Rien ne vaut une douce mère, si ce n'est une douce tante. | Cécilie. [Terminé]

Au 1er jour de la 1ère ennéade du mois de Karfïas, an 9 du 11ème cycle.

La calèche basculait doucement Maélyne de gauche à droite. Le paysage défilait plutôt lentement. L’allure qu’avait entreprit le cocher était d’une lenteur quasi insupportable mais Maélyne n’était pas d’humeur à parler. En compagnie de Thenala, sa cousine, la Dame avait entreprit de voyager jusqu’à la cité de Serramire. Les festivités organisées par le marquis avaient rameuté la quasi-totalité de la noblesse Serramiroise, sans compter tous les cul-poudrés venants d’autres contrées. La jeune femme n’avait aucune envie de s’y rendre mais on lui avait « conseillé » d’y aller. La rencontre de plusieurs connaissances pouvait éventuellement entrainer un retour de souvenirs. Tout était bon de tenter, même si, il fallait l’avouer, elle avait plus envie de partir à l’autre bout du continent, seule, plutôt que de se retrouver dans un palais immense, entourée de centaines de gens.

La capitale se rapprochait, mais ce n’était pas leur destination, non. Les nobles, au vu de leurs nombres élevés, seraient logées au palais Seraphin. Thenala n’avait cessé de parler de cette bâtisse tout au long du chemin. L’excitation qui s’était emparée d’elle de loger dans un telle endroit surplombaient tout espoir de parler d’autre chose. De toute façon, aucun mot n’était sorti de la bouche de Maélyne. On pouvait donc aisément dire que la rouquine entretenait seule la conversation.

La calèche s’arrêta et la porte s’ouvrit. Elles étaient arrivées. A peine eu-t-elle posée le pied sur le sol qu’une Dame vint l’interpeller.

Mathilde avait beaucoup attendu ces retrouvailles. Sur le chemin depuis Missède, elle n'avait cessé d'un penser. Pendant la célébration au temple, elle avait dirigé toutes ses prières vers elle. Et lorsqu'on l'averti que la calèche de sa nièce était enfin arrivée, elle avait dégringoler les escaliers sans prendre le temps de passer autre chose que la sur-robe orange qu'elle mettait généralement en intérieur.

Un bout de robe puis une main, l'émotion l'avait submergée en voyant apparaître le visage de Maélyne. Elle ne l'avait pas revue depuis la mort de sa sœur... et elle avait quelque peu changer... tout comme Mathilde elle-même devait avoir changé. Un rien lui coupait l'appétit et elle n'aurait sans doute plus que la peau sur les os si son très cher cuisinier ne la gâtait pas dès qu'il en avait l'occasion. Ses pommettes saillantes et son absence presque totale de forme n'étaient certainement pas de son goût et bien loin de l'idée que l'on pouvait se faire d'une mère de famille, mais c'était ainsi.

Ce qui était plus drôle, c'est qu'un observateur aurait pu aisément les croire mère et fille. Mêmes cheveux blonds, un peu pâlis pour la plus âgée, mêmes yeux bleus, même peau pâle. Les visages également étaient surprenant de similitudes.

« Ma douce... Je veux dire... Maélyne. »

Les yeux brillants de joie, Mathilde s'avança de quelques pas pour se faire reconnaître sans brusquée la jeune femme. Gaël, en la détournant de Lourmel, lui avait dit ce qu'il était advenu... et Cécilie lui avait apprit en personne l'amnésie de sa cousine le matin même... Mais il était difficile de croire que quelqu'un puisse oublier totalement toutes les personnes de son passé.

« Je sais que tu ne dois pas me reconnaître, mais je suis heureuse de te voir. Je suis Mathilde. La sœur de ta défunte mère. La mère de Cécilie. »

Un sourire réellement heureux, quoi qu'un peu troublé barrait ses lèvres. Ce que cela pouvait être étrange de se présenter à une femme qu'elle considérait comme sa propre fille... Et de ne pas pouvoir l'étreindre.

"Ton voyage s'est bien passé?"

