Chemin du retour. [PV Alanya]

Fin 7ème énnade de Barkios, 8e année du 11ème cycle.

La route était belle. Bien entretenue, la roche de la voie vers le nord avait été taillée par des bons artisans. Les roues du carrosse ne grinçaient point à chaque virage, et la remontée du futur couple était même rapide. La loge était confortable, agencée pour que le boiteux puisse y être à son aise, face à celle qui allait devenir sa femme. Les premières heures du voyage furent silencieuses : le Lys avait besoin de repos. Puis, au réveil, il s'attela à rédiger une lettre, celle-là même qu'allait recevoir son actuel suzerain. Il informait Jérôme de son prochain mariage, suite à cet amour aussi soudain que vivace qui semblait unir Duncan et Alanya. De plus, comme si la baronne n'allait pas désirer la lire, il y mettait en avant les potentiels avantages politiques que scelleraient l'union de ces deux gens. Il finit par conclure en racontant le fiasco du conseil de Diantra, et l'impossibilité qui était la sienne de se rendre à Soltariel comme cela était convenu à l'origine. Il la tendit à la baronne, qui l'approuva, avant de le rendre au Lys. Celui-ci y appliqua son sceau, et la donna à l'un de ses gardes du Lys, qui partit au galop au prochain village pour la remettre à un messager.

« Madame, je dois vous faire part de ma plus grande joie à l'idée d'avoir pu honorer ma promesse : les frontières d'Etherna sont désormais ouvertes à tous les biens de Missède, et à la fois monseigneur de la Courcelle en profitera, et nous en serons de fait les premiers bénéficiaires. Constatez que ma parole n'est pas de celles qui n'appliquent pas ce qu'elles promettent.

Que le voyage soit long ! Nous aurons ainsi tout le temps de convenir ensemble sur les points qu'il nous semble nécessaire d'aborder. En premier lieu, il me semble nécessaire d'aborder cette entrevue par le pouvoir qui nous échoit : Vous êtes la baronne, et moi votre époux en devenir. Vous disposez de la regalia, mais j'entends, avec votre bénédiction, être en mesure de dispenser conseils, réformes et mesures qui sauront mener Alonna sur la voie de l'essor politique, économique, culturel et social. Vous êtes légitime, et, Madame, permettez que je souffre à l'idée d'imaginer que vous ne puissiez ouïr mes conseils avisés.

En un second temps, parlons de votre enfant à naître. Je suis, comme vu préalablement, prêt à le reconnaître comme mon fils, à l'élever comme un père, et à le préparer à la dureté du monde. Cependant, je ne saurais, en tant que père, infliger à cet enfant à naître le fait de n'avoir ni frères, ni sœurs. Je me fie à votre...expertise, qui saura, en n'importe quelle situation, prévaloir sur la mienne. »

Duncan attarda son regard à travers la fenêtre du carrosse. Sa main posée sur la tête de cobra qui scellait sa canne, il regarda l'un des nombreux gardes qui les escortaient.

« Concernant la cérémonie...J'entends profiter de la guerre qui fait rage, et de la virginité de nos frontières, toujours intactes, pour procéder à un mariage simple, sans fastes ni excès. Nous ne savons pas comment le Nord réagira à notre union, choisissons la voie de la prudence et de la diplomatie. A ce titre, je recommande d'entamer des pourparlers de paix avec monseigneur le marquis de Serramire. Les relations avec Monsieur de Brochant ne sauraient être plus tendues, et il me semble nécessaire de rétablir un climat de paix et de sérénité avec quelqu'un de puissant qui saura nous protéger en cas de problèmes. Qu'en dites-vous ? »

