Un premier souvenir. | Cécilie de Laval [Terminé]

Matin du 4ème jour de la 1er ennéade de Karfïas, an 9 du 11ème cycle.

Le palais Séraphin était immense par rapport au château Lourmellois. Ses jardins l’étaient encore plus. Ceux-ci  étaient d’ailleurs magnifiques et le lac Turquois apportait une certaine fraicheur qui ne se refusait pas. On avait beau se promener dehors tous les jours, on découvrait à chaque fois une nouvelle parcelle de verdure. L’espace était aussi plus grand, on y croisait forcément moins de monde qu’à l’intérieur de l’édifice alors pourquoi s’en priver dans ce cas ?

Cette fois-ci, c’était accompagné de ses dames de compagnie que Maélyne foula la terre. Thenala était bien gentille mais la jeune femme devenait assez étouffante. Pourtant, malgré la compagnie, aucun mot ne sortit de sa bouche et la conversation qu’entretenaient ses dames n’arriva point à ses oreilles.

Elle n’avait pas dormit de la nuit, trop occupée à écrire cette missive qu’elle était, en réalité, déjà en train de regretter. Même si la mémoire l’avait quittée, elle se devait de garder une certaine éducation. Contacter de grandes têtes de cette façon n’était pas le meilleur moyen de garder une réputation intacte. C’était une erreur, j’espère qu’il la brûlera avant même de l’avoir ouvert.

Elle s’arrêta, devant ce qui pouvait sembler être un parterre de fleurs que des jardiniers étaient en train d’arracher. Maélyne jeta un coup d’œil sur les pétales, d’une couleur verdâtre qui pouvait sembler jolie au premier coup d’œil. Elle en ramassa une, encore intacte puis engagea la conversation avec un jardinier.

« Pourquoi arrachez-vous ces belles fleurs ? » Il releva la tête, affichant un certain air d’étonnement.
« Parce qu’elles sont venimeuses ma Dame, surtout ne la humez pas. »

Maélyne ne répondit rien, gardant la fleur qu’elle tenait en main à une certaine distance de son visage. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de la fixer et son regard se perdit rapidement.

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« Cécilieeee ! Cécilieeee ! » Cria une petite fille.
« Mais où elle est ? » Demanda une autre qui ressemblait étrangement à la première.
« Lyanna, on devait la surveiller ! Maintenant, elle est partie et elle est toute seule ! »
« Ne te tracasse pas Maélyne, elle ne craint rien, qui voudrait d’une aveugle de toute façon ? »
« Tu es méchante avec elle ! »
La petite Maélyne finit par faire la moue puis se remit à crier après sa cousine.
Les deux fillettes cherchèrent encore pendant plus d’une heure lorsqu’elles décidèrent de se séparer pour couvrir plus de terrain.
Maélyne partit explorer un champ où elle tomba nez-à-nez avec une mauvaise herbe donc les pétales de fleurs étaient vertes. Elle en cueilli quelques-unes en se promettant de les offrir à sa cousine lorsqu’elle l’aura retrouvée.
« Cécilieee ! Cécilieeee ! » Enfin, après avoir criée quelques fois, elle obtint une réponse.
La petite tête blonde se précipita alors vers ce qui pouvait sembler être une rivière. Sa cousine se trouvait à son bord et n’osa plus bouger.
Maélyne lui attrapa la main puis la fit reculer avant de la prendre dans ses bras.
« Je t’ai enfin retrouvée. » D’un geste, elle glissa l’une des fleurs dans les cheveux roux de sa cousine, offrant un large sourire.
« Surtout ne la respire pas, sinon tu vas t’évanouir. Viens, rentrons, Tante Mathilde doit être inquiète. »

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La fleur tomba à terre et Maélyne reprit ses esprits. Elle était figée, paralysée par ce que son esprit venait de lui faire voir. « Cécilie… » Répéta-t-elle plusieurs fois. Manon vint alors à son hauteur pour lui demander si elle se sentait bien, malheureusement, elle ne reçut aucune réponse. Pressant le pas, la Dame de Lourmel se mit en quête de retrouver sa cousine. La rousse. La Musicienne. Non pas Thenala, l’autre.

