Au détour d'un couloir [Azénor]

Le temps libre n'était pas chose qui manquait à la demoiselle de Velmone, ses obligations à Soltariel lui permettaient de disposer d'une fort belle partie de la journée à sa guise. Pour autant aussi disponible était-elle, le moindre déplacement en les murs de la citadelle relevait de la promenade contemplative tant l'architecture des lieux exacerbait la puissance de ses seigneurs et maîtres, tant les décors, sculptures peintures et autres œuvres étaient délicieusement délicats. L'organisation du palais tenait aussi bien plus du labyrinthe torturé que de la demeure nobiliaire ; se rendre dans telle ou telle aile lorsqu'on se trouvait à l'exact opposé ne pouvait se dérouler selon une trajectoire logique et directe. Non il fallait avant traverser, contourner où s'égarer dans la myriade des pièces et autres cabinets oscillants entre le public et le privatif. Nul doute que la bâtisse était le résultat de l'égarement d'un esprit concepteur dont la folie n'égalait que l'envie de grandeur. Aussi Azénor doutait-elle que quelqu’un puisse affirmer connaître tout à fait Soltariel et ne jamais tomber sur une salle dont il ignorait l'existence ou encore faire fausse route dans les dédales de tentures et de voilages.

La jeune femme préférait se laisser porter par ses pérégrinations plutôt que de vainement apprendre à efficacement se repérer. Ainsi elle profitait plus encore de la magnificence des lieux que les moult âmes qu'elle croisait et voyait se précipiter sans apprécier ce qui emplissait leur champ de vision hâtif. Souvent il lui arrivait d'errer sans autre but que s'égarer, elle se plaisait à surprendre ceux qui avec plus d’irascibilité se trompaient de chemin tandis qu'ils étaient urgemment appelés. Pour autant, certaines parties de la forteresse voyaient leur accès difficile voir restreint, ainsi lorsqu'elle s'éloignait des artères de Soltariel il lui arrivait de ne plus sentir âme qui vive.
C était le cas cette fois là.

Azénor n'aurait su localiser sa position exacte, ni la direction qu'elle prenait, mais elle se sentait on ne peut plus seule, déambulant dans des galeries toujours plus exiguës, toujours moins fastueuses, probablement dévouée à d'autres fonctions que l'apparat. Dans le silence presque inquiétant des lieux désespérément vides, le sourd bruit de fond de claquements réguliers se fit entendre. Plus la jeune femme s'approchait, plus le son se faisait puissant et sec, elle pressa le pas, aussi curieuse que soucieuse. Tandis que le corridor débouchait dans une salle attenante et qu'elle pénétrait dans ce qui faisait office d'antichambre, Azénor ne put retenir sa surprise que de découvrir la source de ce tapage inhabituel. Flanqué là, désespérément agrippé à un valet accablé d'être ainsi support de tant de maux, leur seigneur à tous en ces lieux et région de la péninsule était vraisemblablement sorti vainqueur du mal qui l'avait terrassé.
Balbutiante, de stupéfaction tout autant que d'ébahissement, l'Anoszia reprit aussi vite qu'il lui était possible ses esprits devant l’embarras de la situation.

« Votre Altesse …. » Lui murmura t-elle avec douceur. «  Je ne pensais point croiser votre personne en ces lieux, ...à dire vrai encore moins vous croiser tout court .. »

La rumeur de son réveil avait évidemment couru dans tout le palais, probablement plus loin encore. Mais pour le moment rien n'avait été rendu officiel et personne à Soltariel, excepté de très hauts placés et naturellement la princesse Kahina, n'avait pu revoir le duc. L'inquiétude envahit les traits d'Azénor tandis qu'elle essayait de lire dans le regard du duc qui ne trahissait en rien le fond de ses pensées.

La belle n'avait pas pensé mal faire, en s'adressant de la sorte au duc du Soltaar. Mais ses mots le piquèrent au vif et l'apparente douleur qui émanait de ce corps fier en l'instant si fragile s'extirpa par la noble bouche de son seigneur. Son ton était plus qu'agressif et Azénor ne lui connaissait point de telles réactions avec le femmes, lui qui d'ordinaire se montrait d'une galanterie rare.

