Parce qu'il faut savoir ou l'on va

Jérôme prenait son rôle de régent d'Oësgard très au sérieux, il faisait tout pour limiter les dégâts mais ce n'était pas facile. Sachant l'ampleur du travail, il avait confié Etherna à Guillaume qui en était le régent. Toutefois, il n'oubliait pas non plus qu'il était le baron et il savait aussi qu'il devait tenir ses promesses, encore plus après son parjure, sous peine de se voir complètement discrédité. Le duc de Langehack lui avait reproché de ne pas avoir fait sa part du marché qu'il avait conclu, ce qui avait frustré le baron puisqu'il avait essayé d'avoir un entretien avec le marquis d'Odélian, mais celui-ci avait préféré rester seul ces derniers temps. Jérôme avait donc insisté et redemandé à être reçu malgré son emploi du temps surchargé et il avait reçu gain de cause. Gaston voulait bien le rencontrer.

Le baron prit donc une dizaine d'hommes de sa garde rapprochée, garde qui était en plein remaniement en ce moment, et il se dirigea vers Odélian. Le voyage se fit à cheval, et non en carrosse, voulant que le trajet soit le plus court possible afin d'être partit le moins longtemps possible. Jérôme ne prit pas le temps de s'arrêter chez ses amis d'Odélian, il correspondait avec eux et ils comprendraient bien, traçant tout droit vers la capitale du marquisat. Il arriva la veille au soir de son entretien avec Gaston, Jérôme prit donc le temps de se restaurer et de se laver avant de prendre une nuit bien mérité. Le lendemain, il portait une chemise simple et un pantalon du même acabit, non désireux d'en imposer à l'homme qui fut son ami et qui lui permit d'avoir le pardon pour son erreur. Le passé des deux hommes en commun était long alors que le baron était l'écuyer de Grégoire, son frère. Le baron s'avança donc d'un pas serein vers Gaston, le saluant tout de même comme le protocole le voulait même s'ils n'étaient qu'à deux. Toutefois le tutoiement était de mise, leur familiarité suite à leurs actions passées dépassant ce rapport vassal-suzerain

"Bonjour Gaston, je te remercie de bien vouloir me recevoir. Comment vas tu ? l'on raconte que tu ne sors que peu ces derniers temps et que tu rumine beaucoup, que t'arrive t il ?"

Du haut de sa cathèdre, Gaston d'Odélian se tenait assis bien droit ; et droit également était son regard, alors qu'il fixait le baron d'Etherna. Ce bon Jérôme, pensait-il tout en le jaugeant du regard, ce protégé de Grégoire qui, depuis un long moment déjà, faisait souffler le chaud et le froid à la cour d'Odélian tant leurs relations oscillaient entre tension et réconciliation.

« Je me porte à merveille », répondit-il sur un ton qui laissait entendre tout le contraire, car la sollicitude du baron d'Etherna ne faisait que remuer le couteau dans la plaie. Le marquis d'Odélian ne digérait pas l'épilogue de la bataille d'Amblère : il ne digérait pas le fait d'avoir perdu la face devant le marquis de Serramire, son rival naturel. Non content de voir échapper la Sgardie à ses mains avides, Gaston avait eu vent de l'honneur fait par le Serramirois à son vassal Jérôme, et de l'hommage-lige que ce dernier avait prêté en retour. Alors oui, le marquis ruminait ; il ruminait de se demander, à nouveau, à qui irait la loyauté de Jérôme à présent que ce dernier était un peu plus lié à Serramire.