Elle qui n’avait pas prononcé un seul mot du voyage, se voyait dès son arrivée, contrainte à entretenir une conversation avec une Dame qui se disait être sa tante.  Dans un premier temps, la jeune femme se concentra, fronçant les sourcils, à la recherche du moindre souvenir que pouvait ressurgir... mais rien ne vint.

S’approchant de cette « Mathilde », d’un geste tendre, Maélyne posa sa main sur l’une de ses joues. Il ne fallait pas le nier, les deux femmes se ressemblaient très fortement, au point même où Maélyne se questionnait sur l’apparence du père de Cécilie pour que celle-ci soit si différente de sa mère.

Reculant pour prendre sa place initiale, elle ne répondit qu’un simple « impeccable. » à sa question, sur un ton fermé voire même froid. La tête baissée, la moue accrochée à ses lèvres ne pouvait que révéler son état. « Veuillez m’excusez... hm... ma Tante. Veuillez m’excuser de rester ainsi de marbre devant nos retrouvailles. » Ses bras vinrent se croiser sur son ventre, renfermant ainsi la jeune femme que d’avantage. « Et... euh... » Continua-t-elle, se forçant à entretenir un minimum de conversation. « Et votre voyage ? »

La main qui vient s'égarer sur sa joue fit sourire Mathilde de plus belle mais sa gorge se serra de nouveau lorsqu'elle vit le visage de Maélyne se refermer chaque seconde un peu plus. Elle ne se départit cependant pas de son propre air dégagé, agitant les mains, avec légerté.

« Ne t'en fait pas voyons ! Je tenais juste à t'accueillir ici. Je me disais que tu ne serais sans doute pas très a ton aise dans cette ville inconnu, c'est tout. »

Par réflexe, elle s'autorisa à retirer une bouloche du col de sa nièce avec un sourire tendre.

« Oui, mon voyage c'est très bien passé, quoi qu'un peu long. »

Elle poussa un léger soupire.

« C'est fou comme le temps du nord peut me manquer. Il fait bien trop chaud à Missède. Enfin... et si je te menait à ta chambre, j'ai demandé ou tu serais logé lors de mon arrivée pour ne pas te manquer et je pense pouvoir retrouver aisément le chemin. »

Elle tendit son bras, gardant un visage aussi rayonnant que le ciel d'été.

Maélyne ne put s’empêcher de scruter un peu plus le visage de la Dame qui s’était présentée à Elle. La beauté qu’elle arborait malgré son âge mure commençait à la fasciner. La jeune femme se mit même à espérer vieillir de la même façon que sa tante. Lorsqu’un bras lui fut tendu, une once d’hésitation lui traversa l’esprit, de longues secondes s’étaient écoulées avant que le sien ne vienne se l’approprier.  « Eh bien… si vous êtes mieux renseignée que moi alors autant vous suivre. »

Cela me fera un gain de temps. Se permit-elle de penser. La solitude lui manquait déjà tant. Un couloir s’offrit aux deux blondes, plutôt lumineux, donnant sur les magnifiques jardins.

« Ce palais m’a l’air immense… Et dire que je me perds déjà au château de Lourmel… » Maélyne n’avait pas réfléchit à ce qu’elle venait de dire mais ce n’était que pure vérité. Ce château, elle le connaissait comme sa poche, du moins, avant sa perte de mémoire. « Dîtes-moi… D’après-vous, combien de… nobles seront logées ici ? Nous marchons depuis plusieurs minutes et je n’ai encore croisé deux fois la même personne. » La curiosité la forçait à parler. Était-ce cependant bien de la curiosité ou plutôt la peur de ne pas savoir reconnaître les bonnes personnes ?

Mathilde gloussa.

« Lourmel est un vrai Labyrinthe. Petite, je me souviens d'avoir retrouver des invités dans les endroits les plus improbables... Je me suis souvent dit que le sens de l'organisation bien particulier de ta mère venait en partit de là ! »

Les couloirs succédaient aux allées... pour être tout a fait honnête, la Dame n'avait pas pris le chemin le plus court pour arriver à destination. Trop heureuse de profiter de ce peu de temps avec Maélyne, autant pour se rassurer que pour essayer d'égailler un peu sa journée.