C'est le mal qui le ronge qui le rend si irascible …Se disait-elle intérieurement. Aussi amer pouvait-il être, cela le faisait d'autant plus ressembler à une bête blessée que l'on venait de capturer.

« Bien que la miraculeuse nouvelle de votre éveil ai résonné en les murs de votre palais ,Votre Altesse, d'aucun ne pouvait affirmer avoir eu le plaisir de vous y revoir. » Répondit la jeune femme en reprenant son assurance naturelle. «  Du moins, mis à part ceux qui vous sont les plus proches. C'est pourquoi en effet, je ne pensais pas avoir l'honneur de croiser votre chemin, bien que je me sois fort probablement perdue en essayant de rejoindre les appartements qui m'ont été attribués. »

Elle sentait le regard appuyé de celui qu'elle s’apprêtait à berner peser sur son angélique visage et surtout de ses formes attrayantes. Cela ne la gêna pas outre mesure, si Maciste descendait d'une lignée héroïque, il n'en restait pas moins un homme, et il était sensibles aux mêmes plaisirs. Azénor fit une moue chagrinée et feignit de se sentir désorientée.

« Je ne pensais m'égarer en empruntant ce couloir, il est pourtant tel qu'on me l'avait décrit. Sotte que je fais à ainsi vous faire perdre le précieux temps dont vous disposez, Messire. » Renchérit-elle en laissant son regard se détourner de celui de son interlocuteur.

Le duc de Soltariel avait raison. Elle avait l'ascendant sur une situation de prime abord quelque peu grotesque, de laquelle elle se sortirait sans faire voler plus de plumes. Ainsi il ne l'avait point reconnue ! Elle qui était le portait craché des Anoszia, elle s'étonnait de pas avoir été démasquée plus tôt vu la réputation précédant son aïeux adoré. Avait-elle quelque chose à perdre à se distraire un peu avec ce beau Prince qui lui en laissait le loisir, et qui n'aurait même pas souvenir de cette entrevue fortuite ? Ce petit mensonge de plus à cette mascarade déjà entamée la fit jubiler de l'intérieur.

«  Je me prénomme Margault de Froidpont, Votre Altesse. Je suis originaire de la petite noblesse du Médian, et je suis en visite dans vos magnifiques terres méridionales. Je réside en votre Palais où j'ai été conviée à séjourner. » Un sourire aguicheur se forma sur les lippes écarlates de la  Fleur de Velmone qui se délectait d'ainsi se jouer des circonstances.

Le changement d'allure, si tant est qu'on pouvait parler d'allure lorsqu'il s'agit d'un malheureux infirme qui tend à se donner du maintien, du grand Seigneur était plus que palpable. Son timbre se faisait moins sec, sa gestuelle plus spontanée, naturelle. Il semblait même tout à fait disposé à poursuivre cet entretien improvisé, sans la gêne ni l'agacement ressenti de prime abord. Pourtant si l’atmosphère se faisait plus que détendue, même rieuse, Azénor sentait de-ci de-là les bords acérés de la gueule dans laquelle elle s'était jetée lui écorcher les extrémités. Si le Duc de Soltariel croyait vraiment à son subterfuge, il était parfait comédien à son rôle, mais l'Anoszia n'était point capable d'être certaine de son effet.

Par chance, il y avait de fait, peu de chances qu'elle soit reconnue à sa juste identité. Cela faisait plusieurs jours qu'elle n'était pas présente aux offices de la cour, celle-ci étant elle même quelque peu dispersée au Palais, et Kahina n'avait guère eu besoin de sa compagnie. De fait elle se permettait des atours moins cérémonieux, des nippes plus légères relativement inappropriées aux audiences protocolaires. De plus, ce jour là, elle avait laissé sa longue crinière vagabonder au gré de ses mouvements, chose qui lui arrivait rarement, Kahina entretenait avec attention la présentation de ses suivantes et s'attelait elle-même à tresser leurs cheveux. Seuls ses traits permettaient d'accrocher le nom de sa fratrie à son visage ,lui, inchangé.

