Deux idiots de retour à la civilisation... [pv. Yenael]

Honnêtement, Zaahrian avait du mal à croire qu’il s’en soit sorti une fois de plus. Essayer d’aller rejoindre son père chez les elfes était probablement l’idée la plus stupide qu’il pouvait avoir. Pourtant, il a réellement cru pouvoir y arriver. Il avait besoin de voir son père, de lui parler, mais au fond, il savait aussi que ce n’était probablement pas une bonne idée. Il ne pourrait que le décevoir. Peut-être que l’occasion se présentera d’elle-même dans quelques années. Après tout, ils se sont croisés une fois déjà… En attendant, Zaahrian n’était pas mécontent d’être enfin sorti de cette forêt et d’avoir retrouvé la civilisation… Enfin, si l’on peut dire ça. Apparemment, c’était maintenant l’hiver dans le nord et chez eux, ce n’est pas comme à Thaar où les températures baissaient un peu, mais restaient tout de même très confortables. Non, dans le nord, l’hiver amenait avec lui un épais manteau de neige et des températures très froides. Zaahrian n’a jamais vécu dans ces contrées. Il n’a jamais connu l’hiver à proprement parler. Pour lui, tout ceci lui était parfaitement étranger et, du coup, il s’en plaignait.

— Mais comment font les gens ici pour vivre dans de telles conditions? Ils ne crèvent pas de froid? Merde, je ne sens plus mes pieds! maugréa Zaahrian en tenant étroitement les bords de sa cape pour se protéger du froid.

Une autre chose qui l’étonnait était la présence de Yenaël. Depuis plusieurs ennéades, ils voyageaient ensemble alors qu’au départ ils ne se connaissaient pas du tout. Un étrange concours de circonstances les avait réunis à la veille du départ de l’assassin et, depuis, l’humain le suivait partout où il allait. À sa place, Zaahrian n’en aurait peut-être pas fait autant. Après tout, ce n’était pas comme si son entreprise fut couronnée de succès. Pourtant, il était là. Plus étrange encore, cette proximité forcée voyait naître maintenant des sentiments. Jamais Zaahrian n’avait été en contact avec quelqu’un aussi longtemps à l’exception de Guilin qui devait certainement le croire mort à l’heure actuelle. Il évitait normalement de fréquenter les gens sur le long terme, car il savait que ça pouvait devenir dangereux. Pour lui, c’était une nouveauté et il ne savait pas trop comment s’y prendre. Longtemps, il a lutté pour conserver une certaine distance et convaincre l’humain qu’une relation avec lui ne pouvait pas être une bonne idée. Pourtant, plus le temps passait, plus il était forcé d’admettre qu’il s’était réellement attaché à Yenaël. Du coup, ça lui brisait le cœur, car il savait que cette relation aurait un temps limité. Pour l’instant, il essayait de ne pas trop y penser. Jamais Zaahrian ne s’était soucié de l’avenir et là, il avait une raison de le faire… Yenaël sortait véritablement l’assassin de ses habitudes.

Le duo d’infortunés émergea de la forêt dans la baronnie d’Alonna et ils comprirent rapidement qu’ils n’étaient pas nécessairement les bienvenus. Tant mieux, car Zaahrian n’avait pas non plus l’intention de s’attarder là-bas. Les nombreuses attaques des drows dans la région avaient rendu les habitants méfiants envers les étrangers. Zaahrian avait peut-être les oreilles pointues, sa ressemblance avec les drows s’arrêtait là. Pour éviter de jeter de l’huile sur le feu, il laissa Yenaël s’occuper des transactions quand vient le temps de se prendre une chambre à l’auberge. Malgré tout, son visage aux traits osseux et ses yeux perçants attiraient l’attention.

Dans la chambre, Zaahrian jeta sa cape sur un lit et se planta devant le feu pour profiter de sa chaleur. Lentement, il sentait la vie revenir dans ses extrémités accompagnée par une désagréable sensation de picotement comme s’il avait des aiguilles sous la peau.