Elle apprit bien vite qu’elle était dans ses appartements personnels, auprès de Rose. Plus qu’un couloir et elle y était. Courir était un bien petit mot par rapport à la vitesse qu’elle avait adoptée pour rejoindre celle qui saurait lui révéler la vérité.

Entrant en fracassant les portes, Maélyne déversa un flot de paroles.

« Cécilie ! » Cria-t-elle dans un premier temps, sur un ton remplit d’angoisse et d’excitation.

« Je… J’ai vu quelque chose… Je pense… je ne suis pas certaine. Je pense avoir vu un souvenir, de toi et moi. »

Elle avait attrapé ses mains, Maélyne était tremblante et attendait impatiemment que sa cousine la sauve une énième fois.

Cécilie poussa un soupire de satisfaction en entendant la porte de ses appartements se refermé. Elle avait passé la matinée avec sa sœur et elle profiterait encore de sa présence si leur mère n'avait pas exigée qu'elle vienne avec elle pour rendre visite à plusieurs familles qui avaient fait le déplacement… et qui avaient également des fils à mariés. Elle ne savait pas quelle temps exactement il faisait, mais la température était parfaite et la légère brise l'avait ravie au plus haut point. Quitté Lourmel s'était finalement révélé être salutaire… Et trouver un lac plus salutaire encore. Ce n'était pas encore la mer, mais au moins, elle avait put venir s'étendre, là, sur la rive, avec Rose et Colombe, les pieds dans l'eau. Dieux que le ressac et les vents marin pouvaient lui manquer parfois…

En tout cas un peu de calme ne faisait pas de mal, Colombe était d'un naturel joyeux, mais entourée de tant de nouveauté et après tant de temps de séparation, elle ne tenait pas en place. Elles retournerait certainement profiter des festivités dans l'après midi, mais pour l'heure, elle lisait quelques lettre en compagnie de Rose. C'était extrêmement rare, mais elle en avait reçu quelques unes d'une grande gentillesse… Des missives venant de connaissances qui avaient eut vent des événements de Lourmel et n'avaient pas pu se rendre à Serramire pour la fête.

Ah les événements de Lourmel…

En l'espace d'un jour, vingt-quatre petites heures, sa vie avait totalement changée de cours en même temps que celle de Maélyne. La disparition de la mémoire de la Dame de Lourmel avait été dure à encaissée… Mais à présent, Cécilie était plus partagée sur ce que représentait ce changement. Un nouveau départ.

Cela faisait des mois que Maélyne sombrait à petit feu dans une dépression toujours plus profonde. Elle avait beau être aveugle, l'état de sa cousine ne lui avait pas échappé, et même si elle essayait d'alléger au maximum le fardeau qui reposait sur ses épaules, elle ne s'en laissait que plus sombrer… et Aline en avait fait mainte fois les frais… Même si Cécilie pouvait calmer sa culpabilité en se disant que ces derniers mois, elle avait passé autant de temps que possible (et même parfois plus qu'elle n'aurait du pendant l'absence de Jindanor) avec la petite, une tante ne suffisait pas. Maélyne avait perdu sa fille… mais elle avait aussi laisser partir son chagrin et ses regrets avec sa mémoire. Depuis leur arrivée au Palais Seraphin, la jeune musicienne se prenait de plus en plus à reconnaître certains accents, certaines réflexion, certains comportements de la Maélyne qui avait vécue avec elle à Beaurivages, avant que les épreuves ne la marquent… Et cela ramenait toujours un sourire sur le visage de la musicienne.

