Rencontre inattendue [Azénor]

La veille du grand tournoi qui devait voir l'affrontement des nobles, Jérôme marchait, étonnement seul alors qu'il avait plutôt l'habitude d'être entouré de gens cherchant ses largesses, encore plus suite à sa montée en puissance. Il avait réglé les principaux soucis qui s'étaient posés, comme la régence d'Etherna alors qu'il serait débordé par ses nouvelles fonctions, ou encore le mariage entre la dame de Lourmel et son frère. Il se demandait d'ailleurs s'il aurait finalement lieu après les horreurs qu'elle avait vécu et le décès de sa fille. Alors qu'il aurait dû penser au lendemain et à son entrée en lice, c'était toutes ces questions qui l'occupaient. L'esprit songeur, il déambulait sans réel but au sein du château, passant de couloirs en couloirs et de cours en cours, traversant les jardins sans prêter attention aux fleurs qui l'entouraient. La journée avait été pluvieuse et des orages étaient en train de faire trembler les murs du château, toutefois la température était encore estivale. Toutefois, il ne s'inquiétait pas de la pluie qui l'avait trempé, dégoulinant de ses cheveux blonds. Elle avait plaqué sa chemise de soie bleu nuit, sur sa peau, marquant sa musculature plus qu'entretenue avec la guerre qui avait eu lieu et ses séances d'entrainements quotidienne.

Finalement lassé de marcher, il marqua une pause dans un jardin, s'asseyant sur un banc qui était à l’abri dans un couloir ouvert sur ledit jardin, toujours le regard perdu dans le lointain. Puis, soudain, il se rendit compte qu'il n'était pas seul et qu'il y avait quelqu'un qui était déjà assit sur le même banc. Surprit de ne pas s'en être rendu compte tellement il était perdu dans ses pensées, il revint sur terre, tournant ses yeux bleu sur celui, ou plutôt celle, qui était assise à côté de lui. Il s'agissait d'une dame, surement du sud vu sa couleur de peau, avec de longs cheveux bruns. Il ouvrit la bouche avant de la refermer devant la beauté qu'il avait ignoré sans le faire exprès. Il rouvrit la bouche

"Veuillez me pardonner...j'étais perdu dans mes réflexions et je ne vous ai pas vu. Je manque à tous mes devoirs"

Il se releva et s'inclina respectueusement devant la belle femme qu'il ne connaissait pas

"Je suis Jérôme de Clairssac, baron d'Etherna, à votre service"

Que dire de plus que ces mots tout fait qui étaient les premiers qui lui étaient venu en bouche.

L'enceinte de la cité Serramiroise avait achevé le cours de son périple ; voilà qu'elle touchait enfin du doigt sa destinée. Si un sentiment d'accomplissement l'envahissait, tandis qu'elle pénétrait en les murs du chef lieu Nordique, le soulagement de voir son chemin aboutir et l'abattement un tel voyage l'assaillirent tout autant. L'épaisse atmosphère ambiante qui plongeait la région en un chaos tropical n'aidait en rien son harassement. Elle qui supportait avec aisance les hautes températures de la pointe péninsule se voyait affronter avec inquiétude le capricieux climat hyperboréen. Aussi éreintée pouvait-elle être, il lui fallait affronter le cours de la journée déjà bien entamée avant de retrouver l'agrément d'une couchette et non plus la dureté de son harnachement. Cette perspective lui donna assez d'entrain pour ne point se laisser aller à ce repos tourmenteur, s'extirpant une nouvelle fois de la surveillance de sa garde rapprochée, la belle s'engagea dans une échappée locale tandis que s'affirmait le déclin du jour.

Serramire-Ville lui paraissait bien moins attrayante que l'étincelante Soltariel ou la foisonnante Ydril. Si les palais dorés et les venelles ombragées des bourgades Soltarii lui étaient infiniment plus appréciables, la jeune femme se plaisait tout de même à découvrir de nouveaux et importants lieux. Le pragmatisme constructif de la citadelle et de son plan général questionnèrent grandement ses repères d'ordinaires plus ...aérés et subtils. Ces comparaisons avec les berceaux de son enfance la firent songer à sa fratrie qu'elle avait laissé derrière elle, le long de sa longue route. Chassant bien vite cette amère pensée, Azénor repéra une parcelle de verdure, comme perdue au milieu de ces austères bâtisses. Le jardin serait un refuge idéal, son désir lui plus imminent étant de s'octroyer un instant seule, avant le bain de foule du lendemain. Malgré les grosses gouttes qui se mettaient à tomber, une humble foule déambulait dans les rues boueuses de la ville, les plus braves profitant de l'extrême tiédeur de ce début Karfiàs. Le péristyle à l'extrémité du clos permettrait à la fleur de s’abriter le temps que l'averse ne s'éloigne. Elle se laissa choir sur un gradin de pierre, laissant ses membres raidis un temps de pause mérité. Ses yeux se fermèrent, le clapotis des perles d 'onde venant se conformer à sa calme respiration.
L'intervalle lui sembla infini, l'apaisement bénéfique. Mais de ces sens ce fût l'ouïe qui la ramena à la raison. Recouvrant la vue, elle posa ses iris céruléens sur apollon blond qui se tenait là, à ses côtés, la frôlant d'ailleurs sans qu'aucun d'eux ne s'en soient jusqu'alors réellement inquiétés. S'excusant de ne point avoir remarqué sa présence, le damoiseau se redressa afin de la saluer avec plus de distinction.

