Pour un avenir serein | Gli

Cela faisait maintenant quelques mois qu’elle était à Naelis. Elle s’était familiarisé avec la ville sans éprouver trop de difficulté et, si l’ambiance de Thaar lui manquait quelques fois, elle savait qu’elle avait fait le bon choix. Ici, tout semblait plus propice à l’éducation de sa fille. Elle aurait sans doute pu retourner en Anëh, là où elle avait elle même grandi, mais elle aurait sans doute été très mal accueilli. Et cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’y sentait plus chez elle. Un jour, elle devrait y retourner. Un jour elle devrait essayer. Peut-être que ce voyage serait son dernier. Peut-être qu’elle essayerait de trouver sa route jusqu’à Holimion, pour finalement renouer avec son sang. Comme pour finalement donner à sa mère ce qu’elle n’avait pu obtenir pour sa fille. Comme pour lui pardonner tout ce qu’elle pouvait bien se reprocher. Tout ce qu’elle même avait pu lui reprocher. L’abandon et l’exploitation. L’absence de repère et de certitude, l’angoisse constante et la souffrance trop fréquente. Ici, Mîrmae n’aurait rien de tout ça. Tant qu’elle serait à ses côtés, elle ne laisserait rien de tel lui arriver. Elle était loin d’être faible, elle était loin de manquer de ressources. Si sa fille n’avait pas été désirée, Eliwa était tout de même capable de la protéger. Et, à peine lui avait-elle donné naissance qu’elle avait été aimée.

Aralaurë, étendue sur le sol à ses pieds, dormait depuis quelques heures maintenant. Tout comme Mîrmae. Les eunuques de Père s’étaient eux aussi assoupis, non sans mal. Ils rechignaient toujours à quitter leur poste, même lorsque l’elfe le leur ordonnait. Seule Alayda était encore éveillée. Penchée au dessus de sa fille, elle souriait à chaque fois que cette dernière bougeait. C’était dans ces moments qu’elle savait que la rousse prendrait soin de sa fille au péril de sa vie. Qu’elle savait qu’elle pouvait lui confier sa garde n’importe quand et pour une durée indéterminée. Elle s’en occuperait comme sa propre enfant. Elle ne pouvait s’empêcher de penser au pire. Parce qu’elle allait devoir retourner à Thaar, un jour. Parce qu’alors, elle craindrait pour sa vie. Nombreux étaient ceux qui voyaient son bordel d’un mauvais œil. Et nombreux étaient ceux qui avaient pris l’assassinat d’Ezra comme une invitation à prendre par la force cette établissement. Quelques malheureux avaient tenté leur chance et ils n’avaient pas survécu à leur essai.

- Tu peux aller dormir, si tu le souhaites. Je veillerai sur elle.
- Tu es sûre ? Je veux dire, si tu ressens ne serait-ce qu’une infime fatigue, je peux encore rester debout.
- Tu t’inquiètes trop, Eliwa. On est en sécurité ici. Personne ne nous a jamais dérangé, tu n’as pas rencontré de problème en arpentant les rues. Alors pourquoi t’en faire tant ?
- L’habitude. Les réflexes sont durs à effacer. Pour le mieux sans doute, qui me dit que nous serons encore ici longtemps ? Demain nous serons peut-être sur les routes. Demain nous aurons peut-être à veiller longuement. Et puis, j’ai une bonne constitution. Disons que je n’ai pas à me soucier des mêmes choses que toi.
- En attendant, vas dormir. Je veille.

Sans doute se disait-elle qu’elle n’en avait même pas besoin. Sans doute pensait-elle qu’ils étaient tant en sécurité qu’il n’y avait pas de quoi rester éveillé. Mais elle refusait catégoriquement qu’ils dorment tous. C’était inenvisageable. S’ils se trouvaient dans les jours qui venaient sur les chemins, tout le monde serait bien trop affaibli. Ils ne devaient pas s’habituer à un trop grand confort, parce qu’on ne savait jamais ce qui allait venir. Se levant de son séant, elle claqua de la langue et la louve, qui avait relevé une oreille lorsque l’elfe avait bougé, la suivit instantanément. S’allongeant sur le lit, elle ouvrit les bras et il ne fallut pas longtemps pour que la lourde tête d’Ara se pose sur sa poitrine. Posant une main sur son épaule, elle la caressait de l’autre, laissant glisser sa main de son museau vers le haut de son crâne. Et elle se laissa glisser dans un sommeil profond.

***

Aujourd’hui, c’était le jour des doléances. Alayda lui avait conseillé de rencontrer la Reine, parce qu’elle avait tant entendu sur elle qu’elle était persuadé qu’il le fallait. Au début, elle avait catégoriquement refusé. Pour lui dire quoi ? Elle n’avait rien à réclamer, rien à demander. Un travail, peut-être, une occupation. Mais elle avait des compétences assez peu ordinaire et elle était certaine de ne pouvoir trouver quelque chose de très tranquille. A vrai dire, elle se serait ennuyé dans un simple rôle de serveuse ou de nourrice. Alors, plus le temps passait, plus elle pensait à se mettre au service du royaume. D’une part pour s’occuper, avec une activité dont elle n’aurait pas honte, et d’autre part pour assurer la réelle sécurité de sa fille. L’idée avait germé dans son esprit et finalement, elle s’était décidée. Elle irait voir cette Reine qu’on voulait tant qu’elle voit. Elle irait échanger avec elle. Elle irait se renseigner quant à ce qu’elle pouvait lui apporter. Si elle pouvait lui apporter quoi que ce soit.

Quittant l’endroit qu’ils occupaient pour l’instant, elle laissa à contre-coeur sa louve derrière elle. S’excusant rapidement, elle savait qu’elle ne pouvait faire autrement. Jamais elle ne passerait les portes en telle compagnie. Quand elle était arrivée, elle avait été priée de se mettre avec tous ceux qui attendaient déjà. Alors elle ne rechigna pas et attendit sagement son tour. Il viendrait bien assez vite. Et déjà, elle se demandait si elle avait bien fait de venir.

Aujourd'hui était jour de doléances. Journée ou matinée, cela dépendait de mon emploi du temps régulièrement surchargé. Ce jour-ci, ce serait une bonne partie de la journée. Pour le reste j'avais un conseil de prévu avant de pouvoir enfin m'occuper de mes enfants. Pensée qui me revenait souvent en ce jour, puisque j'avais hâte de revoir mes deux petits jumeaux. Et cela me permettait également de supporter la fatigue, puisque j'avais passé une très mauvaise nuit et qu'en plus Ust'kor n'arrêtait pas de me donner la migraine avec ses commentaires pour chaque personne venant présenter son problème devant moi. Il avait de bonnes idées quand il voulait, mais qu'est-ce qu'il pouvait être chiant ! Bon... heureusement que j'avais pris l'habitude, cela me permettait de cacher sous un sourire maternel et bienveillant ce cumul ô combien fatiguant.

Je trouvais ces journées très intéressantes, parce qu'elles me permettaient de me faire une idée de ce qu'il se passait dans le royaume en-dehors de tout ce que je pouvais entendre par les militaires ou services spécifiques, ainsi que de me faire une idée du ressenti du peuple. Parfois certains venaient pour des broutilles qu'ils pourraient régler eux-mêmes avec un minimum d'intelligence, comme des désaccords entre deux marchands, mais étant donné qu'ils s'adressaient à leur reine seuls ceux qui avaient une très haute opinion d'eux-mêmes le faisaient. Certains pourraient penser que je n'étais "que la reine", ce qui était un peu l'état d'esprit au départ. Mais après un an à gérer Naelis à la place de mon mari, j'étais devenue la figure du royaume autant que Glenn avait pu l'être. Aussi c'était avec respect que l'on venait s'adresser à celle que j'étais.

