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 Les liens du sang : Haïk

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Jys
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Jys


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MessageSujet: Les liens du sang : Haïk   Les liens du sang : Haïk I_icon_minitimeMar 9 Juin 2015 - 21:24


      Trois doigts frappaient au chambranle de la porte. La nuit était tombée sur les terres vivrières de Haïk, ce village rabougri fort de quelques fermes à peine, et autour duquel rayonnaient les longues plaines cultivées. A une demi-journée au nord-ouest d’Ys, c’était – comme tant de choses par ici – une propriété du Démon des Plaines Multicolores, le maître Buhasaiah. A cette heure si tardive, où seules les deux lunes baignaient le ciel d’encre, il ne se faisait plus entendre le moindre bruit autour des cabanes en torchis de Haïk. Sauf ces trois doigts qui, une nouvelle fois, toquèrent sur le bois d’une petite poterne.
      Après un instant, on fit tourner la poignée, et la porte s’ouvrit. Depuis l’intérieur, une lumière chaude de torchère vint éclabousser le seuil. Campé sur le pas de la porte, droit dans ses bottes crasseuses, la bedaine arrogante, la moustache triomphante, et l’œil avide, un véritable colosse venait d’ouvrir. Il était si large que sa stature occultait en très grande partie la lumière qui filtrait depuis l’intérieur de la cabane. Sa bouche s’ouvrit démesurément, et il éructa un rot jusqu’aux étoiles, avant de baisser le nez vers celui qui avait osé frapper à sa porte dans le milieu de la nuit.
      Face à ce géant, c’était deux yeux pleureurs, perchés sur la très courte silhouette d’un gamin de pas même dix ans. Sa constitution était celle d’un avorton. Il avait les ongles noirs, les doigts gras, et le nez coulant, de l’enfant qui n’a jamais un pichet d’eau claire pour sa toilette. Alors que toute sa peau était fort pâle, il avait les pommettes toujours rouges et vives, mais c’était sûrement là le sceau des coups reçus depuis la prime jeunesse. Enfin, son visage, fin et fragile, gardait un air fuyant, fugitif. On aurait dit une hirondelle toujours traquée, jamais au repos.
      « Messire Tugd … »
      Quand le colosse vit la créature chétive qui se tenait devant lui, quand il entendit sa voix de moineau qui pépiait son nom, il laissa éclater un grand soupir de contentement. Tugd contempla le minois : il promena un œil aguerri sur les épaules chétives, les jambes fort fines, et le visage pâle et luisant. L’homme sentit sa joie se raffermir en lui.
      « Entre, petit Hibond, grogna le colosse, et en même temps il pressait sa large bedaine contre un côté de la porte, afin que l’enfant puisse se faufiler et entrer dans la cabane. »
      Le gamin rentré, Tugd resta un instant encore sur le seuil, où il jeta un coup d’œil dans la nuit. Déjà ses mains se portaient à son pantalon, et il promenait des doigts impatients sur sa ceinture qui ne demandait qu’à s’ouvrir. Au diable la garde pour ce soir ! Tout semblait calme dans Haïk.
      Tugd fit sauter le premier bouton de ses braies, il referma la porte d’un coup sec. Puis il alla rejoindre le gamin et il fit sa besogne.


      Mais quatre yeux avaient suivi la scène, et deux paires d’oreilles n’avaient rien manqué de ce qui s’était dit entre le colosse Tugd et sa chétive proie, Hibond aux yeux pleureurs. La porte ne s’était pas refermée depuis un instant, que deux formes sombres se dépliaient au-dessus du linteau, et sautaient à terre. Comme elles étaient encapuchonnées dans de grandes capes sombres, on aurait dit deux bêtes étranges, deux taches d’encre qui s’étaient laissé couler le long des murs de la cahute.
      A présent les deux silhouettes se dressaient devant le taudis de Tugd. Depuis les lunes dégoulinait une lumière pâle et moirée, qui embaumait le profil de ces deux formes, et y découpant des arêtes fort anguleuses. C’était deux filles, l’une nubile déjà, l’autre presque gamine encore. Avec leurs capes dans lesquelles elles semblaient nager, on aurait dit des jeunes plantes trop vite poussées. Les aiguilles de leurs jambes paraissaient flotter dans les larges bottes qui leur grimpaient jusqu’aux genoux. Ces femelles étaient faméliques. Toutes deux, elles avaient la même dégaine squelettique, celle des fillettes grandies à l’ombre des bobinards à marins : à même pas treize ans, leurs hanches étaient déjà creusées par mille passages. Sous les chemises de mauvaise bure, on devinait le poitrail flasque et usé, pourtant jeune encore.
      On retrouvait sur ces visages fatigués, perclus de grains et de points, le même regard humide, et le menton fuyant et bas qui soutenait pareillement la tête de Hibond. Sans doute possible, le gamin était de la même lignée que ces deux filles-là. L’aînée s’appelait Huéri, et la seconde, Hagdé.