La séance à sa demeure Diantraise tourna aussi court que possible et les accords réjouissaient déjà la Baronne. Finalement, elle ne ferait pas le trajet du retour seule et cela, en un sens, la rassurait. La belle avait hâté les préparatifs si bien qu'au lendemain au matin, ils prirent la route vers l'Alonnan, sa terre natale. Leur voyage serait certainement fastidieux et l'escorte du Lys et de la baronnie mêlées donnait un air princier au carosse où ils étaient installés. Alanya avait d'ailleurs laissé le seigneur s'occuper de ce détail. Elle n'aimait pas voyager enfermée mais elle devrait s'en contenter pour une fois.
Cela faisait deux journées que les chevaux battaient le pavé régulier et entretenu de la route de l'Argent. Mais ce jour était différent que le dernier. L'arrivée dans le Hautval signait d'un certain côté la porte du Nord. Ils leur faudraient bien sûr traverser le Berthildois, une courte partie de l'Ethernan et de l'Odélian pour enfin poser leurs bagages à Alonna-la-citée. Elle lui manquait tant, elle et ce qu'elle représentait. Elle y retrouverait amis et famille et la douce brise printannière venant des Monts d'Or. Enfin elle serait chez elle.
Le Lys-à-la-goutte dormait paisiblement. Elle prit le temps de l'observer. Elle n'appréciait pas dormir de trop, préférant des nuits courtes mais reposante aux interminables siestes à toute heure du jour ou de la nuit. Les cheveux blond de ce qui serait son futur époux balançait doucement au rythme cadencé de l'attelage. Il n'était pas déplaisant à voir bien que sa beauté sois toute relative. Elle avait de loin préféré son cousin qui avait les traits d'un homme du Nord. Mais l'Ethernan avait quelque chose que ce dernier n'avait pas eu le loisir d'avoir, quand bien même son père lui avait enseigné: l'esprit. Non pas que c'était un homme bête; Alanya avait vécu toute sa jeunesse et plus encore avec lui pour le savoir. Il n'avait simplement pas les capacités nécésaier à la gestion d'un domaine ou d'une terre. C'est d'ailleurs en ce sens qu'elle avait été faite pupille et avait reçu des enseignements qu'une femme ne reçoit généralement pas. Elle repensa à son oncle et son acharnement à lui inculquer l'art de la politique et des lettres. La baronne en avait la nausée tenace -ou alors était-ce sa grossesse qui lui jouait des tours?
Lorsqu'il s'éveilla, il n'attendit que peu pour entammer les formalités. Elle l'écouta avec attention. Sa lettre à son suzerain lui tira un sourire. L'amour. Voilà bien une chose en laquelle elle ne croyait pas mais le seigneur du Lys était un très bon menteur. Elle y aurait presque cru si, en un certain sens, il ne lui avait pas tant ressemblé.
« Mon seigneur, force est de constatée que vous avez en effet tenu tout vos engagements jusqu'à présent. D'ailleurs il aurait été stupide de votre part d'en faire autrement. Mais je suis heureuse de voir qu'en affaire vous êtes un homme aussi fiable que redoutable. » Elle le regardait avec un vague sourire, les mains croisées sur ses jambes alors qu'elle lui faisait face.
« Vous serez mon époux et, en tant que tel, j'entends bien à ce que vous me prodiguiez des conseils avisés. Vous serez aussi baron, il est donc inutile de rappeler que l'avenir de la terre qui sera notre passera avant vos interêts ou les miens à l'exception près des ambitions qui pourront nourrir à la fois l'un et l'autre. » Alanya restait franche et distante, sa voix totalement détaché du contexte. Elle savait qu'il comprendrait chaucn de ses mots à leur juste valeur.
« Vous êtes un homme habile et il me plait de savoir que je pourrais reposer une partie des devoirs baronniaux sur vos épaules, comme feu mon mari l'aurait fait à votre place. Néanmoins je reste intransigeante sur mon droit total de regard. J'espère ne jamais avoir à vous freiner mais s'il advenait que vous le soyez, vous serez à l'image de chacun de mes vassaux: un seigneur qui se devra d'obéir au jugement du trône baronnial. A ce titre d'ailleurs, sachez Monseigneur que notre noce vous donnera le titre de la plus puissante lignée en Alonnan. Vous devez savoir comment nous fonctionnons et ce que cela implique dans votre rôle au Conseil des Grands Seigneurs. »
Alanya marqua une pose, regardant le ciel dégagé à travers la fenêtre, appercevant son faucon. Il volait, suivant le cortège de son oeil vif.
« Vous serez un père pour l'enfant que je porte, je n'en doute pas. Cependant vous ne le reconnaitrez pas tout de suite. La situation de ma famille est encore frêle. Monseigneur, vous n'êtes pas sans savoir comment je suis parvenue sur le trône. L'opposition s'est encore fait sentir -au dire de mon entourage le plus proche- et malgré la purge qui a été faite dans la branche dissidente, il reste quelques sceptiques. Les vieilles familles essayeront toujours de faire valoir quelconque droit sur la couronne que je porte. Je pense notemment à la famille de Lourbier, seigneurs de Lodiaker. Il s'agit de la plus puissante et d'une des plus ancienne lignée Alonnaise: elle contrôle les mines et reste fortement accès sur les armes. Peut-être connaissez-vous ma prédécésseure, Constance de Lourbier, Dame de Lodiaker qui a regné pas plus d'une année, offrant la baronnie au Seigneur Goar pour son royaume de Sgarde. » La belle lâcha un soupire, fermant les yeux un bref instant. « Vous regnerez sur une terre mainte fois mutilée et un peuple las. Je ne peux que vous conseiller de garder cela à l'esprit. »
«Puis-je d'ailleurs vous parler librement Monseigneur?»
Il obtempéra rapidement.
«Je crains que l'on veuille attenter à mes jours et à ceux de votre futur enfant. Je n'ai pas réussit à déterminer qui ni pourquoi, mais un Maitre Chanteur avait infiltré des espions dans ma propre maison avant de m'envoyer une missive... Aussi cinglante que de mauvaise augure... J'espère que vous saurez protéger vos interêts avec ce mariage simple. Et nous parvenons à écarter cette menace, je me ferais une joie d'offrir à cet enfant quelques frères et soeurs de votre propre sang... avec toute l'expertise que je dispose. » Elle étira son faciès dans un large sourire. C'était une formalité qu'ils devraient de toute façon régler au plus tôt s'ils ne voulaient pas avoir une bonne raison, l'un comme l'autre, de faire annuler le mariage au moment qui leur semblerait opportun.
«En ce qui concerne le Corbeau de Serramire, un fidèle vassal a déjà entammer quelques tractations. Nos relations sont toujours frileuses mais j'ai bon espoir de parvenir à un arrangement qui ne me forcera pas à prêter allégeance et qui conviendra tout de même pour écarter toute menace d'invasion à laquelle, pour le moment nous ne pouvons faire face. ». Elle attendait la réaction de Duncan patiemment. Le voyage n'aurait pas à être si long que ça finalement...