Une autre personne que je saluais de la tête afin de lui dire au-revoir. Un cueilleur de champignons qui avait remarqué que des bêtes de l'Aduram s'approchaient dangereusement des villages frontaliers et donc préférait me prévenir directement plutôt que de faire passer un simple mot auprès de la garde. Connaissant ce métier à risques pour l'avoir régulièrement côtoyé lorsque je vivais dans un village frontalier ainsi que le sérieux que pouvaient avoir ceux qui perpétuaient cette tradition malgré le danger, je n'avais pu que le remercier de son geste. Alors qu'il partait, me laissant un court instant seule sur le trône - sans compter les chevaliers et conseiller présents dans la salle -, je laissais échapper un fin soupir tout en tournant ma tête vers la fenêtre. Plus qu'une personne pour cette matinée, de ce que je savais. Ensuite je pourrais faire une pause, reprendre un peu de forces et marcher avant de revenir ici.

La silhouette qui s'avançait à présent dans la salle me ramena à la réalité, me faisant tourner la tête vers elle. Je fus surprise de constater qu'il s'agissait d'une elfe, la communauté elfique étant encore relativement petite à Naelis. De plus, je n'avais absolument aucun souvenir d'elle... J'affichais quand même un sourire, sincère malgré mes interrogations.

"Bienvenue, fille de Kÿria. Qu'est-ce qui vous amène ici ?"

« ENCORE !!! »

Oui, c'était à peu près ce que j'avais dit lorsque l’emploie du temps de la journée était passé sous nos yeux. Qu'avaient donc tous ces faibles à demander à d'autres de choisir à leur place ? Et il fallait en plus laisser les enfants à d'autres personnes indignes et lointaines. Qui savait ce qu'il pouvait leur arriver en mon absence !

J'avais donc pris l'agréable et simple décision de juger chaque personne selon mon bon plaisir, murmurant aux oreilles de l'autre les remarques et idées qui me passaient par l'esprit. Des voles, des plaintes pour un pommier qui dépassait dans la cour du voisin, un chien bruyant, un pot de chambre au mauvais endroit. Et si on le lui faisait manger son pot de chambre ? Nan mais sérieusement, c'était vraiment tout ce que des personnes possédant la liberté d'un corps propre trouvaient à faire avec ? Aller voir une fillette chouineuse pour qu'elle règle leurs problèmes…

Certes, il y avait bien quelques nouvelles intéressantes…

« Tu devrais envoyer quelques hommes faire un tour si tu ne veux pas que les brigands profites de la méfiance des pécore pour faire choux gras. Ils feront plus de dégâts que les bêtes elle-mêmes. Tu en donnes un ou deux à bouffer aux cochons et un troisième écartelé, ça réglera le problème avant même qu'il commence et ça fait des économies sur la nourriture du bétail... » susurra-t-il narquoisement à l'oreille de l'Autre, déjà l'eau à la bouche.

Puis nous avons eu un peu de temps seul. Elle était fatigué, je ne pouvais pas en douter… Et c'était tant pis pour elle ! Croisant virtuellement les bras dans un coin, je tirais sur la manche de la reine pour lui signaler une fois de plus que mon agacement n'avait d'égal que son épuisement.

« Dit moi que c'est le dernier, part pitié. »

D'accord, j'ai été plus patient… Des mois plus patient… Mais contrairement a elle, la fatigue reste lointaine et le concept de sommeil plus encore. Alors mes journées s'en trouvaient longue et maintenant que j'avais quelqu'un avec qui interagir… j'avoue que j'en viens à trouver cela... plutôt agréable…

« oh non… sérieusement… une elfe… Si elle est pas d'ici, tu peux me la garder ?»

Eliwa était la dernière à passer. Elle avait vu ressortir de la salle un certain nombre de personnes, avec un sourire ou non, avec la satisfaction de celui qui avait réglé ses soucis ou le doute de celui auquel on avait présenté une solution insatisfaisante. Quand elle passa les portes de la salle, elle ne put s’empêcher de se demander si tout cela en valait vraiment la peine. Si cela n’avait tenu qu’à elle, elle ne serait jamais venu ici, dans un château, pour quémander. Parce qu’après tout, elle ne savait pas si cela allait fonctionner. Elle n’avait aucune idée de ce qu’on allait bien pouvoir lui dire et elle redoutait qu’on lui demande de partir. De quitter cette ville à laquelle elle avait malgré tout commencé à s’attacher, parce qu’il n’y avait rien pour elle ici. Cela, elle ne pouvait le savoir. Mais ce qu’elle savait c’était qu’il y avait ici un avenir pour sa fille. Un avenir qui ne serait pas teinté de commerces douteux, de constante méfiance et d’insécurité latente. Alors elle se devait de faire de son mieux pour le lui obtenir, pour lui donner l’opportunité de l’avoir. D’avoir ce qu’elle n’avait jamais eu. Ce qui passait non seulement par un futur décent mais aussi par la présence de sa mère. Et puis, elle serait sans aucun doute son seul enfant, le seul cadeau de Kÿria qu’elle recevrait jamais. Alors elle n’avait aucune intention de gâcher ce qu’on lui offrait. Mîrmae était pour elle l’occasion de se racheter. De faire pour une fois les choses bien. Et de donner l’amour qu’elle avait à donner sans jamais craindre que ce soit vain.

La manière dont l’appela la reine la ramena tout de même à la réalité. Fille de Kÿria. Cela sonnait faux, à ses oreilles. Surtout venant d’une autre elfe. Une femme qui était censée être une de ses semblables. Elle s’attendait à avoir devant elle une elfe mais elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elles n’avaient pour autant que très peu en commun. Des traits physiques. Une langue, peut-être. Mais rien de plus. Il était certain qu’elles n’avaient pas reçu la même éducation. Certain qu’Eliwa n’entendait plus la Symphonie depuis longtemps. Qu’elle ne gardait d’Anaëh qu’un souvenir lointain et aucun attachement viscéral. Elle avait essayé d’y retourner, fut un temps. Avant qu’elle ne tombe enceinte. Avant qu’elle ne se rende compte qu’elle n’avait rien d’une fille de Kÿria. Cependant, elle savait que cela serait mal vu qu’elle dise quoi que ce soit à ce sujet. Alors elle ne fit que tiquer, fronçant rapidement les sourcil et mettant un instant avant de répondre. Elle porta deux doigts à sa bouche avant de formuler quoi que ce soit.

 - Merci, Rîn Glinaina.  

Elle ne savait pas vraiment comment s’adresser à elle. Cependant elle se dit que ce qu’elle avait choisi devait sans doute être suffisant. On la reprendrait bien assez vite si ce n’était pas le cas.

 - Je suis arrivée à Naelis il y a peu et le climat me semble propice à une installation durable. Seulement, je n’ai pas encore de travail et mes maigres économies arriveront à bout bien assez vite. J’aimerais réellement construire quelque chose ici donc je me demandais si vous n’auriez pas un poste de libre pour moi. Je sais me battre et je suis loin d’être mauvaise pour récolter des informations.

Elle n’avait jamais eu à vendre ses compétences auparavant. Parce qu’on les avait toujours instantanément repérées. Parce qu’elle en avait fait usage pour son propre compte ou pour quelqu’un qui l’avait mandaté sans qu’elle ne se mette en avant. Réclamer un travail était nouveau. Et désagréable. Elle allait sans doute devoir faire ses preuves, si elle n’essuyait pas un refus. Et même si elle aurait pu continuer à parler, elle s’arrêta là. Prête à se faire remballer. Prête à devoir écumer les tavernes et les commerces pour trouver ne serait-ce qu’un tout petit poste.