      Leurs voix se mirent à siffler, très basses, dans la nuit.
      « Comment trouver la hutte où se cache le Gros Enflé ? susurra Hadgé, la puînée, d’un timbre rauque. »
      Le Gros Enflé, c’était Buhasaiah. Ses esclaves et ses gens avaient pour consigne de le nommer Démon des Plaines Multicolores. Dans le grand monde, de Thaar à Baaz’Hima, et sur toute la côte marchande d’Ithri’Vaan, l’homme était réputé sous le sobriquet de l’Elégant – non sans que certains ne s’aventurent à y subvertir une consonne, rapport à sa corpulence. Pour ses détracteurs, et tous ceux qu’il avait contraint à la ruine, il passait sous le nom de l’Enflé. Alors, ceux qui nommaient Buhasaiah le Gros Enflé, c’était qu’incontestablement il voulaient voir sa tête tomber. Huéri et Hagdé étaient de ceux-là.
      « Toutes ces huttes se ressemblent, comment en distinguer une ? poursuivit Hagdé.
      – Inutile
, gargouilla l’aînée, Huéri, et sa voix grinçait comme un carillon usé. »

      La lumière nimbée des deux lunes vint révéler ce que ces vastes capes dissimulaient en leurs tréfonds. Chacune des deux filles, à bout de bras, portait une jarre de glaise ocre. Lorsque, sous le poids de la chose, l’une manquait de la faire tomber, on entendait un liquide clapoter paresseusement contre les parois. Une odeur de foins détrempés s’échappait de ces deux grandes jarres. Pour qui a déjà parcouru les étals des marchés bigarrés parsemant Ithri’Vaan, il est aisé de reconnaître là le parfum fétide du brûle-poix, ou eau-des-arts. C’était cette décoction étrange, que des prétendus mages tentaient de vendre à des circassiens ambulants : les cracheurs de feu en tiraient de grandes flammes colorées. Selon les bourgades, selon les saisons, il y avait plus ou moins de magie dans ce qui était avant tout de la gnôle. On pouvait dire que l’eau-des-arts se composait habituellement de plusieurs litres d’alcool fort, de quelques gouttes de poix et – parfois … – d’un soupçon de magie fort hasardeuse.
      Huéri posa sa jarre en terre, plongea un rameau au-dedans, et commença d’asperger les parois de la cahute de Tugd. Un sourire méchant creusait ses joues déjà anguleuses.
      « Huéri ! gémit sa cadette, Hibond est à l’intérieur, tu ne peux … »
      Le mot suivant s’étrangla dans sa gorge, ravalé par un hoquet de souffrance. L’aînée avait empoigné Hagdé et l’avait plaquée contre le mur en torchis de la cabane. D’une main avide, Huéri avait fouillé le torse de sa sœur jusqu’à y trouver un mamelon, qu’elle tordait et qu’elle broyait. Des soupirs atroces s’échappaient de la gorge ouverte de la cadette. Le long du mur à présent imbibé de brûle-poix, des gouttelettes roulaient de haut en bas, et elles commençaient à tremper les cheveux et les épaules de Hagdé.
      L’aînée, son front pâle creusé par la colère, crachota à la gamine :
      « Nous devrons fuir, et Hibond nous ralentira. On le laisse. »
      Hagdé n’osa plus répondre un seul mot. Alors, leur plan arrêté, les deux sœurs répandirent le brûle-poix sur les fermes de Haïk, ainsi qu’aux abords immédiats du minuscule village. Elles ne furent pas dérangées dans leur entreprise, car Tugd n’était pas aux aguets ce soir-là, et pour cause. Un râle sauvage s’élevait par moment de sa cahute, dont les murs eux-mêmes branlaient sous ses assauts.


