Remise en question | Halya

Fin de la huitième ennéade de Verimios
De la huitième année du onzième cycle.

Les blessés avaient arrêté d'affluer au début de l'ennéade et les seuls qu'ils devaient encore visité ne nécessitaient pour la plupart que de maigres soins. Anorn avait réussi à reprendre des forces et cela se voyait nettement. Il avait repris une posture plus tonique, sa voix était plus posée et ses ordres plus clairs. La fatigue l'avait partiellement quitté, chose qui l'avait soulagé. Ne lui restait qu'une chose à faire avant de prévoir le départ. Rendre visite à Halyalindë. Il avait vu son comportement, aux mouroirs. Il avait du agir en conséquence, mais ne l'avait visiblement pas fait assez vite. Surpris par le réveil soudain de Neraën, il l'avait laissé l'attaquer sans pouvoir intervenir et il s'en voulait amèrement. Mais ce goût désagréable n'était rien comparé à celui de la trahison, que la Dame Protectrice d'Ardamir avait laissé dans sa bouche, lorsqu'elle avait attaqué ses frères. Il avait appris à la respecter, à la considérer et à l'écouter. Il avait apporté son soutien, quand personne ne répondait à ses appels. Ils avaient discuté, échangé, débattu. D'une manière si intéressante qu'il en était venu à l'apprécier, quelque part. Et elle avait effacé tout ce travail, toute cette lente progression de sentiments à son égard, par une seule et unique action. Qui paraissait inexplicable aux yeux d'Anorn, mais qui ne pouvait être lus claire aux yeux du régent. La dévotion qu'elle pouvait avoir envers les siens n'avait pas été assez forte pour prendre le dessus sur son instinct. Elle était sauvage, au fond d'elle même. Et sans aucun doute trop jeune pour pouvoir l'étouffer.

 - Dame Yasairava est à l'intérieur de sa tente. Faites attention. Elle pense qu'on lui en veut personnellement, qu'elle est la cible d'un complot visant à la tuer.
 - Ca ira, merci. Tu peux disposer.
 - Vous êtes sûr ? Je suis censée rester ici jusqu'à ce que...
 - C'est un ordre.

Les jeunes avaient encore du mal à se faire à l'idée qu'on ne discutait pas une telle demande, surtout quand on croulait de fatigue et que la faim tenaillait leur ventre. Il attendit un instant que l'elfe s'éloigne, avant de soulever doucement le pan de la tente. Halyalindë était là, éveillée, les yeux légèrement perdus dans le vague.

 - Halyalindë Yasairava, je pense que vous savez qui je suis ? Excusez moi si ma question semble totalement déplacée, mais je ne connais pas réellement votre état. C'est en partie pour cela que je suis ici maintenant.

S'approchant d'elle un peu plus, il guetta ses réactions. Fuite, recul, renfermement, il s'attendait à voir tout et n'importe quoi. Parce qu'il ne connaissait pas la femme qu'il avait en face d'elle. Il ne savait pas de quoi elle était capable, ni ce qu'elle pouvait bien penser. Il était prêt à réagir, bien qu'il puisse constater qu'elle avait quelque peu repris ses esprits, depuis l'épisode des mouroirs. Et si ce n'était pas le cas, elle le cachait plutôt bien. Prenant la liberté de tirer un tabouret pour s'asseoir non loin d'elle, lorsqu'il sut qu'elle n'allait pas faire quelque chose d'insensé, il reprit doucement la parole.

 - Je pourrais vous demander comment vous vous sentez, mais vous vous doutez que je préfère voir par moi même. Vous permettez ? Je ne suis pas obligé de vous toucher, si vous ne le voulez pas. Mais j'aimerais au moins pouvoir m'approcher un peu plus, est-ce concevable ?

Il savait qu'elle gardait une certaine distance, qu'elle n'avait pas confiance et qu'elle était, quelque part, apeurée. Il n'avait aucune idée du déclencheur de cet état et ce genre de situations n'était pas de son ressort. Mais il savait avoir une certaine expérience et un certain tact pour ces choses, il n'avait plus qu'à espérer que cela suffise. Parce que vérifier son état physique n'était qu'un prétexte pour établir le contact. Pour l'amener à se détendre et pour qu'ils puissent discuter. Il avait énormément de choses à lui dire. Et elle aussi.

Le soleil s'était levé une fois de plus... et avec lui la lente rengaine avait repris. Elle aurait put tenter de s'enfuir, mais elle ne serait pas allé bien loin. Elle avait déjà débattu de tout cela au plus profond d'elle même. Et elle en était arrivé à la conclusion qu'elle n'avait aucune chance de survivre et de retrouver son fils tant que personne ne la croirait. Alors elle se perdait dans la Symphonie. Et elle priait. Elle priait Kÿria et ses premiers enfants, n'hésitant plus à invoquer les noms de la Raisonnable, du Sage et de la Secrète pour soutenir son esprit défaillant. Elle priait non pas pour que quelqu'un la croit, du moins était-ce une espérance secondaire. Elle priait pour que quoi qu'il arrive, elle ne laisse pas la haine s'emparer de son cœur.

Plus seule qu'elle ne l'avait jamais été, les regards méfiants et compatissants des rares personnes qui venaient la voir créaient un mur invisible entre elle et eux. L'absence de Randil lui pesait. L'absence de son père lui pesait. L'angoisse à l'idée de revoir Fenris lui pesait. Elle était maintenue dans cette tente, entourée de gens qui la pensaient folle et dangereuse... Et elle ne pouvait leur donner tord.

Jusqu'à son réveil dans la forêt et depuis son entrée dans Eraison, ses souvenirs s'entremêlaient sans ordre, sans queue ni tête. Depuis quelques jours maintenant, le temps avait repris sa course linéaire, elle avait l'impression d'avoir repris ses esprits... Mais du coin de l'oeil, la Porte la menaçait toujours. Les murmures étaient aussi toujours présents mais se mêlaient calmement aux voix radoucies de la symphonie. La peur et le violence avait quitté se coin d'Anaëh. Ne restait que la peine... et la renaissance.

Malgré tout cela, ses propres compatriotes la gardait enfermer sans l'écouter. Et à chaque heure passée en détention, car c'était bien de cela qu'il s'agissait, elle en venait à en vouloir personnellement a chacun des habitants des Cités qui fourmillait dans ce campement.

Lorsque des pas s'approchèrent de sa tente, elle tendit l'oreille, intriguée. Mais cette fois ce n'étaient pas des soigneurs inconnus. L'homme qui demandait à la voir lui était bien connu. Anorn... Cela la laissa pensive.

Il entra, circonspect, comme s'il s'attendait à ce qu'elle lui saute à la gorge... Oui, elle avait été terrible. Mais à présent, allongée sur le dos, la tête appuyé sur une couverture roulée, affaiblit par une ennéade de traitement nocifs et quelques jours de jeûne, elle ne devait plus être une menace pour qui que ce soit, qu'elle le veuille ou non.

-Je sais parfaitement qui vous êtes, Régent. Finalement les notre ont eu tout à fait raison de s'en remettre à vous j'ai l'impression, sourit-elle faiblement avec une pointe d'amertume dans la voix.

Elle ne regrettait pas le fait que son hôte ait été désigné comme régent, bien au contraire, mais sa propre faiblesse lui était difficilement supportable.

-Je pourrais vous dire que je vais bien mais ça ne serait pas très crédible n'est-ce pas...

Lorsqu'il tira un tabouret près d'elle et demander à l'examinée, elle s'assit sur le bord de son lit de camp pour lui faire face. Le simple fait de se redresser lui étai difficile. Presque essoufflée, elle laissa retombée ses bras sur ses genoux.

-Faites ce qu'il faudra. Cela ne me gène pas que vous m’auscultiez. J'en ait vu passé de bien moins correcte que vous. Je ne leur en veux pas.

Kÿria et Hwestalindë  elle ne devait pas leur en vouloir.  

-Gérer un grand nombre de blessés n'est pas facile et il n'avait pas de temps à me consacrer. Ils avaient peur. Je comprends.

Dire qu'elle était détendu aurait été une aberration et le jugement qu'elle lisait dans les yeux d'Anorn était tout aussi difficile à supporter que ceux de ses « soigneurs » . Mais elle était de toute façon bien trop fatiguée pour rester à tout crin sur le qui-vive. En une poignée de jour, son visage amaigri semblait avoir pris quelques années. Se rendre compte que personne ne la croyait avait été un coup de plus. Kÿria fasse que lui au moins finisse par l'entendre.

L'amertume qu'il perçut dans sa voix quand elle prit la parole le rassura quant à son état. Certes elle n'allait pas bien. Certes elle n'était pas au meilleure de sa forme. Mais elle était bien mieux que quelques jours auparavant. Elle paraissait plus lucide, plus présente, plus consciente de ce qui se déroulait autour d'elle. Il sut à cet instant qu'il pouvait lui parler. Qu'il pouvait lui dire ce qu'il avait à lui dire, qu'il allait pouvoir chercher à savoir ce qu'il voulait savoir. S'il savait que dans son regard, elle pouvait lire un certain jugement, il n'avait cependant aucune rancœur, aucune haine à son égard. Peut-être seulement un léger dégoût, mais ce dernier n'était pas visible. Il était bien trop léger pour qu'Anorn puisse le laisser paraître sans s'en rendre compte. L'autorisation que lui donna l'elfe fut rapidement suivie d'une inspection plus ou moins profonde de son corps. Il ne la touchait pas, s'était juste rapproché suffisamment. Il n'avait pas besoin de contact et, à vrai dire, il aurait pu s'occuper d'elle de là où il se trouvait un peu plus tôt. Mais il ne voulait pas laisser une telle distance, il voulait qu'elle l'autorise à l'approcher, il voulait qu'elle le laisse entrer dans son espace et qu'elle ne garde aucune distance à son égard. Parce que ce qu'il avait à lui dire n'allait certes pas être plaisant à entendre, mais ne devait pas pour autant être refoulé. Il avait besoin qu'elle l'entende réellement, totalement. Qu'elle l'intègre pour lui répondre sincèrement. Le flux parcourait encore Halyalindë quand il reprit la parole, d'abord pour lui répondre.

 - Personne n'aurait pu prévoir ce qui est arrivé. Mais si vous comptiez agir de la sorte en étant régente, alors je suppose qu'effectivement les nôtres ont eu raison. Quant à ceux qui devaient veiller sur vous, je doute qu'ils s'en remettent un jour. Nous sommes tous fatigués, Halyalindë. Nous avons tous peur. Ainsi est la guerre. Elle n'amène jamais rien de bon.

Elle en était la preuve vivante. Il en était la preuve vivante. Ils en étaient tous la preuve vivante. On ne guérissait jamais totalement d'une guerre. Elle laissait toujours des traces, qu'on arrivait plus ou moins bien à intégrer, à transformer en quelque chose d'autre. Quelque chose de plus bénéfique. Il était compliqué de se rendre compte qu'il était possible de faire émerger de son vécu une chose totalement contradictoire, une chose qui n'avait initialement aucun rapport avec les sentiments qui avaient pu nous boulverser. Mais une fois que c'était le cas, une fois que le temps avait fait son travail, alors il était plutôt aisé de le comprendre.

 - Je pense que vous savez pourquoi je suis ici. Je sais que vous n'êtes pas dans d'excellentes dispositions, mais je crois que vous êtes assez lucide pour tenir cette conversation. Ce que je vais vous dire ne va pas être plaisant à entendre, mais cela ne peut être tu. J'aimerais revenir sur ce qui s'est passé aux mouroirs. Lorsque vous avez repris conscience pour la première fois.

