L'annonce d'un décès, le vent du renouveau[Marsili de Valdêse]

Ce jour-là, la mort et le deuil triomphèrent dans la cité d'Ysari. L'état de santé du baron s'était pourtant stabilisé depuis quelque temps et leur avait même donné l'espoir d'une convalescence. Mais le jeune homme, trop épuisé par la fièvre, ne parvint pas à affronter de nouveau la maladie, lui qui avait pourtant gagné une si grande bataille. Peu de temps après le départ de son épouse pour la cour de Soltariel, Alvaro d'Arcani reçut la visite de nombreux médecins, prêtres et autres charlatans jurant de pouvoir le guérir, mais en vain. Son état s'aggrava dans les heures qui suivirent, ne lui laissant même pas le temps d'envoyer une missive à son épouse pour la faire venir au plus vite à ses côtés.

De toute façon, les fièvres étant si fortes, le baron avait déjanté et sombré dans la sénilité, ne reconnaissant même plus ses plus proches amis. Marsili l'accompagna jusque dans ses derniers instants, se tenant à son chevet et veillant à essuyer sa sueur. En l'ayant regardé fixement, Alvaro n'avait eu plus que l'aspect d'un mort en sursis, les yeux ravagés par les cernes et le teint aussi pâle qu'un linceul blanc.

Tout autour du lit s'était tenu les nobles du conseil et les plus proches amis du couple baronnial. Les visages attristés et circonspects, la confusion et la mélancolie avaient déjà gagné les cœurs et l'on eut déjà pu promettre que la baronnie toute entière pleurerait la mort de leur jeune suzerain. De l'autre côté du lit s'était trouvé un prêtre de Tari, entonnant déjà ses prières pour anticiper l'extinction du baron. Comme dans un dernier effort, ce dernier leva la main et fut de nouveau au centre de toutes les attentions. Étant le plus proche, Marsili s'était approché au plus près pour y entendre les paroles sûrement insensées du baron, mais à sa grande surprise, ce fut de tout autres mots qu'il entendit. Puis, pendant un bref instant, Alvaro rouvrit la bouche et lâcha quelques mots dans un dernier soupir.

-Force à Ysari ! Gloire à Ysari !

L'on eut dit qu'il venait de récupérer toute sa lucidité, mais ses yeux se fermèrent et l'on eut plus senti aucun souffle émanant de son nez où de sa bouche. Le baron venait de mourir.

Sans attendre, Marsili se leva et ajouta :

-Que ces funérailles soient dignes d'un roi, car cet homme aura mené son pays jusqu'à son dernier souffle.

Plus tard dans la journée, tandis que la cité se préparait à entamé son deuil et les funérailles dans le grand temple, Marsili et une petite escorte prirent la route en direction de Soltariel sans tarder. Après plusieurs jours de chevauchées où les haltes furent de courtes durées, ils arrivèrent en vue de la cité ducale lorsque les dernières lueurs du jour apparurent. L'on ne tarda pas à le diriger vers les appartements de la dame de Feoda. L'heure était grave. La fatigue accumulée et la tristesse lui donnèrent presque l'aspect d'un homme en fin de vie, mais il restait résolu à annoncer la nouvelle en personne, si tragique soit-elle.

Après que la jeune femme lui ait demandé des nouvelles et l'éventualité d'un problème, Marsili, annonça le plus solennellement qu'il soit la nouvelle.

-Ma dame, son honneur le sir d'Arcani...votre époux... est mort.

Etait-elle aveugle ? Etait-elle sourde ? Etait-il possible de ne laisser paraître aucune émotion en apprenant la mort d'un proche, qui plus est, d'un époux ? Ces deux jeunes gens ne s'étaient-ils donc jamais aimés pour que la baronne semble si sereine et apaisée ? En voyant la réaction de la jeune femme, presque ailleurs et énigmatique, il fallait croire qu'elle l'avait soit mal entendu où qu'elle était plus forte qu'il ne l'imaginait en gardant ses sentiments pour elle. Tout compte fait, ce n'était pas une simple lavandière où autre dame de basse extraction, elle devait sûrement faire exprès ne rien laisser paraître parce qu'elle incarnait à présent le pouvoir d'Ysari.

Pourtant, les premiers mots qui sortirent de la bouche de la dame le décontenancèrent littéralement, au point de lui faire perdre ce qu'il avait en tête.

-Ma dame, ce n'est pas à vous de me demander comment je vais, mais bien à moi de veiller sur votre personne et de connaître vos sentiments si vous souhaitez me les confier. Votre époux s'est battu de toutes ses forces jusqu'au bout et ses derniers mots qu'il m'a chuchoté étaient pour vous et vos enfants. Ma dame, votre époux vous témoignez son amour et sa tristesse de ne pas voir grandir sa progéniture.

Ce n'était pas possible, la dame de Feoda allait forcément montrer une quelconque émotion en guise de réponse à ses mots. Si elle n'en faisait rien, c'était qu'aucun amour n'avait pu exister entre les deux jeunes gens et qu'elle s'accommodait à présent très bien d'être la seule à diriger la baronnie. Quant à lui raconter les dernières heures de la mort d'Alvaro dans ces moindres détails, Marsili préféra éviter. A vrai dire, ce récit n'était pas du genre à être comté au près d'un feu, en sirotant quelque nectars.