      Pourtant, alors que la sinistre besogne de Huéri et Hagdé touchait à sa fin, l’une pointa soudain un doigt dans la nuit noire. Il y avait là une forme paisible, qui les observait d’un œil sans intelligence. C’était un cheval ; pas d’une grande race, mais plutôt de ces lignées sèches et coriaces, importées dans les deltas côtiers par ceux qui vivent dans les plaines de sel. Mais ce qui attira l’attention des deux sœurs, ce ne fut pas tant la bête en elle-même, que le tapis de selle qui pendait sur ses deux flancs. C’était une œuvre savante, exécutée avec grand doigté. On y voyait s’entrecroiser des fils de coton et d’organdi, parcourus de couleurs vives et chaudes. Sans nul doute, celui qui chevauchait cette bête était un Mathaorais nostalgique, et aux goûts forts assurés.
      Cette fois, c’était sur la face squelettique de Hagdé, la cadette, qu’un sourire mauvais venait de poindre, ravinant ses fossettes de mille creux :
      « On dirait qu’aujourd’hui encore, le Gros Enflé n’a pas voyagé sans sa petite catin privative. »
      Le même rictus contamina alors le visage découpé à la serpe de Huéri, révélant ses dents jaunies par le mauvais tabac :
      « Notre très cher grand frère, couina-t-elle avec excitation. Je me demande quel cri fait un eunuque lorsqu’il brûle. »
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Zarina
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Zarina


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MessageSujet: Re: Les liens du sang : Haïk   Les liens du sang : Haïk I_icon_minitimeDim 18 Oct 2015 - 15:21



Hassan









Mon souffle était long, ma respiration bruyante et mes muscles raidis. J'étais couchée, saisie par des tremblements qui s'intensifiaient. Un froid infini me pénétrait, me consumait. Plus rien n'avait d'importance sinon les pensées qui m'assaillaient. Je restais là sur mon matelas de fortune, les jambes et les bras repliés sur moi-même, presque en position fœtal. Il était certain qu'un peu de chaleur humaine m'aurait rendue fier service, me sortant d'une torpeur totale. Quand je songeais à ces personnes qui auraient pu rendre à mon visage un franc sourire, je retombais alors dans mes considérations les plus noires. Penser un instant à Maman me ramenait inlassablement vers les exactions de Buhasaiah. Et ses fautes me rappelaient l'expiation que je m'étais jurée d'accomplir. Je ne craignais dans tout cela que le simple fait de mourir sans avoir pu remplir mon but de vie. Dans de nombreuses nuits, comme celle-ci, je cauchemardais sur l'échec de ma mission. Tantôt j'oubliais ma rage de vie, pardonnant à mon géniteur pour accéder à une nouvelle vie, tantôt je périssais bien avant d'avoir pu lui asséner le coup fatal.
Cependant, je me trouvais là en une nouvelle conjoncture, dévorée par ma volonté et accablée par les regrets. J'avais revu dans ma nuit celle que j'avais appelé il y a bien des années Mam, Jailhyn. J'étais face à ses magnifiques yeux orangés qui véhiculaient toute la tendresse qu'elle avait pour moi. C'était le jour de mon départ, le jour où je lui annonçais que nous ne nous reverrions plus. Cependant, dans cette dimension surgie de mon imaginaire, je ne m'étais pas décidée à partir, préférant le confort, oubliant mon passé. Cette Zarina là m’écœurait autant qu'elle m'attirait. J'en fus si troublée que mon corps exprimait cette dualité par des symptômes grippaux.

Je me redressais, scrutant la pénombre espérant apercevoir non loin de moi la Renarde endormie. Je n'y vis que l'intérieur de ma tente, modestement meublée. Il y avait là mon coffre où je rangeais vêtements, accessoires et effets personnels, mon râtelier d'armes en piteux état mais toujours fonctionnel et la paillasse convexe sur laquelle je ne parvenais pas à trouver le sommeil. La vacuité de cet endroit, qui ne m'avait encore jamais effleuré l'esprit, me fit prendre conscience que je n'avais rien et que mon ennemi avait tout. Je calmais à présent mes terreurs nocturnes en songeant à ma précédente péripétie, celle où je rencontrai le Nordique Hendrick. Je ne sus pas pourquoi sa pensée m'apaisait, mais cette pommade que je m'administrais me permettait d'avoir les idées plus claires. J'avais trouvé en cet homme un allié, me disais-je, non consciente du fait qu'il était plus que ça. Je me demandais alors quels nombreux autres services serait-il prêt à me rendre, lorsque j'entendis des pas hésitants autour de ma tente. J'enfilais à la hâte mon gilet de cuir, me précipitant au dehors.