« Le Palais est tellement grand que nous devons bien être plus d'une centaine invité ici ! Mais la fête bats sont plein dans la ville et beaucoup d'hôtes en profitent encore. La fête du nouvel an c'est quelque chose après tout. Gaël et ses sœurs y sont d'ailleurs. Je prie pour qu'il ne leur arrive rien, Colombe peut être si tête en l'air... »

Elle leva soudain un bras du côté de la balade du lac.

« Si tu en a le temps, je te conseille d'aller te promener sur les bords du lac. C'est un endroit paisible et magnifique... quand il ne pleut pas. »

Maélyne soupira doucement. Des centaines d’invités ? Tout autant de noms, de visages, de titres et de possessions à devoir retenir... Non clairement, elle n’en avait absolument aucune envie.

« J’irais y faire un tour, ou deux, peut-être... » Répondit elle à la proposition de sa tante. Les deux jeunes femmes repassèrent dans un couloir qui était familier à la Dame.  

« Dîtes-moi ma Tante, j’ai l’impression que nous tournons en rond... Savez-vous vraiment où se trouve la chambre qui m’est destinée ? » Maélyne n’était pas dupe au fond. Mathilde avait fait le choix de tirer en longueur la petite balade, sans doute pour passer plus de temps en compagnie de sa nièce.

« Hm... est-ce... Est-ce que cela vous dérangerait il de me parler un peu de mes parents ? » Enchaîna-t-elle, sans réellement laisser le temps à son ainée de répondre à sa première demande.

« Peut-être que... leurs visages me reviendraient si on me les décrivait. »

Mathilde éluda la première question avec un sourire splendide, mais quand Maélyne en vint au sujet de ses parents, elle se rembruni quelque peu. Elle n'aimait pas parler des morts en mal, mais avec sa sœur cela se révélait souvent compliqué de faire autrement.

"Nos relations n'étaient pas au beau fixe et j'ai peu de bons souvenirs avec elle. Lorsque j'ai quitté Lourmel, j'avais à peine dix-neuf et après cela nous n'avons gardé que des relations cordiales. La distance est souvent difficile à gérer."

Elle sourit au corneilles, faussement apaisée.

"C'était une femme autoritaire, magnifique, qui avait une idée très précise de ce qu'elle voulait. Ton père, lui, était un homme bon et surtout profondément amoureux. Lors de la guerre, vous deviez avoir onze ou peut-être douze ans, j'ai accepté de vous prendre sous mon toit."

Elle se tourna vers sa nièce pour plonger dans ses yeux clairs avec bienveillance. Elle espérait sincèrement qu'elle retrouverait ses souvenirs mais même sans, cela ne changeait rien.

"Vous êtes restées toute les deux jusqu'à ton mariage. Ça a été la meilleur décision et la meilleur période de ma vie."

Maélyne était quelque part assez déçue de la réponse de sa tante. Elle croyait pouvoir recevoir des informations précieuses, quelque chose qui auraient pu l’aider dans sa quête de retrouver ses souvenirs. Mais il semblerait que les deux femmes ne s’entendaient pas assez. Pourtant, ne devait-il pas y avoir de souvenir que Mathilde pouvait lui offrir ?

« Je vois… c’est… dommage. J’aurais aimé en savoir plus sur mes parents, mais si vous ne savez rien, tant pis… Je demanderais à ceux qui les ont côtoyés plus longtemps. »

Maélyne s’arrêta, entrainant également l’arrêt de sa compagne de couloir.

« Et… Ma sœur. Cécilie semble réfractaire à m’en parler… Enfin, à dire vrai, je ne lui ai surtout pas demandé. Mais… Lyanna. Que savez-vous sur elle ? Comment était-elle ? Comment est-elle… Partie ? Avait-elle un mari ? Des enfants ? »

Elle aurait pu demander des milliers d’autres questions, mais elle s’arrêta là, impatiente d’avoir des réponses, impatiente de voir si l’évocation d’un quelconque renseignement lui apporterait un souvenir.

Ah... Lyanna... Mathilde sourit sans même y penser. Un sourire un peu triste mais qui contenait tellement de tendresse...

