La vengeance est plus douce que le Miel | Solo

Jour 9
6ème ennéade de Karfias
an 9 du 11ème cycle.

« Qu’allons-nous donc faire en Soltariel ma Dame ? Je pensais qu’il n’y avait que Sybrondil qui n’avait de valeur à vos yeux. »

Au départ le vieil homme ne reçut qu’un maigre sourire en retour, puis las du silence qui s’était installé, Victoria prit soin de lui répondre.

« N’ai-je point annoncé que je ne laisserais quiconque s’approprier les possessions et les titres de mon frère, Grégorio ? »

« Oui ma Dame, mais nous ne sommes clairement pas en position de force. Nous n’en avons au contraire, aucune ! » Il soupira, avant de détourner la tête, estimant que sa Baronne faisait une grave erreur. « Se rendre à Soltariel et se prétendre être l’unique Duchesse légitime, je ne crois pas que ce soit la meilleure solution ! »

« Grégorio, Grégorio, Grégorio… Mais quel esprit malade vous a dit de telles choses ? Me croyez-vous suicidaire ? » Il y eut un silence. « Bien-sûr que je ne le suis pas. Nous nous y rendons pour tâter le terrain comme on dit… vous savez, prendre la température, faire bonne figure… Je doute bien que je serais accueillie plutôt froidement, que certains vont crier haut et fort que je n’ai point ma place à Soltariel et c’est là qu’il faudrait faire profil bas et se tisser quelques alliances dans l’ombre. » Refermant son éventail, d’un coup habile de la main, elle frappa légèrement le genou de son fidèle conseiller alors qu’ils étaient tous deux en route. « Tout ce que j’entreprends ne sera que dans l’intérêt de Sybrondil et de ma famille. Si seulement Camille n’avait pas été aussi bête de se prétendre Baronne, nous serions déjà certains d’avoir récupéré le trône Ducal, toutefois le Dragon a pris énormément d’assurance avec l’exilée qu’il a ramené d’Estrevent. Mais j’ai ouïe dire qu’il n’avait pas encore réussit à convaincre la majorité des nobles Soltarii et c’est là qu’est notre force pour le moment. »

« Sans doute avez-vous raison ma Dame… Du moins je l’espère. »
« Ayez donc un peu confiance, Grégorio, cela en devient blessant. »
« D’accord ma Dame. »

Tous deux finirent par adopter un silence plutôt serein alors que le paysage Sybrond défilait devant leurs yeux. Ils avaient pris route juste après l’entretenue entre Victoria et le vicomte d’Euphémion. Soltariel était leur destination mais ils feraient d’abord une escale dans une petite seigneurie frontalière à la baronnie. Une fois sur place, invités à être logés dans un manoir familiale, la Dame, tout sourire, attendit son hôte dans l’un des salons. On lui avait déjà servi le thé ainsi que quelques gâteaux dont elle raffolait tant. Elle dû néanmoins attendre une bonne heure, toute seule. Là où d’autres auraient vu un affront, Victoria resta d’un calme olympien, sirotant son thé à petites et lentes gorgées, tout en réfléchissant aux discours qu’elle entretiendrait avec l’homme qui était sur le point d’arriver. C’est là, qu’enfin, la porte s’ouvrit.

« Votre Honneur… Ma Dame… Veillez excuser ainsi mon retard. Je… »

« N’ayez crainte Messire, je n’ai point vu le temps passer. » répliqua-t-elle sans lui laisser le temps de finir, affichant un sourire des plus radieux alors qu’elle se leva pour aller à sa rencontre. Un baisemain lui fut offerte, prouvant que la galanterie lui était mieux acquise que la ponctualité.

« Je n’ai point eu l’honneur de connaître votre nom. » enchaîna-t-elle directement.

« Je suis le seigneur de Pasi, chef élu des Vrais Soltaris. »

« C’est un honneur, Messire, de vous rencontrer. Mais permettez-moi… Hm… « Chef élu des Vrais Soltaris » ? »

« Oui, permettez-moi de vous expliquer. » L’homme entra alors dans un monologue, expliquant à la Baronne le mouvement d’opposition qu’ils étaient en train de créer. Il précisa également qu’il avait été élu comme chef de la « résistance ». Plus d’une fois Victoria se demandait pourquoi il lui révélait tout cela. Était-elle néanmoins certaine de ne pas faire face à un menteur qui ne devait que la ralentir d’avantage ? Non, personne n’aurait pu être certain.

« Messire… L’ancien Duc, Maciste n’était autre que mon frère, vous devez sans doute le savoir. Il a été sauvagement assassiné par cette Estréventine. Heureusement, elle fut chassée ! Mais Malheureusement, l’héritier… légitime a été également emporté. Je doute que Soltariel veuille se lancer dans une expédition en Estrevent pour récupérer l’enfant, comme je doute que les nobles Soltarii acceptent une fois de plus qu’une Sybronde telle que moi, aussi légitime que je le sois ou non, accède au trône. »

« Vous avez tout à fait raison, nous sommes las de voir notre trône aux mains d’Etrangers. Angelina de Solaria aurait été une bonne prétendante que nous aurions soutenue sans peine. Mais elle se refuse à s’engager dans la course au trône, du moins, ce sont les rumeurs qui courent… Il y a ensuite Tibéria de Soltariel, malgré son exil, elle reste néanmoins la seconde à être légitime.