Zarina... Quelle femme sublime tu es devenue !



Je pensais avoir à faire avec l'un de mes lieutenants, rien ne me préparait à avoir en face de moi Hassan Mille-Pattes, mon mentor. Ses traits s'étaient durcis encore avec l'âge, et ses cicatrices étaient encore plus nombreuses. Il était revêtu d'une armure de cuir noircie, deux cimeterres dans le dos, dissimulant sous une veste large des dizaines de couteaux de lancer, me disais-je. Quand il me vit, je sentis qu'il exprimait dans sa voix bien plus qu'il ne le désirait. Sa réplique empreinte d'humour était devenue une constatation admirative. Je me trouvais face à ce géant, le scrutant dans la pénombre. Alors que je cherchais du regard ses yeux gris, je réfléchissais. Comment avait-il pu rentrer dans le camp sans se faire remarquer ? Les sentinelles l'avaient donc laissé entrer ou s'était-il faufilé avec astuce ? Plus important encore, comment savait-il que Zarina avait été la jeune fille qu'il avait lui-même entraîné dans de sombres ruelles à l'écart de tous sinon de la pègre ? Hassan avait bien plus de ressources que ce que j'imaginais à l'époque. Alors que nous nous évaluions sans bouger, l'homme s'avança d'un pas seulement et me tendit une main amicale. Si d'habitude je me montrais très protocolaire, je n'avais qu'une seule envie: exulter ma joie de revoir un ami.




Maître Hassan !




Je n'avais pas seulement fait qu'invoquer son nom, je venais de me jeter sur lui affectueusement, l'enserrant d'aussi fort que je le pus. Moi qui cauchemardait sur mon passé et doutait sur mon avenir, sa simple venue me redonnait du baume au cœur. J'agissais comme une adolescente mais je sentis bien que mon geste lui plut tout autant qu'à moi-même. Peut-être que mes formes l'empêchaient de me repousser efficacement. Je relâchai l'étreinte et tout deux vîmes la gêne envahir nos êtres. Mon ardeur se dissipa bientôt quand j’aperçus un sentiment nouveau animer Hassan. Son sourire illumina ma nuit, et mon trouble fut si grand que je ne pus me résoudre à dissimuler ma surprise. Je vis en un éclair une figure de père que je cherchais depuis toujours, sa fierté se dépeignant sur ses traits usés. Nous nous contemplâmes l'un l'autre de longues minutes. J'essayai de le détailler, de percer son affectivité et tout ce que je perçus fut le reflet de ma propre âme. Je me concentrais et ne vis qu'en ses yeux une tendresse dissimulée. Aucune idée de ce que Hassan put lire en moi en cet instant mais l'important était que nous nous étions enfin retrouvés. J'étais comblée d'avoir ce vieux compagnon face à moi, cet ami fidèle sans qui Zarina ne serait pas. Je voulus entreprendre de lui avouer mais mon maître me devançait déjà.

Hassan fixa son regard dans le mien, prit une profonde inspiration s'avança d'un pas vers moi. Il hasarda une main vers moi et quand il eut trouvé le contact avec l'une des miennes, il s'en saisit aussitôt. Seuls dans cette nuit froide et obscure, personne ne me vit blêmir. Je voulus presque faire un pas en arrière car ces manières là, aussi élégantes fussent-elles, cachaient bien souvent un amour à assouvir. J'avais peur, je ne pouvais lui offrir ce qu'il allait me demander et pourtant, il était Hassan, mon maître, un ami fidèle. Je me voyais déjà briser son cœur de quarantenaire. Ce que j'imaginais se passa bel et bien et je vis Hassan poser genou à terre, levant sa tête pour m'admirer malgré la pénombre ambiante. Je fus à deux doigts de défaillir lorsqu'il déclara avec une solennité que je ne pouvais prêter qu'aux rois de mon imaginaire:


Zarina, j'ai su lire jusqu'au fond de tes pensées. Ton combat pour le bas peuple que tu voulais livrer plus jeune ne se fera pas sans mon aide, pas sans l'aide de Hassan Mille-Pattes. Mes relations sont nombreuses aux environs d'Ys, le réseau de la pègre n'a pas de limite et mes compétences te seront utiles. Accepte moi dans ta troupe, ensemble, Maître et Élève vaincront.