Si le prix a payer pour que Maélyne puisse de nouveau vivre en paix et recommencer à rire était de perdre tout leur passé commun… Alors elle était prête à faire ce sacrifice… Et elle était aussi prête à endosser l'entière responsabilité des mensonges qu'elle avait utiliser pour que Maélyne garde sa tranquillité d'esprit. C'est ce qu'elle avait compris la veille, lorsque le Comte avait envoyé son billet.

Mais pour l'heure, elle pouvait aussi profité de tout ce qu'il leurs arrivaient, et c'était tant mieux. Dans sa légère robe bleu nuit, les cheveux tirés en arrières et retenu par un filet aux mailles serrées laissant à peine voir la couleur de ses mèches, elle pinçait aléatoirement les cordes de sa harpe en écoutant Rose finir une seconde lettre.

Et c'était ce moment qu'avait choisit des pas pour se faire entendre de l'autre bout du couloir. Cécilie s'était tout de suite relevée, aux aguets. Dire que les pas étaient précipités était un euphémisme. Rose se tue. Elles avaient toutes deux le souvenir de ce que pouvait signifier des personnes courant sans raison dans un château. Mais ce ne fut ni un garde, ni un ennemi, ni une femme menacé qui ouvrit la porte à la volée.

« Cécilie ! »

« Maélyne ?! »

la jeune femme voulut s'avancer d'un pas mais Maélyne était déjà sur elle, lui saisissant les main. Sa voix tremblait d'émotion. Excitation ? Soulagement ? Attentes ? Peur ? Un peu tout ça ?

« Calme toi. Que ce pass…
-Je… J’ai vu quelque chose… Je pense… je ne suis pas certaine. Je pense avoir vu un souvenir, de toi et moi.
-Qu... »

Quoi ?…

Le visage de Cécilie s'éclaira malgré elle et elle serra sa cousine dans ses bras.

« Vient ! Asseyons nous sur le lit et raconte moi ça plus en détail ! »

Elle était aux anges… et étrangement inquiètes. Mais l'exultation qu'elle entendait dans la voix de Maélyne suffisait à repousser ses angoisses. Rose reposa la lettre sur la table avec un sourire rayonnant. Elle resta, comme une ombre sur son siège, attendant un ordre ou un regard de Maélyne pour sortir si les deux dames préféraient êtres seules... car c'était là toute la place qui lui restait.

Assise sur le lit, Maélyne essaya tant bien que mal de reprendre son souffle après cette course qui pourrait être aisément qualifiée de folle. Non elle ne souhaitait pas perdre de poids –même si s’était nécessaire-, pressée tout simplement de rejoindre celle qui aurait sans doute des réponses à lui offrir.

« Je… » Commença-t-elle doucement. « Je me suis souvenue… Pourtant j’ai l’impression que ce souvenir s’évapore déjà. » Souffla-t-elle avec exaspération avant de se reprendre une bonne bouffée d’air et de se concentrer. « Je portais une petite rose couleur lavande. Lyanna en portait une de couleur bordeaux. Nous étions en train de te chercher… Car tu avais disparue… Enfin… Nous t’avions surtout égarée. Je me voyais inquiète, et j’étais en train de me disputer avec ma sœur qui elle, faisait plutôt de l’humour sur ton handicap. » Elle fit une légère pause. « Puis, nous nous sommes séparés, pour mieux te retrouver. C’est là que je suis tombée sur ces fleurs… vertes. Celles que le jardinier du palais était en train d’arracher. Puis, j’ai traversé un champ, je suis arrivée près d’une petite rivière et tu étais là… A attendre. A m’attendre. » Elle serra la main de sa cousine. « Je t’ai rejoint, et j’ai glissé cette fleur dans tes cheveux, en te spécifiant de ne surtout pas la sentir car elle était vénéneuse. »

Une larme vint perler sur sa joue, silencieusement. « Cécilie... Je t’en prie, dis-moi que cela s’est bien produit. »