« Mais c'est vrai, Jérôme, je sors assez peu ces temps-ci. Je jouis de la quiétude de mes terres. De la compagnie de mes gens et de mon épouse. Je me repose. Toutes ces choses de bonne femme qui permettent de se ressourcer, vois-tu. Je me fais discret. » Son regard se fit perçant. « A l'inverse du fameux Jérôme de Clairssac. Sais-tu que tu fais beaucoup parler de toi ? Le régent des terres mortes, c'est le dernier sobriquet que certains t'ont trouvé ici. Pas très original, j'en conviens. Alors, dis-moi, Jérôme, raconte-moi un peu... quelles nouvelles amènes-tu de ton vieux pays ? Et quelles nouvelles amènes-tu du nouveau ? »

Acerbe, ce fut le mot qui vint à l'esprit du baron lors des premiers mots qui sortirent de la bouche du marquis. L'amertume et l'ironie furent de mise ensuite, cela n'échappa pas à Jérôme qui sut instinctivement qu'il marchait soudainement sur des œufs. Lui qui pensait que tout était enfin terminé et qu'il avait retrouvé sa quiétude auprès de ses suzerains, le voila douché, la politique n'abandonnait donc jamais

"Se ressourcer est important, c'est un fait, je suis content d'apprendre que c'est cela qui te tient renfermé. J'espère que Madeleyne et son fils vont bien également"

Jérôme avait été l'instigateur de tout ce qu'il avait entreprit, la dernière chose à faire aurait été de se plaindre, ce qu'il ne fit pas. Il se doutait qu'il avait amené son nom sur les lèvres de beaucoup de personnes, surtout ces derniers temps et Néera avait permit qu'il en sorte grandit et non détruit, comme certains l'auraient préféré. Pourtant, il n'en était pas sortit indemne non plus, même si c'était plus personnel.

"Les terres mortes, un mot approprié pour parler d'Oësgard. Quel triste constat de cette terre aussi importante pour la protection de la péninsule. Les nouvelles ne sont pas bonnes, indéniablement, il y a tout à refaire, j'escompte bien réussir à quelque chose mais il faudra du temps c'est certain. C'est la peuple qui en souffre actuellement, c'est triste mais les miracles se font rare.

Quand à Etherna, le banditisme est un problème qui est en cours d'éradication. Malheureusement, la vermine est coriace et il faut les débusquer avant de les occire. Le commerce n'a jamais cessé mais l'argent ne quitte plus le coffre, et les récoltes seront bonnes grâce à l'aide de Langehack. C'est l'une des raisons de ma visite d'ailleurs mais nous y reviendrons après. Je suis content de te voir en bonne santé, je m'inquiétais de ne pas avoir de nouvelles en cette période des plus troubles"

A l'évocation des difficultés que connaissait l'Oësgardie, Gaston se contenta d'une moue désabusée. Ainsi allait le monde : rien n'allait dans le bon sens. Mais qu'importe ; puisqu'Oësgard n'était pas de son ressor, c'était un problème dont il n'aurait pas à connaître. Cela étant, il était sensible au sort d'Etherna et lorsque Jérôme évoqua à demi-mot l'aide langecine, Gaston haussa un sourcil. Il hésita un bref instant à amener tout de suite le sujet sur la table, mais il se ravisa ; Jérôme viendrait bien assez vite au fait de lui-même.

- Ainsi, tu t'inquiétais, Jérôme ? demanda-t-il, les lèvres étirées par un sourire qui contrastait avec l'apathie de son regard. J'en suis touché, mais n'aies crainte : tu sais que les hommes comme nous sont solides comme le roc. Mais bah ! Il remua un peu sur sa cathèdre. A force de ne me préoccuper que des problèmes du marquisat et d'observer ce royaume tomber en poussière, je dois avouer que la lassitude me guette. Si ma maisonnée ne m'apportait pas le réconfort qui m'est nécessaire, je ne sais où je trouverais la force de continuer. Il se leva et descendit, se dirigeant vers Jérôme qu'il prit amicalement par le bras. Marchons un peu, Jérôme. A force de rester continuellement assis lors des audiences, j'ai le fondement engourdi. Et avec la richesse du repas d'hier soir, j'ai peur que la station assise prolongée ne me rende le colon irritable.

Ils se tinrent côte-à-côte alors qu'ils quittaient la salle et gagnaient la cour, où un vent tiède les accueillit. Gaston avait la mine de celui qui redécouvre l'air libre après être resté trop longtemps enfermé.

- En parlant de maisonnée, comment se porte ta famille, Jérôme ?

