Quand on se demande pourquoi

Jérôme était dubitatif, en effet Duncan avait été l'un de ses principaux conseillers, pratiquement un ami et il lui avait fait une confiance aveugle. Alors bon, certes il n'avait pas toujours écouté ses conseils car il n'avait pas forcément les mêmes envies ou alors toutes les informations n'étaient pas forcément dans ses mains. Aujourd'hui, l'homme avait brûlé ses terres et il était partit sans un mot, se mariant avec la femme qui avait, pour l'instant, fait le plus de tord au baron et ancien suzerain. Le conseil qui s'était déroulé avait été une plaie et son ancien ami n'avait pas manqué une possibilité de lui lancer des pics. Jérôme ne comprenait pas ce revirement, encore moins après toutes les responsabilités qu'il lui avait donné. D'ailleurs, il n'avait pas bien compris pourquoi Duncan avait tant de soin à faire tout, sauf ce qu'il lui avait été demandé.

Dès la fin du conseil, Jérôme avait envoyé l'un de ses gardes personnels afin de demander à Duncan s'il voulait bien le rencontrer dans le campement serramirois, un terrain neutre. Lui même était seul avec uniquement un garde qui s'ajouterait à celui qui était partit mais ils resteraient éloignés, voulant discuter d'homme à homme avec son ancien conseiller.

Le baron d'Etherna patienta, réfléchissant à ce qu'il s'était dit au conseil, aux décisions à prendre mais également à Duncan et Alanya, une femme qui parlait fort bien, promettant son soutien mais ne le donnant pas lorsqu'il était requis. Décidément, Jérôme ne comprenait rien à ce qu'il se passait en ce moment. Duncan finit par arriver et Jérôme, bien que n'oubliant pas ce qu'il s'était passé sous la tente du conseil, le salua d'un signe de tête courtois

"Bonjour Duncan, je te remercie d'avoir accepté cet entretien. J'avoue que je n'ai pas très bien compris les derniers événements; ton départ précipité, ta défection aux ambassades que je t'avais demandé et au fait que tu ais brûlé tes terres avant d'aller te marier avec la baronne d'Alonna. J'espère que tu acceptera de m'éclairé sur ton revirement et à comprendre tout le mal que tu me veux ?"

En effet, aucun signe avant coureur ne permettait de justifier ce comportement agressif et les décisions qu'il avait prise.

Duncan rentrait de la réunion, s'affairant à ne pas trébucher sur les pieds des tentes, boitant tant bien que mal pour se frayer une route jusqu'à son campement, lorsque un reître portant les armes d'Etherna se présenta à lui, demandant, au nom de Jérôme, une rencontre. Le Lys soupira légèrement, lui qui voulait retourner œuvrer au Code. Il accepta néanmoins, rebroussant chemin, ne congédiant pas les six hommes de sa garde. Lorsqu'il parvint au lieu de la rencontre, Jérôme s'adressa directement à lui, et après l'avoir écouté, Duncan laissa un silence. Tournant la tête, il intima à ses hommes de reculer quelque peu, ces derniers allant se placer à quelques mètres. C'était la distance idéale pour ne point entendre, mais ils étaient assez proches pour pouvoir intervenir si besoin se profilait. S'appuyant sur sa canne, le Lys répondit d'une seule traite, après avoir corrigé les propos de son baron.

« Brûler mes terres ? Je n'ai pas fais brûler mes terres. On m'a rapporté qu'elles ont été incendiées lorsque mon départ avait été rendu public. Pourquoi diable aurais-je voulu incendier ce qui m'appartient ? C'est la demeure de mes ancêtres, depuis si longtemps que le temps lui même l'a oublié. »

Le Lys jouait avec sa canne. Il en faisait tourner la tête du serpent qui l'ornait, l'aval étant planté dans la terre et la boue.