Cécilie écouta attentivement, les larmes aux yeux, et vint éteindre une nouvelle fois sa cousine. Elle s'en souvenait par bribe. L'une des seules fois ou elle s'était retrouvé hors de la Citadelle seule. Elle avait essayé de retrouvé son chemin lorsque ses deux cousines s'étaient enfuit en riant après avoir trop approcher un cheval, ce que leur avait formellement interdit Mathilde, laissant sans le faire exprès, leur petite cousine aveugle dans leur course. Elle-même avait péniblement suivit un mur et s'était retrouvé glacée, les pieds dans l'eau. Elle était restée là, longtemps, sans bouger. Elle ne savait pas quoi faire alors elle était restée là, espérant que quelqu'un vienne la chercher. Elle ne voulait pas s'asseoir de peur de mouiller ses jupes. Cela lui avait paru une éternité. Une éternité pendant laquelle elle s'était tenue compagnie en fredonnant.

Et puis Maélyne était apparue, aussi soudainement que son rire avait disparut. Elle ne savait plus exactement ce qui s'était passé après. Elle étaient rentré et Mathilde avait passer un savon à quelqu'un. Elle ou l'une de ses cousine, elle n'aurait put le dire…

« Oui ça c'est réellement passé Maélyne. Vous aviez fuit à l'arriver d'un palefrenier. Je me souvient des hennissements et de l'eau froide qui entrait dans mes chaussures en attendant. Ma mère était folle d'inquiétude lorsque nous somme revenues. Nous nous comme pris une rouste phénoménale." ajouta-t-elle avec un rire léger. "Après ça tu as toujours garder un œil sur moi pendant vos sortie, et ça a obligé Lyanna a faire un peu plus attention, même si elle râlait souvent et nous taquinait sans arrêt. »

La jeune musicienne passa sa main sur la joue de sa cousine, priant à demi pour que ses souvenirs ne reviennent jamais plus loin que le jour de son mariage.

« Tu as parler de Lyanna. Tu t'aies souvenu de son nom? »

Alors tout cela s’était bien produit. Cette Lyanna, ce champs, ses fleurs, sa cousine, cette rivière, tout. Un soupire vint s’échapper de ses lèvres alors qu’elle baissa la tête. Maélyne était soulagée d’entendre ces mots de Cécilie mais une grande tristesse s’empara ensuite de son esprit. La Dame aurait voulu retrouver plus que ce bref instant, elle aurait voulu tout retrouver.

« Oui… » Commença-t-elle doucement, empruntant une voix qui trahissait son état. « Oui, je me suis vue prononcer ce nom à une autre petite fille. Elle me ressemblait, nous nous ressemblions physiquement même si elle semblait bien plus espiègle que moi. » Elle n’était pas bête, Maélyne avait bien deviné qu’il s’agissait là de sa sœur disparue. « Je ne sais pas… Comment je dois prendre cet évènement… Est-ce que la Damedieu m’octroye enfin un geste ? » Puis son expression changea. « La fleur ! La fleur Cécilie ! C’est en voyant cette fleur, la même que celle que je t’avais offerte, que le souvenir m’est réapparu ! » Sa respiration s’accéléra. « Il se peut que je retrouves d’autres souvenirs grâce à des objets… ou... des personnes ! Je pourrais essayer de rencontrer tous ceux avec qui j’avais un quelconque lien, leurs demander de me parler de notre passé commun, cela pourrait éventuellement déclencher quelque chose… » Elle attrapa les mains de sa cousine. « Qu’en penses-tu ? »

Attendrit par les mots de sa cousine, Cécilie serra les doigts qui s'étaient emparés de ses mains. Elle n'avait pas envie que Maélyne retrouve la mémoire. Elle ne voulait plus jamais la voir dans l'état dans lequel elle avait passé ces derniers mois. Elle ne voulait pas qu'elle ait à subir la perte de son mari, d'Aline, de Lyanna... Ou même la trahison de son amant. Plus jamais elle ne voulait entendre cette lassitude dans sa voix.