Il pouvait encore entendre les grognements animal, sentir Neraën le bousculer, Halyalindë hurler. Le coeur de celui dont la gorge avait été arrachée s'emballer, voir son sang couler à flot. Se répandre au sol pour former une flaque rouge et visqueuse. L'odeur âcre de la peur réapparaissait peu à peu et son nez en fut bientôt empli. Expirant légèrement, il se referma au flux. La protectrice récupérait plutôt bien, ses séquelles ne seraient pas physiques, mais belles et bien mentales.

 - Si vous me parlez du manque de surveillance, je pense que vous savez de quoi je parle. Je ne sais pourquoi, quand vous êtes revenue parmi nous, vous vous êtes attaquée à ceux qui voulaient votre bien. A ce moment, j'étais au chevet de Neraën. Je ne vous ai pas vu vous relever, je n'ai pas pu réagir instantanément. Chose qui aurait certainement pu empêcher beaucoup. Toujours est-il que ce n'est pas arrivé et que vous êtes allée jusqu'à attaquer violemment un mage de la vie. Vous avez arraché partiellement sa gorge, sans aucune raison aux yeux de tous parce que cet elfe n'avait aucun rapport avec vous. Si ce n'était qu'il était tout autant un fils de Kÿria que vous en êtes une fille.

Il s'arrêta là. Il avait bien plus à dire, bien plus à reprocher qu'un simple moment de doute ou d'incertitude. Mais il ne pouvait pas lui balancer tout d'un seul coup, sans lui laisser le temps de répondre, sans lui laisser le temps de peut-être se justifier. Au moins d'expliquer. Il voulait juste une explication. Il avait certes envie de lui dire combien elle le décevait. Combien il était indigne d'une protectrice de s'attaquer à son propre peuple, à ses propres frères. Sauf que lui dire ainsi n'aurait aucun sens, parce qu'il ne venait pas principalement pour la blâmer. Il venait pour des explications, pour savoir ce qu'il en était, où elle en était par rapport à cet incident. Savoir si elle se rendait compte, savoir s'il pouvait toujours lui faire un minimum confiance. Ne serait-ce qu'un minimum, parce qu'elle restait tout de même la Dame Protectrice d'Ardamir. Et si les décisions seraient sans doute faites par d'autre le temps qu'elle se remette totalement, elle reviendrait bien vite à la tête d'Ardamir.

Elle réprima un rire mauvais. Ha... Il lui expliquait, lui, que la guerre n'avait rien de bon ? Il lui disait à demi mot qu'elle avait projeté ce qui lui était arrivée ces derniers jours ?

S'en était risible.

Et non. Ils n'avaient pas tous peur. Plus maintenant. Plus quand on avait plus rien à perdre... ou si peu. Randil partit, Fenris paraissait comme un lointain souvenir. Alors qu'est-ce qu'un guérisseur qui essayait toujours de faire au mieux pouvait savoir des véritables horreurs de la guerres ? Ce moment ou vous plonger le regard dans celui de votre victimes et vous vous apercevez avec horreur que cela ne vous pose plus le moindre problème. Ce moment a partir du quel vous prenez conscience que la mort de certains n'est pas seulement nécessaire, mais satisfaisante.

La suite de sa tirade n'était que plus absurde. Pas dans de meilleurs dispositions ?

« Pas dans d'excellentes dispositions ? Alors qu'après avoir risqué ma vie pour celle de tous les hommes et les femmes qui combattaient à Eraison et qui mourraient, leurs forces vitales drainées par le rituel d'un mage fou, j'ai été enfermée ici sans recevoir d'autres visites que des soigneurs qui vont jusqu'à employer la force et la ruse pour me droguer ? C'est étonnant il faut l'avouer. Je vous rassure, j'aurai agit de la même façon avec un autre titre. Je n'aurai pas hésiter à m'interposer pour que ce mage sombre ne finisse pas son rituel. Mais puisqu'il semble être dans la nature de certains de reprocher à quelqu'un les blessures qu'il a accumulé sur le champ de bataille, cela ne doit pas avoir grande importance à vos yeux. Dites tout ce que vous avez a dire, cela ne peut pas être pire que ce qu'on m'a annoncé jusqu'à maintenant. »

Elle écouta patiemment, ses yeux cernés brûlant de nouveau de l'envie de vivre qui l'avait quittée quelques jours plus tôt. Marniel lui avait racontée qu'elle avait tenter de mettre fin a ses jours. Elle lui avait aussi dit qu'elle avait préféré gardé ça pour elle et ses gardes habituels pour ne pas encore plus affolé les autres soigneurs. La menteuse... Cacher un acte pareil était tellement plus simple que de l'expliquer... Elle-même se rappelait partiellement de la scène. Elle se souvenait de sa détresse, de ce sentiment insupportable de trahison et de perte.

Et voilà qu'on l'accusait. Encore.

« Neraën a essayé de me tuer. »

Déclara-t-elle posément. Entre ses souvenirs et l'insistance de ses gardiens à lui raconter chacun de ses actes de violence, elle finissait par savoir ce qui s'était passé. Quand était une autre question.

« Je n'étais pas en état de comprendre qu'il s'en prenait directement à mon esprit. Je me suis défendue comme je le pouvais. »

Il n'y avait pas d'autre explication. Pas de longue tirade. C'était à la fois une vérité si simple et si insatisfaisante pour ceux qui n'avaient jamais risqué leur propre vie.

« Si vous voulez savoir pourquoi il m'a poussé à l'attaque, demandez lui vous-même. Quand je suis allé lui poser la question, notre entretien a eu une fin plutôt prématurée. »

Cette fois elle laissa échapper un éclat de rire fatigué.

« Et vous savez le plus drôle ? Un prêtre de Tari est venu me voir pour essayer de guérir mes délirs. Il est ressorti d'ici blanc comme un linge. Plus d'âme qu'il disait. D'après lui mon esprit, ou ce qu'il peut atteindre avec sa foutue magie est à peine perceptible. Comme si j'étais à des kilomètres et fuyais toute approche. Mais ça non plus je parie que vous n'en avez pas entendu parler ? »

Elle s'en souvenait parfaitement. C'était ce qui l'avait poussé a en appeler aux Ëalas. Ce qu'elle était à présent, elle n'en avait aucune idée, mais elle restait sûre d'une chose : elle n'était pas folle.

La discussion prenait un tournant assez agressif et il fallait dire qu'il s'y était attendu. Il était face à une elfe qui avait réagi tel un animal blessé, qui avait erré dans les recoins les plus sombres de son esprit, qui s'était perdue encore et encore, et qui venait tout juste de revenir parmi eux. Si dans sa voix, il n'y avait eu aucune froideur, aucune amertume, elle répondait tout de même comme si c'était le cas. Elle voyait son enfermement comme une punition, ce qui était sans doute de sa faute, il n'avait pu s'occuper d'elle plus en profondeur, il n'avait pu être plus à sa disposition, du fait du nombre trop important de blessés, mais au fond, cela n'avait été qu'une question de sécurité. Et de cela uniquement. Il n'appréciait pas réellement qu'elle ait pu le vivre autrement, mais il n'y pouvait pas grand chose. Qu'elle déverse ce ressentiment sur lui ne l'ennuyait pas outre mesure, cela devait être fait, et elle ne voyait sans doute pas les choses en grand. Dans leur entièreté. Elle lui reprochait des choses dont il n'avait même pas discuté, des choses qu'il n'avait pas amené dans la conversation.

 - Vous avez été enfermée parce que vous étiez un danger pour vos frères et pour vos sœurs. Il n'était pas envisageable que vous restiez parmi eux, nous n'avions pas le temps ni l'énergie nécessaire pour cela. Nous vous avons isolé comme nous avons isolé Neraën suite à cet épisode. Quant aux blessures que vous avez accumulées au combat, je ne vous les reproche aucunement. Je ne sais qui se le permet, parce qu'effectivement, ce n'est pas ma priorité. Pas pour l'instant.

Non, sa priorité était de sauver le plus de blessés possible, de rendre au familles le plus de père, de frère ou d'enfants. Si le combat d'Halyalindë était terminé, le sien continuait encore maintenant. Chose qu'elle avait visiblement du mal à intégrer. Mais il ne l'en blâmait pas, les soldats revenaient souvent avec des traumatismes bien plus profonds, qui ne pouvaient être gérés que par eux, et qu'ils s'efforçaient de maîtriser. S'occuper des autres n'était pas dans leurs priorités. Et on ne leur demandait d'ailleurs pas le moins du monde d'en faire leur priorité.

 - Nous aurions du isoler Neraën beaucoup plus tôt. Je vous l'accorde. Je ne peux pas prendre la responsabilité de ses actes, cependant il est vrai qu'il n'aurait jamais du pouvoir vous atteindre. Et je ne manquerai pas de lui demander ce qui a bien pu lui passer par la tête. Mais ce n'est pas ma question. Neraën ne vous a pas poussé à l'attaque. Vous vous en étiez déjà prise à un guérisseur avant qu'il n'intervienne. Cette faute ne peut être attribuée au Seigneur Protecteur d'Eteniril.

Si on la blâmait tant, c'était peut-être parce qu'elle était en partie responsable de ce qu'elle avait fait. Si ce n'était entièrement. Rejeter la faute sur un autre était facile. Même rassurant. Sauf que cela ne faisait pas avancer les choses, repoussait même l'échéance, le moment où elle devrait s'expliquer le pourquoi du comment. Où elle devrait endosser la responsabilité de ses actes. Il lui demandait officieusement de s'expliquer, mais bientôt viendrait le temps de le faire officiellement.

 - Je n'ai pas entendu parler de la visite du prêtre de Tari, non. Mais de ce que je sais, vous avez fuit toute approche durant les derniers jours. Vous avez refusé qu'on vous soigne. Vous avez refusé qu'on vous approche. Pourquoi ? Y a-t-il une raison ?

Il y en avait forcément une. La question était de savoir si elle voudrait bien la lui livrer, s'il était capable, à ses yeux, de l'entendre et de l'accepter. Il n'avait pu être aussi présent pour elle qu'il l'avait été pour Neraën, notamment. Et elle semblait le lui reprocher, quelque part. Elle semblait lui reprocher de n'avoir pu faire au mieux, de n'avoir pas essayé de lui donner plus, de lui donner ce qui lui aurait convenu. Mais ne pouvait-elle pas entendre qu'elle n'était pas la seule qui nécessitait des soins ? Qu'elle était certes une guerrière redoutable, qu'elle méritait sans doute un meilleur traitement, mais qu'ils ne pouvaient lui offrir bien plus ? Qu'ils menaient eux aussi leur combat du mieux qu'ils le pouvaient et qu'ils pouvaient parfois avoir des ratés, qu'ils pouvaient parfois échouer ? L'égoïsme qui suintait de ses paroles, de ses reproches, en était presque écoeurant. Et s'il lui tardait de le lui faire ravaler, de lui faire ouvrir les yeux sur la réalité des mouroirs, il se devait d'être patient. Très patient.

« Parez Neraën de toutes les vertus ou faites lui le même numéro qu'à moi, je m'en fiche. Je voulais savoir ou était Randil. Ou était Neraën. Ou était Estiam. Pas un mot en réponse. Alors oui, j'ai empoigné ce soigneur, et oui, j'aurai été capable de l'abattre même sans l'intervention de Neraën. »

Elle les avaient prononcés sans une once d'agressivité, plongeant son faible regard d’émeraude profondément dans celui du Régent.

« Et s'il ne m'avait pas surprise, je n'aurais pas rater mon coup. »

Il était venu pour entendre ces mot. Ils étaient à lui. Elle n'en dormirait pas plus mal.