Malheureusement, elle prit le choix d’épouser le Grand Argentier de Sa Majesté Bohémond Ier, qui n’est autre qu’un simple vicomte d’Ydril malgré son rang de régent. Un Ydrilote… Non par tous les dieux, surtout pas un Ydrilotte. Tibéria aurait mieux fait de se trouver un mari Soltarii plutôt que de faire confiance à ce rapace qui ne cherche qu’à accroître ses pouvoirs. Elle s’est sans doute laissé manipuler, ce qui est fort dommage. »

Victoria n’en perdait pas une goutte, elle qui avait tant de retard, voilà que toutes les informations qui lui étaient nécessaire lui tombaient dessus comme par magie.

« Je dois néanmoins vous prévenir votre Honneur. L’une des autres options que nous avions n’était autre que la cousine de notre défunt Duc, Camille d’Aphel. A aucun moment nous avions envisagé de vous nommer à la succession. »

« Mais détrompez-vous Messire, je ne suis point là pour réclamer le trône Ducal en mon nom. » dit-elle sur un ton si léger que son interlocuteur eut du mal à se remettre de son étonnement.

« Mon frère a été Duc de Soltariel il est vrai mais je partage votre opinion. Le duché doit revenir à sa source. Un Soltarii doit gouverner, et non pas un homme aux trop grandes ambitions. »

« Puis-je… alors vous demander pourquoi êtes-vous venu me voir ? »

« Je vais être un peu plus claire… » Commença-t-elle avant d’entreprendre un monologue à son tour. Phrase par phrase, mot par mot, Victoria prit le soin d’être explicite tout en restant mystérieuse sur certains points.

« Je souhaites vous soutenir, vous et votre rébellion, forger une alliance et ce par le mariage. Sybrondil ne reconnaîtra qu’un Duc Soltarii et ne soutiendra en aucun cas l’Anoszia. Vous voilà dorénavant avec la possibilité d'acquérir une alliée de plus et moi, je me contenterais du rôle d'épouse. Qu'en dites-vous Messire ? »

« Pourquoi vous épouserais-je ? Alors que je peux me fiancer à celle qui a plus de poids que vous, Camille? »

« Camille a fait l'erreur de se croire légitime en Sybrondil. Qu'en est le résultat? Elle se trouve actuellement sous ma... responsabilité si je puis me permettre. Elle a tenté, mais elle a échouée. Et moi, Messire, j'ai banni l'échec de mon vocabulaire. Un mariage entre Soltariel et Sybrondil ne pourrait que renforcer encore plus votre position surtout face à Ydril et Ysari qui, j'en suis certaine, n'hésiteront pas à se rebeller si le Dragon ne parvient pas à obtenir son dû. »

La main de l’homme vint instantanément se placer devant sa bouche, comme s’il n’osait point faire de promesses sans en juger le poids.

« Je ne peux vous donner de réponse tout de suite. Ma foi, je dois d’abord en aviser mon conseil. Je suppose que vous vous rendez à la cour du Roi ma Dame ? »

« Pas directement, non. Je ne tiens pas à me jeter dans la gueule du loup, me comprenez-vous ? » Répondit elle accompagné d’un léger sourire.

« Je comprends, soit. Vous pouvez disposer de ma demeure le temps que je fasse part de vos propositions à l’ensemble de mes partisans. Je reviens vers vous aussi vite que possible. »

Il se leva, fit une légère révérence avant de quitter la pièce. Ce fut une discussion fort intéressante, même si elle n'obtint aucune réponse concrète.

« Et donc, cette entrevue votre Honneur ? »

Grégorio avait rejoint Victoria dans les petits jardins, quelques temps après le départ du seigneur de Pasi. La Baronne offrit un léger un sourire qui vint se dessiner sur son visage alors que son regard croisa celui de son conseiller.

« Très bien, Grégorio ! Il semblerait que la résistance se soit regroupée sous le nom des Vrais Soltaris. Que le seigneur de Pasi en soit le chef élu. Je lui ai donc proposé mon soutient. »
« Vous laissez donc le trône Ducal aux Pasi ? Je pensais que vous ne laisseriez personne prendre ce qui appartenait à votre frère. »

« Ce qui appartient à mon frère. Il est certes mort mais le Duc légitime n’est autre que mon neveu. Et disons qu’il faut savoir mettre de l’eau dans son vin pour arriver à ses fins. »

Victoria fit une légère pause, cueillant au passage une jolie rose qu’elle plaça dans ses cheveux.

« Je lui ai proposé de l’aider, en échange, il me devra épousailles. Vu que mon frère ne daigne s’intéresser à la politique, il serait difficile de récupérer le trône au nom des Maldi. Mais il ne nous est pas impossible de le récupérer autrement. »
« Alors c’est donc pour cela que vous vous gardiez de vous proposer à des vassaux sybronds. »
« Effectivement Gregoro. »

Victoria n'était pas dupe. Du moins pas totalement. Si le seigneur de Pasi était réellement le chef, sans doute aurait il prit une décision directement. Ou alors aurait il négocier un peu plus qu'un simple retour du nom de Camille sur la table. Quelque chose poussait la Baronne à se méfier de plus elle mentait, mais même son plus fidèle conseiller s’était laissé berner. Victoria avait un tout autre plan, mais elle-seule en tirait les ficelles, et elle seule serait en mesure de l’appliquer jusqu’au bout.