Spoiler:

*Ust, tu me saoules ! Au lieu de me tirer par la manche comme un gamin, tu ne pourrais pas un temps soit peu te calmer et laisser mon esprit tranquille ? Non ? Ca ne te viendrait pas à l'esprit ça, par hasard ? Alors non je ne te laisserai pas t'occuper de cette elfe, même si c'est la dernière personne de la matinée, tu le sais très bien. Ensuite, la prochaine fois que tu prends la parole, j'aimerais pour que ce soit des paroles censées avec des actions réalisables. Parce que là, franchement, celle de donner des humains en pâture à des cochons est complètement conne. Même si des fois ça pourrait nous débarasser de certains idiots... quoique non, manger des cochons qui ont mangé des peronnes... tu me dégoûtes.*

Ah, Ust'kor... et dire que j'étais obligée de faire avec cet énergumène ! Bon généralement ça allait mieux depuis l'épisode d'Arcamenel, mais j'en venais souvent à me demander comment je pouvais faire pour laisser cet individu rôder auprès de mes enfants. J'en revenais alors à l'elfe qui était devant moi, en espérant que l'absence éventuelle que j'avais pu avoir à cause de cet esprit mal tourné ne se soit pas remarqué. Un sourire amusé s'afficha sur mes lèvres lorsque l'elfe m'appela par mon prénom, mais je ne répliquais rien. J'eus malgré moi un peu de mal lorsqu'elle me fit le signe typique de respect entre elfes, ne me sentant plus tout à fait de ce peuple sylvain... et ce pour de bien trop nombreuses raisons. Je lui répondis cependant en utilisant ce même signe, écoutant ce qu'elle avait à me dire.

"Je suis arrivée à Naelis il y a peu et le climat me semble propice à une installation durable. Seulement, je n’ai pas encore de travail et mes maigres économies arriveront à bout bien assez vite. J’aimerais réellement construire quelque chose ici donc je me demandais si vous n’auriez pas un poste de libre pour moi. Je sais me battre et je suis loin d’être mauvaise pour récolter des informations.
- Et quelles armes savez-vous manier ? Avez-vous déjà travaillé dans ce domaine ?"

Je regardais en même temps le conseiller qui se trouvait non loin de moi : qui était cette femme ? Que savait-on d'elle ? Elle demandait si elle pouvait trouver une place dans l'un des métiers, avec des compétences martiales. Il devait certainement y avoir de la place dans la garde, il y en avait toujours. Peut-être même ailleurs. Mais avant de proposer quoi que ce soit, je préférais me renseigner, pouvoir cerner la personne... être sûre qu'elle était de confiance.

Forcément, elle sentait chez l’elfe une certaine retenue. Elle ne la connaissait absolument pas et il était juste qu’elle se méfie. Du moins qu’elle ne lui accorde pas sa confiance sur simple demande.

- Je manie le sabre. Et les couteaux, si vous les comptez comme étant des armes. Je sais tirer à l’arc mais c’est rudimentaire. Disons que je n’excelle pas là-dedans. Je m’en sers uniquement pour la chasse, pour ne pas perdre la main.

Cette question était assez simple et y répondre n’avait posé à Eliwa aucun problème. La seconde en revanche était un peu plus complexe. Elle avait travaillé dans ce domaine oui. Toute sa vie. Mais jamais légalement. Toujours pour le compte de quelqu’un qui n’était pas très propre, toujours pour son propre compte, ou encore toujours parce qu’elle y avait été forcé. Alors comment lui dire, là maintenant, qu’elle avait énormément d’expérience mais qu’elle ne pouvait décemment lui dire ni comment ni pourquoi ? Elle allait devoir mentir, voilà tout.

- J’ai beaucoup d’expérience dans le domaine, c’est le seul dans lequel j’ai exercé, à vrai dire. J’ai passé presque toute ma vie à Thaar et j’ai été formée pour que ma lame soit au service de mon futur employeur. J’ai du protéger quelques têtes, j’ai escorté quelques caravanes. J’ai ensuite été chargée de la protection rapproché d’un homme qui n’a finalement plus eu besoin de mes services, puisque son train de vie s’était considérablement adouci. Depuis, je protège les gens qui voyagent avec moi. Mais mes services ne suffisent pas à les nourrir malheureusement, alors je pensais qu’ils pourraient m’aider à ce sujet. Tout comme ils pourraient vous être profitable.

Elle savait qu’elle était douée dans son métier. Si on pouvait vraiment parler de métier. Mais elle ne pouvait pas vraiment le prouver, ni lui forcer la main si elle n’inspirait pas confiance. Sans doute aurait-on des questions à son sujet, alors pour une fois, elle n’ouvrit pas plus la bouche et laissa la parole. Alors que pourtant, elle était relativement bavarde d’ordinaire. Même si la situation se prêtait peu à cela.

J'écoutais l'elfe sans rien dire, la laissant répondre à mes questions, sans laisser paraître les idées qui me trottaient dans la tête au fur et à mesure que les mots se succédaient. Je fus tout d'abord amusée par le fait que l'arme de prédilection d'Eliwa était le sabre, il fallait avouer que n'y étais pas habituée. Pour le reste, je retenais ce qu'il me semblait bon de retenir. Je fus tout de même intriguée sur un point, qui serait certainement passé à la trappe chez un humain ou un elfe enraciné dans l'Anaëh depuis des lustres : elle racontait avoir passé pratiquement toute sa vie à Thaar, où les Elfes y étaient plus traités en esclaves qu'autre chose, mais avait dès le début utilisé un signe de respect typiquement elfe. Un signe que moi-même je ne pensais à utiliser que lorsque mon interlocuteur le faisait ou bien lorsque je me retrouvais en diplomatie en Anaëh - les deux allant généralement de paire. Peut-être avait-elle appris la signification de ce geste lors de voyages, ou peut-être me mentait-elle tout simplement. Il allait falloir que les réseaux d'espionnage s'occupent de la surveiller d'autant plus qu'elle demandait à intégrer l'armée... Dans le fond, j'espérais pour elle que je me faisais du souci pour rien.

Je souris. Inutile de lui faire part de mes doutes ou de lui montrer un manque de volonté de l'aider à protéger le royaume. Je ne savais pas qui elle était et je n'étais pas du genre à juger avant d'avoir vu. Aussi me levais-je et descendis du piédestal, le port altier et les mains jointes devant mon ventre.

"Pouvez-vous me rappeler votre nom, je vous prie ?"

Me le rappeler... ou plutôt me le dire, parce qu'au final cette elfe avait manqué aux convenances en ne se présentant pas. Et dire qu'il y a encore dix ans j'aurais été plus que capable de faire la même bêtise ! Je la regardais, confiante, m'arrêtais de marcher puis me tournais vers l'une des fenêtres donnant sur la cité.

"Eliwa, je suppose que vous savez qu'entrer dans une armée ou un organisme quelconque demande une certaine loyauté pour celui-ci. Hormis le fait que vous ayez besoin d'argent et donc de travailler, qu'est-ce qui ferait que vous vous installeriez définitivement à Naelis ? Que vous seriez prête à vous battre voire même donner votre vie pour ce royaume ? ou tout simplement donner votre temps ? Parce que c'est ce qu'implique votre demande."

Bla bla bla je veux un travail.

Bla bla mais tu sais faire quoi ?

Bla bla bla je veux taper.

Ah ces créatures...

Mais l'Autre souleva une chose qui m'intrigua. Je n'aurai jamais eu l'idée de faire une telle déduction mais ce n'était pas totalement insensé. Elle ne disait pas tout. J'écoutais donc de plus en plus attentivement le récit de l'elfe d'en face.

« ... qu'est-ce qui ferait que vous vous installeriez définitivement à Naelis ? ... »

* Elle est aux aboies... Crois moi. Si elle avait voulu s'établir paisiblement, elle se serait établi à Thaar ou alors elle t'aurait parlé de la mauvaise vie qu'elle avait là-bas. Je reconnaîtrais ce regard entre mille... *

Je souriais en attendant la suite... ça devenait enfin intéressant...

Celle qu’elle avait en face d’elle lui sourit avant de lui demander son nom. Certes, elle ne l’avait pas mentionné. Parce qu’elle n’avait jamais vraiment accordé d’importance aux noms. Ils ne définissaient pas une personne, ne révélait tout au mieux que ce que les parents avaient placé comme espoir dans leur enfant. Leur état d’esprit au moment de sa naissance, ce qu’ils avaient voulu laisser passer à travers elle.

- Eliwa. Eliwa Sar’Helle.