Elle courrait depuis des siècles pour fuir son passé, mais quelqu'un lui avait permis de le regarder en face depuis quelques temps déjà. Jamais elle n'avait mentit sur sa propre dangerosité. Si les Citadins ne savaient pas ce qui sommeillait dans son passé et malgré la culpabilité qui l'avait poussé a allé voir Neraën pour savoir pourquoi il avait essayé de la tuer, cette mort n'aurait certainement pas été celle qu'elle se serait le plus reprochée.

Mais aujourd'hui, on lui demandait visiblement une raison de plus. Une raison qu'elle avait déjà répété des dizaines de fois en quatre jours sans que personne ne daigne la croire. Au vu du peu d'effet que faisait sur Anorn la révélation de ce prêtre qui avait tant bouleversé la guerrière, elle doutait vraiment qu'il puisse ressortir de cet entretient autre chose qu'une condamnation de plus.

« On essaie de m'empoisonner » dit-elle toujours aussi simplement. « Marniel, la Noss de ma suite qui a proposée de s’occuper de moi essaie de m'affaiblir. Elle a perdue son frère pendant la bataille d'Eraison et j'ai obtenu son serment sous la contrainte pour que son Chef ne tente plus rien contre les nôtres avant la fin de cette guerre. J'ai fait une erreur en la gardant avec moi et j'en paye les conséquences.»

Ou cela pouvait être dû à son refus de s'alimenter ? Ou encore aux sédatifs qu'elle avait du prendre pendant plus d'une ennéade pour être contenue ? Évidement, son corps était imbibé de diverses substances sensées être curatives, mais tout n'était qu'une question de dosage... et elle avait eut une ennéade entière pour ajuster ses recettes. Le crime était parfait... Ou presque. Tout dépendait de l'habileté de celui qui accepterai de croire sa victime.

La réponse d'Halyalindë ne fut pas plaisante. Pas le moins du monde. Il ne savait pas s'il s'était réellement attendu à quelque chose en entrant dans sa tente, mais il était certain de n'avoir pas été préparé à entendre de telles atrocités sortir de sa bouche. Randil était donc plus important que les siens. Elle n'avait cure de tuer un innocent si cela lui permettait de retrouver son loup. Que cela vienne de n'importe qui d'autre ne l'aurait pas tant révulsé, ne l'aurait pas tant conforté dans sa déception. Mais par Kÿria, elle était la Dame Protectrice d'Ardamir ! Cela ne comptait pas pour elle ? Cela n'avait donc aucune importance ? L'égoïsme dans toute sa splendeur s'exprimait alors. Elle était jeune. Certes. Mais cela n'avait aucun rapport avec ce qui venait de se passer, cela n'avait aucun rapport avec ses plus profondes motivations.

 - Vous ne semblez pas comprendre. Je suis réellement inquiet. Et vous me donnez chaque fois un peu plus raison de l'être. Je ne joue aucun numéro. Cessez de croire que vous êtes persécuté, ce n'est aucunement le cas.

Il n'aimait pas cette position dans laquelle elle aimait à se mettre. Celle de la victime, celle du soldat qui avait mené rude combat et qui ne s'en voyait pas récompensé à juste titre. Et si elle avait effectivement mené un combat des plus héroïque, si elle avait été traumatisée par ce qu'elle avait vécu, elle ne pouvait utiliser cela comme une façade, comme une excuse. Elle n'arrivait visiblement pas à entendre ce qu'il avait à lui dire. Chose qui était problématique. Parce que ce dont ils parlaient actuellement était d'une importance majeure, d'une gravité certaine. A ses yeux. Aux yeux de leur peuple. Et elle ne s'en rendait pas compte. La fatigue et la découragement jouaient sans doute pas mal, mais là encore, il ne pouvait laisser ces émotions justifier ses actes. Ou ses motivations. Elles étaient antérieures à cet état. Cependant, en discuter actuellement n'était sans doute pas la chose la plus avisée qu'il puisse être. Alors sans réellement renchérir, il écouta la suite. Il entendit dans ses propos une véracité qui lui était propre. Il entendit qu'elle ne croyait pas, qu'elle ne pensait pas. Mais qu'elle savait. Elle en avait l'intime conviction. On essayait de l'empoisonner. On essayait de la tuer. Pourquoi, il n'y avait que l'embarras du choix. Et ce n'était pas le plus important. Elle avança une possibilité quant à la noss qu'elle avait convaincu de rester à l'écart, ou à la perte de son frère. Mais ces paroles ne portaient pas tant d'assurance. Sans doute parce qu'elle ne pouvait connaître les réelles motivations de cette Marniel.

 - Si vous m'accordez encore un certain crédit, ainsi qu'une confiance relative, je veux bien examiner plus avant votre sang, et vous dire s'il est effectivement empoisonné ou non. Et s'il n'y a pas de trace de toxine, alors peut-être qu'elle aura eu le temps d'être éliminée entre temps, puisque vous ne laissez plus personne vous administrer quoi que ce soit.

Il lui proposait là de lui ôter un souci, de soulager le poids de ses craintes et de son angoisse. Il n'avait aucune idée de ce qu'elle lui répondrait. Parce qu'elle pouvait sans aucun doute sentir la froideur qui émanait de lui, l'absence d'empathie, ou ne serait-ce que de sympathie à son égard. Il était connu pour cela, certes, mais ces derniers jours, il s'était montré sous un autre jour. Plus gai, plus ouvert. Moins distant. Alors peut-être s'attendait-elle à une toute autre approche, ou peut-être ne s'attendait-elle à rien de bien particulier. Toujours était-il que si on avait cherché à l'empoisonner, il le découvrirait. Et il agirait en conséquence.

« Vous pouvez avoir peur. Ce n'est pas mon problème. »

De toute façon, si rien ne changeait, elle n'en avait plus que pour quelques jours. Quelques ennéades si elle avait de la chance.

Si même un soigneur n'était pas capable de comprendre qu'on ne soignait pas un choc post-traumatique en enfonçant sans cesse la personne et en la coupant de tout soutient moral, il n'y avait plus rien à dire. Si même un elfe millénaire ne pouvait pas comprendre que ce n'était pas sa  soit disant jeunesse mais bien les siècles accumulés qui avaient forgé la créature qu'il avait sous les yeux, il n'y avait plus rien à faire. Si le propre malaise du guérisseur, celui de ceux qui regardent la mort dans les yeux en la voyant comme une ennemis et qui n'avait jamais pris consciemment la décision de prendre une vie pour une autre raison que la compassion que l'on doit aux mourants l'empêchait de se détacher de ses propres sentiments hostiles envers l'image d'échec que lui renvoyait la guerrière, elle n'était pas là pour lui ouvrir les yeux.

Elle respira, essayant d'oublier la déception que lui inspirait chacun des elfes qui foulaient le sol de ce camp, l'homme qui était près d'elle, en tête. Et accepta une seconde fois l'examen du mage.  Si quelqu'un pouvait s’apercevoir de ce qui coulait dans ses veines et drainaient peu à peu ses forces, c'était bien quelqu'un de son calibre après tout. Encore fallait-il qu'il cherche réellement et qu'il ne fasse pas seulement un examen superficiel.

 - Je n'ai pas peur. Et il me semblait bien avoir compris que l'égoïsme était de mise.

Dans ses propos, aucun reproche. Seulement une constatation. Rien de plus, rien de moins. Il était certes quelque peu déçu de son comportement. Mais aurait-il du s'attendre à autre chose, si tôt après son réveil ? Si elle paraissait relativement lucide, il remarquait aisément qu'elle n'était pas tout à fait elle même. Et absolument pas remise de ce qu'elle avait vécu. Les traces que l'affrontement avait laissé étaient encore bien présentes, son esprit encore embrumé, sa personne entière sur la défensive. Il n'en tirerait rien de plus, il fallait bien l'admettre. De toutes évidences, elle lui avait déjà donné ce qu'il était venu chercher, que demander d'autre ? Il pouvait presque sentir la brume qui se dissipait encore trop lentement autour de la dame protectrice d'Ardamir. Il savait qu'en sortant de cette tente, il allait devoir donner des directives. Qu'il allait devoir faire un rapport des plus complets sur l'état de l'elfe . Qu'il allait devoir prendre des décisions qui ne l'enchantaient guère. Mais c'était son devoir, de protéger son peuple. Son devoir de veiller à ce que les siens soient en sécurité. C'était sa responsabilité.

Quand il s'ouvrit de nouveau au flux, ce fut cette fois pour quelque chose de bien plus précis que la première fois. Il ne cherchait pas à savoir si elle avait encore d'importants traumas, si elle nécessitait des soins immédiats, qui demandaient peut-être trop d'énergie à ceux qui s'occupaient normalement d'elle, mais si son organisme contenait la moindre trace de poison. Il parcourait minutieusement chaque parcelle de tissu, chaque ramification artérielle, chaque portion d'os. Et il trouva quelque chose d'anormal. Une réponse défensive et massive de son organisme. Comme s'il avait détecté un corps étranger, comme s'il avait voulu éliminer une menace. Mais dont il ne trouvait aucune trace. Il avait beau chercher, encore et encore, aucune trace de toxine. Rien qui ne puisse justifier cette réponse immunitaire. Soit parce qu'elle n'en avait pas absorbé depuis quelques jours. Ou quelques heures. Soit parce qu'elle n'avait jamais existé. Il ne pouvait savoir, rien n'était en mesure de lui indiquer. Pas de dégradation particulière des tissus. Pas de troubles notables au niveau de ses reins, de son foie ou de son estomac. Rien non plus du côté du cerveau. Juste cette défense.

 - Bien. Votre corps a répondu à une agression interne. Je ne saurais vous dire si vous avez effectivement été empoisonnée, pas avec certitude. Mais c'est probable. Il est possible que ce ne soit pas là pure paranoïa.

Possible, parce qu'il n'en était pas certain. Il était aussi possible qu'elle ait monté cette histoire de toutes pièces et qu'elle y ait cru si fortement que son corps en avait produit une réponse. Il était possible qu'elle ait pu sentir le poison couler dans ses veines, les toxines la ronger de l'intérieur. Que son esprit ait eu une emprise si forte sur son corps que ce dernier s'était défendu. Mais cette théorie n'avait pas lieu d'être énoncée, parce qu'elle était tout aussi incertaine que la première. Et qu'elle serait sans aucun doute bien plus destructrice pour elle. Alors doucement, il se releva, laissa glisser sa main sur son torse, rompant le contact avec son focalisateur, et se dirigea vers le pan de toile qui servait de porte.

 - Je vous remercie de m'avoir accordé de votre temps. Je ne pense pas que nous puissions nous revoir avant longtemps, aussi je ne peux que vous souhaiter un rétablissement complet, peu importe le temps que cela prendra. Que Kÿria guide vos pas, Emel'Nediell.

Il doutait que ces paroles soient intégrées de la manière dont il les avait dites, mais elles étaient sincères. Elles n'étaient pas vides de sens et d'émotions, elles n'étaient pas seulement une marque de politesse, une manière de conclure relativement correctement leur échange. Il voulait qu'elle se rétablisse. Il voulait qu'elle trouve son chemin, qu'elle reprenne sa vie en main. Et si cela allait être difficile, il espérait tout de même qu'elle finisse par y arriver. Parce qu'il ne pouvait souhaiter à personne de se perdre dans les méandres de la noirceur de son esprit. Il savait plus que n'importe qui que lorsqu'on se laissait sombrer, le retour était fortement compromis.

