[HT Teiweon] Lorsque les Voix doivent s'accorder. [ Elvan ]

La mélopée de l’acier raisonnait avec assuétude dans l’enceinte du Temple d’Uriz, où la complainte se voyait agrémentée occasionnellement d’hurlements rageurs ou plaintifs, comme si l’un des musiciens armés avait faussé –ou plutôt, avait atteint l’apogée du crescendo-. Quant à Velkyn, l’homme qui portait usuellement la calotte du chef d’orchestre, s’était donné congé du massacre. Ses ouailles rudoyaient à l’heure qu’il était, de nouvelles recrues qui désiraient –pensaient-elles- rejoindre le culte d’Uriz, maître et Dieu des champs d’honneurs. Plutôt, c’est en débitant une carcasse opulente de poularde tiédie, qu’il devisait avec l’un de ses comparses.

« Je ne sais si c’est moi, mais j’ai parfois l’impression que les nouvelles recrues n’ont plus le feu qu’animaient ceux qui se présentaient sur le parvis du Temple, jadis. Elles viennent avec un désir certain, on ne peut leur enlever, mais ils s’écrasent comme on le ferait d’un puceron avec une botte, lorsque viens les premières épreuves de pré-sélection. »

« Les forces de la nature ne sont pas toujours celles qui viennent de leur plein gré, mais plutôt celles qui se tiennent tranquilles, patientes, attendant seulement que quelqu’un libère de leur cage leur plein potentiel. Une montagne de paille qui ne demande d’être incendié par l’un de nous.»

« Peut-être, mais pour l’heure, nous manquons cruellement de jeunes recrues. Nos forces armées se sont amoindries drastiquement avec la conquête de l’Anaeh et nous voilà désormais en déficit d’effectifs. »

« Remercie plutôt ton Créateur, d’avoir préservé d’un fatal destin l’élite de nos combattants d’une mort certaine, car ce seront ceux-là même qui calfeutrons les dommages que provoqua la guerre en formant les initiés prochains. » Avait-il prononcé, en terminant de gruger en charognard un os de la carcasse. Ses mires brûlantes bifurquèrent sur l’entrée de leur salle à manger, où se présenta devant le Haut-Prêtre l’un de ses sbires armé.

« Seigneur Velkyn, nous l’avons trouvée. Elle est à son domicile, au niveau de la chambre magmatique.» Lança le gendarme, un brin épuisé par sa précédente marche rapide.

« Une traque fort laborieuse, à en voir le temps que vous avez mis pour la retracer. » Ajouta le héraut d’Uriz, d’une voix débordante de sarcasme. Après avoir donné congé d’une manière nonchalante à son serviteur, il s’essuya le bec d’un linceul, puis se dirigeait vers la sortie, avant de se faire interpellé une ultime fois par son compagnon.

« Pourquoi ne pas l’avoir fait demander ? » Un air d’incompréhension planant sur son visage, alors qu’il interrogeait son supérieur. Question à laquelle Velkyn ne daigna pas même de freiner sa marche, préférant répondre d’une voix plus impératrice et sèche :

« Pas même le Haut-Prêtre d’Uriz peut invoquer Elvanshalee. Personne ne le peut. »

***

Arrivé à destination, le palais, si l’on pouvait le nommer ainsi, se dressait dans toute sa magnificence aux environs des Temples d’Uriz et de Teiweon. Une demeure comme il ne s’en faisait ailleurs ; une œuvre d’art créée à même le roc du mythique Vatna. Hors de tous doutes, seuls les plus illustres Puysards pouvaient s’offrir non seulement un tel joyau, mais aussi un emplacement de choix au travers les seize étages de l’Elda. En conquérant, Velkyn gravit les marches qui menaient jusqu’au bas du portail principal, dernier obstacle gardé d’une flopée de veilleurs armés. Sans leur teinter le moindre mot, c’est insufflé de respect envers lui qu’ils abaissèrent la tête avec déférence.

« Haut-Prêtre, vous êtes le bienvenue à la demeure du Vaisseau des âmes. » Cassa la glace l’un des premiers sbires, en direction de Velkyn, tout en jetant une œillade à son armement ; une épée longue tapie en son confortable fourreau ainsi qu’un poignard richement serti à la ceinture.

« Ne me faites pas annoncer, dictez-moi seulement où se trouve votre maîtresse. » S’était-il permit d’exiger envers l’un d’eux, en déposant sa main sagement sur le pinacle de son pommeau.

« Aux dernières nouvelles, nous l’avons aperçue dans l’un de ses salons, au rez-de-chaussée. Mais il se pourrait bien qu’elle ait bougé depuis. » Lui signala l’un des bourrins, sans plus amples précisions.