C’était étrange. Son nom sonnait mal à ses oreilles. Comme s’il n’était pas le sien. Elle ne l’avait plus employé depuis longtemps. Parce qu’elle n’en avait pas vraiment besoin, parce qu’un prénom suffisait toujours. Alors pourquoi aujourd’hui revenir à son nom complet ? Sans doute parce qu’elle avait besoin de prouver sa bonne volonté. On lui aurait, de surcroît, peut-être demandé si elle ne l’avait pas donné. Et elle ne voulait pas mettre son interlocutrice dans une position de demande constante quand c’était elle qui venait réclamer quelque chose. Vint alors l’interrogation sur ses motivations. Elle s’y attendait. Si elle rechignait à répondre, elle savait tout de même devoir le faire.

- On m’a parlé de Naelis comme étant une ville où il faisait bon vivre. On m’a vanté ses qualités, sa tranquillité et surtout sa sécurité. Je n’ai pu que constater tout cela quand je suis arrivée. Rien à voir avec Thaar, où la menace plane quotidiennement au dessus de nous, où la loi du talion est la seule qui est en vigueur. Elle forge un caractère et trace une vie presque toujours semblable. Alors, quand j’ai donné naissance à mon enfant, j’ai su que je ne pouvais rester là-bas. Si je suis ici aujourd’hui, si je eux tant m’investir dans ce royaume, c’est d’abord et avant tout pour lui. Donner à cet enfant ce que je n’ai pas eu. Je veux le protéger, lui donner une chance de grandir convenablement.

Je sais que ma demande paraît étrange, suspecte peut-être. Mais je sais être douée dans ce domaine et… je veux mener une vie correcte, sur laquelle il sera aisé et sain de prendre exemple.

Il était hors de question qu’elle verse à nouveau dans le mercenariat. La maison de passe qu’elle tenait à Thaar était déjà bien trop pour elle. Si elle la gardait, c’était uniquement pour protéger ceux qui y travaillaient encore. Mais elle ne pouvait décemment pas en faire son activité principale, quand sa fille grandissait de jour en jour et qu’elle manifesterait de plus en plus la nécessité d’avoir un modèle.

- Quant à mon temps, j’ai l’éternité devant moi. Je crois que je peux en consacrer un peu à une noble cause.

Elle donnerait tout pour Mîrmae. Cela allait de soi. Et elle avait l’immortalité pour elle.

*C'est possible...*

Tout en restant tournée vers la fenêtre, j'écoutais l'autre elfe me présenter ses motivations. Je voyais à travers la vitre la cité, avec toutes ces personnes qui s'affairaient en cette journée d'automne. La voix d'Eliwa ne semblait pas très sûre mais restait pour autant posée. Le début de son explication était habituel mais la fin... je tournais légèrement les yeux pour pouvoir me concentrer sur son reflet, voir sa réaction en plus d'entendre les quelques émotions qui échappaient à travers ses mots. Un enfant ? Maintenant je comprenais... si Glenn n'avait pas fait en sorte que les nôtres soient reconnus et qu'ils puissent grandir en sécurité, j'aurais fait de mon mieux pour leur apporter tout ce que je pouvais, les voir grandir, les savoir en sécurité... je serais peut-être même retournée en Anaëh, qui sait. Je me retournais alors vers Eliwa, la sondant du regard.

"Vous n'êtes pas la première à faire une telle demande. Vous n'êtes pas non plus la première à qui je demande quelles sont ses motivations. Et je puis comprendre qu'une mère souhaite le meilleur pour son enfant, bien que la voie des armes est certainement celle qui la met le plus en danger elle. J'attendis quelques secondes avant de reprendre. Puis-je vous demander où vous avez appris le salut que vous m'avez accordé lorsque vous êtes arrivée, vous qui avez passé pratiquement toute votre vie à Thaar ?"

Le temps qu'elle réponde, je me tournais vers Ust. Si ce que je ressentais concernant cette femme était bon, alors il aurait de quoi se faire plaisir.

*Elle m'a l'air sincère dans ses dires... en tout cas je pense qu'on ne pourra en être sûr qu'en l'éprouvant. Ca te dirait un petit défouloir après le conseil ? Un entraînement armé avec une elfe... non ?*

La voie des armes la mettait en danger. Voilà une vision des choses qui lui était étrangère. Les armes l’avaient sauvée, maintes et maintes fois. Elles lui avaient permis de s’échapper, de vivre. De s’épanouir. Elle était une autre, quand elle maniait sa lame. Qu’on lui dise que c’était quelque chose de risqué la laissait perplexe. Peut-être parce qu’elle n’avait jamais douté d’elle. Elle mourrait quand elle devrait mourir et elle était assez habile pour ne pas se faire tuer bêtement. L’elfe avait déjà été inquiète à propos de sa vie mais elle ne l’avait jamais été à propos de sa mort. Et c’était une chose que la venue de Mîrmae n’avait aucunement troublé. Si ce n’est qu’elle craignait désormais pour leurs vies, plus uniquement pour la sienne. Dans la question qui suivit ses propos, elle sentit le doute. Ou la curiosité. Peut-être les deux mêlés. Elle avait passé presque toute sa vie à Thaar, du moins celle dont elle pouvait se rappeler. Les années en Anaëh, passées aux côtés de sa mère, ne comptaient plus vraiment. Elles avaient eu de l’importance, fut un temps. Elles avaient été ce à quoi elle s’était raccrochée. Avant de réaliser tristement qu’elle les avait perdu à tout jamais.

- Avant de venir à Thaar, j’ai vécu quelques année en Anaëh. Je ne m’en rappelle que très peu. Mais ma mère m’a inculquée beaucoup, notamment ce salut que je réserve aux elfes. Il m’arrive aussi parfois de prier Kÿria et de parler elfique. Je suis retournée au sein de la Prime Forêt durant le Voile. Mais je n’ai su y rester bien longtemps.

Elle ne se sentait plus elfe. Elle ne sentait plus fille de la Mère. Si elle avait vraiment su l’être un jour. C’était quelque chose dont elle parlait peu, parce qu’il n’y avait pas lieu de le mentionner. Elle n’avait d’elfe que les traits et le sang. Rien de plus. Si aujourd’hui elle utilisait encore parfois la langue ou les gestes de respect, c’était uniquement parce qu’elle imaginait qu’ils étaient attendus. Ou parce qu’elle ne voulait pas être comprise des autres.

- Je ne cherche pas à vous tromper, rassurez-vous. Je veux seulement construire un avenir serein pour mon enfant.

C’était tout ce qu’elle voulait. Rien de plus.

Je frissonnais en pensant à mes enfants livré à eux-même dans ce monde putride... Dans d'autres conditions, j'aurais tuer jusqu'à la plus misérable des mouches qui se serait approché d'eux. Je leur aurais taillé une place aussi douce que possible, qu'importe le nombre de vie à prendre pour y parvenir.

Si elle agissait pour son enfant, cette femme était la définition même d'être aux abois... et je la regardais avec une attention exacerbée.

L'Autre avait l'air intriguée également puisqu'elle se tourna de nouveau vers notre très illustre hôte.

Quant à entrainement armée contre un vrai adversaire...

* Oh j'aime quand tu me parles comme ça, Glinaina... * soufflais-je, un sourire de plus en plus large sur les lèvres.

pour le reste, cette fausse elfette thaari semblait tristement banale. Une créature de plus qui survivait sans vivre alors qu'elle avait tout à porter de main. Une de plus que je pouvais me permettre de haïr cordialement. Ma lame, elle ne l'aurait pas volée...

"Très bien !"

Je regardais Eliwa, la tête haute, avec un fin sourire sur les lèvres. Il me fallait encore la jauger et m'informer de bien des choses à son égard, mais déjà la raison pour laquelle elle désirait se battre et avoir une vie correcte était certainement la plus noble des causes. Et Ust'kor étant visiblement ravi de pouvoir se battre contre une nouvelle personne, je n'allais pas faire patienter plus longtemps celle qui était venue jusqu'à moi.

"Nous verrons ce que vous valez au combat ce soir. Rendez-vous vers vingt et une heures à la caserne militaire, armurée et armée comme à votre habitude. Avez-vous des questions ?"