« Votre Altesse », appuya -t-elle en scrutant la réaction, amusée, de son partenaire inopiné. «  Rebelle je ne le suis point, encore moins responsable de près ou de loin des mésaventures qui affligent mon pays. J'ai d'ailleurs préféré m'éloigner du tumulte de mes terres afin de savourer l'air paisible du Soltaar. » Continua la belle en s’évertuant à paraître la plus convaincante possible. A dire vrai, elle n'avait guère eu d'intérêt pour les intrigues et autres rebondissements du Médian, seul son aimé frère Oschide faisait lien avec cette région qu'elle ne connaissait point et plutôt que de broder autour d'une politique dont elle ignorait les subtilités elle préférait rogner à ce sujet. Cela elle l'espérait, ne paraîtrait pas trop étrange à l'éminence qui retenait son attention.

«  Conquête... conquête ...Cela dépend de quel genre de domination  il s'agit, mon bon Prince. » Lui répondit Azénor en souriant de plus belle. «  Il est de ces succès qui comme vous le dites si bien, ne s'accomplissent pas en peu de temps. Certaines prises sont pour autant, parfois, tout aussi urgentes que brutales. »

Si la politique avait été la première intention de conversation, le sujet était à présent écarté des préoccupations des deux jeunes gens. La fleur de Velmone était tout à fait consciente des mots brûlants qu'elle venait de déverser à  l'oreille du majestueux Soleil Blanc. Elle aurait juré avoir vu les pupilles de cet éphèbe souverain s'élargir brusquement au milieu de l’océan d'iris glacé, mais peut-être était-ce la tension féroce qui montait en elle. Dans son trouble elle fit glisser un des bracelets qui ornait son fin poignet, qui rencontra les dalles de pierre dans un fracas disproportionné. Se baissant pour lui faire retrouver le contact de sa peau elle laissa dévoiler les contours de sa poitrine plus qu'opulente qui sous cet angle semblait supplier qu'on la libère de sa prison de tissu.

Un instant tous deux en auraient ignoré la présente boiterie du seigneur, tant l'éphèbe irradiait de sa superbe. Aussi infirme avait-il été les instants précédents, une fièvre vigoureuse le faisait tenir on ne peut plus fier. Azénor avait évidement relevé les quelques tressaillements du bellâtre quand, ô accidentellement, son bijou heurta le sol. Étaient-ils dus au renouveau de son état encore faillible, ou une simple réaction d'homme devant le tableau de chair qu'elle lui dévoilait là.

Sa peau frémit au contact des adroites mains du Duc du Soltaar, tandis qu'il s'attelait à réparer l'outrage de la parure fuyante. Cet effleurement lui laissa une sensation brûlante, comme marquée au fer de cette passion ardente ne cessant de s’accroître. Le rapprochement de Maciste lui fit remarquer l'absence de son valet qui le maintenait en pied, et c'est avec toute la douceur dont elle pouvait faire preuve en cet instant qu'elle prit la place du pilier manquant. Azénor remarqua la surprenante légèreté de ce prince qu'elle supportait, s'attendant à faillir sous le poids ducal, elle se surprit à songer à l'éclat envoûtant du grand sire un fois toute ses facultés retrouvées. La proximité nouvelle des deux jeunes gens la laissa dans un état plus extatique encore. Pressée contre ce corps qu'elle désirait plus que de raison, elle laissa vagabonder sa bouche tremblante près du noble faciès, lui murmurant onctueusement à l'oreille tandis qu'il embrassait de ses lippes échauffées le maigre poignet de la demoiselle.