La baronne répondait sans vaines cascades rhétoriques. Les propos d'Alanya répondaient franchement aux points soulevés par le Lys, et ce dernier se prit à penser qu'une réelle alliance stable pouvait prospérer. Malgré le dicton qui disait que seules les alliances frêles se soldaient par un mariage, il savait - autant qu'Alanya - que les deux pouvaient très aisément en venir à s'apprécier réellement. C'était une femme d'esprit, vive et qui plus est, aux charmes indéniables. Pensant à moitié à cela, il ne put s'empêcher de rire très légèrement et de caresser sa barbe, bien que les propos de la baronne ne prêtaient pas à rire - enfin, pas totalement.

« N'ayez crainte, Madame. Ceux qui attentent à votre vie ou qui vous surveillent depuis l'ombre commettront une erreur qui leur sera fatale. Quant à ceux qui, au sein de votre...et bientôt notre, baronnie, vous remettent en question, il n'est rien de plus convaincant et de plus à même de dissiper leurs doutes qu'une visite à leurs fiefs. »

Le Lys se leva comme il put, et s'assit à coté de la baronne. Il plaça sa jambe infectée de manière à ce qu'elle ne gêne ni lui, ni sa promise. D'un geste galant, il prit les mains de la baronne, et riva ses yeux d'émeraudes sur elle.

« Mes intérêts, Madame, sont de pallier à vos besoins, à ceux de cet enfant que vous portez, et à ceux de la baronnie. Comprenez moi, ma chère : j'ai été vassal d'un puissant. Je connais mieux que quiconque ceux dont j'ai été le semblable. Ils m'apprécieront, car ils sauront que j'ai conscience de leurs intérêts en tant que vassal d'un baron. Il n'existe aucun moyen aussi viable que celui d’œuvrer pour la baronnie pour les contenter, car c'est de la santé même de leur contrée que dépend leur pouvoir. Et dans cette longue tâche qui nous attend, nous serons plus que des alliés, Madame. »

Le Lys sourit à nouveau, dévoilant le haut de ses dents blanches. Il se pencha légèrement, puis osa poser ses lèvres sur celles de la baronne. La curiosité avait à cet instant pris le pas sur le protocole. Presque surpris lui-même de sa témérité, il se passa doucement la langue sur ses lèvres. Cela n'était guère déplaisant. Le Lys avait entendu maints fois qu'un baiser permettait d'apprendre biens des choses sur quelqu'un, mais à cet instant, il ne se sentait pas plus avancé. Bien qu'il se soit appliqué à le rendre doux, il n'avait guère idée du résultat.