"Ta soeur était une jeune femme éblouissante. Elle n'écoutait rien ni personne d'autre qu'elle. Elle aimait la vie... sûrement un peu trop. Et j'ai du lui faire des remontrances tellement de fois que je ne saurais plus les compter. Mais elle s'en fichait presque." rit-elle, les yeux brillants de larme.

Elle n'avait porté ni Maélyne, ni Lyanna, mais il lui semblait qu'elles étaient ses filles. Elle en avait une conscience si intime que la perte de l'une d'entre elle l'avait presque anéantie... Si il n'y avait pas eu Gaël, Colombe et Mélisande... Elle s'excusa pour sa sensiblerie avant de continuer.

"Elle était belle, intelligente, charismatique et elle le savait. Mais c'est aussi cela qui l'a perdue. Elle se pensait invulnérable. Elle croyait qu'elle serait toujours plus rusée que ses ennemis... Mais notre monde est fait de trahison, de malice et de cupidité."

Une certaine rancœur se sentait dans sa voix. Comment pardonner à ceux qui s'en était prit à elle? Elle était provocante et Mathilde ne cautionnait pas son comportement, loin de là, mais elle ne méritait pas ça. Sa famille, ses proches, son fief ne méritait pas ça.

"Elle a été empoisonnée. Cécilie et moi étions près de toi lors des funérailles."

Elle se souvenait encore de la robe blanche et pourpre de Lyanna. De sa peau pâle. De son visage figé et neutre là où, toute sa vie, elle avait été un tel rayon de joie.

"Physiquement, on pouvait vous confondre facilement. Mais vous étiez si différente en réalité. Toi, l'esprit ouvert, à l'écoute du monde qui t'entourait, d'une gentillesse sans limite mais faisant preuve d'une certaine retenue. Elle était plus taquine, d'un caractère plus fort. Elle ne se remettait jamais en question, n'avouait jamais ses torts. Par les dieux, je me demande combien de fois j'ai remarqué les brins de paille dans ses cheveux ou à l'arrière de sa robe!"

Cette fois, elle rit franchement en se rappelant de cette époque bénie pendant laquelle la paix régnait autant sur son coeur, sa famille que sur la Péninsule. Une seule larme lui échappa, presque incongru dans son visage radieux.

Aucun mot n’avait franchi la barrière de ses lèvres et ce, depuis quelques minutes déjà. Silencieuse par rapport à toutes ces révélations, Maélyne ne trouva pas les mots nécessaires à continuer la conversation. Des questions, elle en avait, mais toutes les réponses tournaient autour de la mort, de la disparition ou du décès...

« Pourquoi continuer de poser des questions si la réponse n’est autre que la mort... »

Une main vint se poser sur son visage alors qu’elle stoppa net sa course. Des larmes vinrent s’approprier ses joues tandis que ses lèvres se scellèrent une fois pour toute. D’un geste de la main, elle demanda à sa tante de la laisser tranquille avant de continuer sa route en direction de sa chambre.

Une fois à l’abri, enfermé dans une pièce qui serait sans nul doute son cocon, la Dame se laissa aller, pleurant de chagrin, pleurant de honte, pleurant l’injustice.

La Dame resta enfermé la totalité de la journée mais le soir venu, l’appel de la faim était plus forte encore que le chagrin qui faisait d’elle son plat. Une servante fut alors appelée pour l’aider à se rendre ne serait-ce qu’un peu présentable. Puis, elle parcouru les couloirs du Palais, à la recherche de quelconques victuailles. Passant devant les appartements de sa tante, elle se permit de frapper.

La réaction de Maélyne avait surpris Mathilde au delà des mots. La réponse toujours la mort... Oui... Surement... Si l'on vivait assez longtemps, c'était irrémédiable. Ces quelques mots avaient enfoncés un couteau dans son cœur. Une lame constituée de peur et d'une tristesse intarissable. Depuis la mort de Lyanna, elle priait chaque jour pour ne pas perdre un autre de ses enfants...