«  Ce tumulte dont vous faites exemple, pourrait bien être, l'exact objet de ma visite, Votre A-l-t-e-s-s-e. » Pressant encore une fois chaque syllabe de ce titre qu'elle n'avait de cesse de répéter comme un serment. Aussi réel qu'était le mélange sensuel de leurs souffles, elle le sentait comme frissonner à la moindre de ses paroles, s'attarder au son du moindre mot. «  L'art de la guerre messire, n'est-il pas semblable à celui des passions ? » Elle se surprit à prendre un air inquisiteur, comme cherchant à lui faire dire l'exacte fond de sa pensée. « Une conquête, aussi fortuite soit-elle, ne peut-elle pas être estimée comme essentielle à la réussite d'une belligérance intérieure ...pressante ? »

La fin de sa phrase mourut dans un soupir et elle ne put réprimer un spasme d'envie qui monta en elle. La subtilité lui faisait défaut. Un instant, un seul instant elle voulait que cet être lui appartienne. Mais même leur fugace idylle ne saurait pleinement combler le vide qu'elle s'appliquer à creuser dans ses réflexions. Aussi se s'étonna t-elle de penser à mal de sa maîtresse, de la jalouser même, d'avoir -outre ses titres- un parti si avenant, si fascinant, et de n'en vouloir que toujours plus de pouvoir. Azénor s'en voulait de songer ainsi, mais le fatum l'avait rendu ingrate, désillusionnée. A l'aube de sa vingtième année d'existence, la promesse d'un bon mariage se faisait plus qu'assombrie,  lointaine, et elle désespérait de voir un jour ce vœux exaucé. Elle aurait voulu satisfaire, non pas fugacement, ce souverain venu d'au delà la Péninsule et qui lui semblait comble de l’inaccessible.
S'approchant toujours plus du sujet de ses maux et faisant fi de toutes les convenances déjà ébranlées, elle pressa sa lèvre inférieure contre la commissure douloureusement sucrée du seigneur d'Aphel, lui confiant comme une prière «  Délivrez-moi. »

Azénor ne savait plus raisonner avec justesse, elle avait vu de trop près brûler le Soleil Blanc et sentait déjà son irradiante chaleur lui consommer les ailes, à voleter trop près d'un astre si malicieux. Emportée par la fouge d'un élan incontrôlable et dévastateur, elle ne pouvait faire machine arrière et n'était guère capable d'y songer en cet instant. La moindre once de sagesse ayant récusé son corps bousculée par l'enivrement d'une passion fugace. Elle ne semblait même plus entendre les paroles de son délicieux geôlier, du moins, les comprendre, et s'attelait à soutenir l'odieux regard qu'elle lui lançait. « Ayez Pitié.... » Susurra t-elle comme si chaque syllabe la faisait souffrir. « Faisons fi de la honte et du déshonneur dans ce cas. »

C'était aussi la réponse qu'elle s'accordait pour soulager sa conscience. Allait-elle véritablement céder à la chair de l'époux de sa maîtresse ? D'éparses secondes d'égarement la firent gamberger des récits d'au delà les mers contant les frasques de grands princes étrangers s’adonnant à plus de plaisir que de raison avec d'autres femelles que leurs conjointe légitime. Leurs tendres baisers s'entrecoupèrent de sourires. A dire vrai, il était admis que la régulière ne jouissait guère que d'un rang profitable, et que les favorites appréciaient une compagnie plus personnelle. Quand Maciste se référa à sa personne comme d'une pucelle, elle réprima un éclat furtif. Cela ne devait-être que niaise formulation car l'Anozsia avait déjà expérimenté les hommes, les femmes même, et ne faisait fabuleusement pas honte à sa lignée comme conquérante des cœurs.

Un tremblement vint accélérer son pouls ,déjà plus que saccadé, quand elle le senti passer sous ses jupes et remonter le long de son enveloppe oscillante. Outre la hiérarchie régissant leurs entretiens, il lui imposait, en tant qu'homme, une soumission tacite à laquelle elle ne pouvait s'extraire. Les mâles ne l'impressionnaient guère et se jouer d'eux et de leurs faiblesses lui était délectable, mais le duc la faisait sombrer dans une timidité maladive. Éprouvante. La rendant comme nigaude quant à leurs pressantes caresses et les hostilités latentes. Un sursaut d'intellect lui quémanda de s'amuser de cette ultime maladresse et de jouer la carte de l’envoûtée mais chaste donzelle.
«  Sire, je m'offre toute à vous. Mon corps et mon âme sont vôtres, faites ce qu'il vous en plaira. »