Une fois que les derniers détails furent réglés, je souhaitais bonne journée à l'elfe. Une fois qu'elle fut partie, je fis le nécessaire pour recevoir le plus rapidement - et discrètement - possible toutes les informations sur la dénommée Eliwa Sar'Helle. Et enfin je m'étirais pour calmer mes muscles et me préparais à copieusement manger. Parce que la journée serait encore longue... très longue.

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Réunion terminée. Repas rapide, et surtout un bon verre de vin. Pas le temps d'aller voir les enfants. Hop départ pour la caserne en cheval, accompagnée des habituels chevaliers. Arrivée sur le lieu. Je demandais un gradé de la garde, j'eus droit à un lieutenant : très bien. Je lui parlais de ce qui allait se passer, de ce que je savais désormais sur l'elfe, et de quel allait être son rôle. A peine ai-je eu fini qu'Eliwa arrivait. Malgré la fatigue qui commençait à me peser je souris.

"Eliwa Sar'Helle ! Bienvenue dans cette cour de la caserne. J'espère que vous êtes prête, parce que vous m'affronterez directement en duel dans un premier temps. Le lieutenant Galdrick ici présent, de la Garde, vérifiera à ce que tout se passe bien. J'espère que cela vous convient ?"

*Bon Ust, je te laisse la place maintenant. N'oublie pas de parler correctement et de ne pas trop la malmener... si elle tient la route il vaudrait mieux qu'elle ait encore le moral à se battre à nos côtés.*

Finalement, elles réglèrent les derniers détails. Eliwa sortit comme elle était entrée. Mais avec en moins le poids de l’inquiétude. Celle qui venait avec l’incertitude. Elles avaient besoin de stabilité, toutes les trois. A vrai dire, ils avaient besoin de stabilité. Ses deux gardes ne resteraient pas longtemps s’ils restaient encore un mois dans l’étroit logement qu’ils occupaient aujourd’hui. Et elle n’avait aucune envie de les renvoyer à Thaar. Ils étaient devenus sa famille, au même titre qu’Alayda. Au même titre que Mîrmae. Elle repartit le coeur plus léger. L’espoir s’y était fait une place et c’était agréable. Elle n’avait pas osé espérer ainsi depuis longtemps. Il s’agissait maintenant de faire étale de ses capacités. Si elle avait encore beaucoup à apprendre, elle se débrouillait bien avec son sabre. Plus que bien. Elle avait toujours appris plus lentement qu’elle ne l’aurait souhaité, mais elle apprenait bien. Elle apprenait plus profondément que les autres. On lui disait que c’était dans son sang. Que c’était parce qu’elle était fille de Kÿria. Elle ne se sentait pas plus fille d’une déesse qu’elle n’avait prié que par désespoir que magicienne.

Quand elle franchit le pas de la porte, elle entendit sa fille rire à ce qu’Alayda était entrain de lui raconter. Une odeur de pain frais, de fromage et de viande fraîchement découpée flottait aussi dans l’air. Son estomac gargouilla, comme pour lui assurer qu’elle avait bel et bien faim. Elle sourit au garde posté à l’entrée, en laissant sa main glisser le long de son bras tandis qu’elle appelait Aralaurë. A vrai dire, elle n’aurait pas eu besoin de l’appeler. Mais parce qu’elle la regardait avec cette lueur de malice, depuis l’autre bout de la pièce, elle le fit. Elle eut à peine le temps de s’accroupir avant que le loup ne lui saute littéralement dessus et la fasse basculer. Elle rit un instant, avant d’enfouir son visage dans la fourrure de son cou.

- On ira jouer demain matin, promis. Là je ne peux pas vraiment, il faut que je me prépare pour ce soir.

Tandis que la louve lâchait un long soupir et s’écartait d’elle, non sans lui avoir léché le visage de bas en haut, elle se dit qu’un jour elle devrait retourner en Anaëh. Parce qu’il était, quelque part, cruel de la garder ici. Même si elle savait qu’elle ne pourrait jamais la laisser sans qu’elle le veuille, même si elle ne pourrait jamais la ramener vraiment là bas parce qu’elle ne la quitterait pas, elle lui devait d’y retourner de temps à autre. Elle doutait qu’elle soit malheureuse, à vrai dire elle savait qu’elle ne l’était pas, mais parfois elle revoyait au fond de ses yeux cette lueur sauvage qui lui rappelait tant la Prime Forêt. Frottant distraitement sa tête d’une main, elle se dirigea d’où venaient les rires qu’elle avait entendu en entrant.

- Mon bébé ?

Les rires s’arrêtèrent aussitôt et ses yeux s’ouvrirent en grands tandis qu’un sourire fendait son adorable visage. Tendant les bras vers elle, elle se mit aussi à gigoter et Alayda ne tarda pas à la lui tendre. Les cris de joie avaient laissé place à tout le reste et l’elfe souriait aussi. La couvrant de baisers, elle n’hésita pas à lui dire combien elle lui avait manqué, avant de lui demander si elle allait bien.

- Elle était un peu ronchon au réveil. Elle a eu du mal à se remettre de ton départ, mais finalement j’ai réussi à la faire manger et, comme tu le vois, à jouer avec elle. D’ailleurs je me disais qu’il était peut-être temps qu’on lui trouve de quoi jouer convenablement. Elle adore attraper ce que lui ramène Aralaurë mais… Je ne sais pas vraiment où ça a traîné tu vois.
- Tu veux aller faire un tour dans les boutiques cet après-midi ? Je reste ici.
- Oh… Ca n’a pas été avec la reine ? Je… J’ai complètement oublié de te demander, j’étais trop prise par le repas à venir.
- Au contraire. J’ai rendez-vous ce soir. Vingt et une heure à la caserne.
- Parfait ! J’irai donc faire quelque courses avant que tu ais à partir. Mais d’abord, repas ! Je meurs de faim.

***

Elle avait médité une bonne partie de l’après-midi, avant de sortir dans une petite cours pour y faire tournoyer son sabre. Elle n’en avait pas eu besoin depuis qu’elle était arrivée ici, elle préférait donc se réapproprier sa lame avant de se rendre à son rendez-vous. Les rues animées en journées se vidaient le soir à mesure les autres se remplissaient. C’était assez fascinant de pouvoir observer ce mouvement de foule, qu’elle ne connaissait pas vraiment sur Thaar. Les rues étaient toujours plus ou moins animées, à toute heure du jour ou de la nuit. Elle avait promis d’être de retour le plus vite possible en partant sauf qu’elle n’avait aucune idée du temps que tout cela lui prendrait. Quand elle arriva à destination, Glinaina la reçut chaleureusement et la mit de suite dans le bain. Parfait. Elle allait devoir l’affronter elle.

- Ca me convient. Je n’ai qu’à vous montrer de quoi je suis capable, il n’y a pas de raison pour que cela se passe mal.

Mais que quelqu’un supervise les choses était tout à fait normal. Vêtue d’un de ses pantalons renforcés et d’un plastron de cuir passé sur une chemise à manches mi-longues, elle attendait qu’on lui donne l’autorisation de dégainer.

Vêtements simples. Pantalon ajusté et ceinture discrète dans laquelle était glissé deux dagues en plus du fourreau de l'épée que j'allais devoir manié avec douceur et attention. La chemise près du corps dont les manches amples mais juste à la bonne longueur évitait de donner la moindre prise inutile à un assaillant tout en me laissant une mobilité aussi parfaite que possible. Je jubilais en glissant mes petits pieds dans les bottes les plus vieilles et amorties parmi celles que je gardais pour mes sorties nocturnes. Celles qui avaient la meilleure adhérence et dont le cuir s'était parfaitement fait à la forme de mes orteils. Mes préférées !

Les obligations de l'Autre nous obligeaient bien trop souvent à porter des tenues roides aux tissus trop empesés à mon goût. Mais là, j'avais eu le droit de choisir ma garde robe ! Ah, les petits plaisirs du quotidiens...