Aussi, lorsque Maélyne détala, elle n'eut pas la force de la suivre. Vidée de toute force et de toute envie, la dame s'assit quelques instants sur le premier rebord qu'elle croisa. La tête dans les mains, elle resta là, immobile, les yeux dans le vague, incapable même de pleurer. Elle n'était pas blême. Pas plus qu'elle ne tremblait... Non, tout cela était fini depuis des mois maintenant. Elle ressentait juste... ce gouffre béant qu'avait ouvert la perte d'une fille... Et l'amour sans borne pour ses autres enfants qui tentait tant bien que mal de combler cette fosse... et finissait invariablement par sombrer.


Au bout de quelques instants, aussi simplement qu'elle s'était assise, elle se releva et reprit sa marche en direction des appartement de sa nièce. Arrivé devant la porte, elle faillit ouvrir mais se ravisa et frappa trois coups avant de glisser au battant sans même attendre de savoir si quelqu'un viendrait lui ouvrir.

"Parce que si un jour nous arrêtons de poser des questions, plus jamais nous ne pourrons avoir de réponse heureuse."

D'un pas égal, elle regagna les jardins, tournant pendant quelques heures dans les allées aux senteurs d'été si différentes de celles de Missède ou de Beaurivages. Puis elle alla se préparer plus dignement et emmena comme prévu sa fille rencontré un seigneur des trente comme on vient montrer une cavale dressée pour la haute voltige. Lorsque l'heure du diné approcha, elle trouva le moyen de confier sa chère fille à ses deux autres enfants et regagna ses appartements. Elle ne pourrait rien avaler ce soir.

Prévoyant une soirée au calme loin de l'agitation de la présence de tous ces nobles, elle avait passé sur sa chemise une tunique fort simple et lisait au près de la fenêtre, les jambe ramenées près d'elle sur un large fauteuil. Elle leva un sourcil lorsque quelqu'un frappa a la porte... Et quelle ne fut pas sa surprise en voyant apparaitre le visage de sa nièce. Un sourire bienveillant sur les lèvres, sans prononcer un mot, elle s'écarta pour la laisser entrer si tel était son désir.

Elle frappa trois fois à la porte, après avoir fait quémander un repas copieux aux appartements de sa tante, puis, lorsqu’on l’invita, elle entra. Les différentes pièces étaient de tailles égales à celles qu’on avait mises à disposition de Maélyne. Tout semblait se ressembler dans ce palais et c’est ce qui intrigua un tant soit peu la Dame de Lourmel.

Elle s’avança jusqu’à la terrasse où Mathilde était en train de lire un livre. Un rapide coup d’œil sur le titre et Maélyne savait déjà qu’elle ne l’avait pas encore lu, où alors que si, mais qu’elle se souvenait plus…

« Bien le bonsoir ma tante. Je me demandais… Souhaiteriez-vous partager un repas en ma compagnie ? Je pense que nous avons encore beaucoup à nous dire. »

Joliment apprêtée, elle pensait s’installer à une quelconque table dans la salle de bal, mangeant en compagnie d’une flopée de nobles dont-elle-ne-connaissait-pas-le-nom-et-ne-savait-donc-pas-le-prononcer.

« Mais si vous désirez, nous pouvons reporter cela à une prochaine fois… » Continua-t-elle, le regard fuyant, toujours debout à attendre la permission de sa tante de s’installer auprès d’elle.

Mathilde sourit à la proposition de sa nièce. Elle n'arriverait probablement pas à avaler plus d'une demi cuillère de quoi que ce soit, mais l'idée lui plaisait... Et puis elle était revenue.

"Non. Bien sûr que tu es la bienvenue, entre et installe-toi. Que veux-tu que je fasse monter?"

La Dame avait rapidement posé son livre et s'était rassit de façon plus civilisée, réajustant avec des mouvements précis sa robe de chambre et le filet qui tenait lâchement des cheveux trop indisciplinés pour restés à leur place.

Elle était déjà debout, prête à appeler quelqu'un, lorsqu'on l'arrêta. Elle sourit de plus belle. Sa nièce avait beau ne pas se souvenir, elle n'avait pas hésité à faire directement monter le repas avant même de pousser cette porte. C'était une sorte de confiance malgré tout et Mathilde en était étrangement touchée. Elle vint donc se rasseoir au soleil, souriante, ses cheveux blonds pâlissant entourés d'une véritable auréole de lumière.