— L’hiver n’est définitivement pas une bonne saison pour visiter la Péninsule. Nous aurions dû retourner en Ithri’Vaan et prendre un bateau depuis Thaar. On serait arrivé au sud où il fait beau et chaud. Ils me regardent comme si j’étais sur le point de les égorger ce qui sera bientôt le cas s’ils continuent. Il se retourna pour regarder Yenaël avec un sourire. Je blague… à moitié. Nous risquons surtout d’attraper la crève. Enfin, je pense surtout à toi. Personnellement, je suis rarement malade... Merci au sang d’elfe de papa…

Il s’éloigna du feu pour s’asseoir sur le lit où il avait jeté sa cape. Il y en avait deux dans la chambre, étroite et peu confortable, mais c’était le premier lit dans lequel il allait dormir depuis longtemps, alors ça lui semblait être le comble du luxe.

— Alors, tu ne regrettes pas trop de m’avoir suivi? Après tout, je t’ai fait traverser la moitié du monde à pied. On a failli être bouffé vivant par un serpent géant, mourir de faim aussi... Ce n’était pas ce que j’avais prévu… Sans toi, je serais sans doute mort et personne ne l’aurait su. Je ne sais pas comment te remercier. Je ne suis pas très doué pour ce genre de chose. Honnêtement, à part Guilin, tu es la première personne avec qui j’ai passé autant de temps. Les gens vont et viennent dans ma vie. Généralement, ils ne meurent pas très longtemps après m’avoir rencontré… Pas toi… Tu es beaucoup plus résistant que je le pensais pour un humain...

~ Il fait froid, parce que l’on regarde là où il n’y a pas de chaleur ~

Yenaël était pensif. Alors que Zaahrian s’était assis devant la cheminée de la chambre qu’ils avaient louée pour la nuit, le jeune homme s’était assis en tailleur sur le lit. L’Alonna. Yenaël avait déjà entendu parler de cet endroit. En fait, les villes du nord de la Péninsule étaient connues pour leurs batailles plus ou moins récentes avec les drows. Le jeune mage s’était toujours intéressé à la Péninsule. Cette partie du monde, uniquement peuplée d’humains. Malheureusement, il avait longtemps fermé les yeux sur le fait que sa population était beaucoup plus fermée d’esprit que sur sa terre natale estréventine.  En fait, Yenaël avait grandi et toujours vécu en estrévent. Il connaissait peut-être très bien cette terre mais il ne connaissait rien du reste du monde. Ainsi, une façon de penser différente que celle qu’il avait toujours connue était difficilement concevable pour lui.

Maintenant qu’il était ici, dans le nord de la Péninsule, il s’en rendait compte. Les gens regardaient Zaahrian comme s’il était un pestiféré. Etait-ce parce qu’il ressemblait à un elfe ? Quoiqu’il en soit, le jeune homme devait faire attention. Il savait pertinemment que, en ces terres, il ne devrait utiliser sa magie qu’en dernier recours. Quant à son amour pour Zaahrian … Le jeune homme imaginait bien que c’était quelque chose de parfaitement inconcevable pour les autochtones.  Après avoir menti aux elfes d’Anaëh pour survivre, Yenaël devrait mentir aux humains de la Péninsule.

La voix de Zaahrian tira le jeune homme de ses rêveries. Est-ce que Yenaël regrettait d’avoir suivi l’assassin dans son périple ? En fait, il ne s’était jamais posé la question. Après avoir fini son apprentissage, le jeune mage s’était retrouvé esseulé aux portes de Thaar. Il avait trouvé en Zaahrian des choses qu’il n’avait jamais connu auparavant : De l’aventure, du risque, de l’amitié et plus étonnant encore … de l’amour. Yenaël entreprit de répondre à son ami, d’un air légèrement las.