Je sortais de la chambre royale lorsque ma petite voix me fit remarqué que je ne portait aucune protection... Je fronçais les sourcils. Et puis quoi encore ?!

Après une conversation houleuse, Glinaina sortait avec les cheveux attachés et un plastron de cuir... et moi je râlais sans discontinuer pour la distraire au maximum jusqu'à notre arrivée à la caserne. Elle se chargea des courbettes pendant que je faisais de plus en plus pression sur sa conscience, avide de prendre les commandes.

*  Laisse moi passer... allez... Je veux voir ce dont elle est capable face à la mémoire de la plus grande déchéance de son peuple... Alleeeeez... *

Et enfin, elle me laissa la place, faisant l'échange dans un battement de cil alors qu'elle marchait pour se rendre au centre de l'air de combat. Enfin !

* Mais oui je vais la ménager ta chérie. Je pourrais même lui rendre visite une de ces nuits; si elle tient la route comme tu dis si bien... * ajoutais-je avec un rire vorace.

Je me laissais envahir chaque fibre de ce corps que je connaissais tellement mieux qu'elle. Le fourmillement dans le bout de mes doigts, de mes orteils, de mes oreilles. Le raclement du tissus sur ma peau. Les rayons bas du soleil sur mon visage. La brise dans mes cheveux. Le sol de terre battue, meuble sans être mou, sous mes pieds. Je pris une profonde inspiration. Sueur. Poussière. Métal. Des pas, des portes. Des gens vivaient ici et l'air vibrait de leur présence, de leurs mouvements, jusqu'à mes tympans.  

J'ouvris les paupières. Première évaluation de l'espace. Nous devrions pouvoir nous battre sans blesser personne si elle tenait le coup. Et dans le cas contraire, il n'y aurait qu'elle qui serait blessée de toute façon. Sentant une pression désagréable, je roulais des épaules et étirait mon cou, passant une main sur ma nuque en lâchant un profond soupire.

* Prends soin de nous ! merde ! Tu me laisses ce corps tendu comme un arc. Rappelle-moi de faire quelque chose pour ça cette nuit. *

Sans prêter attention à l'assistance, je m'ébrouais en de larges mouvements de bras et de tête qui devaient paraitre absolument stupide pour les profanes. Puis je m'étirais de tout mon long avant de me retourner vers l'elfette, les pouces coincés dans le ceinturon, virilement planté sur le sol, dans une parfaite imitation de soldat de bas étage, outrageusement sûr de lui. Pour la première fois, je la voyais de mes propres yeux. Je notais sa réaction face à la posture que je venais d'adopté. Qu'elle tire ou non sa lame, sa façon de regarder, les points que ciblaient son attention, l'absence ou la présence de légers changements dans sa façon de se tenir, tout cela m'en apprenait déjà beaucoup. Inconsciemment, l'expression sur le visage de ma coquille de chair avait bien changé. Sérieux. Aiguë. Tout le poids de mon attention concentré sur les mouvements de cette mère elfe fuyant je ne savais quelle catastrophe qui n'était pour moi plus qu'un adversaire dont j'avais le droit de tester les limites.

" Bon. T'... Êtes-vous plus à votre aise en défense ou en attaque ? "

A peine la Tharii eut-elle prononcé sa première syllabe que tout mon corps se mit en mouvement. Du gros orteil du pied droit à ma main gauche, toute la chaine musculaire se banda et se vrilla pour lancer l'impulsion qui me projeta vers elle. C'était un test non? Alors autant commencer simple. Simple et brutal.

Je me ruais en ligne droite, dégainant dans un mouvement fluide, presque invisible tant il était rapide. Ma cible? Sa poitrine ou sa gorge. Mon coup? L'embrocher serait parfait, mais selon sa prime réaction, avec la prise que j'avais choisie, le mouvement pourrait tout aussi bien se transformer en coup de taille fulgurant.

Prise à contre pied par une attaque de la main gauche et déconcentrée par une petite question toute simple, si elle survivait déjà à ça, nous pourrions commencer à nous amuser un peu...

L’elfe ne fut pas surprise qu’elle attaque sans même attendre sa réponse. Même elle qui aimait parler ne bavardait qu’après le combat, c’était dire ! Il y avait quelque chose de différent chez la reine mais elle n’aurait su dire quoi. Etait-elle dans un état particulier parce qu’elle était en situation de combat ? Toujours était-il qu’elle se méfiait. Et elle eut raison. Le combat fut intense. Rude même, pour Eliwa. Elle s’était rarement confrontée à plus fort qu’elle. Elle n’avait pas fait d’arène, elle n’avait pas été dans une situation de réel danger et si elle savait se battre, elle était loin d’exceller. Ce fut ce que lui rappela ce combat. L’elfe était loin de maîtriser cet art à la perfection. Elle était sans doute plus habile lorsqu’il s’agissait de charmer. Mais aujourd’hui, elle voulait se battre. Plusieurs fois, elle se retrouva un bien mauvaise posture et vint celle où elle ne sut se dégager. Déclarant forfait, elle se remit sur ses pieds et essuya sa lame. Pas de sang, seulement de la poussière. Elle avait pris quelques coups mais n’avait aucune intention de vérifier son corps maintenant. Expirant profondément, elle s’inclina légèrement devant son adversaire.

- Je m’avoue vaincue, Rîn Glinaina. Il est indéniable que j’ai encore beaucoup à apprendre. De ce que vous avez vu là, pensez-vous tout de même que je suis d’un niveau… disons utilisable ?

Beaucoup d’espoir reposait dans la réponse. Elle avait besoin de protéger sa fille et elle allait se démener pour lui donner un avenir serein. C’était impossible qu’elle lui impose ce qu’elle avait connu pendant des années. Certes elle pourrait retourner à Thaar, elle pourrait faire semblant et cacher sa fille. Elle pourrait sacrifier tout ce qu’elle avait pour son bien à elle. Mais n’était-ce pas ce qu’elle faisait déjà ? L’elfe avait pensé à vendre son établissement, elle savait pouvoir en tirer un bon prix. Sauf qu’elle anéantirait tous ses efforts, instantanément. Ses filles et ses garçons ne seraient plus libres. Ils seraient de nouveau contraints, forcés, utilisés. Mais quelle place pour sa fille alors ? Elle soupira légèrement, essayant d’évacuer la tension de la courte attente qui lui parut être la plus longue de sa vie.

*Ust, non ! Ta lame ! Mais qu'est-ce que... Tu veux la tuer ou quoi ?! Frappe-la du plat de la lame, bigre d'andouille ! Ce qu'elle veut est protéger son enfant, comme toi tu souhaites protéger les nôtres, pas se faire taillader lors d'un entraînement... Non mais tu m'écoutes ou quoi ? Voilà. C'est mieux. Je sais, je suis saoûlante. Mais que veux-tu, il fallait bien que tu ressembles à quelqu'un, non ? Oui c'est ça. Bien sûr ! Fais plutôt attention à ses pieds, là tu vas vinir par lui laisser une brèche. Ah ! Bien joué, elle ne t'a pas eu. Quoi, que j'arrête de parler ? Je te signale que tu n'aurais pas fait attention si je ne t'avais pas montré ce point - pour une fois que c'est moi qui remarque ça la première... Et si tu veux que j'arrête, tu ne la blesses pas : cet entraînement n'est pas fait pour ça. Vraiment ? T'amuser et te défouler vont forcément jusqu'au sang ou au plaisir sadique ? Tu me déçois, Ust. Allez, elle se rend, laisse-moi la main sinon mon visage va virer au rouge. Alors, qu'en as-tu pensé ?
- De toute façon c'est toujours pareil. Tu me fais croire que je vais m'amuser et j'ai le droit à des pignouffes. La prochaine fois accorde moi au moins un duel au premier sang !*

Et voilà qu'il recommençait ses gamineries ! Mon double me laissa ma place sans soucis, allant même bouder dans son coin. J'avais dû l'achever à faire en sorte qu'il ne me transperce pas la pauvre Eliwa. Un battement de cils et voilà que je regardais à nouveau l'elfe qui avait peur de ne rien valoir.