"Tu es magnifique ma douce. Cette robe te va vraiment à ravir. Tu feras vite tourner les têtes." ajouta-t-elle avec un rire à demi étouffé.

Le repas fut plus vite monté que prévu, talonnant de près l'invité du jour. Deux serviteurs mirent la table en l'espace de quelques secondes, gardant le regard détourné de la tenue de la Dame de Laval avec le plus grand professionnalisme. Des galettes d’épeautre, de la viande en sauce, des pommes de terre, un pichet de bière, une cruche d'eau, quelques pots contenant sel et herbes, des biscuits de seigle, des endives à la béchamel. Rien que l'odeur de tout cela avait de quoi remplir l'estomac!

Les serviteurs avaient à peine franchi la porte dans l'autre sens lorsque Mathilde loucha plus ostensiblement sur les galettes d'épeautre.

"Voilà quelque chose qui ne m'avaient pas manqué... ça et l'huile de foie de morue..." puis elle remonta sur le visage de sa nièce. "mais je gouterai chaque plat avec toi, pour t'accompagner, tu me diras ce que tu en penses."

Maélyne s’installa. Elle sentait déjà son estomac crier de joie lorsqu’on vint leurs apporter les bons petits plats. Mais son regard ne quitta point le visage de sa tante. On aurait pu aisément dire que la dame la dévisageait, alors que c’était sans doute tout le contraire. Un léger sourire apparu sur ses lippes et Maélyne se rendit compte qu’en sa présence, elle se sentait apaisée.

« Voulez-vous bien rester auprès de moi, ma tante ? » Dit-elle subitement sans se rendre compte que cette phrase pouvait porter à confusion. Un soupire suivit, puis elle se redressa et reprit. « Je veux dire. Restez avec moi à Lourmel. Peut-être est-ce trop demandé... peut-être pas. Après tout vous avez votre famille à Missède, votre époux, vos enfants... Mais... je vais devoir me marier bientôt et... Je ne sais pas, j’ai l’impression que le courant passe mieux entre vous et moi qu’avec Cécilie... »

Sans doute était-ce vrai. Il existait un lien fort entre Mathilde et Maélyne, un lien qu’elle n’arrivait pas à expliquer. Toutefois un refus était possible et à l’idée de se retrouver seule lui arracha une vive douleur.

La jeune dame avait l'air à la fois très inspiré par le repas... et pas vraiment avide. Cela rappelait à Mathilde la tête qu'elle faisait quand le dessert arrivait et qu'elle n'avait plus fin, essayant de fixer son attention sur autre chose.

Mais la demande de Maélyne la tétanisa.

Doucement, elle vint prendre la main de sa fille avec un sourire des plus tendres.

"Regarde moi Maélyne." commença-t-elle on ne peut plus sérieuse "Je ne te laisserai pas seule à présent. Je ne connais peut-être pas la douleur de perdre la mémoire, mais je sais ce que c'est d'épouser un homme que l'on ne connait pas. Et ce n'est pas si terrible, croie moi." Elle sourit. "Je resterai aussi longtemps que tu n'auras pas toute une ribambelle d'héritières et je gage que cela nous laisse bien quelques années. Il faudra jusque que je parte quelques ennéades pour l'élévation d'Irys et le mariage de Cécilie et je reviendrai à Lourmel, avec toi."

Elle avait oublier un tout petit détail, Maélyne ne se souvenait pas qui était Irys pas plus sûrement qu'elle n'était au courant du mariage de sa cousine... et encore moins de l'identité du futur mari, puisque cela, elle ne l'avait jamais su. Mais peut-être que cela n'avait aucune importance au fond, car Mathilde était bien trop heureuse de s'éloigner de Missède. Elle allait de nouveau vivre à Lourmel et avec sa chère Maélyne... Si seulement elle pouvait lui faire un peu de bien...

« Hum... Vos mots me touchent ma Tante. Vous savoir auprès de moi, malgré vos obligations, savoir que je passe avant tout, même de vos enfants, peut-être... suis-je égoïste de ressentir cela mais ça me fait tellement plaisir. » Dit-elle avant s’attarder sur le dessert sucrés qui raffolait ses papilles.