Jérôme avait attiré l'attention de Gaston en parlant de Langehack, c'était une bonne chose. Le sourcil froncé était indéniable après la moue qu'il fit après l'allusion à Oësgard. Le baron avait l'impression de marcher sur des œufs, il ne comprenait pas très bien après la réconciliation et la discussion qu'il avait eut avec le marquis avant de repartir sur le front, il avait cru que son amitié avec le frère de Grégoire n'était pas morte. Cette discussion lui amenait la question de savoir si c'était vrai ou pas. Il savait qu'il y avait eut une discussion entre les deux marquis et vu l'humeur de Gaston à la suite et son départ précipité, nul doute qu'elle n'avait pas été si cordiale que cela. Mais Jérôme n'y était pour rien et même s'il avait hérité de la régence, il était toujours baron d'Etherna, vassal d'Odélian pour sa baronnie et il ne comptait pas refaire la terrible erreur qu'il avait fait. On lui avait donné une seconde chance et il n'avait pas l'intention de la gâcher. Gaston parlait et il apparaissait que sa position était d'attendre et de regarder. C'était un choix, pas forcément un mauvais vu le nombre aberrant de parties et la question de savoir qui ferait quoi et surtout, qui en sortirait vainqueur. Tout le monde semblait regarder l'autre en attendant que quelque chose se passe. Jérôme accompagna Gaston dans sa marche, le sourire aux lèvres après l'allusion à son fondement

"Ma maison va fort bien, je te remercie, elle va s'agrandir avec les mariages prévus pour le mois prochain, j'espère que Néera mettra sa main bienveillante sur les unions."

Jérôme était content d'avoir demandé l'aval de Gaston pour son mariage avec Aline avant de repartir sur le front d'Oësgard, il se demandait s'il accepterait encore après l'affront qu'il avait reçu par le marquis de Serramire. Quand à Guillaume, son suzerain était Jérôme, il n'y avait donc pas eut de problème pour qu'il ait l'autorisation.

"Ainsi, tu dis que tu t'ennuie de rester la à regarder le royaume se consumer. Dis moi alors, pourquoi ne pas participer ? je ne parle pas de guerre, nous en avons déjà trop eut mais pourquoi est ce que tu ne te positionne pas avec le marquisat ? que pense tu de la situation actuelle ? il est évident que la ligue du médian, vu le comportement de Velteroc à l'encontre d'Odélian après la guerre de Christabel n'est pas une option et je doute que tu veuille te rapprocher de Serramire mais il reste encore Soltariel et Sainte-Berthilde qui se tiraillent à propos du décès ou non de Bohémond. Ou encore une entente avec Langehack ?"

Jérôme avait reçu une lettre inquiétante d'Arichis et il comptait savoir ce qu'en pensait son suzerain

"Le régent d'Ydril, Arihcis d'Anoszia, m'a écrit une lettre dans laquelle il m'annonçait que le marquis de Sainte-Berthilde avait déclaré la guerre au sud. Je n'ai entendu parler d'aucun préparatif pour le marquisat mais les nouvelles sont inquiétantes si elles s'avèrent vraies. Le régent me demande de l'appuyer mais Etherna ne peut clairement pas. Que pense tu de tout cela ?"

Voila qu'il touchait au but principal de sa venue et qui consistait à deux questions, la position d'Odélian et la réconciliation avec Langehack

"Le duché de Langehack m'a aidé lors de la guerre contre Oësgard. Il n'ont pas prit les armes, ni rejoint ma cause mais ils m'ont fournit une aide précieuse en envoyant de la main d’œuvre à Etherna afin d'aider aux champs. Il est évident que sans l'aide du duché, Etherna serait plus mal qu'elle ne l'est actuellement et je leur suis redevable. Je me demandais d'ailleurs si tu accepterais de rencontrer le Duc ? lui serait pour un rapprochement ou du moins une avancée vers une réconciliation."

Cela faisait maintenant longtemps que le problème d'Isgaard existait et les protagonistes avaient changé pour toutes les terres concernées. De plus, la prise de possession de ces terres n'avaient pas non plus était contre Odélian car elle n'appartenait pas au marquisat, ni même à personne de la péninsule. Il était temps de tourner la page mais Gaston l'accepterait il ?