amderran.

-Vous vous êtes arrangé pour avoir des moyens de pression, je vois. Cela est judicieux altesse, mais je veillerais à garder tout ce beau monde à l’œil.

-Je l’espère, Vilsteir. D’autant plus que je te laisserais une lettre stipulant que vous pourrez lever le ban en mon nom et en celui de mon épouse. Si le Grand Bazar  se montre, nous pourrons passer à la seconde phase comme nous l’avons prévu. Les hommes sont prêts ?

-Oui altesse, et les nobles ont reçu l’ordre de commencer à réunir les hommes comme vous l’aviez suggéré. Lorsqu’ils sentent leurs intérêts en péril, ils peuvent réagir assez vite croyez-moi.

-Je vois. Donnez le titre de chambellan au seigneur d’Amderran, cela devrait l’amadouer suffisamment longtemps avant que je ne trouve un moyen de le hisser plus haut. Ainsi, il finira par me céder son frère.

-Et s’il refuse toujours ?

-Il ne pourra plus refuser, Vilsteir, je m’arrangerais pour.

-Bien, altesse. Concernant Nelen maintenant, quels sont vos ordres ? J’ai eu quelques réserves par rapport à la titulature du vice-amiral. Ce Montecale pourrait très bien être un espion du Soltaar.

-Nous savons que cet homme a tout perdu chez lui, et j’ai vu dans son regard le désir de survivre et non pas de s’enrichir comme la plupart des hommes qui m’entourent. Etrangement, je lui fais confiance, j’espère ne pas me tromper.

-Il est vrai que sa qualité d’ancien capitaine Soltaar nous procure un très net bénéfice. Si nous devons affronter l’estréventine, cela ne fait aucun doute qu’il saura nous apporter tout ce dont nous aurons besoin pour en venir à bout. A savoir maintenant s’il pourra prendre les armes contre ses anciens partenaires…

-J’ai confiance, Vilsteir.

-Dans ce cas, partez à Diantra le cœur léger, altesse. Ramenez nous la paix si vous le pouvez, mais sachez que Langehack sera prêt à intervenir s’il le faut. Pour Langehack !

-Pour Langehack ! répondit-il en échos.

Le sénéchal se releva et le salua avant de tourner les talons et de repartir d’où il venait. Oschide se retrouvait de nouveau seul, espérant que plus personne ne viendrait le déranger. Il était l’heure de partir de toute façon. A moins d’un imprévu, à la tombée du jour, il serait déjà sur les routes avec une centaine de cavaliers et la baronne d’Alonna.