- Comment pourrais-je regretter ? Avant de te rencontrer, je n’avais rien. Maintenant, je n’ai pas beaucoup plus de choses qui m’appartiennent mais j’ai au moins une personne sur qui je peux compter. Après tout, je ne vois pas ce que je pourrais demander de plus.

Le regard du jeune homme était légèrement vide et inexpressif. Il pensait tout en parlant. En fait, il était tout simplement fatigué et n’avait qu’une envie : dormir. Il reprit la parole pour rassurer son ami sur sa résistance.

- C’est parce que tu n’avais jamais rencontré d’humain magicien jusqu’à maintenant ! Tu sais, on ne dirait pas mais … Ça peut aider dans pas mal de situations, tout de même !

Fatigué de sa journée, le jeune homme s’étala de tout son long sur le lit. Cela faisait … Très longtemps que les deux voyageurs n’avaient pas pu profiter du confort d’une auberge. Bon, certes il s’agissait d’un relais quelque peu rustique mais c’était beaucoup plus confortable que de dormir à même le sol.

- Tu devrais venir t’allonger. Je sais que tu cherches à te réchauffer mais … ce lit … Yenaël bailla avant de reprendre. Ce lit est confortable et le duvet nous tiendra chaud.

En fait, Yenaël était trop timide pour demander à Zaahrian l’autorisation de se blottir contre lui. Il faut dire que leur relation avait pris un coup de froid ces derniers jours, c’était le cas de le dire. Le voyage avait été rude et les terres qu’ils avaient parcourues étaient pour le moins dépeuplées et hostiles à l’homme.Le jeune mage continua de bailler tout en exprimant ses pensées à haute voix, sans savoir si son ami allait rebondir sur ce qu’il disait.

- Je me demande ce qu’a bien pu penser l’aubergiste lorsque je lui ai demandé un seul lit pour deux grands gaillards comme nous. Après tout, il a dû penser que nous étions trop pauvres pour nous payer deux chambres. Yenaël baissa d’un ton de manière à ce que sa voix devienne à peine perceptible. En même temps, il n’aurait pas eu forcément tort de penser ça …

Leur situation était précaire. Certes, les deux amis venaient de retrouver la civilisation, mais ils étaient plus que jamais affamés et sans le moindre sou. Que pourraient-ils bien faire pour renflouer légèrement leur bourse. En fait, il n’en avait aucune idée. Le jeune homme espérait que son ami assassin en aurait une. Cependant, une idée qui ne les mettrait pas en danger de mort immédiatement serait la bienvenue.

- Qu’allons-nous faire demain ? Nous avons besoin d’argent. Nous pourrions vendre nos services aux gens qui vivent ici mais … je ne vois pas vraiment comment nous pourrions gagner de l’argent rapidement.

Yenaël laissa sa réflexion en suspens. Il était trop fatigué pour échafauder un plan et il espérait bien que cette journée allait se finir incessamment sous peu.  

— Je ne sais pas, je pourrais difficilement t’en vouloir si c’était le cas. Après tout, si tu ne m’avais pas suivi, tu serais toujours en Ithri’Vaan bien au chaud et non dans cet enfer gelé. Peut-être aurais-tu trouvé une place chez un prince marchand et dormirait tous les soirs dans des draps de soie fine. Des esclaves au corps musclé viendraient t’apporter ton petit déjeuner tous les matins… Ou tu pourrais être dans les marchés obligé de mendier pour te nourrir. Pire encore, ton corps serait peut-être en train de pourrir dans le fond d’une ruelle après qu’on t’ait ouvert la gorge pour ta bague. Bref, tu ne sauras jamais si tu as raté l’occasion d’être le nouveau jouet à la mode d’un prince marchand, mais au moins tu es encore en vie. Fit remarquer Zaahrian avec philosophie.