« Très honorée de faire votre connaissance, Messire de Clairssac. » Répondit-elle, le rouge lui montant au joues sans qu'elle ne puisse vraiment le contrôler. « Je suis Azénor d'Anoszia, demoiselle d'Ydril. »
Si un brin de timidité venait saupoudrer la teneur de ses rencontres, elle devait bien s'avouer que cette fois là était pis encore. Qu'avait ce gaillard de plus qu'un autre ? D'où lui venait ce caractère impressionnant ? Ce n'était pas faute d'avoir déjà côtoyé d'autres hauts nobles, barons et plus titrés encore, sans pour autant sourciller. Encore chambardée par son épopée, elle ne savait d'où lui venait cette impression si dérangeante de déjà vu, ou plutôt, déjà entendu, au sujet du patronyme de son interlocuteur. Devant l'air aussi réservé qu'affichait le jeune homme, elle engagea la suite de la conversation. « Que Néera nous protège, ainsi que le tournoi ! Je m'imagine mal assister aux joutes dans un tel bain de tourbe. J'espère ce déluge grandissant nous laissera du répit, sinon, j'en ai crainte, il nous faudra passer la nuit ici. »

Ce début de soirée, le jour aurait encore dû être clair mais le temps exécrable l'avait assombrit, rendant surprenant la présence d'une jeune femme seule, encore plus vu qu'elle était noble d'après ses vêtements et sa façon de parler. Jérôme ne se rendit pas compte du rose qui lui montait aux joues en raison de cette obscurité qui commençait à tomber sur Serramire. Elle se présenta et en entendant son nom, Jérôme fut encore plus surprit du fait qu'elle soit seule. Il tourna d'ailleurs la tête pour trouver ses chaperons. Anoszia était un nom qui revenait assez souvent ces derniers temps. D'abord lorsque Oschide, alors capitaine royal, était venu lui apporter le soutien de la couronne pour attaquer Alonna, puis l'un de ses oncles qui était venu avec des troupes d'Ydril dans le même but. Ensuite, lorsque devenu Duc de Langehack, le même Oschide envoya des hommes pour aider Etherna dans les champs alors que la baronnie guerroyait au nord contre les sombres, et enfin il y a peu quand Francesco vint lui parler de la couronne et des serments à renouveler. Voila donc qu'il rencontrait un nouveau membre de cette famille qui semblait revenir de manière récurrente dans sa vie. C'est en se remémorant l'ainé, et une discussion qu'ils avaient eu à la fin de la campagne d'Alonna, qu'il se souvint d'une demande émanant du patriarche. Soudain, le prénom qu'elle venait de donner lui rappela qu'on lui avait proposé de s'unir avec elle. Jérôme, toujours muet depuis qu'elle s'était présenté, commença alors à la regarder de la tête aux pieds, sans être vulgaire, mais d'un mouvement tout de même perceptible. Pour sur que la demoiselle était des plus attrayantes et qu'il n'aurait pas fait une mauvaise affaire (avec un vilain jeu de mot) du côté de son physique. Il chercha alors dans ses souvenirs la discussion qu'il avait eu avec le Duc afin de se rappeler ce qu'il disait sur elle. Soudain, un éclair zébra le ciel, immédiatement suivit par un coup de tonnerre marquant la proximité immédiate de l'orage. Jérôme put mieux voir le regard d'Azénor, il se rassit à ses côtés, ses yeux plongés dans les siens

"Azénor d'Anoszia, un nom que j'ai rencontré à plusieurs reprises mais surtout un prénom que j'ai déjà entendu."

Voila une phrase bien énigmatique pour Azénor mais Jérôme n'attendit pas pour continuer

Votre frère, le Duc de Langehack, m'a parlé de vous, vantant vos mérites. Je me rappelle qu'il vous disait d'une beauté sans égale. Si vous me permettez, je dois reconnaitre qu'il n'embellissait pas les choses. Il insistait aussi sur votre sens de l'humour incomparable, disait il vrai également ?"

Pour sur qu'elle pouvait envouter les hommes qu'elle désirait et Jérôme aurait presque regretté de ne pas avoir accepté cette union à l'époque, mais le temps était autre et son cœur avait été prit par une autre.

"Je crains que cet orage ne cesse pas de si tôt, et même s'il passait, je pense que la pluie ne s’arrêtera pas immédiatement. Mais passer la nuit en si charmante compagnie ne me dérange pas, je pourrais alors profiter de votre joie de vivre dépeinte par votre frère."

L'on aurait largement pu penser que le baron courtisait la dame, cherchant à flirter et à la conquérir. Et pourtant ce n'était pas le cas, il ne savait pas pourquoi il parlait aussi...effrontément. Ce n'était d'ailleurs pas dans ses habitudes. Le temps, la crainte du lendemain (le baron n'excellant pas à la joute), les soucis qui s'accumulaient, allez savoir. Peut être que de voir une demoiselle avec laquelle il aurait pu être uni avait amené une certaine complicité même s'il ne l'avait jamais vu. En fait, il aurait été bien incapable de dire ce qui l'avait poussé à parler de la sorte, mais pour le moment, il ne s'en rendait pas compte.