Un chemin semé d'embûches

Calimehtarus
6ème ennéade de Karfïas,
An 9 du XIème cycle

L’atmosphère à l’intérieur de la salle était lourde, voire même pesante, alors que les volets avaient été fermés tout le temps de midi, laissant l’air à l’intérieur de la pièce se vicier lentement et ne devoir son agréable odeur qu’aux bougies parfumées qui avaient été allumées. Si le fait de ne pas aérer la pièce y était en partie pour quelque chose, la lourdeur de l’atmosphère, elle, pouvait trouver une explication complémentaire. Les hommes réunis dans cette pièce étaient tous tendus. Des petits seigneurs du Bétis, en passant par les riches nobles de Boniverdi, çà et là, quelques membres de la Compagnie du Ponant venaient s’incruster dans le tableau, sans pour autant y faire tache. Quelques familles manquaient à l’appel, celles dont l’allégeance n’était pas sûre, ou favorable à ce qu’ils appelaient entre eux ; les Étrangers.

Les discussions avaient démarré depuis deux bonnes heures déjà. Alors qu’il faisait mourant dans la pièce, un esclave avait voulu ouvrir les volets, directement réprimandé par ses maîtres. Ils préféraient ne pas prendre de risque. Si cette réunion n’était pas considérée comme secrète, le crier sur tous les toits n’était pas non plus le plan le plus habile.

Après avoir pris une lampée de son vin coupé d’eau, un homme à la broche d’or façonnée d’un brochet prit la parole entre tous ses compagnons ici assemblés. Il s’éclaircit la voix, qu’il avait malgré tout bien enrouée, et s’adressa aux membres de la célèbre Compagnie du Ponant.

« Dites-moi à nouveau ce que Bartholomé de Perocco faisait là-bas ? »

Les hommes se regardèrent un instant. La question était légitime, après tout. Et il valait mieux ne pas répondre n’importe quoi. L’homme continua.

« Si vous soutenez l’Ydrilote, vous pouvez déjà vous en aller, vous le savez très bien. »

« Nous ne le soutenons pas, messire de Pasi. Dois-je vous rappeler quelle rivalité nous entretenons avec les gens du Comté ? »

Les regards se rivèrent sur l’un des membres de la Compagnie. Il était plutôt richement vêtu, trahissant sa position avantageuse.

« Si Bartholomé de Perocco s’y est rendu, c’était bien pour faire bonne figure. Sachez que la plupart de nos hauts fonctionnaires ne sont pas favorables à cette union… »

Un autre homme prit la parole, un homme surnommé La Carpe par ses ennemis.

« Un vicomte d’Ydril et une jeune Soltarii-Berontii en exil. Je préférerais m’ouvrir le ventre que d’avoir à lécher les bottes de tels gens… »

Le greffier prenait note de tout. Néanmoins, il avait été clairement établi au début de la réunion que le parchemin serait conservé à l’abri des regards. Un petit gros à l’air grave se massa les sinus, tout en prononçant :

« Dame Angelina de Solaria ? »

Un noble à l’écusson du cygne regarda un papier. Il soupira.

« La rumeur court qu'elle refuse d’y prendre part. Nous sommes seuls face aux Etrangers. Que ce soit l’Ydrilote et l’Exilée, ou bien encore la cousine du défunt Maciste, une Sybronde… Et je trouve que c'est encore meilleur choix que ce nouveau couple. »

Tous les hommes présents dans la pièce se regardèrent mutuellement, désapprouvant pour certains la dernière phrase. La plupart étaient ici par pur mécontentement, d’autres voyaient plus loin. Certains étaient venus avec une idée bien précise en tête. C’est un Celini qui prit la parole.

« Il y a toujours un moyen de s’en sortir, mes seigneurs. Nous nous sommes jurés que Soltariel reprendrait ce qui lui est dû, et par la grâce des Cinq, nous y arriverons. Les anciennes lignées sont soit en exil, soit étrangères… La Dame de Solaria refuse de devenir Duchesse, et ce malgré qu’il s’agisse de l’une des seules légitimes parmi nous. Alors, si la légitimité n’est plus de notre côté, autant se choisir un nouveau parti. Un sang neuf. »

La multitude d’yeux se rivèrent sur le Celini. Il avait l’air déterminé. Un vieil homme à la barbe bien taillée le montra du doigt.

« Et par du sang neuf… c’est vous que vous sous-entendez, je suppose ? »

Il y eut quelques rires. Le Celini, quant à lui, sourit, ne se laissant pas décomposer par les railleries. Il poursuivit.

« Moi, ou un autre. Je pense que nous devrions voter à main levée. »

Le seigneur de Pasi leva un doigt en l’air.

« Mais si nous procédons ainsi, qui nous dit que nous n’aurons pas à craindre le courroux de l’Anoszia ? »

« Arichis d’Anoszia n’est qu’un vicomte. Il peut gouverner au nom des Systolie ou avoir une place au Conseil de Régence, je m’en moque. Il n’est pas le seul à y siéger. Je suis sûr que nous pourrons trouver des amis dans le reste des conseiller de sa Majesté. Beaucoup ne doivent pas voir les récentes réussites du Dragon d’un bon œil. »

Ils acquiescèrent, pour la plupart. L’un des membres de la Compagnie du Ponant fit un pas en avant.

« Alors… que fait-on ? »

Le seigneur de Pasi leva les mains.

« He bien, votons ! »