« Ce n'est pas seulement devant les Dieux, Madame, que je prêterais serment d'être fidèle envers Alonna et envers vous. Mon destin sera lié au vôtre, et soyez assurée que rien ne saurait ni les délier, ni les vouer à une inexorable chute.

Quant à monsieur le Marquis, j'aurais tendance à craindre une menace venant éventuellement de ses vassaux. Je crains qu'une réconciliation entre Jérôme de Clairssac et le marquis serait on ne peut plus pénible à réaliser, les deux ayant des vues sur Oësgard. De plus, Etherna est affaiblie par la guerre, et son armée est à moitié décimée par la guerre du Nord. Non, assurément, Aymeric de Brochant jouera un rôle crucial si nous voulons des soutiens dans le Nord, en plus du Langecin, et notamment de Missède, par le biais de Monsieur de la Courcelle. »

Le baiser qu'il lui offrit n'était pas totalement assuré. A la fois tendre et hésitant, bien que la démarche était téméraire de la part du seigneur qui était à présent au près d'elle. Elle sentait une certaine curiosité, peut être. Ce contact ne dura que quelques secondes et même si il reprit son discours avec un aplomb qui lui était propre, ses yeux restaient emplis d'une chose que la baronne n'arrivait pas à définir. Il faisait de sérieux efforts pour les tractations se passent au mieux et elle appréciait cela: elle n'avait pas toujours été gâté par ses diverses expérience dont la plus amer restait son mariage forcé. Elle en gardait un blessure qu'elle masquait tant bien que mal.
Loin de vouloir rompre ce contact réconfortant, elle écoutait l'Ethernan. Il parlait d'une voix claire et ses yeux émeraudes ne fuyaient pas ceux azurés de la belle, bien au contraire. S'il avait semblé manquer d'expérience mais à ce moment précis, il avait repris la contenance qu'elle lui connaissait. Il avait raison, elle le savait. Elle serait certainement mieux entourée qu'elle n'avait jamais été.
Une fois qu'il eut fini d'exposer sa vision, elle dégagea en douceur ses mains pour ne pas le brusquer, affichant un sourire mystérieux qui la caractérisait si bien. D'un geste délicat, elle effleura sa joue du bout des doigts.
« J'aime à savoir que vous veillerez autant que moi à notre sécurité commune. Je tenais juste vous en informer. Il aurait été de toute façon inutile de vous le cacher. Qui sait ce que le Maitre chanteur a derrière la tête, ni même s'il va un jour mener ses menaces à exécution. Auquel cas ils nous faudra tout deux être près à réagir. »
Elle marqua une pause, se redressant tout à fait, gagnant ainsi en prestance.
« Vous me conseillez donc de rendre visite à ceux qui remettent en doute ma place et de facto, la votre? Il faut dire que mon voyage vers le sud a été prompt et que je n'ai réellement eu le temps de comment faire taire mes détracteurs. Nous irons donc, après les formalités qui nous attendent à la capitale, si vous le voulez. Ce sera un bon prétexte de vous faire visiter l'Alonnan et ses secrets encore ien gardés. » La baronne eut un petit rire. Beaucoup savait la situation de l'Alonna mais Alanya trouvait encore à sa terre un charme pittoresque -mais surtout de beaux atouts économiques quels se gardaient bien, pour l'heure de divulguer à ses pairs.
« Et si j'en crois ce que vous me dites et les interêts que vous portez à ma personne alors nous serons effectivement bien plus qu'alliés. Disons que pour l'instant, je gage de ma sympathie envers vous Monseigneur. »
D'un geste sûr ne le laissant pas le loisir de se retirer, elle se pencha sur ses lèvres pour lui offrir un baisers plus long mais chaste. Une promesse envoyé, que ses grands yeux pétillants et son sourire finirent de sceller.
« Il vous serez de toute façon inutile de vouloir la chute de votre future terre. Je me nourris d'autres ambitions dont vous vous doutez certainement. Nous prendrons le temps d'assurer nos biens afin qu'une chute ne sois jamais envisageable. Je n'admets pas l'échec Seigneur du Lys et j'ose espérer que vous non plus. ». Elle le regardait sans détour, son regard perçant scrutant chaque ligne de son visage, chaque mimique qui aurait pu le trahir en vain.
«Serramire est une puissance que nous ne pouvons négliger. J'ai appris à Diantra que votre suzerain avait trouvé la grâce Odélianne, retrouvant sa vassalité. Je doute que le marquis vois la conquête du seigneur de Clairessac d'un bon oeil. Son serment donné à Gaston et Madelyne d'Odélian le mette en disgrâce vis à vis de Bastylle, fief du Corbeau. Il lui faudra soit une intelligence politique qui lui fait jusqu'alors défaut, soit une vraie chance pour qu'une fois les Sombres renvoyés au Puy, la prise d'Oësgard ne tourne pas à la boucherie. Je ferais venir mon ambassadeur au castel et nous lui donnerons une audiance. Il sera le plus à même de nous donner des informations, lui qui a abordé le marquis sur le front. Qu'en pensez-vous?»
Elle n'aimait pas prendre de décisions hâtives sans avoir explorer toute les possibilités. C'est ce qui l'avait mener là où elle était. Elle préférait la reflexion au décision prise trop rapidement qui pouvait entrainer de grossières erreurs de jugement. Elle ne doutait pas que le seigneur qui restait tout près d'elle partagerait son avis.