« Vous vouloir du mal, Jérôme ? Mais je ne vous ai jamais voulu du mal. J'ai voulu du mal à vos intérêts, à vos fols désirs d'enfant, à votre légèreté et aux mensonges que vous formulez pour protéger votre personne des conséquences de vos actes. Et je voudrais du mal à tout cela, tant que cela sera nécessaire. »

Les gardes étaient à une distance ne permettant pas d'entendre mais suffisamment prêt pour intervenir. Duncan, ainsi que ses gardes et ceux de Jérôme avaient il peur que quelque chose se passe ? Certes, un incident ici entre deux barons risquait de mettre à mal la coalition et tout le monde savait le ressentiment du baron d'Etherna envers son ancien conseiller, tout comme les attaques répétées de celui d'Alonna à l'encontre de son ancien suzerain. Comment cette rencontre allait se terminer, voila une question qui nécessité de l'attention. La première réaction de Duncan fut d'annoncer qu'il n'avait pas brûlé ses terres puis il répondit à la question qui lui était posée. Jérôme ne répondit pas de suite et un silence gênant s'installa. Ce n'était pas qu'il ne souhaitait pas continuer, au contraire mais il avait du mal à assimiler ce que son interlocuteur venait de lui dire. Il finit par desserrer la mâchoire

"J'avoue ne pas comprendre. Des paysans ont vu tes effets partir vers le nord puis des hommes portant ta livrée chevaucher dans la même direction alors que la fumée de l'incendie montait haut dans le ciel. Veux tu dire que tes propres hommes t'ont pillé avant d'incendier ton domaine ?"

L'homme ou plutôt sa livrée et son emblème était bien entendu connu de part son titre et les terres qu'il avait dans la pays aussi les fermiers curieux d'entendre et de voir une troupe passer avait regardé avec avidité ce qui sortait de leur ordinaire.

"De même, tu dis ne pas me vouloir de mal, alors pourquoi tant de haine ? comme tout à l'heure lors de mon entrée dans la tente ? je ne te reconnais pas, tellement peu subtil et surtout gratuit. Si tu ne veux pas de mal, alors pourquoi me dénigrer et ne pas être venu me voir ?

Et de quoi parle tu des mensonges que je fais ? explique toi que je les entende de vive voix. Mes désirs d'enfant ? quelle folie. Tu seras mon rival tant que mes intérêts n'iront pas dans le sens que tu souhaite ? est ce à dire que tes velléités disparaîtrons si nos desiderata vont dans la même direction ? éclaire moi donc et voyons ce qui semble tant te préoccuper et qui nous sépare à ce point que tu mets tout en oeuvre pour ma perte."

Jérôme n'était pas un fin politicien mais il n'était pas non plus le dernier des crétins. Toutefois, bien que pensant avoir un début de compréhension, il voulait entendre Duncan dire ce qui ne lui plaisait pas et pourquoi pas tenter de lui ouvrir les yeux sur certaines choses, à moins que ce ne soit la contraire.

Les lèvres du Lys demeurèrent fermées, le visage serein, à peine tendu, et les yeux vifs, aiguisés comme la plus redoutable des lames. Face à Jérôme, il se tenait droit autant que sa jambe le lui permettait, et nombre de regards plus ou moins discrets convergeaient vers eux.

« Les seuls hommes dont je dispose sont ma garde rapprochée. Deux sont morts à Diantra. Je les ai remplacés. Je me moque de qui a pu mettre le feu à mon domaine. Ce n'est pas comme si j'escomptais y retourner un jour.

Ne pas être venu te voir ? Mais pourquoi donc ? N'est ce pas toi qui a déclaré ma personne traître ? N'est ce pas toi qui m'a déclaré félon ? N'est ce pas toi qui a ordonné toutes mesures et toutes décisions pour me contrer moi, ainsi que mon épouse ? Me reproches-tu vraiment de ne pas être venu m'expliquer à toi, alors que toutes tes actions allaient contre ce sens ? Tu ne peux être sérieux.

Quant à mes raisons, tu les connais. Tu as cessé d'être digne d'être baron depuis bien longtemps, depuis ce jour lointain où tu as commencé à rêver de l'Oësgard. Et pour quoi ? Pour un morceau de terre inerte, impropre à l'agriculture, vidé de sa population décimée par la peste ou les guerres ? Et au nom de qui ? De la couronne ?! De la régente...Ah, cette régente là, envers qui tu t'es empressée d'aller prêter serment, persuadé que tu étais qu'elle t'offrirait la Sgarde. Je n'ai jamais approuvé cela, ni aucun de tes autres vassaux, d'ailleurs. Nous t'avons toujours dis qu'elle était belliqueuse, et ce même avant qu'elle n'enferme tous ses opposants après leur avoir proposé une entrevue de paix.

