Qui du dragon ou de l'aigle.

9ème jour de la 9ème ennéade de Verimios, an 8

Ansaldo d'Anoszia

Le vétéran ne se formalisa pas plus que ça d’être convoqué par son neveu. Il était de la vieille école, un soldat aguerri qui respectait la hiérarchie féodale. Son neveu était duc, bien qu’il ait été son écuyer autrefois. Ansaldo repensa à cette fois où l’ainé Anoszia s’était fait griffer en tentant de sortir un chat de son perchoir pour une vieille dame d’une ferme non loin de Mirabelo. Il était encore jeune et son avenir se résumait alors à succéder à son père à la tête du vicomté. Tous étaient loin de s’imaginer qu’un jour Oschilde deviendrait duc du langecin. Vêtu de son armure, son heaume en main et la mine sévère, Ansaldo franchit les portes de ce qui fut autrefois la salle du trône. Son regard se posa d’abord sur le siège royal, vide et majestueux. Le trône que tout le monde désirait, aussi puissant qu’un aimant, il poussait tous les grands seigneurs à graviter autour de lui. Nimmio, Godefroy, Harold, Blanche, Kahina, Cléophas et son frère. Il salua son neveu, assis à côté du trône, comme il le devait, attendant d’entendre la raison de sa convocation.

Après une longue traversée de la salle du trône, la silhouette de son oncle devint un peu plus visible et ses traits plus distincts. Ansaldo était bien le frère de son père, cela ne faisait aucun doute. La chevelure dorée, le teint bronzé et l'allure noble, le bras armé du dragon d'Ydril lui fit face sans sourciller, comme s'il n'était resté qu'un petit petit capitaine royal. Pourtant, les choses avaient changé et si Oschide s'était battu au nom de sa famille jusque-là, le langecin constituait désormais sa nouvelle famille.

Ansaldo n'avait pas démérité pendant la révolte. Tenant fermement le contrôle de certains quartiers avec les hommes du sud, la situation était restée stable en partie grâce à son expérience et à son flegme. De son côté, Oscario avait opéré dans l'ombre afin de ressortir le maximum de renseignements aujourd'hui bien utiles.

-Bonjour mon oncle.

Le ton fatigué par la nuit blanche qu'il venait de passer, ses traits étaient tirés et son arcade meurtrie peinait à cicatriser.

-La situation à Diantra est trop instable pour que le jeune Bohémond ne vienne. Envoyez une missive à mon père pour le prévenir je vous prie. Il nous faudra, en attendant, rétablir les choses fermement. J'attends le rapport d'Oscario afin d'envisager des sanctions visant les têtes de l'insurrection. On ne frappe pas un Anoszia impunément, ne pensez-vous pas ? Je vous demande, pour cette raison, de prendre vos hommes et de réduire au silence nos fauteurs de troubles dès que nous en aurons l'occasion. Le pouvez-vous, mon oncle ?

Ansaldo d'Anoszia

Ansaldo ne le regardait pas comme l'ancien capitaine royal qu'il avait été, mais comme son jeune écuyer qui avait porté son écu et à qui il avait apprit à se battre. Celui pour qui son fils Aursus était mort à Oësgard en lui sauvant la vie. Il avait eu une mort honorable. Oschide avait encore les stigmates de sa nuit sur sa face, comme tout guerrier qui se respectait, il avait ses propres cicatrices des combats passés. " Altesse, le jeune roi ne viendra pas avant que sa capitale ne soit en mesure de l'accueillir. Cela signifie être purgé de ses malfrats et rebâti. Mais ton père espérait pouvoir venir en personne afin de voir l'avancée des travaux et te revoir surtout, mais il ne viendra pas sans ton accord. Tu détiens la ville après tout. " Ansaldo avait une opinion sur ce conseil de régence. Arichis y détenait à présent que Kahina disparue un grand pouvoir, et il lui importait peu que le roi soit un enfant ou pas si cela donner du pouvoir à leur famille et leur permettait de la mettre en sécurité et ne plus être contraint par la volonté d'autres. " Ton père doit certainement se demander pourquoi tu hésites tant à le rejoindre dans son entreprise et être aux côtés de ta famille. Maintenant que la Sorcière Estreventine a été chassée il détient le pouvoir à Soltariel et est en mesure de nous mettre à l'abri. "

Il y avait quelque chose de rassurant dans la voix de son oncle. Bien qu'elle ait put être moralisatrice la plupart du temps, surtout du temps de son apprentissage, elle était aujourd'hui celle de la raison et peut être celle de la sagesse du vieux guerrier. Personne ici n'était en mesure de contredire ses ordres. Ses vassaux étaient restés à Langehack, Théobald était encore à Edelys et son père détenait, soit disant, le Soltaar entre ses mains. Chose qu'il doutait fortement, même avec l'estréventine en moins et le duc Maciste six pieds sous terre.

-A-t-il réellement besoin de mon accord pour venir ? Vous êtes vous même venu avec mon frère et je vous ai accueilli à bras ouvert comme le frère et le neveu que je suis.

Il n'y avait pas à s'attarder plus longuement sur la chose. De tout temps, Arichis allait et venait à son bon plaisir. Mais si le vieux dragon attendait son invitation, cela ne pouvait dire qu'une seule chose : l'Anoszia se méfiait de son propre héritier.