Fort heureusement pour le duo, les fenêtres du carrosse étaient petites, et les diverses dorures et agencements du véhicule ne permettaient pas aux gardes de les voir. Quelle gêne c'eut été pour le Lys, si une personne les avait surpris pendant leurs baisers ! Duncan se mit presque à croire à cette éventualité, et empreint d'une paranoïa qui aurait fait rire plus d'un, il jeta un regard à l'extérieur, s'assurant qu'aucun parasite ne portait sur eux son regard jaloux. Il laissa s'échapper un léger rire cristallin suite à l'attention de la baronne. Manifestement, voilà une femme qui ne manquait pas d'assurance ni d'expérience. Écouter Alanya devint subitement difficile. Mais le temps ferait son office, et il apporterait avec lui son lot de consolations.

« Je dispose en effet de quelques idées pour asseoir notre couple sur l'Alonna et nous assurer la fidélité de ces deux familles dont vous avez mentionné la...légèreté. Vous avez mentionné Lodiarker, ma chère, qui disposerait des mines. A cela, et considérez ma réponse comme spontanée et non encore mûrement réfléchie, la nouvelle de notre accord avec Missède saura les réjouir, ainsi que les bienfaits de notre traité avec Monseigneur de la Courcelle. En second temps, considérer cette famille comme au centre des bénéfices tirés des mines inclut de fait de les inviter à participer à un conseil dont la tâche sera d'améliorer au mieux la rentabilité de ces mines. Enfin, quoi de plus sain pour améliorer des relations que de choisir le seigneur de cette place forte comme tuteur pour votre enfant à naître ? Ils n'y verront qu'un gage de l'immense confiance que cela suscite, et soyez assurée, Madame, que jamais ils ne se risqueraient à s'en servir contre vous. Si cela ne suffisait pas, il nous suffirait alors de conclure ces mesures par la nomination du seigneur de Lodiarker comme mon conseiller personnel. »

Le Lys repensa alors quelques instants à ce que sa promise avait dit auparavant. Il se caressa la barbe, et adopta cet air songeur, caractéristique de ses moments d'introspection politique. Sa réponse fut alors ponctuée par une gestuelle de sa main droite. Celle ci se mouvait, se retournait, et entérinait les points importants, comme si le Lys tenait un discours.

« Odélian est dans une situation critique. Les multiples voltes-faces de Madeleyne d'Odélian ont sapé sa crédibilité auprès de beaucoup. De plus, sa défaite contre Nimmio de Velteroc a réduit de manière significative à la fois son prestige et son armée, de même que d'autres territoires. Toutefois, la versatilité de Madeleyne d'Odélian engendre une certaine confusion : il est difficile de savoir comment le Nord voit Diantra, d'autant plus qu'à présent que le couronnement de Nimmio de Velteroc semble se compliquer, qui sait quelle position le Nord aura. Il est d'autant plus difficile de formuler des hypothèses, dans la mesure où leur priorité, je suppose, est la guerre contre les Sombres.