Qui de nous deux s'est affairé à renouer tes liens avec Madeleyne d'Odélian ? Moi. Qui de nous deux s'est affairé à te faire regagner valeur auprès de Hautval et de Velteroc ? Moi. Et qui de nous souffrait de savoir que son seigneur continuait son inexorable descente vers les abysses ? Moi ! » La dernière parole avait été criée, par colère contre la réalité. Et les suivantes étaient criées également, mais le Lys ne bougeait pas, comme si la vérité, jusque là contenue, jaillissait d'un volcan en éruption.« Depuis le début tu savais que la régente était sournoise, que ton allégeance était Odélianne et non Diantraise ! Et aujourd'hui tu te morfonds en excuses auprès de qui veut l'entendre, en affirmant que tu ignorais tout de cela ! Mais c'est faux, et tu t'armes de cette illusion avec laquelle tu te convaincs pour légitimer ta conquête pour prendre ce qui ne t'appartient PAS ! » La voix du Lys se calma. « Et te voilà ici, avec ton ost épuisé et affamé, mobilisé depuis trois mois, à la tête d'une baronnie ébranlée...Connais-tu l'état de ta baronnie, Jérôme ? Sais-tu que les membres du conseil, tant réjouis de ton absence, ont même, par avarice, démonté les coffres qui renferment le Trésor pour en voler les charnières, tant ils sont vides ? »

T'excuseras-tu à nouveau, pour cela ? Pour les vies sacrifiées inutilement pour tes rêves d'enfants ? T'excuseras-tu à Gaston d'Odélian pour lui avoir fais un enfant, pendant que tu courbais l'échine face à la régente usurpatrice ? T'excuseras-tu à Aymeric de Brochant pour avoir voulu prendre ses terres, soumettre son peuple, et t'approprier ce qui lui revient de plein droit ? Et t'excuseras-tu devant Etherna, pour l'avoir menée à la ruine et à la déconfiture ? Tant qu'un Ethernien sera en Sgardie, tant qu'un Ethernien aura la moindre prétention sur cette terre...Je jure devant les Cinq que j'abattrais chaque pierre de tes villes, que je raserais leurs murailles, et qu'une fois cela fait, Oësgard semblera être une destination paradisiaque comparé à ce qu'il restera d'Etherna. »

Les dernières paroles avaient été calmes. Et pourtant, qui connaissait le Lys, comme Jérôme, savait que la plaisanterie n'était pas au rendez vous.

Nous y voila, Duncan explosait et il expliquait son point de vu. Plus son monologue avançait, plus la haine que Jérôme couvait en attendant l'assaut des drows faisait surface. Ses points se serraient et se desserraient sans qu'il ne s'en rende compte et le sang lui battait les tempes en préparation de sa réplique. Le discours de son ancien conseiller était ridicule et dénué de sens, des dizaines de réponses fusaient dans la tête du baron d'Etherna afin de rembarrer l'homme qui lui faisait face. En même temps les pièces du puzzle se mettaient toutes en place et il comprenait maintenant. L'ambition démesurée de Duncan et sa soif de pouvoir l'avait poussé à l’extrême. Il en était arrivé à déclarer la guerre à son ancien suzerain, au moment ou la coalition avait le plus besoin de cohésion, c'était pathétique. Heureusement Jérôme reprit ses esprits avant de répondre et il écouta la voix de la sagesse qui venait de lui envoyer un message. Il attendit encore un bref instant afin de garder un ton neutre lorsqu'il desserra les lèvres

"Ton génie militaire m'impressionne !"

C'était bien évidemment ironique mais c'était la seule chose qu'il aurait. Jérôme garda pour lui tout ce qu'il avait en réserve pour détruire toute l'argumentation de Duncan et il tourna le dos

"Je sais maintenant et j'ai pris note de ta déclaration de guerre Duncan"

D'un geste il appela ses gardes et il partit à grandes enjambées, laissant le baron d'Alonna sur place.

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