"Un niveau utilisable..."

Grande question ! Je laissais sadiquement la jeune mère dans l'attente d'une réponse, le temps que moi-même j'arrive à avoir l'avis d'Ust'kor. C'est qu'il boudait sacrément bien ce bougre, pire qu'une tête de troll ! Après un petit moment j'entendis enfin l'avis du sombre avec la voix d'un petit gamin boudeur après avoir été mis au coin. C'était triste à dire mais, dans le fond, c'en était mignon. Il fallait bien bien que je trouve quelque chose de mignon en lui, vu l'être qu'il était... C'était un début plutôt pas mal !

"Lieutenant Galdrick, qu'en pensez-vous ?"

L'homme répondit posément qu'Eliwa avait de son point de vue du talent mais qu'il pouvait encore être amélioré. Cependant, vu son style de combat, elle risquait de ne pas trouver sa place dans les rangs les plus ordonnés de l'armée. Ce n'était pas ce que j'avais le plus regardé mais son avis coïncidait pas mal avec celui d'Ust. Cela m'amenait donc à imaginer pour elle une branche tout à fait différente et particulière, qui lui laisserait moins de libertés mais qui pouvait requérir ses services.

"Votre niveau martial est utilisable. Cependant, il me semble que vous m'aviez parlé ce matin de compétences autres liées à l'écoute. Alors je vais vous demander, que savez-vous sur la garde de Naelis... et que savez-vous sur moi ?"

Pas facilement déstabilisée, pas facilement surprise mais toujours contrôlable au cas où. Une bonne fuine, selon Ust'kor. Et ma question était là justement pour vérifier son intuition, bien que là-dessus je savais pouvoir lui faire confiance.

Son niveau était utilisable. C’était une bonne nouvelle. Elle était perfectible et Glinaina savait sans doute qu’il lui appartiendrait de continuer de la façonner. C’était un atout, si elle restait assez longtemps. Eliwa comptait bien rester des siècles. Il fallait au moins ça pour Mirmae. Elle grandirait certes à un rythme totalement imprévisible mais au moins, elle aurait une maison pour les siècles à venir. Chose dont eu de personnes pouvaient réellement se targuer ici, en Ithrii’vaan. Parfois elle se disait que si elle était resté en Anaëh, elle aurait sans doute encore sa mère à ses côtés, et elle aurait peut-être même vécu avec la certitude d’avoir toujours un toit. Ses combats auraient été différents, ses aspirations sans doute plus spirituelle. Ici, elle était purement dans la survie, avec le besoin urgent de baser de manière stable et durable la vie de sa fille, qui devenait désormais la sienne. On n’en avait cependant pas fini avec elle et on enchaîna sur ses capacités d’écoute. Que sait-elle de la garde de Naelis, pas grand-chose. A vrai dire elle n’avait pas assez enquêté pour savoir quoi que ce soit. Par contre d’elle…

- De vous on dit beaucoup de choses. Ce que je sais c’est que je ne me fie qu’à mon propre jugement. Mais s’il est question de savoir ce qui s’entend, alors je crois que j’ai beaucoup à dire.

Il fallait qu’elle fasse attention à la forme et au contenu qu’elle allait donner. Mais elle lui demandait de lui démontrer ses talents, alors pouvait-elle vraiment retenir des informations ? Elle se voulait trop honnête pour ça.

- Je sais évidemment que vous êtes reine Naelis, parce que vous en avez épousé le roi. On parle beaucoup de votre couple, tantôt comme d’un signe d’ouverture sur l’avenir et de prospérité future, tantôt comme d’une erreur fondamentale qui mènera le royaume à sa perte. Comment une elfe pourrait diriger une terre si proche de la Péninsule ? Bien qu’il soit connu d’autres gens que vous gardez encore un lien, étroit selon quelques uns, avec Anaëh. On dit que c’est peut-être par peur du courroux de la Mère, ou seulement pour avoir les faveurs de plus de dieux que le commun des mortels. Vous avez eu des jumeaux d’ailleurs. Des héritiers auxquels vous survivrez sans doute et quid du royaume une fois que votre amour sera depuis longtemps disparu ? N’allez-vous pas finir comme tous ces elfes, pitoyables et seuls, attendant la mort après le départ de leur moitié ? Vous fascinez et dégoûtez autant que moi. A cela près que vous avez le pouvoir de ne pas constamment le voir.

Voilà pour les banalités. Les choses qu’on racontait sur la reine étrangère qui avait mis la main sur Naelis. Eliwa n’avait jamais compris le problème, Naelis n’était pas plus péninsulaire que Thaar voire Sol’Dorn. A vrai dire, elle n’avait jamais compris le racisme envers les elfes. Elle s’y était faite mais cela l’avait toujours un peu surprise.

- Tout ça, vous vous promenez quelques temps en ville, vous fréquentez les tavernes, vous écoutez d’une distraite les conversation, vous le saisissez rapidement. Par contre, en ce qui concerne votre rapport à la magie… Je n’ai jamais vraiment trempé là-dedans, les armes sont plus sûres, plus intuitives et plus, comment dire, plus facile à apprivoiser seul. Même si je n’ai pas vraiment eu le choix, au fond. Tout ça pour dire que la magie, je ne suis pas très à l’aise avec ça. J’ai entendu dire qu’au Firmament, ils pouvaient peut-être arranger des gênes trop importantes, qu’en pensez-vous ?

Elle était certaine d’avoir touché dans le mille. Mais point de fierté sur son visage, ni même d’air de supériorité. Elle veillait seulement à se faire bien comprendre, sans pour autant étaler au grand jour des secrets qui devaient être bien gardés.

J'écoutais attentivement l'elfe, l'arme rengainée, les mains derrière le dos et marchant tranquillement en cercle autour d'Eliwa. J'eus un petit sourire d'amusement lorsque j'entendis parler de moi comme étant une source de malheur d'un côté et au contraire un signe d'ouverture et de prospérité de l'autre. Comme Eliwa finirait si bien par conclure : je fascinais les Hommes comme les dégoûtais. Le problème de cette race qui ne pouvait s'empêcher de se méfier et raconter n'importe quoi du moment que ses peurs étaient écoutées. Alors s'ils savaient la vérité, s'ils apprenaient l'existence d'Ust'kor ? Ce serait très certainement une fin en soi.

Pour ce qui était de se faire connaître d'un maximum de dieux, je m'en fichais éperdument. Idioties comme on pouvait en entendre partout. Mais quand elle parla des jumeaux et des questions qui naissaient quant à ce que je ferais une fois mon mari ou mes enfants morts, une fois le royaume disparu, mon sourire s'effaça quelque peu. J'étais incapable de parier sur le fait de mourir après Glenn. Et je craignais que la disparition de ma famille ne me fasse effectivement tomber dans les bras de Tari... Mais on ne savait jamais de quoi l'avenir était fait, n'est-ce pas ?

"Tout ça, vous vous promenez quelques temps en ville, vous fréquentez les tavernes, vous écoutez d’une distraite les conversation, vous le saisissez rapidement. Par contre, en ce qui concerne votre rapport à la magie… Je n’ai jamais vraiment trempé là-dedans, les armes sont plus sûres, plus intuitives et plus, comment dire, plus facile à apprivoiser seul. Même si je n’ai pas vraiment eu le choix, au fond. Tout ça pour dire que la magie, je ne suis pas très à l’aise avec ça. J’ai entendu dire qu’au Firmament, ils pouvaient peut-être arranger des gênes trop importantes, qu’en pensez-vous ?"

J'eus du mal à ne pas m'arrêter de marcher ou à ne pas enlever un quelconque millimètre à mon sourire de base pas bien prononcé. Là c'était autre chose. Complètement autre chose. Cela en devenait même une gêne à laquelle il me faudrait faire attention. De même à ce que certains pouvaient raconter... Il ne manquerait plus qu'un ou plusieurs chevaliers de Naelis ne savent pas tenir un secret. Heureusement que je rencontrais toujours Nakor seul lorsqu'on venait à parler de ce sujet-là !