Concernant Jérôme de Clairssac, il lui est en effet difficile d'être un politicien. Bien que ce ne soit guère un défaut, c'est un inconvénient crucial pour lui. A notre arrivée, je recommande donc de prendre des nouvelles de votre ambassadeur. Un renouement des relations avec Aymeric de la Brochant sera incontournable si nous ne voulons pas finir isolés. Je recommande aussi d'envoyer des émissaires vers la contrée Berthildoise pour établir des relations diplomatiques saines. De plus, nous ne saurions être en mesure de tisser des bons termes avec Etherna que par le biais de ma personne. Voilà de nombreux filons que nous saurons exploiter au mieux, ma chère. »

Alanya, sous ses airs restait une personne assez pudique et elle fut rassurer de constater que l'ecorte n'avait -ou faisait semblant- pas vu l'impulsivité dont avait fait preuve à la fois le seigneur du Lys et elle-même. Ils avançaient à bonne allure et il ne serait pas étonnant qu'ils soient dans le Berthildois avant la tombée du jour. Elle priait silencieusement que ce moment arrive au plus tôt: rester assise engourdissait ses jambes et l'ennui avait souvent raison de son attention, bien que la conversation ne fut ni mauvaise ni dénuée d'interêts.
La belle lissa un plis de son vêtement. Duncan était un homme habile et ses conseils lui seraient précieux. Pourtant lorsqu'il évoqua la possibilité de confier son enfant à naître à une famille telle que Lodiaker, elle porta une main protectrice sur ce ventre qui s'arrondissait de jour en jour. Jamais d'ailleurs elle n'avait pensé à faire une bonne mère et elle doutait encore de ses capacités à élever un enfant aussi convenablement que possible. Peut-être même n'était-elle pas douée pour les porter en son sein et viendrait-il au monde mort né. Elle n'en savait rien et l'inconnu la terrorrisait autant qu'il l'attirait par certains de ses attraits.
« Les Lourbiers ont la rancoeur tenace mais ils sont assez intelligents pour savoir quand se plier. Leurs mines ne pourraient pas fonctionner sans l'appui que le trône baronnial leur porte. C'est ainsi que nous les avons soumis -feu mon mari et moi-même- lorsque votre suzerain nous a nommé à la tête de l'Alonnan. Je connais fort bien cette lignée et malgré la mauvaise fois dont ils font preuve, ce sont des gens qui restent fidèle à leur terre -chose éminemment rare de nos jours, vous en conviendrez. Nous ne pourrons commettre aucune faute sous peine de revivre leur sanglante accession par le biais de Constance, avant qu'elle ne parte pour la Sgarde. Méfions nous en mais, à mon sens ce n'est pas la famille noble la plus réfractaire. »
«Les Chtolls sont de loin la plus pourrie de toute les branches qu'il m'ait été de connaitre. Ils sont vils et profiteurs. J'avais avant mon départ recommandé à ma mère et ma soeur de traiter avec la seule partie que nous n'avons pas tué dans l'oeuf lors de leur petite révolte. Ansfild d'Eskil est un homme gras et cupide mais il reste le seul en âge de reprendre la seigneurie de leur lignage. J'espère que mes recommandations ont été faite. Jamais nous n'aurons le respect des vieilles familles mais au moins, nous pouvons encore contenir par maintes ruses ceux qui ne se plieraient pas. » La baronne marqua une pose, nouant ses cheveux pour dégager ses épaules. Il faisait bien trop chaud pour la saison et l'espace contigüe n'aider pas à faire circuler l'air.
« Je vous dépeinds un bien triste tableau de l'Alonna Monseigneur, mais il vous faut savoir à qui nous ne pouvons pas faire confiance et qui s'est jusqu'à maintenant montré digne de confiance. Les Azrith sont de loin nos meilleurs alliés. La mère de ma mère était la seconde du seigneur de la ville. Nous avons toujours entretenu de très bonne relation, étant d'abord leur vassaux. La famille de Wacume reste une amie fidèle qui nous a toujours prouvé leur sympathie. Ces gens là sauront toujours apporter des conseils dans les moments de doute. Pour le reste, ils semblent assez indifférent. Tant que nous n'apportons pas plus de misère qu'il n'y a déjà, ils nous traiteront avec égard. »
Elle venait d'achever sa description quoique grossière de la baronnie. S'il voulait regner justement le Seigneur-à-la-goutte devrait apprendre les affinités de chacuns et le rôle de tous. Elle espérait que le prochain conseil se déroulerait calmement, loin de la débandade qu'un mariage avec Etherna pourrait suciter.
« Notre position est certes minimiser. L'Alonna est la clé de voûte du Nord et sans notre aide, ce dernier se retrouvera privé d'une puissance dont il ne puvent se passer à l'heure actuelle. Les dernière nouvelles que j'ai reçu m'ont laissé entendre que Serramire avait perdu une grosse bataille contre les Puysards. L'ancien duché n'est plus que l'ombre de lui même et si les Brochants espèrent un jour redorer leur nom, ils faudra qu'ils concèdent à un traité de paix et d'échange avec nous ou avec Odélian. J'ose croire qu'ils commenceront par ordonner quelques tractations avec les marquis de l'Olienne mais devant la versatilité de Madeleyne et l'impérialité de Gaston, ils auront les mêmes revendications. Je doute qu'une entente entre eux deux sois possible. Et si telle devait être le cas, nous serons bien plus rapide et conciliant. Laissons les puissances s'écraser contre les drows et vouloir -dans une pure tradition nordique- couper avec le Médian. Leurs faiblesses seront nos avantages. J'ai d'ailleurs librement choisis de laisser l'Alonnan dans une dynamique particulière. Si les deux puissances lorgnent la baronnie, aucun des deux n'a encore envisagé une invasion imminente. Et le temps qu'ils perdent à se décider renforce toujours plus les liens politiques et l'économie de notre terre. Il arrivera un moment où, à force d'avoir trop attendu, ils ne pourront rien contre nous à moins de signer leur propre arrêt de mort. »
La belle plongea son regard dans la couleur émeraude de son futur époux.
«Je partage votre avis sur le Berthildois. De plus, avec la chute d'Arsinoé a surement troublé l'ordre du Marquisat. Un nouveau baron va bientôt être nommé -si ce n'est pas déjà fait. Arétria a perdu son comte dans la conquête de Sgarde. C'est beaucoup de nouveauté pour une terre en étau entre le Médian et le Nord. Je serais même d'avis d'inviter quelques dignitaires à nos épousailles. C'est un gage de respect et d'estime et j'espère que cela ouvrira quelques négociations intéréssantes. Il n'a jamais été dit que le couple marquisal était de mauvais bougres. J'ai bon espoir de donner à l'Alonna un rayonnement plus grand encore sans même que nos principaux rivaux s'en apperçoivent. »
Elle exposait là ses convictions profondes sans pour autant être assurée, en l'état, de l'entière réussite de son plan ou de celui du Lys. Mais elle espérait fortement qu'il partagerait au moins le gros de son opinion, la confortant dans ses choix politiques.