Il regarda Yenaël dont la fatigue marquait profondément les traits. D’ordinaire beau garçon, il faisait peur à voir maintenant. Lui-même avait l’impression d’être complètement vidé. Il avait perdu du poids et de nouvelles cicatrices s’étaient ajoutées aux anciennes. Ce voyage fut aussi interminable qu’éprouvant, mais ils étaient vivants et en un seul morceau. Ce simple exploit méritait d’être souligné.

— Pour allumer des feux, je m’incline humblement devant ta supériorité. Évite simplement d’en faire la démonstration en public. Nous attirons déjà suffisamment l’attention comme ça. Il sourit avant d’ajouter. Dors, tu as vraiment une sale tête.

Il lui passa une main dans les cheveux dans un geste étonnamment affectueux, avant de bâiller à son tour, contaminé par Yenaël qui menaçait de se décrocher la mâchoire depuis près d’une heure. Au chaud et enfin confortable, le sommeil le rattrapait rapidement, le plongeant dans un engourdissement contre lequel il ne pourrait pas lutter bien longtemps. Zaahrian ne tarderait pas à rejoindre Yenaël sous les draps. Il commença d’ailleurs à retirer ses bottes, encore étonné par la guérison de sa cheville.

— Est-ce une façon détournée pour demander la permission de te coller contre moi sous les draps? souffla-t-il en prenant un air charmeur. J’allais le faire de toute façon. Je suis tellement crevé que je pourrais m’endormir sur le plancher.

Zaahrian entreprit d’enlever tout ce qui lui serait inutile. Il déposa ses armes près du lit et glissa sa dague sous l’oreiller comme il avait l’habitude de le faire. Il hésita un instant, mais décida de garder son pantalon et sa tunique. Malgré le feu, il ne faisait pas si chaud que ça dans la chambre. En passant près du mur extérieur, il avait senti des courants d’air froid où l’air hivernal s’infiltrait.

— Ne t’inquiète pas sur ce qu’a pu penser l’aubergiste. Il n’est pas rare qu’un groupe de voyageurs s’entasse dans une seule chambre par souci d’économie. L’aubergiste sait qu’ils vont manger dans sa taverne de toute façon. Donc plus il y a de monde, plus c’est avantageux pour lui. Honnêtement, si la première chose qui lui est venue à l’esprit en nous voyant fut qu’on puisse former un couple, c’est qu’il a lui-même des idées derrière la tête.

Il se leva pour préparer le lit. Il tira le drap pour s’assurer qu’il n’y ait pas de vermines. Rien ne lui sautait aux yeux dans l’immédiat, mais s’il y en avait, ils le sauraient bien assez vite quand les bestioles viendront se délecter de leur sang pendant la nuit. Il s’y étendit en poussant un long soupir de soulagement. Il n’y a rien de plus agréable que la sensation que l’on éprouve au moment de se mettre au lit après une journée éreintante. L’assassin s’étira, un sourire d’intense satisfaction sur ses lèvres. Ce lit était effectivement très confortable. En même temps, vu les conditions dans lesquelles ils avaient voyagé, une planche de bois dans un endroit sec aurait été le comble du luxe.

— On réfléchira à tout ça demain après une bonne nuit de sommeil. Ne t’inquiète pas, on a survécu jusqu’ici, je ne vois pas pourquoi on ne trouverait pas une solution à notre problème d’argent. Viens dormir…

Zaahrian lui fit une place pour s’étendre. Le lit n’était pas bien large, obligeant les dormeurs à se coller l’un contre l’autre, mais ça ne dérangeait pas l’assassin. Bien au contraire, il s’assura de le ramener bien contre lui avant de tirer l’édredon sur eux.

— Je suis content que tu sois là...

Yenaël ne put s’empêcher de sourire suite à la remarque de Zaahrian sur la potentielle vie qu’il aurait pu mener en servant un prince marchand. Il sourit et répondit d’emblée à son ami.