Spoiler:

Elle aurait put le regarder sortir mais elle n'en fit rien. Elle se laissa lourdement retomber sur sa paillasse, le souffle court et le cœur battant du simple fait d'avoir remonté ses jambes dessus. Les yeux plantés au plafond, elle ne put s'empêcher d'ajouter une chose :

« Merci Anornedellon. »

Elle n'était ni froide ni ironique en prononçant ces mots… mais étrangement douce. Elle avait faillit ajouté une bénédiction pour sa femme et son frère, mais se rappela a temps que l'existence du frère en question était farouchement gardée secrète. Elle ne l'avait elle-même apprit qu'à demi mot. Par des amis bien instruits si elle se souvenait bien. En tout cas elle ne voulait pas que cela soit pris comme une menace. La gratitude qu'elle affirmait était bien réelle. Il avait essayé, lui. Mais si même lui n'arrivait à avoir de certitudes sur son état, alors personne ne pourrait… S'il ne choisissait pas d'enquêter de lui-même, le combat était perdu. Soit elle mourrait de faim et de soif, soit elle mourrait aux mains des Baar'Ane. La Secrète lui avait bien fait comprendre que la seconde option n'était pas très enviable…

Si elle devait rendre les armes, se serait selon ses conditions.

Elle trouverait peut-être quelque chose, quelqu'un, in extremis. Mais elle ne voulait pas passer ses derniers jours à lutter contre le désespoir à grand coup d'illusion. Elle aurait juste voulut savoir ou était Randil… et que surtout, Fenris n'ai jamais vent de ce qui avait eut lieu depuis la prise d'Eraison.

En quelques jours, elle se prenait de plus en plus souvent à penser à lui… Et c'était à chaque fois douloureux et serein, une sorte de nostalgie. Quoi qu'il se passe, elle savait qu'il ne pourrait pas comprendre. Avec lui, elle avait joué à celle qui ne sait pas. Elle avait posé un mouchoir sur la part d'elle-même qui ne correspondait pas à leur civilisation. Même Randil s'en était aperçu. Il lui en avait voulut… Et il avait raison. Le cavalier était un homme de valeur, sa douceur et son calme lui avaient permis d'envisager autre chose que le perpétuel combat qu'était sa vie depuis quatre siècles. Il lui avait fait affronté son passé, il avait apaisé ses craintes et calmé son coeur. Il était comme une ancre à laquelle elle s'était accroché pour garder son équilibre, une épaule sur laquelle elle s'était soudainement appuyée. Mais il était encore trop jeune et inexpérimenté pour être un véritable roc… Et même si cela n'avait pas été le cas, elle n'aurait voulut imposer ce qu'elle était à personne.

Il était l'exemple même du Citadin maître du moindre de ses instincts, conscientisant jusqu'à la plus petite émotion pour la comprendre avant d'accepter ou non de la vivre. Il savait gardé son intégrité dans le chaos, son calme dans la fureur des combats, sa compassion au milieux de la rage de tout un peuple. Il avait la vie devant lui et il irait sûrement plus loin que ses deux frères les plus reconnus… S'il ne portait pas le fardeau d'une femme brisée avant l'heure.

Elle rappela a son souvenir ses yeux si particulier et le fin sourire qui étirait son visage lorsqu'il gagnait lors de leurs parties amicales de jeu de stratégie. Sa voix toujours si mesurée… Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer des moyens détournés de l'ennuyer, juste pour le voir réagir.

Seule, elle sourit à demi.

La première fois qu'elle avait quitté sa maison, elle était à peine adulte. Lorsqu'elle était revenue, elle semblait plus âgés que ses propres parents. Elle se demanda soudain si cette fois, elle y gagnerait des cheveux blancs… Mais il y avait peu de chance. Personne d'important n'était mort après tout. Randil était en vie, quelque part. Peut-être un jour le reverrait-elle, comme elle revoyait son frère… L'immense loup gris-noir à la patte folle était près d'elle de plus en plus souvent. Il s'approchait également, venant la frôler de sa truffe glacée.

Et plus que les pertes, ce qu'elle affrontait ici, elle l'avait finalement déjà vécu. Elle se cachait de compatriotes qui ne pouvait pas la comprendre. Elle leur en voulait. Pour la peur qu'elle lisait dans leurs yeux, pour leur dégoût, leur incompréhension, elle leur en voulait. Qu'elle se voile la face ne servait a rien. Depuis son retour des terres humaines elle avait toujours caché une part d'elle-même pour échapper à ces regards. Tout ce qui bouillait à l'intérieur d'elle n'avait fait que rejoindre la surface après un temps de sommeil. Sa soif de sang et de vérité. Son besoin de vérité et d'authenticité. Paradoxalement, avec ce déchaînement de folie, douce ou furieuse, toute cette panique et cette colère, elle sentait moins la dualité qui l'habitait. Comme elle avait été totalement elfe ces derniers mois, elle avait l'impression d'avoir été totalement louve pour la dernière fois. Elle était… les deux. Réellement les deux… peut-être parce qu'elle avait perdu quelque chose.

Ses sens émoussés par la fatigue et les privations n'en étaient pas moins en éveil constant. Elle était à fleur de peau, grisée par chaque sensation comme au plus vif de ses souvenirs de sauvages… Mais elle sentait qu'elle pouvait les mettre à distance d'une simple pensée. D'un simple geste mental, elle pouvait choisir de se voir objectivement, de regarder passer ses émotions et ses sensations avec à peine plus d'empathie qu'on en a en les voyant se peindre sur le visage de quelqu'un d'autre. La peur, la douleur, le froid, la faim, tout cela ne l'affectait plus que de loin avec un peu de concentration. Il lui semblait être lucide malgré sa faiblesse. Elle raisonnait, rêvait, réfléchissait. Ses souvenirs se rangeaient à leur place sur l'échelle du temps avec une grande précision… Et pourtant c'était bien des griffes qu'elle voyait au bout des doigts de l'ombre qui la suivait. C'était bien un fantôme qui l'accompagnait de plus en plus souvent. Et les murmures, bien que lointains, n'avaient pas disparus pour autant.

Alors ici et maintenant, elle préférait fermer les yeux et se souvenir des bons moments pendant les quelques heures qu'elle avait encore a attendre avant que Marniel et ses deux gardes ne reviennent pour l'obliger à avaler quelque chose… de gré ou de force.

Un calme relatif s’était installé aux mouroirs dernièrement. Les cas les plus graves ont déjà été traités. La presque totalité des condamnés a déjà trouvé la mort. Ne restent maintenant plus que les moins à plaindre des infortunés ; ceux qui livrent leur dernière bataille et peut être leur plus grande. Le retour vers la normalité. Les guérisseurs les suivent maintenant plus qu’ils ne se battent pour les tenir. Lorsque la poigne de Tari se relâche, et que disparaît l’attraction des estropiés pour les profondeurs, alors herboristes et mages de Vie voient retomber l’intensité de leurs efforts… mais la charge de travail reste la même. Quand les victimes de la guerre cessent d’affluer c’est qu’elles sont déjà toutes rassemblées. Ils peuvent bien ne nécessiter que le passage d’un baume, l’administration d’un breuvage, ou la surveillance de la cicatrisation d’une blessure, les convalescents sont nombreux. Nombreux au point de mobiliser les plus vaillants d’entre eux pour s’occuper des plus touchés.

Voilà bientôt presque trois pleines ennéades que tu es passé entre les mains d’Anorndellon. Tu es fébrile encore, loin de tes pleines capacités. Tu restes encore presque totalement fermé aux flux, mais tu marches, et tu marches droit. Et puisque tu marches droit tu as décidé de servir de bras et de jambes à ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir utiliser les leurs. Tour à tour assistant du régent discutant avec lui d’une magie que tu ne peux pratiquer, commis autoproclamé de guérisseurs ayant mieux à faire que de perdre leur temps à des tâches ingrates, ou toi-même patient en attente de l’approbation de ton ange gardien et de ses toniques pour faire un pas de plus ; tu ne vois plus le temps passer. Heureusement tout de même lorsque vient le soir on t’autorise une échappée, et avant que tes yeux se ferment, tu peux profiter de sa présence, de ta mère venue te visiter. À ton grand bonheur, elle ne s’ennuie pas tant de ton absence, puisqu’elle aura vite trouvé sa place dans les activités du camp. Seule raison pour laquelle elle est ennuyée, en vérité, c’est parce que tu ne sais pas la duper. Et chaque fois avant que tu ne trouves le sommeil, elle te rappelle qu’il est des occasions où le sentiment se doit d’outrepasser la logique.

Et c’est finalement ce que tu as fait… et ce que tu aurais dû faire depuis bien longtemps. Si peu de temps passé sous l’autorité militaire, et voilà que tu donnais déjà trop d’importance à la loi. Toi qui a pour habitude de chercher à briser les conventions pour peu qu’elles ne te plaisent pas, et de critiquer les règles que tu considères faire plus de mal que de bien ; en voilà une qu’il t’aurait fallu depuis longtemps réformer. Mais tu avais peur, voilà tout. Parce qu’ils disaient que c’était ce qu’il y avait de mieux. Ils ont réussi à te convaincre que cela lui serait trop dangereux. Ils disaient qu’elle avait besoin de temps, mais aucun elfe en dehors d’exceptionnelles conditions ne devait avoir à subir l’isolement. Et si Halyalindë était un être exceptionnel, pour qui saurait la comprendre, son état ne l’était pas.  

Tu t’es démené comme un beau diable durant toute cette journée pour mieux oublier. Tu as fait de tes allées et venues un spectacle habituel au rythme inconstant. Tu surveillais, tu attendais ; et quand le Régent ferma le ballet des visites de la forteresse de solitude de la Protectrice d’Ardamir, tu compris que c’était là ta chance. Il y avait peu de chances que quiconque passe faire contre-visite à la suite de l’Archimage avant quelques heures. Voilà qui te donnait le temps de t’empresser de terminer ta tâche en cours et de profiter d’un instant dont elle et toi aviez probablement tous les deux grand besoin. Un véritable face à face. Sans qu’aucun d’entre vous ne soit dans l’empressement. Sans qu’aucun autre regard ne vienne vous oppresser.
Elle semblait en paix lorsque tu es entré. Sourire discret peint sur son visage endormi. Et pourtant elle était bien réveillée, mais ce n’était pas ton droit de la brusquer. Alors tu t’es simplement assis en tailleur à ses côtés, attendant qu’elle choisisse de te porter son intérêt. Qu’elle reste ainsi jusqu’à ce que tu doives partir ne t’aurait de toute manière pas dérangé, tu l’aurais accompagnée au moins en pensées… en père spirituel que tu es.

Elle entendit de nouveau le pan de toile se soulever et quelqu'un approcher. Mais si on ne la brusquait pas, elle n'avait aucune raison de se forcer à bouger. Son corps était bien trop lourd pour qu'elle accepte de se mouvoir sans une excellente raison de toute façon. L'air pesait sur tout son corps, la clouant sur le dos aussi sûrement d'une montagne de plomb.

Au bout d'un petit moment a écouter la respiration de celui qui s'était assis à côté d'elle, Halya tourna la tête en sa direction. Son pas et son souffle étaient ceux d'un homme, ça elle n'en avait pas vraiment de doute. Mais elle eut la surprise de voir apparaître le visage d'Estiam. Il avait l'air fatigué mais bien portant. Elle avait vaguement souvenir de l'avoir vu après Eraison, mais de là a savoir quand ou même pourquoi, il y avait un monde. Elle se souvenait seulement d'une grande douceur qui l'avait apaisée… Mais sa présence si peu de temps après la visite d'Anorn était bien trop simple.

