Les préparatifs

8^ième ennéade de Favrius de la 9^ième année du XXI^ième cycle - Jour 7 [Automne]

Il aurait juré que le froid arrivait plus tôt que prévu tellement il se caillait le cul sur le haut des remparts de la Citadelle. Il aurait aussi vendu père et mère… voir épouse pour se retrouver ailleurs mais les ordres étaient les ordres. Parce que le gout du sang lui manquait, la ferveur des combats aussi ou encore cette escarmouche lors des Champs Pourpres. D’ailleurs, ce jour-là, il avait manqué d’y passer mais après plusieurs semaines de convalescence, il était frais comme un jeunot découvrant ses premières pustules acnéiques avec une cicatrice en prime… Evidemment, il faisait l’apanage de cette marque. C’était là un trophée. Il avait survécu à l’ost royal, aux berthildois et olysséans.
Bon à dire vrai, il n’y avait pas franchement eu de mérite. Ce fut tout simplement un massacre. Un véritable massacre où l’herbe et la terre s’étaient teintes de la terre. Il avait naturellement apprécié.
Siléas du Clan Angola, heldirois notoire, n’était pourtant pas connu pour sa grandeur d’esprit ni même pour sa jugeote – bien qu’il lui arrivait d’être d’une pertinence saisissante – Siléas était surtout connu pour ses qualités de combattant. Dépassant généralement d’une tête le commun, sa carrure s’imposait. Sa férocité le précédait et c’est bien à elle qu’il devait sa place d’officier. Fort heureusement Siléas ne présidait pas seul. Une voix vint le héler.

« T’as donné à bouffer à tes bêtes ? »

Ses yeux bruns se tournaient vers son compatriote qui lui brillait par sa petitesse.

« Au pire, ils boufferont une vache par là. »

Reinhart resta pantois durant quelques secondes face à l’absurdité des propos. Il préféra ne pas s’y attarder.
« Quoiqu’il en soit, nous avons reçu de nouveaux ordres. »
« De bons ? »
Reinhart savait ce qui entendait par « bons ». La Guerre, ni plus, ni moins. Il réfléchit par deux fois avant d’ajouter.
« Si. On peut dire… »
« Notre bonne dame a enfin décidé d’aller poutrer la rondelle de cet olysséan. »
« Non pas exactement mais il faut sécuriser les cols. »
« Mortbleu, une guerre ? »
Reinhart rassemblait tout son self-contrôle pour ne pas lâcher « ma parole, t’es con comme une chèvre ». Il plaquait plutôt l’étui à parchemin contre sa cuirasse.
« Voici les ordres. Moi, je pars au sud. »
« Tu vas te faire chier par là, les ambrevalois  se sont des tapioles sudérons »
« Je m’en carre le cul de tes considérations. Moi au moins, j’aurais peut-être la chance de quérir le sourire de Dame Ariane. »
« Non mais Reinhart après avoir été marié deux fois, je peux t’assurer que les donzelles sont toutes les mêmes : des chieuses capricieuses. »
« Oui. Oui. Oui. Siléas, c’est parce que tu ne connais pas le vrai amour. »
« C’est moi qui me carre le cul avec ton vrai amour. »
Siléas posa sa grosse paluche sur l’épaule de Reinhart.
« Prends soin de toi mon vieux, attrape pas la chaude-pisse dans les jupons de Dame Ariane, arghargh. »
Il abandonna son comparse pour se préparer.

9^ième ennéade de Favrius de la 9^ième année du XXI^ième cycle - Jour 7 [Automne]

Deux troupes de cavaliers s’en étaient allés pour l’un rejoindre les confins ambrevalois, pour l’autre les terres escarpées des Helderois. Le message fut le même pour chacun : il fallait sécuriser la passe pour le plus urgent et renforcer la vigilance pour la frontière hautvalo-éraçienne. Si pour l’instant, Erac était pieds et mains liés, tous se permettaient de croire que l’Erac tenterait de se saisir d’une quelconque opportunité. Tous savaient aussi combien leur suzeraine se méfiait de cet Harold et combien, elle ne le portait pas en son cœur. Mais ça, ça leurs était quelque peu égal. Ils appliquaient les ordres.

Les seigneuries de Fortvalon et de Bordefer étaient les deux plus grandes châtellenies tenant les marches. Chacune reçut ses prérogatives. Ainsi fait, on renforça la garde et pour le plus grand plaisir des sentinelles, ils seraient plus nombreux à tenir le guet.

Pour qui fut des Monts corbeaux, les prestations étaient beaucoup plus délicates. En effet, le col des montagnes bien qu’escarpés étaient plus difficiles d’accès mais les fiefs bordant la démarcation territoriale étaient des montagnards révolus qui connaissaient naturellement bien leur habitat, ses inconvénients mais aussi de ses avantages. Ils avaient appris à tirer du bon de leurs propres faiblesses. Foncièrement l’ordonnance était la même : renforcer la surveillance, signaler toutes choses anormales, faire descendre quelques espions le long des flancs de montagnes de la baronnie d’Olysséa, graisser la patte de quelques habitués en quête d’information.

Au moins ainsi, ils seraient prêts.