-Pourquoi j'hésite à rejoindre mon père dans son entreprise, dites-vous mon oncle ? Dit-il la mine amusée. Serions nous même sur un champ de bataille dans deux camps opposés que nous serions les meilleurs alliés du monde lui et moi, prêts à tout pour tirer notre famille vers le haut. Vous vous méprenez sans doute sur mes intentions. Peut-être que mon voyage dans le Berthildois en est la cause ? Rassurez-vous pourtant mon oncle, car je ne fais que garantir la survie de notre lignée si le nord venait à se réunir sous une seule et unique bannière. Si le patriarche détient le pouvoir dans le Soltaar, alors il n'aura aucun mal à comprendre qu'il ne m'est plus d'aucune utilité de signer la paix avec ce dernier pour le moment. L'alliance avec le Soltaar se fera de toute façon, cela n'est plus qu'une question de temps. Je dois néanmoins savoir ce qu'il en sera de l'alliance nordiste et si cette dernière sera assez puissante pour nous porter préjudice.

Solidement ancré dans son siège, Oschide observait son oncle.

-Changeons de sujet voulez-vous bien ?

Sans lui laisser le temps de répondre, le duc reprit.

-J'ai reçu quelques plaintes concernant l'installation des Ysarains dans la ville haute. Les hommes du missédois et de Langehack logent dans des casernes presque insalubres depuis leur arrivée à Diantra. Il apparaît assez mal venu que des troupes fraîchement débarquées soient mieux logées, au risque de provoquer une inégalité que seules quelques échauffourées pourront régler. Comme vous le comprendrez assurément, je ne puis permettre une telle injustice, ce pourquoi je vous demanderais de déplacer vos hommes dans les anciennes casernes de l'armée royale. Ai-je votre accord mon oncle ?

Ansaldo d'Anoszia

"Nous sommes venu car ta missive était alarmante et que nous avions ton accord préalable." Si Oschide n'avait pas eu besoin d'eux, ils seraient resté chez eux. Troupes levés aux frontières de Soltaruel jamais une tierce personne tentait d'y prendre le pouvoir sans le consentement du vieux dragon. Le patriarche avait d'ailleurs envoyé son fils Francesco loin en Etherne pour négocier avec les nordistes en commençant tout d'abord par le marquisat d'Odélian tandis que le régent lui-même avec Cécyllia avait prit la route de celui de Serramire. Arichis devrait y rencontrer Alanya et Aymeric lui-même. Son neveu marquait un point, et l'oncle ne douta pas de ses dires. C'était bien Anoszia que cela. " Ton père ne doute pas de toi, de même pour moi. Il craint juste que cela vous porte à tous les deux préjudices à force. Mais si je peux me permettre un conseil, écris lui une missive afin que lorsqu'il redescendra du Nord il s'arrête à Diantra avec Cécyllia pour te voir, cela lui fera plaisir." Puis ils changèrent de sujet pour celui de sa convocation. Oschide prenait à cœur son rôle de duc, ce qui était tout à son honneur mais Ansaldo avait reçu des ordres clairs de la part d'Ysari. "Je ne peux malheureusement pas accéder à ta demande, les soldats langecins et missédois sont déjà assez nombreux et le meilleur risque d'avoir des effarouchées ou des bagarres de tavernes est de mélanger les soldats. D'autant plus que les casernes n'ont pas assez de place pour tout le monde. La ville est déjà dans un sale état, et regroupez autant de monde dans les même lieux est le meilleur risque de voir la propagation des maladies, d'autant plus que ta future belle-sœur souhaite qu'ils demeurent à l'écart afin qu'ils reviennent entier." Le vétéran réfléchit un instant, puis proposa. "Je vois où est ton problème. J'ai peut-être une solution à te proposer. Si ce qui gêne tes hommes est la situation de luxe dans laquelle les miens sont, nous dresserons des tentes et des chapiteaux dans les places et les cours de la Haute-Ville afin qu'ils dorment rustiquement. Cela ne fera qu'endurcir ces ysarains ! Et ils seront proche de toi pour assurer la protection de tes intérêts."

L'idée de son oncle aurait pu être bonne, mais Oschide commençait à connaître ses hommes. Si les aigles et les chevaliers de Langehack ne bronchaient pas sur leur sort, les hommes du Trait et les missédois accuseraient le coup une nouvelle fois. Que les ysarains et les ydriains lui viennent en aide avaient été une très bonne chose, mais que l'inégalité s'installe entre les hommes du sud et les langecins, cela ne pouvait continuer et la solution, si bien en façade de son oncle, ne se trouva être qu'un placebo sur le court terme.

-Il est bien aimable à la baronne d'Ysari de m'avoir envoyé ses hommes, tout autant que les vôtres, mon oncle. Je pense néanmoins que votre solution ne peut être applicable pour la simple et bonne raison que peu importe le luxe où la rusticité dans laquelle vivront vos hommes, les miens les maudiront encore et toujours de se trouver dans la haute ville, tandis qu'eux devront se contenter du fort de la vaillance et de la basse ville. Alors, entendons-nous bien sur ce point, la moitié de vos hommes iront prendre leur quartier au fort, et la moitié des nôtres prendront leur place. Nous ferons des rotations toutes les ennéades pour qu'il n'y ait aucun laissé pour compte. De cette façon, les hommes ne pourront pas s'encroûter et devront veiller à tour de rôle sur la sécurité de la cité.

La chose était dite et il ne reviendrait pas dessus.

-Rassurez-vous quant à ma protection. Je ne doute pas des compétences de nos amis ysarains pour veiller à mes intérêts, mais les Aigles de sang constituent déjà une très bonne protection, ajouta-t-il le visage enjoué. Je vous saurai gré mon oncle de voir avec mes capitaines Augustor de Rasque, Pietro Colleoni et le missédois Tibérias de Roch pour les dernières formalités concernant la rotation des hommes dans la basse et la haute ville.

Toujours assit sur le trône le plus inconfortable de la péninsule, Oschide se laissa distraire par les quelques rayons de soleil qui commençaient à parcourir la grande salle.

-Je pense en avoir terminé avec ce problème. Auriez-vous d'autres recommandations où questions à me poser, mon oncle ?