« Mais hum... Je ne savais pas que Cécilie était fiancée. Le mariage est prévu pour quand ? Je dois dire que je ne sais même pas quand se déroule miens, je n’ai pas encore osé prendre contact avec mon prétendu futur mari. » Une nouvelle bouchée, petite mais savoureuse.

« Et euh... vous parlez d’élévation ? Qu’est-ce ? Est-ce que je connais cette Irys ? Dois-je m’y rendre avec vous ? Cela me semble important... »

Elle finit ensuite son assiette puis se perdit de s’installer plus confortablement sur son siège, le dos toujours droit, la tête un peu avachie.

"Que tu t'en souviennes ou non, tu fais partie de mes enfants Maélyne." sourit Mathilde en prenant une minuscule cuillère de dessert du bout des lèvres avant de la laisser retomber. Non, décidément, si elle avalait quoi que ce soit, elle allait finir par rendre l'âme... Elle entreprit donc de faire la conversation pendant que sa nièce mangeait petit à petit son propre dessert.

"Oui. Nous avons attendu avant de le lui annoncer mais son père a enfin accepté de la marier. En plus, des bienfaits sont tombés sur cette future union comme s'il en pleuvait! Si je m'étais attendu à ça... Remarque son père non plus ne s'y attendait pas! Enfin... On m'a dit que ton mariage aurait lieur dans me de temps mais pas plus. Je connais plus la famille de Clairssac aussi bien que je le voudrais, cela remonte à bien longtemps, mais à l'époque ils avaient excellente réputation. Je suis sûr que ton futur époux sera parfaitement bien éduqué." Elle se cala de nouveau sur son dossier, résistant à l'envie de poser ses pieds sur le bord de l'assise. "Ah... L'élévation. Et bien Irys est Grande-Prêtresse de Néera, la déesse qui donna la vie et le libre arbitre aux humains. Irys officie au Langehack et c'est une parente de mon mari, Arnaut. Il me semble qu'ils sont cousins au premier degré. Je ne l'ai rencontré qu'une ou deux fois, mais elle m'a donné l'impression d'être une femme plus qu'admirable. Ses enfants étaient adorable d'ailleurs. Et bien figure toi que cette femme va devenir la nouvelle Haut-Prêtresse. La femme la plus importante du culte de la DameDieu! Je suis certaine que la cérémonie sera fabuleuse. Cécilie se mariera quelques jours plus tard dans la même Cathédrale. La seule chose que je déplore c'est le fait que Diantra soit à ce point détruite... J'ai entendu dire que notre Duc comptait la rendre au roi légitime, j'espère que cela sera fait rapidement et qu'elle retrouvera toute sa splendeur.... Hmmm... Mais pour en revenir à ta question. tu es la bienvenue si tu veux m'accompagner et je pense que la fête pourrait te plaire, mais si tu n'en a pas envie, personne ne s'en offensera, ne t'en fait pas. Tu as suffisamment à penser avec ce qu'il se passe ici."

Et s'il le fallait, elle comptait bien présenter les respects de Lourmel et de sa Dame à Irys elle-même.

« Eh bien ma Tante. Ce sera une joie pour moi de rencontrer Irys. Sans doute… une conversation avec elle… Saurait m’apporter quelques réponses… » Maélyne soupira puis baissa légèrement la tête. « J’ai rencontré Jena. Enfin. Au début je ne savais pas qui elle était. Je me suis réveillée, dans une pièce qui m’était inconnue… Je connaissais les meubles, les couleurs, les draps. Mais dire où je me trouvais, cela m’était impossible. Dire QUI j’étais, dire mon nom… tout cela, je n’y arrivais pas. Puis il y avait deux femmes. Cécilie était là et Jena aussi. » Elle fit une légère pause, tournant la tête pour regarder le paysage qui s’offrait à elle depuis la terrasse. « C’était déroutant, et j’étais plus qu’apeurée. Mais une fois calmée par… » Elle s’arrêta net. Ce qu’elle avait ressenti suite à l’intervention de sa cousine lui était encore incompréhensible, et puis, sa tante ne saurait sans doute pas le lui expliquer, seule Cécilie le saurait et Maélyne n’avait pas encore osée aborder le sujet avec elle.