Moi qui m'attendais à une révélation plus... romantique. Je me retins de me claquer pour avoir pensé à une relation plus sérieuse avec cet homme-ci. L'admiration que m'inspirait Hassan ne dépérissait pas, il avait toujours ce timbre de voix si particulier qui le rendait incroyablement supérieur. Je trouvais ma force d'attraction bien faible, comparée à la sienne. Après un silence évocateur, je retirai ma main d'entre celles de Hassan et le relevai du bout des doigts, glissant ceux-ci sous son menton. Avec engouement, je posai mes deux mains sur ses épaules, m'appuyant légèrement sur lui. Puis, je collai mon front contre le sien et avec une sincérité infinie:





Notre mort est assurée mais notre quête nous survivra.










Cette nuit-là, nous nous étions rapprochés si puissamment que je sentais mon objectif accessible, j'espérais même pouvoir apercevoir une Ithri'Vaan plus juste. Un de mes lieutenants, Dayazell, vint à notre rencontre. Quand je lui expliquais le recrutement de ce vétéran aussi ingénieux qu'agile, mon cher subalterne n'eut d'autre choix que de se taire. J'annonçais alors que je m'absentais du camp jusqu'au petit matin. En effet, Hassan avait eu l'idée, brillante ou non, de partir seuls en éclaireur et de peut-être soulever les cœurs de quelques péquenauds qui rejoindraient notre bannière. Pour moi, ce fut surtout une occasion de passer plus de temps avec Hassan et d'avoir une vision des alentours.
Fidèles à notre objectif à court terme, nous nous taisions et nos pas étaient légers. Nous progressions efficacement, ni sans traîner ni sans courir. De temps en temps, je gardais un œil insistant sur les cicatrices inconnues de Hassan. Avait-il encore tenté un coup de triche éclatant auprès de Joem Pildanlcul ? S'était-il adonné à des combats de rue où le couteau lui glissa des mains ? Mon imagination était si fertile...

Nous parvînmes aux abords d'un petit village, parsemés de quelques habitations où la misère s'affichait très clairement. Afin d'être plus efficace, je fis la demande à Hassan de contourner le village et de l'atteindre par sa face Est. Il était ainsi prévu que nous nous rejoignons d'ici un quart d'heure au centre du village, visiblement endormi. Basse sur ma position, à demi accroupie, je guettais l'ombre de Hassan qui s'évanouissait peu à peu sur mon côté. Face à moi se trouvait une cahute, d'où filtrait malgré elle quelques interstices de lumière. L'obscurité n'était pas totale et je bénissais en mon for intérieur les deux lunes qui éclairaient mieux que je ne l'avais imaginé mes pas. Chaque avancée était calculée et ma découverte dans le village, quoique non mortelle, aurait été certainement fâcheuse. Non, je ne devais pas me faire remarquer. M'avançant vers les murs fébriles de la cabane, je sentis son intérieur gronder. Plus qu'un grondement, il s'agissait là d'un râle intense qui venait de se propager aux alentours. Je restai là un moment, interdite, essayant de clarifier la nature du son. Quand je pris conscience que je lambinai un peu trop, je commençai à faire le tour de la cabane en me calant consciencieusement contre les murs. J'espérais n'être qu'une ombre pour une nuit, le sang ne devrait pas couler, non...

En cet instant précis, je pus surprendre la fin d'une conversation entre deux formes. Je ne pus discerner leurs propos, ni même le timbre de leur voix. Ma seule certitude était que ces deux êtres venaient de murmurer entre eux. Glissant un œil, je n'entraperçus que deux formes, dont l'une s'agitait à déverser un liquide contre le bois des huttes. Je n'étais pas idiote, je savais qu'il y avait là un cruel acte de violence. En cette soirée allait se dérouler un acte sinistre. Je dégainai d'intuition mes deux cimeterres, m'avançant silencieusement vers les deux ombres, dont la discrétion était discutable. L'une des formes, encapuchonnée, se tourna complètement vers ma direction. Je me redressai alors et posai ce murmure de protestation:




On remballe tout les timbrés, la fête est finie, rentrez chez vous, votre vie m'importe peu.