« Je pense que ce qui doit te revenir te reviendra un jour ou l'autre. »

La jeune femme glissa sa main jusqu'à la joue de celle qu'elle considérait comme sa sœur. Ses doigts heurtèrent maladroitement une mèche de cheveux mi-longue.

« On t'a raconté quelques uns des déboires par lesquels tu es passée, n'est-ce pas ? Je n'ai aucune idée de la douleur que tu peux ressentir en ayant perdu tes souvenirs, mais je me rappelle celles que tu as dû porter lorsque tu les avait encore. Je ne sais pas si courir après eux est une si bonne idée. J'ai l'impression de te voir renaître ces derniers jours. Alors je me dis que Néera et Tyra t'ont peut-être fait un magnifique cadeau pour toutes les épreuves que tu as traversé tête haute. »

Le cadeau de l'oublie. Elle pouvait tout recommencer. Tout.

« Peut-être que quelques beaux souvenirs te reviendront peu à peu. Si tu veux, tu pourrais commencer par parler avec ma mère, ou venir me voir à Beaurivages une fois que je serrai rentrée, loin du Nord et de son été pluvieux. Mais quoi qu'il arrive, quoi que tu décide, je suis avec toi. Et si rien de plus ne te revient, il y a au moins l'une de nous deux qui sait maintenant à quoi je ressemblait enfant. » ajouta-t-elle sur un ton un peu plus espiègle. « Tu sais, peu importe les souvenirs que tu as perdu, nous pourrons nous en faire bien d'autres, et de tout aussi jolis, tu ne crois pas ? »

Maélyne s’empara des mains de sa cousine, les serrant l’une contre l’autre avant de les porter à sa bouche, déposant ainsi un doux baiser sur sa peau douce. Les larmes commencèrent à monter. Les paroles de celle qui, depuis quelques jours, était la seule qui arrivait à la calmer avaient fait mouche.

« Quels dieux puniraient ainsi ? » Commença-t-elle. « Oui, je considère cela comme une punition. J’ai été une mère, d’une magnifique petite fille, gentille, serviable, aimante, intelligente. Et tout cela, je le sais que par les dires des autres. Comment veux-tu que je fasse mon deuil d’une enfant dont je n’ai aucun souvenir ? Méritait-elle réellement que sa mère oublie jusqu’à son existence ? Ne crois-tu pas que je souffre plus de la perte de son souvenir que de l’avoir totalement perdue ? N’avoir qu’une simple statue pour me faire une idée de qui elle était…  Voilà tout ce qu’il me reste. » Ses joues commencèrent à se mouiller, silencieusement. « Il y a ce… vide en moi… Toutes… ces questions. Ces interrogations… Ce sentiment d’abandon. » Sa voix tremblait de plus en plus. « Je souffre, mais je ne sais même pas pourquoi. » Du dos de sa main elle vint essuyer les quelques larmes qui venaient de perler. « Tu as l’impression que je renais, pourtant je me sens dépérir. Je me sens envahie d’une… paranoïa, envers tous ceux qui m’entourent. Savent-ils ? Que pensent-ils ? Me disent-ils la vérité ? Se moquent-ils ? En qui puis-je avoir réellement confiance ? Je n’ai aucune réponse… » Reniflant légèrement, elle reprit ses esprits. « Tu dis m’avoir vu souffrir, auparavant. M’avoir vu porter toutes ces douleurs. Quelles étaient ces douleurs Cécilie ? S’il te plaît, dis-moi tout. »

Ô Maélyne… Ce n'est pas la perte d'Aline qui va te ronger… Mais le fait de te rappeler que tu n'a pas été là pour elle autant que tu aurais du… Le doute d'avoir put faire quelque chose si tu avais fait un choix différent, si tu avais été plus présente pour elle et Lourmel… L'impression que sa mort est de ton fait… Voilà ce qui t'empêchera de dormir la nuit… Plus encore que moi.