Aussi préféra-t-il ne pas attendre plus longtemps sur le parvis de la richissime demeure, entreprenant sa recherche aussitôt. Il avait délaissé pour l’occasion ses fidèles armures de cuir, de cuivre ou de fer, qu’il arborait comme sa propre chaire. Non, plutôt, il préféra le port de vêtements un rien plus chic, sachant le goût prononcé de sa consœur pour ce qui plaisait à l’œil ; antonyme des guenilles et des protections ensanglantées qu’il avait habitude d’exhiber au quotidien. Or il portait pour l’occasion un bliaut ébène au tissu étroit, dessinant avec brio les détails de ses muscles découpés au couteau, sur lequel des crevets tout aussi sombres resserraient l’ouverture à ses pectoraux. En guise de braie, un tissus plus ample qui déboulait sur la cime de ses bottillons aux cordons cramoisis. Autour de sa taille, un épais ceinturon à la boucle ferrée soutenait la pesanteur de ses deux aciers.

Arrivé dans l’un des boudoirs, il aperçut une femme qu’il devinait, par le port emblématique de son voile, comme étant celle avec qui il désirait converser. « Tu m’as l’air bien tracassée, ma sœur. » S’était-il permit de déclarer en guise de salutations, bien que son faciès semblait pour l’une des rares fois, un rien plus avenant. Peut-être espérait-il pour une fois, pouvoir quitter les lieux sans qu’une altercation musclée n’éclate entres eux deux … Un pari risqué, pour les deux explosives Voix Divines.

Le fait est qu’en tant que Primas Sanguis, la Dame noire pouvait jouir d’une position relativement confortable. Si ses parents l’avaient hissé là où elle était actuellement, elle leur avait naturellement rendu leur patience en leur offrant une demeure au sein de la prestigieuse chambre magmatique. Elle leurs avait donné un plus grand palais encore et ils pouvaient prétendre à couler des jours relativement « paisibles » jusqu’à ce qu’ils décident de se donner en sacrifice à la Mère. Il n’y avait sans doute pas plus glorieuse mort pour un drow d’expier son dernier souffle au combat mais pour Elkantar Baenre et Lualyrr Hune’Relth, il en avait été autrement. Tous deux avaient su braver la mort elle-même et après un millénaire chacun de bons et loyaux services, ils se retirèrent tout en conservant leur illustre influence sur les différentes sphères qu’ils avaient occupé autrefois. Mais les récentes révélations d’Elvanshalee avaient semé le doute chez Elkantar, autrefois Streea Jabbuk du premier ost, celui-là même occupé par son fils actuellement veldruk. Il hésitait donc à reprendre du service.

Des couloirs, Velkyn pouvait ouïr une mélodie composée de percussions et des sons aigus caractéristiques des pincements de cordes, c’était d’ailleurs certainement pour cela qu’il s’était dirigé en cette direction. Il découvrit donc Elvanshalee, accompagnée d’une drow qu’il connaissait certainement très bien et tenait sans doute en respect, la mère du Vaisseau des âmes, Lualyrr Hune’Relth qui fut la Grande-Prêtresse d’Uriz durant quelques siècles.
L’immortalité des daedhels avait cette chose dérangeante qu’ils étaient impossible, une fois un sombre adulte, de dissocier qui de tous étaient le plus âgés. Pour les servants des armes, il y avait cet indice qui se comptait en nombre de cicatrices mais pour les voies de la prêtrise, c’était bien plus difficile.
Les deux elfes noires étaient pratiquement en tout point semblable à l’exception de quelques détails. Lualyrr avait le teint bien plus sombre, une poitrine plus opulente et ne portait pas les deux lanières de cuir caractéristique barrant la vue de la Haute-Prêtresse de Teiweon lorsqu’elle ne portait pas ses voiles. Elvanshalee était habillée d’une pagne d’un bleu corbeau aux bordures graphiques d’un ton cobalt. Un haut couvrait simplement sa poitrine découvrant son ventre où s’éparpillaient quelques franges perlées. Sa mère, elle, était vêtue d’une simple robe rouge moulant agréablement ses formes, crantée de part et d’autres jusqu’à ses hanches. Une simple ceinture en or soulignait ainsi sa taille. Les deux silhouettes ondulaient avec volupté en une danse mystique qui avait pour vertu de transfigurer les corps. Velkyn pouvait certainement reconnaître les pratiques de ses sbires qui galvanisaient les troupes armées sur les champs de bataille et exhortaient par leur chant les guerriers. A ceci près que le ballet était beaucoup plus lent et était aussi attractif qu’hypnotique. Il suffisait d’observer Shar’Alak, le Da’ron d’Elvanshalee qui n’avait pas même bougé à l’entrée du Haut-Prêtre alors qu’il se serait d’habitude incliné. Non le regard de l’Ombre du Vaisseau des Âmes était rivé sur les daedhels, prisonnier de tout mouvement. Et le même traitement était réservé aux esclaves qui jouaient cette mélopée à la manière de pantins privés de toute conscience.