J'étais certaine que ma tentative d'intimidation ferait effet. Je ne vis pas de réaction de la part des ombres que j'approchais et bientôt, par un rayon lunaire inattendu, mon sang se glaça et mes pas se stoppèrent net. Ces criminels que j'imaginais être deux alcooliques entamés par la boisson étaient deux filles bien trop jeunes pour franchir le cap de l'incendie. Je n'avais pu apercevoir en un fragment de seconde que leurs traits tirés et leur apparence squelettique. Je n'imaginais pas tomber sur des filles en tel désarroi et cette trouvaille eut l'effet d'un coup de poing sur ma poitrine. Je m'étais arrêtée, essayant de les considérer, tandis qu'elles devaient en faire de même. Et aucune trace de Hassan dans les environs... La pénombre ne m'aidait en rien et ma peine pour des êtres à l'air si désœuvré me pétrifiait. La princesse que j'étais s'habituait si mal à la vue de la misère.
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Jys
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MessageSujet: Re: Les liens du sang : Haïk   Les liens du sang : Haïk I_icon_minitimeDim 29 Nov 2015 - 21:10


      Les épaules maigres de Jys reposaient sur l’oreiller satiné et finement tissé. Lorsqu’il voyageait loin d’Ys, dans les possessions de son maître – cette nuit, le pauvre bourg d’Haïk – l’Intendant prenait la précaution d’emporter des draps de lin croisé et un coussin délicat. Pourtant ce soir, le sommeil ne venait pas. L’eunuque se releva doucement, ramena sa longue chemise sur son corps et sortit dans l’air nocturne. Il ne dormait pas dans la même maison que Buhasaiah son maître, ni même dans les casemates qui entouraient celle-ci. Lorsqu’il était à Haïk, ce tas de cabanes sans intérêt, larguées au milieu des champs, il prenait toujours ses quartiers dans une case un peu à l’écart, derrière les écuries. Le plancher de bois simple, au-dessous de ses coussins raffinés, lui remémorait sa condition d’esclave, certes parvenu, mais pas délié. Et depuis cette petite cahute, légèrement surélevée, on voyait loin dans les champs baignés de blanc sous les deux lunes. Jys se tint là, sur le seuil de sa cabane, vêtu à peine d’une chemise qu’il ne fermait pas. La brise de la nuit soufflait sur son moignon de virilité ; l’eunuque avait constaté dès ses quinze ans que c’était ce picotement frais qui, seul, éveillait en lui l’ombre d’une excitation. Entre ses jambes naissait un début de mouvement. La nuit d’encre cachait le ridicule, l’autorisait à croire que cet afflux était puissant. Alangui, renversé contre le chambranle de la porte, les yeux passant sur ce village où devaient dormir des hommes entiers et forts, Jys laissa sa main s’insinuer doucement vers son bas-ventre.
      Soudain, une ombre bougea entre les huttes. D’un geste, l’eunuque referma sa chemise sur lui, pour cacher sa partie. Il peinait à se concentrer mais plissa les yeux ; là, à nouveau, une forme passa entre les murs de torchis. Jys en avait la certitude, ce n’était pas Tugd : ce gros garde ne se faufilait pas ainsi. L’Intendant hésita une seconde, maudit sa chemise qui brillait d’un blanc éclatant, mais il courut tout de même vers les cabanes au centre du village. Si on le surprenait ainsi, il serrerait sa chemise et ferait croire qu’il n’était pas nu.
      La nuit affichait haut et clair ses deux lunes, qui illuminaient Haïk de part en part, la lumière de l’une chassant les recoins d’ombre laissés par l’autre. Mais en longeant les chaumières, Jys espérait trouver un peu d’obscurité où se lover, autant que possible. Son cœur cognait fort sous sa poitrine, mais sans chasser totalement le battement de la chair gonflée entre ses jambes. Un doux râle, peut-être d’une très jeune fille, s’élevait indistinctement d’une maison perdue dans le bourg ; mais Jys devait se forcer à ne pas l’entendre. Il secoua la tête, comme pour dessaouler, et reprit son chemin