Elle ne perdit pas son sourire pour autant, appréciant sa présence quelle qu'en soit la raison étant.

« Je pensais que tu était reparti à Alëandir. »

- Il me reste encore trop à faire ici.

Le sourire que tu lui rends n’est qu’à moitié sincère, car tu as beau être heureux de la savoir en vie et sur la voie de la guérison, ses mots te blessent à un point qu’elle n’imagine sûrement pas. Sans le savoir, elle venait de t’accuser de l’avoir abandonnée à son sort quand tu aurais dû lui prêter ton épaule dès le départ. Il était bien tard pour agir, mais au moins maintenant tu étais là.

Tu glisses doucement tes doigts au plus profond de sa courte crinière, massant presque instinctivement son crâne, comme si tu avais le pouvoir de l’apaiser plus qu’elle ne l’était déjà… ou alors peut-être à la recherche de son pardon ? Même toi tu ne saurais vraiment l’expliquer. Pourquoi tenter de trouver une motivation profonde à un geste dont la raison était aussi simple que l’envie d’enfin partager un moment de complicité avec celle que tu considères presque comme ta fille ? L’appréhension te force à intellectualiser ce qui n’a pas à l’être, et te voilà maintenant presque incapable de vivre pleinement l’instant. Et dire que c’était là l’une de tes plus grandes qualités. Tu soupires, longuement. Et tu fais fi de la trame temporelle. Tu es avec elle, ici et maintenant. Qu’elle t’en veuille de ne pas être venu plus tôt, elle te le dira. Qu’elle t’en veuille de ne pas être venu à sa recherche quand tu lui avais posé ce faux ultimatum et elle te le dira. Qu’elle ait quoi que ce soit à te reprocher, ce sera à elle de l’exprimer. Tu n’es pas venu pour lui apporter quoi que ce soit de négatif. En cette heure, un peu de sympathie devrait lui faire le plus grand bien.

- Si seulement tu entendais à quel point les guérisseurs sont dramatiques quand ils parlent de toi Halya, je ne sais pas si tu en rirais ou si tu en pleurerais.

Tu lances une œillade complice alors que tu fouilles de ta main libre la besace où tu ranges habituellement tes manuscrits et tes encres…

- Il paraît que tu refuses d’avaler quoi que ce soit.

… pour en sortir des baies.

- Alors j’ai espéré qu’au moins de moi tu les accepterais. Tu ris doucement Tu ne voudrais quand même pas que je me mette à me plaindre de comme tu as maigri j’espère. Tu oublies que j’ai un âge ! Je sais parfaitement radoter madame.

Et tu lui tendais la besace juste avant de piocher un des fruits sucrés et de le rouler sur ta langue.

Elle n'avait que faire de la culpabilité des autres. Et elle n'avait plus que faire de sa propre culpabilité. La société aurait voulu qu'elle en éprouve pour avoir attaquer et menacer plusieurs de ses frères, pour avoir fuit, désobéit à ses soigneurs ou refuser les traitements… mais en y repensant bien, elle n'arrivait pas à s'en vouloir vraiment. La seule chose qui différait de ce qu'elle s'était déjà pardonné était que cette fois, il y avait eut des témoins…

« Ne me regarde pas comme ça. Oui, je t'en veux, mais ça passera. Culpabilisé ne t'amènera a rien. » soupira-t-elle alors que les doigts d'Estiam se perdaient dans ses cheveux pour lui caresser la tête.

Si elle avait été un félin, elle aurait ronronné. Mais comme ce n'était pas le cas, elle se contenta d'un soupire de plaisir. Un frisson lui agita l'épaule. Un contact amical pouvait sauver une vie, elle en avait la certitude depuis longtemps, mais elle était toujours épatée de voir à quelle point cela pouvait changer son état d'esprit. Elle avait décidément passé bien trop de temps avec les loups pour vivre dans une culture aussi peu tactile que celles des elfes…

Elle étouffa un léger ricanement

« Ne t'inquiète pas, ils n'attendent pas d'être bien loin de mon royaume pour dire que je suis folle, dangereuse, paranoïaque ou que sais-je encore… »

Kÿria et Hwestalindë la seconde et la guide. Elle ne devait pas leur en garder rancune. Ils avaient agis pour le bien de tous après tout. Même Neraën n'était pas vraiment conscient de ses acts… Elle était ingérable, même elle le savait. Ils ne pouvaient pas savoir qu'un serpent dormait en leur sein… Serpent qu'elle avait apporté elle-même. Elle était la seule fautive de tout cela… elle le Gardien Voronwë… quant à cette soit disant Hydre…


« Ne t'en fait pas, je sais qu'ils pensaient bien faire. J'aurai juste aimée qu'ils fassent mieux… et que cette saleté de régent ne me parle pas comme si j'étais une bête sauvage qui avait mangé sa femme en me rabâchant que je suis la seule fautive de mon enfermement et que ce que j'ai fait à ce soigneur est l'act le plus monstrueux auquel il n'ait jamais assisté. Qu'il pose son cul sur un champ de bataille un jour pour voir les décisions que l'ont est obligé de prendre en cas de problème. Pour lui la mort est toujours une ennemis et il passe son temps à la combattre sous toutes ses formes. Et il y penses à ceux qui la donnent ? Ceux qui pour sauver les même vies que lui sont obligé de regarder mourir vie après vie jusqu'à ce que voir s'éteindre une créature de la mère ne fasse plus parti que d'un grand tout ?

On se sali les mains pour eux.

Tant que cette barbarie qui est soit disant indigne de notre peuple est dirigé contre quelqu'un d'autre, là, il n'y a rien à redire. Mais qu'il voit ce qu'est l'Instinct offert par notre mère et ils partent en courant ? Cet homme a-t-il déjà regarder un seul de nos soldats dans les yeux ? Il n'a pas vu la haine ? La soif de vengeance ? Voilà ce qu'il devrait réellement craindre. Pas l'expression viscérale de l'amour que je porte à ma meute. »

Elle avait parlé d'une traite, comme si on avait percé une outre trop peine avec une tête de flèche. Son regard était resté dans celui d'Estiam, mais elle était autant dans ses souvenirs que dans la réalité… Il fallait croire que la solitude lui pesait plus qu'elle ne voulait l'admettre…

Lorsqu'elle se rendit compte du flot de parole qu'elle venait de déversé sur son ami, elle sourit, toujours mi figue, mi raisin, mais son regard avait retrouvée toute son intensité. Comme dans son plus récent souvenir, elle ressentait une gratitude immense à son égard. Pour la première fois depuis une éternité, on ne la jugeait pas, on ne la prenait pas en pitié, on n'était pas dégoûté en posant les yeux sur elle.

Elle rit de nouveau quand il menaça de radoté. Oui, elle le croyait sur parole… bien qu'à présent, il paraissait sûrement plus jeune qu'elle.

« Dit moi que tu es allé les chercher toi même, que ce soit dans les provision ou sur une branche, et je les mangerai avec plaisir. Je meurs littéralement de faim. » ajouta-t-elle avec un rire sans joie.

Résignée ? Oui tout a fait. Mais la vue de nourriture qu'elle savait consommable était bien trop alléchante pour qu'elle les refuses, même si elle savait que le sursaut d'énergie la ferait sûrement d'autant plus souffrir dans les jours a venir si la manière dont elle était traité ne changeait pas.

« Tu sais, je ne fais pas ça par plaisir ou pas envie d'en finir. Tu es largement plus dans les normes du mal de l'éternité que moi d'ailleurs ! » glissa-t-elle comme une pique d'humour noir « J'essayais juste de rester en vie. Mais quand je m'en suis aperçu, il était déjà un peu trop tard.»

A-t-elle choisi de faire le même cheminement psychologique que toi, ou s’est-elle retrouvée obligée d’oublier certaines douleurs pour ne pas crouler sous les peines ? Oui elle t’en veut, comme elle leur en veut. Elle est en colère contre tout un monde, mais elle continue de sourire. Elle serait la seule à trouver la destruction si elle ne souriait pas, et quoi qu’en disent les rides creusées par la souffrance sur son visage, elle veut toujours vivre. Tout ce qu’elle a fait jusque ici, tout ce pourquoi on l’a faite folle, esprit malade, c’est parce qu’elle voulait vivre.

Elle parle, elle parle, elle se noie dans ses propres mots mais jamais elle ne se perd dans du non-sens. La folle, la paranoïaque, la dangereuse qu’ils décrivent semble à l’heure qu’il est bien lucide, et autant victime qu’elle s’est faite agresseur. Ironie du sort, elle fait preuve d’une capacité de jugement peut-être plus poussée que celle utilisée par ceux qui la condamnent. Là où ils tiennent la fragilité de son esprit pour seule responsable des tragédies jouées dans les mouroirs, elle est consciente de tout. Elle se sait avoir agi avec violence, mais elle sait aussi les causes de ses agissements. Et parce qu’elle sait la portée de ses propres actes, elle peut se permettre de se justifier, et de porter accusation sur ceux qui se considèrent dans cette histoire comme les innocents.

- Blâmer un guérisseur parce que la mort lui fait peur n’est pas une solution Oloriël. C’est vrai, ils ne savent pas comme verser volontairement la mort peut changer un cœur, mais eux font un tout autre combat. Une fois passée la porte des dispensaires, la mort devient le seul et unique ennemi. Comment veux-tu qu’ils voient la soif de vengeance dans les pupilles de nos soldats quand bien souvent les estropiés leur arrivent soit l’œil déjà fermé à attendre que Tari leur offre le repos, soit le regard convulsé par la peur et la douleur.
La guerre est une expérience dont on ne peut comprendre les implications qu’en la vivant à la première personne. Tu ne l’as toi-même découvert que trop tard En attendant le jour où Anorndellon marchera avec les soldats, tu ne peux qu’en appeler à son empathie, mais malheureusement l’empathie de celui qui ne sait pas ta douleur ne sera jamais parfaite.

Et puis il y avait Randil. Le loup géant son enfant porté disparu. Il avait été lui aussi emprisonné, jusqu’à finalement réussir à s’enfuir, traînant derrière lui le poids de la mort d’une mère qui le cherche sans en avoir la force.

- Et tu ne dois pas oublier, qu’ils ne te connaissent pas, ou alors, qu’à moitié. Pour eux, tu es Halyalindë Yasairava, Dame-Protectrice d’Ardamir ; pas Arava l’épouse d’un Homme et encore moins mère des loups. Randil n’est sûrement à leurs yeux qu’un familier que tu affectionnes comme un cavalier aime sa monture, pas comme une mère aime son enfant. Tu vois maintenant en quoi ton geste leur est illégitime ?

Qu’elle ne s’accable pas du fait que tu ne cherches pas à la défendre à tous prix, car tu ne vois aucun innocent dans cette histoire. Il n’y a que des elfes fatigués, en colère, et conduits par l’ignorance et la frustration. Des âmes brûlées par les éclairs pleuvant sous le climat de guerre.

- Mais pour l’instant, si tu comptes vraiment survivre, je te conseille de me faire comprendre que je ne suis pas allé faire ma cueillette pour rien, sinon je m’occuperai de toi personnellement.

Peut-être serait-ce plus profitable pour elle justement, que tu t’en occupes personnellement.

- J’aurais aimé te rapporter un peu de viande, mais les provisions sont farouchement gardées, et impossible pour moi de chasser dans mon état. Être privé de ma magie m’aura fait comprendre qu’il n’est pas bon pour un descendant d’Ornedhel d’être à peine capable d’empoigner un arc.