Mais elle ne pouvait le dire ainsi. Si seulement sa cousine pouvait se résoudre à tourner la page… Peut-être… Peut-être qu'en sachant quelles genres de douleurs habitaient son passé sans les revivre, elle choisirait d'aller de l'avant ? Peut-être… C'était un risque… Mais plus que de savoir ou non, elle avait besoin de pouvoir faire confiance à quelqu'un… D'avoir un point de départ sur lequel se reconstruire. Alors Cécilie avait-elle le droit de la dérober à tout cela dans l'espoir de la maintenir un peu plus dans le mensonge ?

La jeune musicienne serrait la main de Maélyne, s'approchant d'elle pour la prendre de nouveau dans ses bras, faisant preuve de la même douceur avec laquelle elle aurait enlacer une enfant. Savoir si son épaule serait trempée de larme était bien le dernier de ses soucis.

« Je ne peux pas combler le vide que tu ressens mais je peux t'assurer que personne ne se moque de toi. Je… Je ne veux que ton bonheur, n'en doute pas un instant… Et j'ai peur qu'en ramenant à toi de vieux démons, je fasse plus de mal que de bien. Tu comprends ? » Elle passa une main dans les cheveux blonds qui avaient repris un peu de longueur. « Ne veux-tu pas plutôt que je te parles des bons moment ? Si les souvenirs te reviennent en fonction d'objets ou de situation, pourquoi ne pas rappeler plutôt des petits bonheurs ? Des jours passés à Beaurivages ? Du caractère bien trempé de Lyanna ? Des soirées passées avec ta fille ? »

Si elle avait besoin de vérité, c'est ce qu'elle obtiendrait. Mais si les plus douces pouvaient lui suffire… C'était tout ce qu'elle lui souhaitait.

Son regard fixait les yeux de sa cousine. Durant un instant, elle se sentit partir dans le vide. Pourquoi donc personne ne voulait lui dire ce qu’elle avait envie d’entendre ? Pourquoi tout le monde se refusait de lui dire la vérité ?

D’un geste brusque, elle se releva, montrant ainsi toute son exaspération, sa détresse mais aussi sa déception. « Je croyais que tu étais différente… différente de tous ceux qui me couvent. » Elle fit une légère pause, s’approchant doucement de la fenêtre pour regarder l’horizon. « Je n’ai pas envie d'être choyé. J’ai perdu ma fille, j’ai perdu ma famille, j’ai perdu mon domaine, mes gens, mes conseillers. J’ai perdu tout le monde ! Vous semblez tous vouloir me cacher… tant de choses. Pourquoi ? Pourquoi  n’êtes-vous pas tous honnêtes avec moi ? Pourquoi ne répondez-vous pas à mes questions ? As-tu peur que j’en souffre ? Mais qu’importe ! Je souffre déjà ! Je souffre tellement ! Alors à quoi bon souffrir un peu plus ou de moins ? Je veux des réponses Cécilie… » Son regard se baissa, puis se dirigea vers son poignet. La marque qu’avait laissée la gardienne… marque venant de la Damedieu elle-même à ce qu’on raconte… Forcée de la cachée au monde, forcée de mentir si on le découvrait. Elle en avait assez. « J’aurais préféré qu’on ne me sauve pas…. » chuchota-t-elle avant de fondre en larmes.

« Et je me suis déjà dis que te laisser mourir aurait été plus facile pour toi... »

Non elle ne l'avait pas dit. Elle avait ravalé ces mots juste a temps. Les poings serrés sur ses jupons, elle se mordit les lèvres. Une amertume désagréable lui emplissait la bouche. Lorsqu'elle parla, son ton était froid, presque dur. Elle ne voulait pas... Mais elle n'arrivait pas a rester aussi sereine qu'elle l'aurait du. Sa cousine était perdu à la recherche de souvenirs qui la briseraient.