dans l’ombre des bâtisses. Celle où logeait Buhasaiah était à présent toute proche, Jys voyait déjà un angle de cette maison impressionnante qui trônait au cœur d’Haïk. Pour l’atteindre, il aurait fallu couper entre deux chaumières ; mais c’était là un espace bien dégagé, frappé en plein par la clarté blanche des deux astres. Alors Jys se résolut à contourner, par derrière le grenier à blé. D’autant que là, il trouverait les faucilles et les serpes, et tous ces outils que les paysans prenaient au matin et ramenaient le soir. Car Jys avait bondi si vite à la poursuite des ombres, qu’il ne s’apercevait que maintenant qu’il n’était pas armé. Il retint un juron, et entreprit de se couler dans la pénombre du silo à grains qui s’arrondissait devant lui.
      Alors il déboula, bêtement, entre trois silhouettes figées. Comme elles, Jys stoppa net. Elles étaient deux d’un côté, une seule de l’autre, mais la pénombre mangeait leurs visages à toutes les trois. Il y eut cet instant d’hésitation que connaissent les comploteurs lorsqu’ils surprennent d’autres comploteurs. Jys – qui était après tout l’Intendant d’Haïk, comme de toutes les autres terres de Buhasaiah – voulut dire un mot, émettre un son, mais sa gorge bloquait tout cela. Ici, les titres ne servaient à rien. Comme les trois autres maraudeurs nocturnes se tortillaient sur leurs pieds, ne sachant qui représentait le plus grand péril parmi eux quatre, Jys entendit d’ici ou de là un cliquetis de métal. Ainsi les trois étaient armés, et lui non. L’eunuque constata confusément que la proximité du danger ne faisait qu’endurcir son désir, rendu fiévreux, et pourtant ce n’était pas l’instant pour songer à ça.
      Cette impasse sans issue ne dura pas cinq secondes, qu’un grondement les saisit tous les quatre. Là, derrière eux, le poste de garde avait de nouveau la porte grande ouverte : une grande lumière chaude jaillissait depuis l’intérieur, et découpait la silhouette de l’homme grand et gras qui se tenait sur le seuil. Depuis l’intérieur de la case, on entendait les faibles gémissements d’une bête blessée : Tugd avait achevé sa besogne sur Hibond. Le colosse était sorti cul nu pour rafraîchir ses parties bien échaudées. L’amour lui avait creusé le ventre, on le vit se courber en deux : il péta allègrement. Puis seulement, s’étant redressé, il accrocha du regard les quatre silhouettes pétrifiées dans la nuit. En dix pas il les avait rejoints. Sa torche orangée passa d’abord sur Jys, plaqué contre le mur, dépenaillé dans sa chemise ouverte. La lumière glissa ensuite sur deux gamines décharnées, aux dents déchaussées par la faim : leurs doigts semblaient humides, comme s’ils avaient baigné dans une substance collante et poisseuse. Enfin le rayon éclaira la quatrième silhouette, une fille encore, de vingt ans peut-être.
      « Que fais-tu là, Jys, dehors en pleine nuit ? interrogea benoîtement un Tugd bien fatigué après l’effort. »
      Il avait ramené sa torche vers l’Intendant, et la lumière révéla ce dernier jusqu’à la taille. Entre les pans de la chemise ouverte, une petite bosselure frémissait dans l’air de la nuit. Le colosse vit le modeste désir et il partit d’un grand rire hilare, tellement qu’il dut se retenir au mur pour ne pas tomber. De sa gorge jaillissait un éclat désopilé qui secouait toute sa carcasse. Alors seulement, Tugd se reprit et il dit :
      « Profite, ma petite reine de la nuit ! Amuse-toi avec tes gueuses. »
      Sa nuit d’amour avait fait oublier au garde les fonctions pour lesquelles il était payé à Haïk. Il eut encore un regard ahuri pour le moignon de Jys, lâcha un dernier rire, et repartit tout heureux de son aventure nocturne. Il rentra dans la casemate de la garde et en referma la porte.
      Il fallut quelques instants à Jys pour démêler l’absurde de ce qui venait de se produire.
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