La Ferveur d’Uriz vint si tôt briser la magie qui fit s’interrompre Lualyrr. Elle offrit un sourire des plus agréable au Haut-Prêtre et posa machinalement une main contre l’épaule de sa fille qui sursauta avant de tourner son minois vers sa mère.

« Nous avons un invité, le Haut-Prêtre Xaran »

Et sans plus tarder, la servante d’Uriz s’inclina face au bras gauche du Dieu de la Guerre – son bras droit étant son avatar.
Elvanshalee tourna machinalement sa frimousse à la chevelure ébouriffée vers son pair.

« Est-ce là les murmures qui courent au Puy ? »

Si le magnat de la guerre avait pénétré l’endroit en compagnie d’une confiance à toute épreuve, c’était sans se douter qu’un débonnaire présent pour les sens allait, séance tenante, ébranler cette sécurité. Alors c’était ça, peu importe où elle passait, Elvanshalee emportait avec elle mysticisme et envoûtements … Le fumet de quelques braseros parfumé d’encens, cette mélopée grattée par les doigts agiles de quelques esclave et finalement, le clou du spectacle ; deux sommités religieuses, pauvrement affublées, vouant corps et âme leur valse à quelque chose qui semblait dépasser le Prima Sanguis. Si Velkyn n’en était pas réduit à l’esclavagisme de l’esprit, en coût du visionnement de cette danse hypnotique, il n’en était pas moins séduit et fort bien tenté. Sa psyché n’avait rien de la robustesse de son bras ni de l’adresse de son coup d’épée, ça, il le savait. Et sachant le vaisseau des âmes prompt à profiter, s’amuser ou abuser de cette faiblesse, il se devait de rester vigilent en tout temps. Son faciès trouva tout de même moyen de n’en laisser rien paraître, ceci malgré l’immense impression d’envoûtement auquel il avait été soumis... Mais de revoir l’une de ses comparses, la Grande-Prêtresse d’Uriz en personne, du temps qu’il n’était qu’un simple initié, lui arracha un demi sourire à peine étouffé. Son œil brillait d’admiration à la revoir là, dressée devant lui, les lèvres légèrement retroussée de joie, un sentiment fort bien peu exploité, par les temps qui courraient

Ainsi lorsqu’elles se tournèrent à l’unisson, il les gratifia d’une révérence du chef ainsi que d’un sourire, cette fois avenant. Ses yeux aux iris gorgés de sang décrivirent silencieusement son ex-supérieure hiérarchique, se surprenant d’être nostalgique, tout à coup. Elle fût un temps non seulement son mentor, mais aussi l’un des plus grands obstacles à son ascension. Il gardait le souvenir d’elle comme d’une femme à la nature aussi changeante que sa fille ; sachant s’adapter à son environnement un peu à la manière d’un caméléon … Elle s’était montrée diplomate lorsqu’elle dut faire s’élever l’esprit des disciples, savait faire preuve d’hardiesse lorsque les rixes armées éclataient, mais surtout, devenait aussi dur que le roc et aussi cruelle que celui qu’elle servait, lorsqu’elle se devait d’entraîner ses disciples ou de les punir … Machinalement, en croisant le regard de la matrone, c’est le passage subtile et distrait de sa mitaine contre son avant-bras, qui venait caresser une très ancienne brûlure, présent généreusement offerte par Lualyrr.

Et bien que le désir de converser avec la doyenne d’Uriz se montrait de plus en plus aguichant, il se devait par respect de poursuivre les propos qu’il tint à sa comparse.

« On me chuchote rarement à l’oreille, mais lorsqu’un vent du nord m’apprend que ton passage dans le désert Zurthan fut éprouvant à souhait, j’ai de quoi m’inquiéter. » Il avait poursuivi sans jamais s’amuser de cette nouvelle et plutôt, faisait presque mine d’empathie envers elle. Guettant la réaction de sa mère, ne sachant comment elle-même pourrait réagir, le Prima enchaîna sur un tout autre sujet, sachant qu’elle n’était pas de celles à se livrer au premier venu, ni même à quiconque.

« J’ai piété longuement et fort trop longtemps au dehors du Vatna, j’en avais oublié sa chaleur ainsi que sa forte propension aux intrigues … Peux-tu m’éclairer à ce sujet? » Lança-t-il sans une once de mesquinerie, cherchant à établir un premier contact avec son illustre consœur, en se renseignant sur ce qui avait pu être important de souligner depuis son départ, avant le Voile …