« Tu ne sais rien de la souffrance, Maélyne. Tu n'as aucune idée de ce que c'est de traverser ce que tu as traversé. Tu n'as jamais rien vécu. Tu te comporte comme la jeune fille avec laquelle j'ai grandi. Depuis tu as été manipulée, trompée, trahie, délaissée, abandonnée. Tu as fait de mauvais choix et tu as du en payer les conséquences plus d'une fois. Des conséquences que je ne souhaiteraient pas a mes pires ennemis. Alors si, souffrir un peu ou beaucoup, cela change tout. » Elle n'avait pas bougé, incapable de se lever et ne pouvant suivre les pérégrinations de sa cousine que par l'écho de ses pas.

« Tu agis comme une enfant capricieuse sans penser un seul instant que si nous refusons de te dire certaines choses, c'est parce que nous te connaissons, parce que nous voulons que tu sois heureuse de nouveau. Avant les événements qui t'ont conduites entre la vie et la mort, tu étais déjà à deux doigts de te briser définitivement. Tu as une véritable chance maintenant. Tu peux te reconstruire, t'autoriser à vivre de nouveau, avoir une famille, des enfants, et laisser tes erreurs sombrer dans l'oubli avec le peu de joie que tu as connu. Ou tu peux courir après un passé qui ne fera que te détruire... »

Elle lâcha sa robe, décrispant difficilement ses doigts pour les poser plus correctement sur ses genoux. Le dos droit, la tête haute, sa voix ne fit pas un écart alors qu'elle laissait ces derniers mots tomber sombrement.

« … Et dans le second cas, ne compte pas sur moi pour t'y aider ou te regarder plonger à nouveau. Ce n'est pas que toi dont je prend soin en refusant de t'en dire plus. Je refuse de continuer ad vitam à te tenir la tête hors de l'eau... Et de toute façon, je ne le pourrai surement plus après mon propre mariage. »

Ses paroles avaient eu l’effet d’un choc. Avait-elle été égoïste à ce point pour avoir complètement omit le bonheur de sa plus proche cousine ? Avait-elle été mal à ce point pour que ces proches ne se soucient plus que de son bien-être ? Oubliant leurs propre bonheur? Leurs propres problèmes?

« Tu ne fais que confirmer ce que j’ai dit. J’aurais mieux fait de ne pas survivre. Cela t’aurait permis de passer ton temps à autre chose qu’à me maintenir la tête hors de l’eau… » Elle fit une légère pause, le temps de se retourner et de fixer sa cousine. « Mais ne t’en fais donc plus, Cécilie. Dorénavant, je refuse que quiconque se préoccupe que moi. » Ses pas résonnèrent à nouveau, cette fois-ci en direction de la porte mais elle s’arrêta à mi-chemin. « Lourmel n’a plus besoin de tes services, moi non plus. Je ne te retiens plus. Va. Va donc te marier et ne te soucie plus de moi. Plus personne ne perdra son temps pour moi. » Elle refit quelques pas, avant de s’arrêter à nouveau. Tournant légèrement la tête pour voir la Dame de Laval du coin de l’œil. « Je pense… que c’est la moindre des choses que je te doive. »

La porte claqua, Maélyne s’en allait. Jamais elle n’aurait cru que des adieux pouvaient être aussi douloureux.

"Tu ne me dois rien. Tu m'as plus donné que n'importe qui."

La porte se referma. Cécilie ne bougea pas. Elle savait ce qui lui restait à faire désormais : retrouver son rôle de fantôme. Celle qui surveille sans être là, que personne ne soupçonne. Elle serait là dans l'ombre, prenant des nouvelles, protégeant du mieux possible sa cousine sans qu'elle n'en sache jamais rien. La protégeant d'elle-même s'il le fallait. Après tout, Cécilie de Laval appartenait au passé qu'elle lui demandait de laisser derrière elle au même titre qu'Aline, Lyanna, sa mère, son père, son époux. Maélyne devait repartir de zéro si elle voulait avoir une chance d'aller de l'avant...

... Et sa cousine était mille fois prête a faire ce sacrifice.