Le Lys reprit position sur sa place initiale. Il s'installa comme il put, reposant sa jambe atteinte, et posant sa canne contre sa jambe valide. Ainsi placé, il avait une vue imprenable sur les champs qu'ils traversaient. La faible brise qui, par intermittence, traversait les fenêtres était reposante. Duncan plissa ses yeux un instant, séduit par la beauté du paysage. Ce n'était pas tous les jours que l'on traversait le pays Ancenois puis Hautvallois. A la fin des longs propos de sa future femme, le Lys conserva le silence. S'attendait-elle à une réponse qu'elle fut déçue. Pendant de longues minutes, il ne répondit pas, gardant son regard sur le paysage. Sans s'en détourner, le futur baron répondit, sur un ton simple :

« Vous devriez vous reposer, Madame. Vous faire tant de soucis causera votre perte. Sachez déléguer, et reposez-vous sur moi. »

Son visage n'avait pas bougé d'un cil, souriant légèrement, tourné vers le paysage. On aurait pu croire qu'il souriait suite à ce qu'il venait de dire, mais ce n'était nullement le cas : il n'était que contemplatif face aux grandes étendues vertes, ponctuées à l'horizon par ces grands monts dont on soupçonnait hôtes de créatures féroces. Le mignon prit la liberté d'écarter les petits rideaux, afin de permettre au vent de s'infiltrer plus encore dans la voiture. Ainsi, il fut à son aise pour jouer lentement avec sa canne. Il regardait la gueule ouverte du cobra, faite en argent massif, reluisante et brillante, et le manche, sombre en ébène poli. Il dévissa légèrement la tête du cobra en la regardant.

« Selon certains médecins, le cobra est un reptile des plus dangereux. Discret, on ne l'entend guère, pas plus qu'on le voit venir. On ne l'aperçoit que trop tard, une fois qu'il a mordu et qu'il a filé entre les fourrés. Et il est bien souvent trop tard pour sa proie, sentant inexorablement le venin le tuer peu à peu. Un reptile fascinant, n'est-ce pas... »

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