Tu ris, et l’observe d’un air satisfait lorsqu’elle finit par accepter de piocher dans ta cueillette. Un peu de sucre n’a jamais fait de mal à personne. Tu l’espères, manger lui redonnera l’appétit nécessaire pour accepter de s’alimenter. Ta main quitte enfin le sommet de son crâne, sans pour autant quitter la surface de sa peau. C’est sa joue que tu flattes maintenant, d’une caresse plus douce, plus intime.

- Mais je ne comprends pas. Tu n’as aucun désir de dépérir. Alors pourquoi refuser de t’alimenter ? De quoi est-ce que tu t’es aperçu ?

« Je connais leur raison. Pas la peine d'essayer de justifier leurs actes… Même si ça me déplais, elle son aussi bonnes que les miennes. » ajouta-t-elle ironiquement.

Mais sans plus rechignée, elle se redressa lentement, péniblement. L'espace d'un instant, son hôte peut apercevoir l'étrange mèche blanche qui orne l'arrière de sa tête. Puis elle piqua la première baie que lui tendait le mage… et s'arrêta à mi-parcours de sa bouche lorsqu'elle l'entendit parlé de son état.

« Tu… as perdu ta magie ? »

Ses yeux s'étaient écarquillés. Elle n'y connaissait strictement rien en magie… a part que les incantations demandaient du temps et de la concentration pouvant être mis à profit pour terrasser son utilisateur. Mais jamais elle n'avait entendu parler d'un mage ayant perdu toute possibilité d'utiliser son art… L'horreur de la situation pour un homme qui avait passé toute sa vie à développer ce don de Kÿria.

« Tu es sûr que ça va ? »

- Mais j’imagine que ça ne les exempte quand même pas d’un peu de compassion.

Tu renchéris du tac au tac à la remarche de la Protectrice, d’autant plus agacé par les attitudes qu’elle décrivait qu’elle en est la victime presque soumise. Accompagner durant tout ce temps Anorndellon dans les mouroirs t’aura fait comprendre à quel point il peut être inflexible et sévère… au point parfois de pousser ses compères dans leurs retranchement. Tu ne le voyais pas moins comme un excellent leader. Ton investissement émotionnel auprès d’Halyalindë te pousserait presque à questionner ton avis premier. Après tout, comment un leader ne s’intéressant pas assez aux motivations de ses subordonnés pourrait-il les guider à travers les bons sentiers ? Parce que c’est bien ce qu’Halya venait de décrire : un grossier manque d’intérêt, qui s’il avait été comblé, aurait très certainement laissé la Louve plus en paix, et la Dame en meilleure conditions pour récupérer.

Tu soutiens délicatement ton amie, l’accompagnant dans ses gestes alors qu’elle se redresse, réfrène un « Haha ! » quand ses doigts s’emparent d’un des fruits, mais manque presque de t’étrangler à la vue de la discontinuité de la flamboyance de sa chevelure. Son visage était tiré, mais la fatigue, la faim et la soif y ayant creusé leurs marques, il t’est difficile de juger de sa véritable évolution. Le crin blanchissant ne ment pas. Alors c’est à ce point qu’elle souffrait, et elle trouvait encore le moyen de s’inquiéter pour toi… Sans véritablement attendre son consentement, tu refermes sur toi-même le bras qui la soutenait il y a encore quelques secondes de cela pour lui offrir la chaleureuse étreinte qu’elle mérite amplement depuis tout ce temps.

- Ne t’inquiète pas pour moi Halya. Je vais bien. Mieux que beaucoup d’autres J’ai été forcé de m’exposer à de fortes doses de magie durant la bataille. Plus que mon corps ne pouvait en supporter. J’en paie le prix maintenant. Mais je suis vivant, en un seul morceau et je tiens sur mes jambes.

Tu minimises. Tu minimises beaucoup. Pour un elfe s’étant tant appliqué à atteindre un tel niveau dans son art, pour un mage dont la magie ne représente pas qu’un outil, mais une véritable partie de lui-même, une capacité fondamentale dont il se sert tous les jours, au même titre que la marche ou la parole, ton état est un véritable cauchemar. Ce faisant tu t’appliques à l’oublier, à te tenir occupé à essayer de comprendre la magie des autres à travers ta sensibilité amoindrie et tu t’accroches à la promesse d’une guérison.

- Je ne suis pas encore en certain d’être capable de m’ouvrir à nouveau aux flux sans me briser à nouveau, alors je m’abstiens. Mais je vais bien. Ce n’est qu’une question d’ennéades avant que mes plaies soient guéries et que je sois à nouveau en pleine possession de mes moyens. Tu lui adresses un rictus complice qu’elle n’aura évidemment pas pu voir dans votre position Velicënor, le chef guerrier de ma Noss disait que lorsque l’on semble avoir atteint sa limite, il faut se détruire pour se reconstruire plus fort. Mon corps lui a donné raison, espérons que ma magie fera de même.

Tu t’écartes maintenant, pour lui faire face. Pour qu’elle ne puisse pas échapper à la question cette fois-ci.

- Mais toi Halya, pourquoi te détruire maintenant ? Pourquoi est-ce que tu refuses de t’alimenter ? tu jettes un coup d’œil à ta besace Tu as faim, tu l’as dit toi-même. Il y a un problème avec la nourriture que t’apportent les elfes du dispensaire ?

Elle accepta l'explication d'Estiam, peut-être trop fatiguée pour s'apercevoir qu'il y avait bien plus qu'il ne le disait. Elle sourit, incroyablement détendue par sa présence.

« Elle le fera. Tu sera aussi puissant qu'avant, n'en ait aucun doute » répondit-elle a son anecdote.

Au moment ou il s'écarta, elle soupire… et fut prise d'une crise de hoquet. Après plusieurs ennéades à être si contractée qu'elle en respirait à peine, son diaphragmes avait l'air de ne plus savoir ou il en était. Après trois ou quatre sursaut douloureux pour sa carcasse, Halya parvint a juguler la quinte.

« Pardon. » Articula-t-elle sur le dernier hoquet.

Enfin, elle put avaler une baie. Le goût acide et sucré la fit grimacer… et son estomac comme son cerveau hurlèrent à la mort pour en avoir plus. Elle en avala précipitamment quatre de plus, les mâchant à peine, et manqua de s'étouffer avec la cinquième avant d'enfin répondre a la question qu'Estiam ne manquerait pas de lui reposer, encore et encore.

Elle hésitait franchement a lui dire. Elle ne voulait pas voir le doute, la méfiance, la crainte ou pire encore la pitié envahir ce regard amical. Mais c'était aussi parce qu'il était son ami, parce qu'il était CET ami, qu'elle pouvait lui dire, non ?

« Ils me forcent a boire et a manger un peu. Et crois moi, j'ai aussi soif que faim… Mais je n'essaie pas de me détruire. J'essaie de survivre. Je suis sûr que... »

Non l'aborder de cette façon n'était pas une bonne idée, commencer par le commencement, voilà.

« J'ai totalement perdu pied. Plus que jamais… et tu sais ce que cela signifie pour moi. J'étais incapable de me repérer dans le temps, je voyais des choses… toujours plus étranges. Des scènes de mon passé, des gens que j'ai connu, des angoisses devenues réalité. Très rarement, je me rendais compte de ce qui était en train de se produire. Je me suis souvenu de Randil… De l'avoir vu attaché. Alors je me suis enfuit. Plusieurs fois je crois.

Mais une fois, ils ont mis longtemps a me retrouvé. Plusieurs heures. Une journée peut-être, je ne sais pas. Ça a suffit pour que je comprenne que quelque chose n'allait pas. Que ça ne venait pas que de moi. Alors j'ai… j'ai demandé à Kÿria de m'aider. J'ai prié… et j'ai invoquer la protection de la Secrète et de la Paisible. J'ai prononcé leurs noms. Et j'ai été… plutôt j'ai vu le Gardien Voronwë, le chef de la guérisseuse Noss qui m'accompagne, et du guerrier que tu as rencontré à Alëandir… Le guerrier est mort pendant l'assaut d'Eraison et elle est la seule a s'être proposer de me soigner après l'incident à mon réveil. Jusqu'à ce que je refuse de m'alimenter, elle était la seule à m'approcher… »

Elle se rendit compte qu'elle s'était perdu dans son explication et reprit.

« Enfin. J'ai vu le Gardien Voronwë me mettre a mort après que Marniel m'ait droguée pour me ramener à lui. Lorsque j'ai repris mes esprit, j'ai encore une fois appeler leurs noms. J'étais bouleversée… je ne comprenais pas… je leur ai demandé un indice, un signe, n'importe quoi qui m'aiderai à retrouver mon chemin. Et c'est à ce moment que Marniel m'a retrouvée.

Alors j'ai compris. La Secrète m'a montré ce qui aurait put être… ce qui le peut toujours en fait. Cela fait des jours que Marniel m'empoisonne. C'est pour ça que je n'avais plus prise sur rien. Pour ça que j'ai attaqué ces gens et tenter de me suicider. Elle veut ma mort. Elle veut se venger, venger son frère et venger son chef. »

Elle soupira, détournant le regard de celui d'Estiam.

« J'ai essayé de prévenir chaque personne que j'ai croisé. Ils m'ont tous cru à un délire de plus. Alors je continuer de prier. La Paisible m'aide a garder l'esprit clair… Et puisse Kÿria faire en sorte que je ne finisse pas par haïr ceux qui ont essayer de s'occuper de moi sans comprendre…

La seule chose que je peux faire en attendant, c'est éviter par tout les moyens d'être de nouveau intoxiquée. Je refuse médicament, boisson et nourriture. Et ça a marché… J'ai l'esprit plus clair. Les hallucinations ont presque toutes disparues. Même les voix sont beaucoup moins forte… Comme tu le vois je ne suis pas remise pour autant.

Tout a l'heure, Anorn m'a auscultée. Il n'a rien trouvé qui prouve ce que je dis. Alors je n'ai plus trop d'option. Je suis contente que tu sois venu. »

Contrairement à beaucoup d’autres, tu aimes ces moments. Il est de petits instants dans une vie où l’adulte, qu’il ait deux siècles ou deux cycles retombe en enfance. On est ce que l’on est que grâce à ce que l’on a autrefois été, et il est bon parfois pour échapper à de vaines anxiétés de laisser place à l’enfant qui sommeille toujours dans un coin de notre mémoire. Parfois l’être innocent qui ne réfléchit pas plus loin qu’à l’heure d’après est celui qui prend les meilleurs décisions, comme l’avait fait Halyalindë en acceptant… peut-être un peu trop vite, de se sustenter un minimum. Le hoquet lui donnait l’air plus vulnérable qu’elle ne l’était déjà, et malgré ses traits tirés, elle en paraissait presque rajeunie, comme lavée de la culpabilité accumulée au cours de son demi-cycle d’existence. Restait à espérer qu’elle ne s’étrangle pas. Après avoir survécu à autant, il serait ironique de quitter ce monde d’une telle façon.

Au moins s’était-elle décidée à répondre à la question que par deux fois tu lui as posé, et tu sais que s’il t’a fallu te répéter pour obtenir éclaircissement, c’est qu’elle a de terribles raisons de tout garder secret. Tu n’as pour souvenir qu’une seule occasion à laquelle elle aura refusé de se dévoiler, et elle remonte à plusieurs centaines d’années maintenant. Elle était encore mère des loups, esprit déjà faisant semblant de fuir sa culpabilité pour au final s’y embourber. Esprit d’amour prêt à tuer pour ceux qu’elle affectionne. En ce temps-là tu lui as laissé l’occasion de te tuer, et aujourd’hui tu es certain qu’elle tuerait pour ta vie. J'ai totalement perdu pied. Plus que jamais… Et tu sais que cela voulait dire que sa confusion était plus profonde encore que lorsqu’elle a rejeté son appartenance à sa propre race. Elle était confuse alors et voilà qu’à la seule évocation de ce sentiment elle en perd la boussole. Heureusement l’instinct de l’Elfe-Louve l’aidera à retrouver le Nord.