La carapace de la noble jeune dame s'effrita quelque peu. Visiblement, il lui avait fallu un peu de temps avant de vraiment réaliser la chose. Il n'était pas rare que le dénie soit la seule réponse des gens amputés brutalement d'un de leurs proches. Marsili ne connaissait que trop bien ce sentiment. Il l'avait eu lors du bain de sang d'Ydril qui avait vu plusieurs personnes de sa famille touchées par les foudres du feu comte Alastein. Aussitôt, la baronne fit part de ses sentiments et en versa même une petite larme.

-Ma dame, ce sera un honneur de continuer à vous servir et d'exercer les fonctions que vous m'avez attribués, vous et votre époux.

Concernant les regrets de la dame à ne pas s'être trouvé auprès d'Alvaro jusqu'à sa mort, Marsili avait une réponse claire.

-Le baron n'était plus lui-même dans ses derniers instants, cela vous aurez très certainement affecté au plus haut point, baronne. Mais ne vous souciez de rien pour les funérailles, j'ai déjà pris les mesures nécessaires pour que tout soit fait dans les prochains jours, mais je ne peux que vous conseillez de m'accompagner sur le chemin du retour pour que vous puissiez y assister.

Avait-elle l'intention de ne pas assister aux funérailles de son ancien époux ? Était-il possible que la duchesse de Soltariel l'empêche de quitter les lieux ? Si oui, il était évident que pour un tel événement, l'estréventine l'aurait laissé partir... Du moins, c'était ce qu'il espérait.

-Si tels sont vos souhaits ma dame, j'emmènerais vos cousins et leurs épouses dès les premières lueurs du jour. Il n'y a pas de temps à perdre pour débuter les funérailles d'Alvaro... il la regarda gêné avant d'ajouter, si son âme a rejoint le royaume de Tari, son enveloppe charnelle ne pourra attendre indéfiniment.

Ainsi, il conseilla fortement à la dame d'Ysari de l'accompagner, sinon quoi, le corps de son époux finirait par ressembler à un tas de chair en putréfaction. Ce n'était pas forcément ce qu'il y avait de plus engageant pour adresser ses adieux.  

-J'ai pris la liberté d'envoyer la nouvelle à tous vos seigneurs et autres vassaux. Les cloches du temple résonneront sur toute la pointe de la péninsule !

Il y avait quelque chose de perturbant chez cette femme, comme une sorte de bipolarité où un mur de glace servant à cacher n'importe quelle émotion. La baronne pouvait passer de l'évocation de ses sentiments les plus intimes à ses idées sur pour élever l'économie de la baronnie. Ne sachant pas vraiment si elle jouait un jeu où si sa personnalité était telle, qu'elle pouvait passer du coq à l'âne sans sourciller. Il se rendit compte qu'il ne s'était jusque-là surtout adressé à Alvaro et non à son épouse, où en de très courtes sessions. Décontenancé par les projets de la dame de Feoda, il ne put qu'acquiescer en affichant un regard pour le moins circonspect.

A vrai dire, toutes ces propositions, hormis la dernière, avaient été fort heureusement déjà établies depuis quelque temps. Sinon quoi, la baronnie se serait faite écraser par ses voisins de l'ouest et de l'est. C'était ce que l'on pouvait appeler la base d'une économie et elle n'avait pas attendue la baronne pour se faire. Maintenant, soutenir les marchands les moins productifs pouvaient s'avérer périlleux. Car s'il y avait une baisse de la productivité, Marsili n'en ignorait pas les causes, surtout concernant les ysarains.

-Ma dame, je prends note de vos si brillantes idées, néanmoins, laissez-moi vous prodiguez quelques conseils avant que vous ne preniez une décision définitive. Les marchands qui ne sont pas...heu... les plus productifs pour reprendre vos termes, ne le sont pas forcément contre leur gré. Certes, il est vrai que certains peuvent accuser les intempéries où le passage des armées du baron, mais certains sont eux-mêmes responsables de leur baisse, profitant très certainement de l'affaiblissement de leur baron et de l'éloignement de leur baronne. Leur donner plus d'argent ne servirait donc probablement à rien, si ce n'est vous faire passer pour une généreuse mécène. Les financer serait leur reverser les impôts et taxes qu'ils vous versent. Comment les encouragerions-nous à continuer de vous payer alors ?

Il avait essayé d'être le plus pédagogue possible. Après tout, cette jeune femme n'en était qu'à ses premiers pas en politique et il n'était pas permis à tout le monde d'en connaître les préceptes si vite.

-Croyez-moi ma dame, pour stimuler votre économie, rien ne vaut de la fermeté et la menace de sanctionner les moins « productifs ». Bien que vous soyez maintenant la seule suzeraine de ces terres, vos vassaux où autres bourgeois comme vous les appelez n'ignorent pas votre jeune âge et profiteront de vos lacunes, ne leur en laissez pas cette occasion.

Concernant la question sur ses proches et à leur acclimatation au paysage ysarain, Marsili fut bref.

-Ma famille se plaît fort bien sur sa nouvelle terre, je remercie ma dame de le demander.