"Quel type de gênes pourrait bien arranger le Firmament ? Vous éveillez ma curiosité..."

Dis-je d'un ton très poli. Avant même qu'elle ne réponde, je madressais à mon double boudeur.

*Hé, Ust, visiblement certains savent qu'on ait allés voir Nakor... Qu'en penses-tu ? De même, par rapport à l'elfe, elle te convient ou... ?*

J'attendis ainsi la réponse d'Eliwa. Une fois qu'elle eut répondu à ma question, j'enchainais sur une seconde, avec un sourire taquin aux lèvres.

"Et pour la garde ?"

Glinaina voulait savoir ce qu’elle savait exactement. Lui donnait-elle la permission de le lui dire ici, maintenant, ou n’avait-elle seulement pas conscience de ce qu’elle savait ? Etait-ce un si grand secret ? Il lui avait bien semblé que oui pourtant. Alors prudemment, comme un dernier avertissement, elle lui demanda plus explicitement confirmation.

- Des gênes dont vous souffrez vous-même. Est-on au courant de votre état ? Il m’avait pourtant semblé que non. Bien que vous évitez sans doute la tour, quelle personne raisonnable ne l’éviterait pas ? Et puis je comprends qu’on puisse garder cela pour soi, quand on est a sur les épaules autant de responsabilités.

Si elle insistait encore à ce sujet elle lui dirait franchement qu’elle savait que Glinaina ne supportait pas la magie et par conséquent qu’elle la fuyait. C’était une information plutôt dangereuse, d’ailleurs, parce que c’était une faiblesse. Eliwa n’était pas une menace en ce fait qu’elle ne pratiquait pas la magie mais une personne mal intentionnée pourrait utiliser cette information contre la reine. Et alors, qu’en sera-t-il de son royaume sans dirigeant, de ses jumeaux sans parent ? Sans doute un avenir bien sombre en perspective.

- Quant aux chevaliers, il paraît que leur loyauté est inégalable. A vrai dire, si ce n’était pas le cas ils ne seraient pas votre garde personnelle, ce serait peu raisonnable. Ils seraient aussi l’élite sans vraiment l’être, sans doute parce que quoi d’autre que l’élite pour protéger la reine, mais quelle élite si cette dernière ne combat que trop rarement ? Peut-être brillent-ils par leur discipline ? Il paraît qu’ils ne vivent que pour leur maître. Pardonnez-moi l’expression mais c’est bien là l’idée que le peuple a d’eux. Si dévoués qu’ils mourraient pour leur cause. Si loyaux qu’ils ne vivent que pour le roi et la reine. Ils ont dû être affecté par l’état de ce dernier d’ailleurs. Le changement de main a sans doute été… difficile. En se dévouant à vous ils ont abandonné l’espoir que leur roi revienne, ou certains le veillent-ils encore ?

Eliwa ne savait pas bien plus à propos de la garde de Naelis et elle avait le sentiment qu’il n’y avait pas bien plus à savoir. Une sorte d’ordre lisse et propre, frisant la perfection ou plus le fanatisme. Si on le lui demandait, elle pourrait peut-être trouver une graine de doute chez l’un, un début de remise ne question chez l’autre. Mais ceux-ci n’étaient pas éprouvés chaque jour, cette garde rapprochée n’était pas si compliquée à atteindre qu’elle ne laissait pas place à toutes ces considérations ? L’elfe espérait en tout cas qu’elle avait répondu de manière satisfaisante à celle auprès de qui elle était venue quémander un travail. Cela, elle ne l’oubliait pas.

Mon sourire s'accentua, sincèrement. Les longues réponses de l'elfe me plaisaient tout en me déplaisant : trop de questions et des mots trop voilés. Elle n'osait pas parce que j'étais la reine et donc qu'il lui fallait faire attention aux mots qu'elle employait, certes. Et elle montrait par-là même qu'elle était capable de cacher des informations sans pour autant mentir, ce qui pouvait toujours s'avérer utile si des gens autres l'interrogeaient. Enfin, s'ils venaient à la torturer, ils n'arrêteraient certainement pas avant d'avoir eu ce qu'ils voulaient avec des paroles claires, nettes et précises. Mais surtout, en tant que supérieure hiérarchique, j'attendais de cette femme qu'elle me dise les choses clairement... quitte à me mettre en colère. Désormais les mains dans le dos, je me retournais vers la jeune mère et la regardais comme une reine devait regarder une personne sous son service.

"Bien ! J'espère qu'une fois que vous serez bien ancrée dans vos fonctions vous apprendrez à être plus directe dans vos rapports, que vous ayez à les écrire ou les énoncer de vive voix. Votre commandant comme Glenn et moi-même préférons ne pas avoir à traduire les résultats de vos recherches, quitte à devoir en être contrariés."

J'abandonnais cet air supérieur pour revenir à celui qui m'allait le mieux : celui d'une mère à une autre mère ; celui d'une elfe ayant choisi d'être auprès d'un humain à celui d'une consoeur ayant désiré la même chose, même si cela ne s'est pas bien passé. D'égale à égale, dans le fond.

"Sachez que jamais je ne dirigerai ma colère contre vous parce que ce que vous me rapporterez ne me plairait pas. Je vous souhaite bon courage et un bon cheminement dans la section des services secrets. Vous commencerez demain matin à l'aube, rendez-vous à six heures sur les quais, devant le navire de la Sirène évadée. Vous y trouverez la personne qui vous fera prendre connaissance de vos nouvelles obligations ainsi que des lieux auxquels vous irez désormais régulièrement. Nylria sera votre nom auprès de lui dans un premier temps. Si vous n'avez pas de questions à me poser, retournez donc auprès de votre fille... Les enfants n'ont jamais assez besoin de leur mère."

Voilà la réponse qu'elle attendait, l'assurance d'une nouvelle vie. Une vie que je lui souhaitais sincèrement être la plus heureuse possible.

La reine était visiblement satisfaite de ses réponses. Et ce fut un énorme soulagement pour elle. Lui parlant de franchise, elle ne sut retenir un sourire. Evidemment, ses rapports seraient plus justes et concrets. Mais dans une ambiance comme celle-ci, elle hésitait à parler, de cela personne ne saurait s’en étonner. Elle n’avait pas encore eut le poste, jusqu’à l’instant, et elle avait préféré être un peu sur la retenue plutôt que de donner telles quelles les informations qu’elle détenait. Et puis, n’était-ce pas plus plaisant ainsi ? Se demander ce qu’elle savait vraiment, éveiller les curiosités, Eliwa adorait ça. Un peu moins la reine sans doute mais poste elle avait tout de même eu. Elle reçut des instructions précises quant à la suite et elle se dit que c’était désormais concret. L’elfe reprenait désormais du service, dans une institution légale et pour une cause juste. Du moins une qu’elle pouvait se justifier et bonifier. C’était agréable. Nouveau aussi, parce qu’elle n’avait jamais travaillé que sous la contrainte ou pour des contrats qu’elle avait accepté uniquement pour la paye.

- Je mettrai un point d’honneur à être claire et concise. Je vous remercie du plus profond de mon coeur. Et je vais suivre votre conseil, en retournant auprès de ma fille. Encore merci, ma reine.

Eliwa sortit du palais pleine d’espoirs et d’ambitions. Enfin elle allait pouvoir se poser, sereinement et durablement avec sa fille. Quand elle annonça la bonne nouvelle à Alayda, celle-ci se fendit d’un large sourire. Sa première inquiétude fut pour Mîrmae mais Eliwa la calma aussitôt. La rousse était à ses côtés pour elle et cela n’allait pas changer. Plus le temps passait, plus elle se disait qu’elle faisait partie de la famille. Les deux femmes élèveraient sans doute Mîrmae jusqu’à ce qu’elle soit adulte, alors pourquoi ne pas affirmer la place d’Alayda haut et fort ? L’elfe se laissa aller à une soirée paisible, en compagnie de ceux qu’elle aimait. Et elle attendait avec impatience de savoir de quoi serait fait son futur.