Avenir politique | Solo

Arcamenel de la sixième ennéade de Karfias
De la neuvième année du onzième cycle.

Assis, les jambes croisées, son index replié sur sa lèvres inférieure, il réfléchissait. Tous les regards étaient portés sur lui, certains retenaient même leur souffle dans l'attente d'une déclaration. Le silence régnait dans la salle. Bientôt, il prendrait la parole. Mais l'annonce qui lui avait été faite n'avait pas été pour lui plaire. On lui avait rapporté que durant son absence, le protecteur de Carrobrelian s'était confronté à des noss, à propos de terres cultivables dont il n'avait même pas la prime nécessité. Il avait été averti des risques qu'il courrait en voulant tout de même forcer la chose, mais il n'avait visiblement pas tenu compte des conseilles qu'on lui avait procuré. Anorn soupçonnait là une simple mascarade, un prétexte frauduleux avancé seulement pour avoir une raison honorable de tuer des frères et des sœurs. Il connaissait bien le Protecteur, il avait senti lors de leur dernier conseil qu'il était sur le point de commettre une erreur. Mais les drows avaient frappé, Alëandir l'avait appelé et il n'avait plus eu l'occasion d'en rediscuter. Il n'avait jamais pensé que tout se passerait si vite, qu'il profiterait de la distraction qu'avait créé le Front et Eraïson pour passer à l'action.

 - Je ne peux pas cautionner ses actions. Je ne peux pas le laisser en charge de la sécurité du peuple de Carrorbelian. Pas quand il se fait un devoir d'en exterminer une partie. Je réunirai courant du mois prochain le conseil exceptionnel. Nous élirons alors un remplaçant qui prendra la succession du protecteur de Carrobrelian. Jusque là, une missive l'informera de la décision que je viens de prendre, en l'enjoignant fortement à ne plus prendre aucune décision pour l'avenir de son protectorat. Il lui sera demandé de laisser en suspens tout plan visant à construire le futur et à ne régler que des détails de prime importance. Mes frères, mes sœurs, je vous remercie de m'avoir informé de la situation. Y a-t-il un autre sujet dont nous devrions discuter aujourd'hui ? Ou à propos duquel vous vous attendez à ce que je prenne une décision ?

Les langues se délièrent encore un peu, rapportant pour certaines seulement des rumeurs, dont Arwain aura sans doute déjà eu vent, pour d'autres des faits un peu plus concrets, notamment au sujet des moines de Calimenthar. Ils avaient pour la plupart pris le chemin d'Eraïson, mais ceux qui étaient resté au monastère étaient devenus plus virulents que d'ordinaire. Ce qui en inquiétait plus d'un. Anorn promis qu'il verrait de quoi il retournait réellement assez vite, sans pour autant dire qu'il ferait des miracles. Les moines avaient toujours été exclus de la société et ne reconnaissaient que difficilement une autorité autre que celle de leur propre hiérarchie. Mais il se devait de tirer tout ça au clair avant de devoir repartir pour Alëandir, sans quoi la situation pourrait dégénérer assez rapidement. Les conseillers quittèrent rapidement la salle une fois cette discussion close et il se retrouva bientôt seul. Se levant de son siège, il alla s'appuyer contre une des colonnes et son regard se perdit sur la ville. Il l'aimait, cette cité. Il n'y avait pas grandi, contrairement à Arwain, mais il s'était impliqué pour elle au possible. Il avait donné beaucoup, s'était battu pour ses habitants. Et son acharnement avait payé. Des siècles auparavant, il n'aurait jamais imaginé contempler ainsi Quatrième Saison, n'aurait jamais imaginé être en charge de tout un peuple. Il avait alors d'autres ambitions, d'autres doutes, d'autres buts.

 - Les colosses m'impressionneront toujours. Ils ont cette majestuosité que je ne saurais retranscrire, même avec la plus grande volonté au monde.

Il l'avait entendue arriver, il avait senti sa main glisser le long de sa nuque, sous ses cheveux, et sa joue se poser contre son épaule. Il avait esquissé un sourire en imaginant sa femme un millénaire en arrière, les yeux écarquillés aux pieds des colosses. Admirant leur grandeur et la précision de leurs traits. Se demandant si un jour tel ouvrage sera de nouveau réalisé. Se demandant combien de temps ils resteraient encore là, à épier chaque bâtiment qui entrait et sortait, veillant sur l'accès direct à la cité.

 - On vient de me rapporter que les moines s'agitaient. Que ceux qui étaient restés au monastère, au lieu de suivre la délégation pour Eraïson, devenaient de plus en plus virulent. Tu as entendu des choses à ce sujet ?
 - Tu sais que je ne me mêle plus à leurs affaires, Anornedellon.

Sa main avait quitté sa nuque et elle avait reculé d'un pas. Un soupir franchit ses lèvres et il se retourna vers elle, tendant une main vers elle en attendant qu'elle y loge la sienne. Mais elle n'en fit rien. Au lieu de cela, elle croisa les mains sur sa poitrine et sa bouche se tordit un bref instant, expression simple d'un pur dégoût.

 - Je suis désolée, j'ai entendu des rumeurs en effet, mais je n'irai pas vérifier à la source. J'ai quitté l'ordre il y a bien longtemps, tu le sais. Je n'y retournerai pour rien au monde. Alors je t'en prie, ne m'en parle pas. Pas de cette façon, pas en attendant de moi que je sois ton interprète, ta messagère. C'est hors de question. Où as-tu la tête bon sang, je porte actuellement nos enfants Anorn ! Et tu voudrais que je risque ma santé pour une cité ?
 - Non, bien sûr que non Arwain, je ne te demanderai jamais une telle chose. Je sais qu'il est hors de question que tu les approches de nouveau. Je te demande simplement si tu as entendu quoi que ce soit. Mais je n'aurais pas du, pardonne moi. Je n'évoquerai plus le sujet, je ne pensais pas que c'était encore si sensible.
 - Tout est plus ou moins un sujet sensible en ce moment. Je me pose un milliard de questions à propos du futur, à propos de toi, à propos de moi, à propos de nous. A propos de tout. Je suis tellement heureuse d'attendre la venue de nos enfants que j'en ai peur. Peur que quelque chose vienne troubler tout ça. La dernière fois que quelque chose a troublé mon bonheur, c'était à cause d'eux. C'était même eux tout court. Par Kÿria, n'essaye pas de trouver en moi des réponses. Ne me regarde pas comme une ancienne adoratrice de Calimenthar. D'accord ?
 - Je n'avais pas réalisé. Je te prie de m'excuser, mes intentions étaient toutes autres. Je te parle tout le temps de politique, tu es mon bras droit, j'ai simplement abordé ce sujet sans réellement penser à ce qui pourrait en découler. Tu me pardonnes ?

Attrapant cette fois sa main tendue, elle se laissa aller contre lui, poussant un long soupir. Il la sentait frémir légèrement contre lui. Par réflexe il vérifia que les jumeaux allaient bien, qu'Arwain allait bien. Elle sourit légèrement quand elle sentit le flux passer à travers elle. Elle n'était certes pas assez sensible pour l'utiliser, mais elle était assez habituée à la façon dont Anorn l'utilisait qu'elle pouvait savoir quand il le faisait à travers elle. Elle fut rassurée un instant, parce qu'elle savait, là et maintenant, qu'elle ne craignait rien à ses côtés. Qu'ils ne craignaient rien à ses côtés, tous les trois.