Elle parle avec une conviction d’un incroyable naturel, sans forcer les mots, sans réfléchir, comme si tout cela n’était qu’évidence Elle veut ma mort. Elle veut se venger, venger son frère et venger son chef. Ce sont pourtant de graves accusations qu’elle fait devant toi. Ce qu’elle décrit là, plus qu’une simple vengeance devenait un acte de cruauté, et pire qu’un acte de cruauté, devenait un acte de traîtrise. Une traîtrise en temps de guerre, venue d’entre ceux sur qui l’on comptait le plus maintenant, des guérisseurs sur qui repose le devenir des derniers blessés. Il y avait de quoi créer un véritable scandale, faire monter les voix plus haut que de nécessaire et perturber un équilibre fragile… voilà pourquoi elle ne voulait rien dire.

- Si tu as encore le moindre doute, je ne pourrai pas te confirmer que tu dis vrai. Tu lui souris sincèrement, le visage paradoxalement marqué d’un grand sérieux Mais je te fais confiance.

L’ancienne ombre d’Halyalindë était un elfe du Baar’Ane, et voilà que tu apprends que sa guérisseuse l’est aussi. Voilà que tu apprends qu’elle a déjà directement eu affaire au Gardien, chef du clan, et quoique tu ne connaisses pas l’homme, les légendes en font sombre éloge. Sous le couvert de l’Anaëh, les légendes sont presque toutes témoignages de vérité. Le Baar’Ane était une créature terrible, un monstre de destruction, qui aura malheureusement laissé sa trace dans votre peuple. C’est du fardeau qu’il leur est que naît la réputée cruauté de ses Gardiens. C’est de son influence que naîtrait la violence du clan portant son nom. Que l’une d’entre eux cherche à venger son chef n’aurait rien d’étonnant.

- Les elfes du Baar’Ane ne sont pas réputés pour leur miséricorde. Mais la tâche d’un guérisseur reste d’aider son patient. Si tu te portes mieux en l’absence de traitement, je suis persuadé que sans avoir à faire trop de remous, les autres réagiront. Tu marques une pause, le temps de réfléchir. Ecoute, je vais rester avec toi jusqu’à leur prochaine visite, et j’essaierai de les convaincre de me laisser t’apporter nourriture et boisson. Si ton état s’améliore dans les jours suivants, alors ils n’auront aucune raison de revenir à l’ancienne formule. Et avec un peu de chance, ce sera la fin de ton calvaire.

Tu lui poses une bise sur la tempe avant de conclure.

- Je suis triste de ne pas être venu plus tôt.

« Arrêtes, je t'ai dis que t'en vouloir ne servait à rien. Ce que tu fais maintenant est suffisant »

Elle sourit.

« Tu me crois. C'est tout ce qui compte pour moi. »

Plus que n'importe quoi d'autre.

« Ils ne devraient pas beaucoup tarder de toute façon… Mais en attendant, je peux manger d'autres baies ? »

Elle avait le coeur plus léger d'un coup. Tout en mangeant encore un peu, et moins vite cette fois-ci, elle discuta des dernières ennéades, du temps et du passé avec Estiam… Mais sa prédiction se réalisa bien trop vite à son goût.

Comme chaque jour, on frappa deux coups sur le tréteau qui permettait de tendre la bâche de la tente avant qu'une petite silhouette ne se faufile a l'intérieur. Mais contrairement à d'habitude, elle s'arrêta, interdite face à la présence d'Estiam.

« Je vois que tu as de la visite aujourd'hui, Dame Halyalindë. Tu as l'air en forme. »

Son ton était calme, plutôt avenant, mais son visage restait parfaitement neutre. Pas un sourire. Pas un geste d'agacement. Un masque parfait derrière lequel discerner avec certitude la moindre émotion était peine perdue. Son regard étrange passa d'Halya à son hôte.

« Excuse moi, mais nous devons nous occuper d'elle, tu pourras revenir après. »

Dans l'embrasure, sur ses talons, on pouvait apercevoir deux garde portant les couleurs d'Ardamir. L'un d'eux était le jeune Limier qui avait combattu le mage sombre au côté de la protectrice, l'autre sûrement un garde de confiance. Vu l'attention qu'ils portaient à ce qui se déroulait à l'intérieur, il était difficile de savoir s'ils étaient là pour garder l'entrée ou s'ils attendaient un ordre de la guérisseuse.

- Si je les ai apportées, c’est bien pour que tu les manges. Fais-toi plaisir. Sers-toi.

Avant de se retrouver face au jugement du corps médicale possiblement corrompu de ce dispensaire, autant prendre le temps de partager du bon temps, et c’est ce que vous avez fait. Parler du passé du présent, mais très peu du futur, puisque vous vous y accordiez, il était incertain. Des discussions lourdes de sens jouées comme étant légères, des discussions légères auxquelles vous vous amusiez à donner plus de poids qu’elles ne le méritaient. Le temps cruel ennemi, il ne se gêna pas pour vous rappeler à l’ordre.

Difficile de dire si tu sus rester de marbre face à la guérisseuse. Tu fis l’effort de ne rien laisser paraître, mais une pointe d’agacement se détacha tout de même d’un bout de sourcil. Après tout, elle venait d’interrompre ce que l’on pourrait presque appeler des retrouvailles, lorsqu’on sait jusqu’où la Protectrice est partie sans bouger. Tu y mis tout de même la forme et le respect dû à l’elfe du Baar’Ane et à ses suivant, te levant pour leur adresser de dignes salutations. Ta haute taille et ta forte carrure mises en contraste avec la petite elfe, en particulier quand son visage habituellement si impassible se retrouvait pour la fraction de seconde que cela avait duré, traversé par la surprise donnaient naissance à une scène qui vue de l’extérieur, et par un œil averti, devait être amusante. Il en faudrait plus cependant pour réellement interloquer le bout de femme, et elle fut prompte à te renvoyer à d’autres affaires pour reprendre les siennes. Ce que tu ne comptais bien sûr pas la laisser faire.

- À ce sujet, je vous prie de m’excuser d’ainsi interférer dans votre travail, mais ne pourriez-vous pas me laisser reprendre le flambeau à partir de maintenant ? Halyalindë me semble avoir passé l’étape où les soins lui sont nécessaires, il ne s’agit plus maintenant que de la surveiller et de l’accompagner dans sa guérison. Pas de la retarder Si elle continue de refuser de s’alimenter, elle ne fera que continuer de dépérir. Je suis une vieille connaissance, elle me fait confiance. Laissez-moi m’occuper d'elle, ne serait-ce que de lui rapporter à manger et elle ne devrait pas tarder à mieux se porter.

Si la guérisseuse refusait, Halya pourrait toujours t’épauler. Qui sait mieux ce dont il a besoin que le sujet de l’attention lui-même ? Et si Halya clamait cela lui être profitable, alors tu espérais au moins son compagnon limier se ranger du côté de sa Protectrice. Il avait combattu avec vous là-bas, tu ne pouvais qu’espérer que cela lui suffise à t’accorder la moindre confiance. Tu préférerais quand même qu'elle ne tarde pas à accepter... parce que tu te connais. Un refus trop catégorique, et au vu des circonstances, tu serais prompt à t'emporter.

Quel que soit l'origine de cet homme, il venait marcher sur ses plates bandes et c'était une chose des plus agaçantes.

« Ce n'est pas de nourriture que Dame Halyalindë a le plus besoin. Vous avez raison, la proximité de proches est importante et je serais ravie que vous reveniez après, mais elle a encore besoin de nos remèdes. Si vous voulez. »

Devant la salve de protestation qui se leva, elle leva la main et ajouta avec le même calme :

« Retrouver la robustesse de son corps sans avoir retrouvé ses esprits serait dangereux pour tout le monde. Je pense que tu es au moins d'accord avec ça, Dame Halyalindë. »

Ses yeux perçant clouèrent la Protectrice sur place. Elle ne pouvait pas répondre nan sans passer pour folle dangereuse et inconsciente du danger qu'elle représentait et ne pouvait pas répondre oui sans risquer sa propre vie… alors elle ne répondrait rien. Elle sourit, d'un air de défi, comme si elle saluait un adversaire veillant.

Derrière la guérisseuse, Him entra à son tour, se faisant reconnaître comme le Limier qui suivait Halya depuis Alëandir, celui là même qui avait finit par changer l'opinion que le guerrier Baar'Ane s'était fait des citadins.

« S'il vous plaît, je sais que vous êtes un de ses amis de longue date mais ne rendez pas les choses plus difficile. »

Et que recommençait la même rengaine. Comme quoi la nourriture et la boisson ne suffiraient pas, que les remèdes seraient nécessaires. Tu doutes fortement qu’une guérisseuse digne de ce nom ignore qu’en dehors de rares cas d’infections de forte virulence, il est bien plus important pour n’importe quel être vivant affamé de s’alimenter plutôt que de se voir administrer une quelconque médecine. Et Halyalindë n’était symptomatique d’aucun grave désordre du corps. Il est vrai que son esprit gagnerait à encore un peu s’éclaircir, mais elle était loin d’être complètement folle. Elle interagissait avec toi à l’instant de la manière la plus logique du monde. Elle avait interagi avec Anorn quelques temps auparavant sans alarmer l’Archimage. Elle comprenait par-delà les mots ce que lui insinuait celle qu’elle voit comme son bourreau. Il fallait la sortir de l’asile avant que les fous, les vrais, ne l’emportent.

- J’aimerais ne pas rendre les choses plus difficiles, mais les seuls maux que vous lui diagnostiquez sont ceux supposément ancrés dans sa pensée et pourtant voilà plusieurs jours qu’elle partage un discours intelligible avec ses visiteurs. Lorsque la faim et la soif auront fini de l’épuiser, et que c’est son ventre qui lui tournera la tête, continuerez-vous de la dire folle et de lui abreuver les mêmes remèdes jusqu’à ce qu’elle cesse de se réveiller pour les avaler ?

Tu restes encore calme, tu gardes ton sérieux, mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir comme l’état de la Protectrice te tient à cœur. Seul un Homme dans le plus profond  déni pourrait sincèrement te dire que tu veux du mal à celle que tu appelles ta fille. Ta fille dont on dispute le futur sans même daigner la concerter.

- Lorsque la maladie frappe, le corps d’instinct sait ce dont il a besoin. L’être réagit pour se protéger. Alors maintenant qu’elle en est capable, il est temps d’arrêter de la traiter comme une bête inconsciente et de lui demander ce dont elle a réellement besoin.

Et à ce que tu vois, la seule chose dont elle a besoin, c’est de quelqu’un qui lui fera confiance. La seule chose dont elle a besoin, en dehors de Randil, c’est toi.

- Je ne vous demande de me la confier que quelques jours. Même à l’extérieur je suis certain de pouvoir la gérer, et le campement est petit, en cas de problème, j’aurai vite fait de venir vous trouver.


Tu t'accroupis auprès de l'elfe rousse, les lèvres à portée de son oreille pour lui chuchoter.

- Vas-y Oloriël, parle. Fais-leur comprendre que tu les comprends bien, que tu n'es pas folle. Montre leur que tu es pleinement capable de logique.

