Face à face [Godfroy]

8e ennéade, Karfias, 9e année, 11e cycle

Un vent d'est avait gonflé les voiles et les emmenait toujours un peu plus en avant dans le Golfe. Oschide se tenait sur le pont, entouré de ses hommes en qui il faisait confiance. Les visages étaient tendus et graves. La rencontre scellerait probablement le sort du conflit qui avait débuté quelques ennéades plus tôt lors de la venue du berthildois à Diantra. Tout était aller si vite. Il s'était imaginé en capacité de pouvoir renouer les liens en vue d'une unification, mais était tombé sur un homme incapable de pouvoir composer avec les autres et de revenir sur ses choix. C'est donc en étant un peu perplexe qu'il vit la voile du marquis au loin. Après un certain temps, les deux navires se firent face et finirent par se mettre côte à côte. De chaque côté, les hommes s’observèrent en tentant de prévenir la moindre embuscade.

Il vit le colossale marquis sur le pont, l'air grave lui aussi. Les vagues remuaient les bâtiments et se stabiliser n'était pas chose aisée. Il réussit néanmoins à ne pas tomber en se tenant sur les rebords du navire.

-Langehack a répondu présent, marquis. Nous attendons vos propositions.

La mer avait cet avantage de ne draper aucun belligérant dans des vents ou des eaux favorables. Les deux navires se touchaient, et l'on pouvait converser en terrain neutre au milieu des flots. Non seulement en territoire tiers, cette entrevue était également discrète. Et le représentant du marquis ne comptait pas perdre de temps, invité par le duc a prendre la parole. Il s'agissait de l'un des bras droits du marquis, un grand gaillard bâti comme lui. Godfroy haissait les navires, et connaissait de réputation les navires langecins. Il ne se risquerait pas, ni lui, ni personne de valeur, a une embuscade en mer.

Très bien duc Oschide ! Faisons cela simplement ! Le marquis détient votre sœur Azénor en otage. Vous quittez Diantra, en l'évacuant de toute force suderonne dans ses murs, et vous passez un pacte, un hommage et un serment ! Celui de protéger la ville, et d'empêcher toute force visant a s'emparer de la ville d'y parvenir ! La ville s'administrera avec le soutien combiné de Langehack et de Sainte Berthilde ! Vous avez une énnéade pour vous décider, mon marquis attendra votre réponse par lettre ! Le sort de votre soeur dépend de vous, duc Oschide !

Sa méfiance ne fit qu'accroître lorsqu'il comprit que l'homme qui lui faisait face n'était pas le marquis. Son apparence l'avait trompé. Jamais il n'aurait pu imaginer qu'un autre homme puisse le ressembler. Cela ne présageait rien de bon, ça non ! Essayait-il de le flouer où était-il trop craintif pour venir lui-même négocier cette paix qu'il voulait ? Les mots de l'émissaire ne le réjouirent aucunement. Pis, il le vit déblatérer son discours sans même éviter de le menacer. Que ne fut pas sa surprise lorsqu'il entendit que sa sœur était alors captive du berthildois. Sa colère monta. On ne pouvait retenir en otage un Anoszia et encore moins lorsqu'elle celle-ci était la sœur qu'il affectionnait tant.

-Pendant un instant, j'ai cru que le marquis avait eu le courage de venir lui-même mettre un terme aux troubles qu'il a initié. Je me suis trompé apparemment, dit-il en observant un peu mieux le grand gaillard en face de lui. Qui de nous deux est le plus sot alors ? Celui qui a proposé un entretien et qui ne s'est même pas déplacé où celui qui s'est imaginé régler toute cette histoire une bonne fois pour toute en venant en personne ? Je me le demande bien.

A vrai dire messire, je me demande aussi ce qui est passé par la tête de votre suzerain pour oser ravir ma sœur. Si vous souhaitez me faire chanter en menaçant sa vie contre mon obéissance, vous vous tromper gravement. J'entends vos paroles pourtant, elles ne sont pas dénuées de sens, mais vous semblez ignorer que Langehack n'est pas seul à régenter Diantra maintenant. Les suderons le sont aussi. Ainsi, même si je donnais mon accord à un tel engagement, je ne serai guère en mesure de faire partir toutes les troupes, vous me comprenez ?

Nous sommes dans une impasse, je le crains. Cela ne m'enchante guère, mais je peux à mon tour vous faire une proposition. Dites à votre suzerain de nous rendre ma sœur pour prouver ses bonnes intentions et nous tâcherons par la suite de rentrer chacun de notre côté pour rejoindre nos femmes et nos enfants. Trop de sang a déjà coulé dans vos lignées durant la guerre d'Oesgard, nous ne l'oublions pas. Vos hommes sont probablement las de guerroyer et l'automne arrive. Cela non plus, nous ne pouvons le nier.

Il esquissa un sourire devant les propos du duc. Une distance infime les séparait présentement alors que Sainte-Berthilde et Langehack n'avaient jamais été aussi éloigné. L'image le refit sourire. Il en aurait été probablement de même pour le marquis s'il s'était trouvé là, quoique sûrement un peu plus irrité les propositions utopistes de l'Anoszia.

Je suis venu avec la proposition de paix de mon suzerain. Si vous la déclinez, nos hommes sauront retrouver les chemins de la guerre contre l'usurpateur de Soltariel. C'est là votre dernière chance de sauver votre sœur et de préserver vos terres duc Oschide !

Il toisa du regard tous les langecins présents sur leur grande barque flamboyante et dans quelques instants, il saurait si oui où non les berthildois et olysseans étaient des bons nageurs. D'un air presque amusé, il se demanda combien de langecins attendaient patiemment à l'intérieur du navire, prêts à bondir sur eux. Malheureusement pour lui, il n'en saurait jamais rien...

D'un simple geste de la main, tous ses hommes se baissèrent pour récupérer leurs arbalètes cachées sous des couvertures où des cordages. Au même moment, il vit les nageurs arriver dans le dos des langecins trop occupés encore à les regarder et à se demander ce que devait signifier une telle gymnastique synchronisée. Silencieusement, les berthildois et Olysseans entièrement trempés firent irruption dans le dos des langecins et égorgèrent les plus éloignés. De son côté, les arbalétriers tirèrent leurs carreaux à bout portant sur les gardes qui entouraient le duc Oschide. Ce dernier en reçut également un dans la jambe.

Allez le chercher !

Ses hommes sautèrent sur le navire langecin et récupérèrent le duc à terre en le menaçant, aux yeux des survivants, de l'égorger. Il n'en fallu pas plus pour que l'hostilité cesse et qu'ils le ramènent sur l'autre embarcation. Alors les marins olysseans jetèrent deux grandes jarres d'huile sur le pont, et de cette tâche incolore s’élevèrent les flammes des torches jetées a bas sur l'huile. Laissant le navire langecin brûler en emmenant le duc captif, le navire rejoignit un autre bateau qui mouillait plus loin, aux couleurs du marquisat. Sur son pont, Godfroy fut informé du bon déroulement des événements par une voile blanche arborée fièrement. Par prudence, il s'était tenu a l'écart de l'entrevue et du piège. Ensemble, les deux navires rejoignirent Sharas, et sous la direction du titan du Nord, Sainte Berthilde.

Rechercher

Résultats par : Messages Sujets
Recherche avancée