« Cécilie. » finit elle par dire avant d’afficher un léger sourire, plantant son regard à nouveau dans celui de sa tante. « C’était une expérience douloureuse et épuisante, et me voilà ici, à devoir participer à une fête dont j’ignore même la raison de son existence, car je me dois « de bien me faire voir. » je dois avouer que j’aurais préférée rester dans ce lit douillet inconnu dans la chambre inconnue du château inconnu de la cité inconnue du pays inconnu se trouvant dans un monde… qui m’est totalement inconnu. » La Dame soupira une nouvelle fois. « Et en plus de cela, je vais bientôt devoir m’unir à un homme tout aussi inconnu. » La main de Maélyne vint trouver réconfort dans celle de sa tante. « Je vous en prie, ne pouvez-vous pas faire quelque chose ? Peut-être pas annuler… mais… m’accorder du temps ? Cela peut paraître être une demande désespérée, ne vous leurrer pas, s'en est vraiment une. »

Mathilde se leva pour étreindre sa nièce un bref instant. « Tu verras, les choses se calmeront très vite et tu auras tout le temps que tu souhaite pour te remettre. Si tu le souhaites, je parlerai à Jérôme et Guillaume dès ce soir pour leur demander un délais. Ce sera facile. Un mois de deuil n'est pas de trop et tu pourras en profiter pour te reposer. » Elle embrassa les boucles blondes de la jeune femme comme elle en avait l'habitude lorsqu'elle et sa sœur venaient d'arriver à Beaurivages avant de s’asseoir sur ses talons à côté d'elle pour la regarder dans les yeux. « Ne perd pas espoir ma douce. Il y a des gens qui t'aiment. Tu as encore des choses magnifiques à vivre. Tu es encore jeune et tu as traversé assez d'épreuves pour toute une existence. Tu auras dorénavant une longue et belle vie. » Elle replaça une éternelle mèche rebelle derrière l'oreille de Maélyne avec un tendre sourire. « Je n'en doute pas une seconde. »

Les paroles réconfortantes de sa tante lui procurèrent un bien immense. Savoir que quelqu’un se démènerait pour l’aider à surmonter cette épreuve apaisait un peu les craintes de la jeune femme.  Une perte de mémoire n’était pas anodin, et si certains s’amusaient à parier sur le temps qu’elle mettrait à devenir complètement folle, Maélyne se réjouissaient que d’autres resteraient à ses côtés, pour ensemble, surmonter cette épreuve difficile.

« Je veux bien que vous leurs parliez... » Commença-t-elle doucement en parlant du Baron d’Etherna et de son frère. « Cela me permettra en plus d’apprendre à connaître mon futur époux... et de prendre une décision par la suite. » Bien sûr que rompre les fiançailles étaient une option à laquelle Maélyne avait songé, après tout, elle n’avait plus de père, plus de tuteur et les récents évènements lui donnaient toutes les excuses du mondes pour refuser ce mariage. « C’est peut-être égoïste, mais j’espère qu’un jour, j’irais mieux et que je pourrais être heureuse. » Finit-elle avant d’étreindre sa tante.

Puis elle se leva, salua Mathilde et lui souhaita une bonne soirée, prétextant une fatigue soudaine alors qu’elle ne souhaitait qu’être seule quelques moments. C’est en fermant la porte des appartements de sa tante que Maélyne se mit à pleurer silencieusement. Les pas qui la menèrent vers ses propres quartiers furent plutôt lents. Heureusement, elle ne croisa personne sur son chemin.

"Cela n'a rien d'égoïste, ma douce." Sourit Mathilde, passant une main dans le dos de la jeune femme avant de la laisser partir. Elle l'a raccompagna jusqu'au couloir et l’étreignit une dernière fois. "Tu peux passer me voir quand tu le désires. A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit." Une fois la porte fermée, elle soupira et retourna s'asseoir près de la fenêtre. Pourquoi fallait-il que les enfants qu'on aimait tant soient toujours une aussi grande source de soucis...