Alors elle avait finalement réussit à convaincre quelqu'un de la réalité de son délire… Marniel soupira, perdant un instant la neutralité qui la caractérisait pour une certaine lassitude. Tout comme elle, Him écouta attentivement le plaidoyer de l'elfe à la peau cuivrée et le détailla aussi attentivement que sa Protectrice. Il parlait beaucoup, mais elle ne répondait rien, ne l'appuyait pas. A la fin de son discours enflammé, le nouveau venu se tourna vers la rouquine pour lui souffler quelque chose à l'oreille. Un esprit malléable influencer par un homme aux bonnes intentions… Et combien de jour de plus tiendrait-elle dans son délire grâce à ces quelques mots ?

-Pour leur dire quoi, Estiam ? Ils empestent la peur. On ne peut pas raisonner la peur. Leur réaction sera la même que celle de notre cher responsable des dispensaires. Elle eut un sourire désabusé.

-Dame Halyalindë. Si je te confiais à cet homme, accepterais-tu plus facilement de manger et de prendre ton traitement ?

Marniel faisait un pas vers sa patiente… Ou du moins elle semblait en faire un avec une certaine bienveillance. La était toujours la grande question cependant. Tant qu'elle refusait de suivre les prescriptions, les paroles d'Halya n'avaient que peu de crédit… mais elle pouvait toujours tenter.

-Je mangerai et je boirai tout ce qu'il m'apportera. Mais plus de médecine. Je n'en ai pas besoin.

Le Limier posa une main apaisante sur l'épaule de la guérisseuse, couvant la Dame d'Ardamir d'un œil compatissant. Sans demander aucune permission, et coupant presque la parole de la guérisseuse, il s'avança finalement de deux pas. Son armure de maille et d'écaille tout comme son profile typique de Taledhel tranchait avec les autres occupants de la tente.

-Sir Mage, puis-je vous parler un instant. Inutile de sortir si vous ne le voulez pas, mais rester ainsi face à face comme deux meutes de chien près à se sauter à la gorge n'ai bon pour les nerfs de personnes.

Lorsque le Noss l'eut rejoint, il parla a voix si basse qu'il n'était pas même certain que son interlocuteur entende précisément chacun de ses mots, mais quitte à en répéter quelques passages, il voulait être sûr que personne ne l'entendre.

-Je ne sais pas combien de temps vous avez discuté avec elle, mais même si elle a retrouvé depuis peu une certaine lucidité, cela reste tout relatif. Si elle ne vous l'a pas dit, elle entend des voix, voit des personnes et s'adresse même à elles de temps à autres sans se rendre compte qu'elles n'existent pas. Un prêtre de Tari est venu la voir pour essayer de calmer son esprit mais il est ressorti presque plus choquée qu'elle ne l'était. Sa magie n'a trouvé ni âme, ni esprit. Seulement ce qu'il nous a décrit comme des miettes, des échos. Nous ne savons toujours pas si son mal est d'origine magique ou psychique, mais nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu'elle sombre de nouveau sans aucun signe avant-coureur.

Il s'arrêta pour s'assurer que le mage avait bien suivit et comprit jusque là avant de reprendre pour terminer son explication.

-Vous savez, les médecines qu'elle refuse de prendre son principalement des sédatifs et des plantes apaisantes. Si nous insistons autant pour qu'elle continue a les prendre, c'est parce qu'elle s'est non seulement montré agressive à plusieurs reprises et sans raison apparente… Mais parce qu'elle a également essayé de s'ôter la vie. On l'a retrouvée avec un dague dans une mains et une griffe dans l'autre. Heureusement, son esprit embrumé l'a fait taper bien trop bas pour atteindre le cœur, sans quoi Marniel n'aurait rien put faire.  

Même sans la magie, elle présente tous les symptômes d'un traumatisme. J'étais là devant ce mage noir, j'ai pris comme vous la vague de plein fouet et je dois la vie à cette femme… Mais ce n'est pas la première fois que je vois ça. D'anciens compagnons d'armes présentaient les mêmes manies. Anxiété, délires, paranoïa, pulsions destructrices et sentiment de persécution. C'est sûrement plus facile pour elle de projeter son malaise sur un éventuel empoisonneur que de faire face à ce qu'elle a fait à ce pauvre guérisseur à son réveil… Elle peut se montrer très convaincante ; j'ai moi-même eut quelques doutes lorsque son comportement est redevenu cohérent ; mais cela ne tien pas debout. J'en ai parlé à d'autres guérisseurs et les symptômes sont clairs pour eux. Elle cherche simplement un coupable extérieur. Et a chaque fois que quelqu'un prend sa défense, cela ne fait que la conforter dans son délire.

Il était réellement concerné par l'état de la Protectrice. Réellement concerné par son rétablissement. Et il était même à l'origine de plusieurs interventions extérieur à la petite équipe qui s'en occupait, notamment celle du prêtre. Il avait espéré qu'il y ait une autre cause, mais les mêmes conclusions finissaient toujours par revenir.

-Marniel peut se montrer froide, mais ce n'est pas une tueuse. Nous ne la privons ni de nourriture, ni d'eau, ajouta-t-il en faisant un geste vers une table à un pas du lit sur laquelle reposait un litron d'eau, un morceau de pain et quelques fruits. Nous avons déjà du la forcer à s'alimenter trois fois pour qu'elle ne s'affaiblisse pas trop. Alors je suis sûr qu'aucun d'entre nous ne verra d'objection à ce que vous vous occupiez de la faire manger si vous y parvenez, mais nous n'avancerons pas tant qu'elle se croira cernée d'ennemis, surtout si vous la privez des calmants qui lui évite de se mutiler.

Les mains du militaire arrêtèrent de s'agiter en tout sens. Il avait dit ce qu'il avait a dire. Cela pouvait être difficile à avaler pour un proche, mais les maux de l'esprit étaient bien les plus traître. Sur sa couche, Halya semblait tassé sur son propre corps, les yeux baissés sur ses doigts s'emmêlant et de démêlant de façon compulsive. Combien de militaires revenaient indemnes du champ de bataille ? Combien avait subit autant de pression que la femme qui se trouvait là ? Il plongea son regard gris presque blanc dans les yeux du mage et acquiesça doucement, comme pour mettre un point final à ce qu'il avait annoncé, avant de se tourner vers Marniel qui opina du chef. La guérisseuse l'observa de bas en haut attendant visiblement une réaction de sa part.

Qui est dans le vrai, qui est dans le faux, seul le temps pourrait le dire quand le présent était désespérément muet. Si elle n’est capable de parler que pour persuader ou si c’est son esprit qui s’est un brin reconstitué, les avis divergent à un point que l’on ne saurait accepter. Tu la vois comme une blessée appelant à l’aide, le prêtre la voit comme une âme définitivement perdue, la guérisseuse la voit comme une patiente à contenir et le limier la voit comme une inconsciente manipulatrice. Sauf qu’elle manipule sans mentir. Tu sais bien qu’elle entend des voix, puisqu’elle te la dit. Tu sais bien qu’elle s’est fabriquée des compagnons des fantômes de son passé, puisque tu l’as vue leur parler. Oui elle pourrait sombrer à nouveau, mais est-ce une raison de ne pas tenter de faire ce que tu penses être le mieux pour elle pas pour les autres. Ce ne sont pas que des symptômes, Halyalindë est traumatisée. Qui ne le serait pas à sa place ? Elle avait tenté de mettre fin à sa vie… étais-ce réellement étonnant ? D’autres elfes dans sa condition se seraient simplement laissé mourir, sans que l’on puisse rien faire pour eux. Au moins l’accroche d’Oloriël à la vie était assez forte pour qu’elle ait besoin d’en venir à ce genre de méthodes.

Tu réponds au limier d’une voix aussi étouffée que celle avec laquelle il s’est adressé à toi, et avec les chuchotements meurt entièrement l’élan que tu avais pris. Tu le vois bien, lui aussi se sent concerné par l’état d’Halyalindë, mais aussi stupide que cela puisse paraître, avait-il seulement réalisé que de la soutenir dans la conviction d’aller mieux l’aiderait probablement plus à aller mieux que d’éternellement lui rappeler sa maladie ?

- La magie n’a rien à voir avec ce qu’elle vit. Si elle n’a pas perdu la tête durant le sortilège du mage noir, il n’y a aucune raison qu’elle la perde après que le sort soit brisé. Elle est à bout, c’est tout. Elle est à bout parce qu’elle a passé des siècles à réprimer une partie d’elle-même pour faire au mieux pour les autres, elle est à bout parce que les ennemis qu’elle a affronté durant cette bataille portaient le masque de ses amis, elle est à bout parce qu’elle a voulu protéger le monde auquel elle s’est battu pour appartenir mais qu’au passage, celui auquel elle appartenait, elle l’a brisé.

Le loup géant qui l’accompagnait partout, ce n’était pas un simple compagnon. C’était son fils. Son second fils, et le seul qui lui restait. Halyalindë a vécu avec eux en tant que mère-louve et elle a toujours les instincts d’une louve. Alors bien sûr, quand les nerfs craquent et qu’elle ne peut plus maintenir le masque de la Dame-Protectrice bienveillante, c’est la louve qui ressurgit. Rendez son importance à sa part lupine, et vous comprendrez peut-être le dilemme perpétuel dans lequel elle vivait.

Au point où elle en est, les calmants ne serviront à rien si ce n’est à lui troubler l’esprit plus qu’il ne l’est déjà en brisant la coordination entre ses pensées et ses gestes. Si en plus elle est convaincue que c’est du poison qu’on lui fait avaler, alors elle persuadera son corps qu’il a été empoisonné, et elle dégradera toute seule sa santé. Tu attrapes les épaules du limier, comme si cela pouvait te rendre plus convaincant. Elle a besoin de se sentir entourée, elle a besoin de personnes qui lui font confiance. Par la Mère ! Elle a perdu son fils ! Faire d’elle un monstre et une folle est la dernière chose à faire. Elle a besoin de se reconstituer un cocon dans lequel elle se sent à l’aise pour ne pas avoir à chercher de compagnons au fin-fond de souvenirs qui lui font plus de mal que de bien. Elle pense son état s’améliorer, alors persuadez-en la. La conviction de pouvoir s’en sortir et d’avoir quelque part où aller une fois que tout est bien plus efficace que de pauvres calmants.

Tu lâches le limier, te diriges vers Marniel, sans à-priori cette fois. Tu acceptes de faire confiance à l’elfe du Baar’Ane pour mieux qu’elle te fasse confiance en retour. Tes mots restent cependant des murmures, indiscernables à une oreille autre que celle de la guérisseuse.

- Je comprends vos craintes, mais si elle est convaincue que vos remèdes lui font plus de mal que de bien, alors ils lui feront plus de mal que de bien. Ce dont elle a le plus besoin actuellement, c’est de se retrouver dans un monde où elle a sa place. Quand elle retrouvera sa place parmi nous, alors elle n’aura plus besoin de fouiller au travers les plus noirs de ses souvenirs pour s’en trouver une, et là seulement, elle commencera réellement à nous revenir. Laissez-moi m’occuper d’elle quelques temps, laissez Him me prêter main forte si vous trouvez cela plus sûr, mais essayez au moins de voir comment son état évolue sans être forcée à la médication. Tu baisses les yeux un moment, comme pour réfléchir Et si jamais son état se dégrade, je viendrai vous voir, vous n’aurai qu’à me donner les remèdes, et je les mêlerai à ses rations. En espérant que l’on ait pas à en arriver là.

Parce que tu sais que si vous deviez en arriver là, et qu’Halyalindë le découvrait, alors c’en était fini de la confiance qu’elle t’accordait.