- Tiens, c’est étrange, on dirait presque que tu t’y connais bien en soie fine et en esclave au corps huilé …

Il laissa sa phrase en suspens pour provoquer Zaahrian. Le jeune homme savait pertinemment que son compagnon de route avait eu une vie bien remplie avant de le rencontrer. Après tout, c’était normal puisqu’il avait vécu beaucoup plus longtemps que lui. Yenaël conserva son air taquin pour continuer à provoquer le semi-elfe.

- J’ai une sale tête ? Ah Bon ? Et tu as vu la tienne ? Quand nous nous sommes rencontré, je t’avais trouvé musclé et rassurant. Aujourd’hui je te trouve maigre et inquiétant. A toi de voir qui de nous deux à le plus une sale tête !

Le jeune homme était en train de rire lorsque Zaahrian eut un geste affectueux pour lui. Cela faisait maintenant plusieurs ennéades qu’il avait déclaré son amour au beau semi-elfe, pourtant la passion qu’il éprouvait pour lui ne s’était pas atténuée. Le rythme cardiaque de Yenaël s’accéléra et la proposition que lui fit par la suite l’élu de son cœur le tétanisa un peu plus. Le temps avait passé depuis leur première nuit « ensemble » mais le jeune homme n’en restait pas moins peu à l’aise avec le sujet. Zaahrian s’installa dans le lit et Yenaël vint rapidement se blottir contre lui. Il avait trop peu de courage pour se relever afin de se dévêtir. Dans son dos, Yenaël sentait la présence chaude et le corps musculeux de Zaahrian. Il ne lui avait jamais avoué ouvertement mais il appréciait plus que tout au monde cette sensation. Le semi-elfe se mit à parler des plans du lendemain en écho à la question que le jeune mage lui avait posé. Mais il n’avait même pas le courage de l’écouter. Le confort et la chaleur du lit commençaient déjà à le faire somnoler. Tout en écoutant Zaahrian, Yenaël se mit à bâiller à s’en décrocher la mâchoire. Il entendit son ami lui dire qu’il était heureux de sa présence. Dans son esprit, il crut qu’il lui avait répondu. Mais le jeune homme était tellement épuisé qu’il s’était endormi avant même de prononcer le moindre mot.

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Du miel pour son chéri - Une épopée de Yenaël

La lumière du soleil éclairait le visage de Yenaël. Cette intense luminosité lui fit ouvrir les yeux. Le rayon de lumière filtrait à travers un petit fenestron en bois qui était situé sur le mur en face du lit où ils avaient passé la nuit. Quelle heure pouvait-il bien être pour que le soleil soit déjà haut dans le ciel ? Après tout, c’était l’hiver, donc le soleil se levait tard et n’apparaissait que rarement. Le jeune homme se redressa avant de jeter un coup d’œil de l’autre côté du lit pour vérifier si Zaahrian allait bien. Le semi-elfe dormait encore paisiblement et la luminosité ne semblait pas l’incommoder. Le jeune mage avait une idée en tête. Il voulait faire plaisir à son ami. Il se leva presque un peu trop rapidement. Il devait faire vite et discrètement pour réussir à ramener quelque chose à l’élu de son cœur avant qu’il ne se réveille. Yenaël s’étira prestement avant de sortir de la chambre et de fermer avec douceur la porte derrière lui.

Il descendit au rez-de-chaussée de l’auberge afin de trouver l’aubergiste qui les avait accueillis la veille et de lui demander quelques renseignements. Yenaël prit les devants.

- Salut l’ami, nous avons passé une très bonne nuit mon collègue et moi. Dites-moi avant de rendre la chambre, nous aimerions nous mettre quelque chose sous la dent. Une idée d’où je peux trouver … Disons des friandises sucrées ?
- Bonjour m’sieur, vous avez de quoi payer pour tout ça j’espère ?

La vérité était que Yenaël n’avait pas la moindre pièce en poche. Mais il comptait bien parvenir à ses fins efficacement et rapidement.

- Bien sûr ! Nous revenons d’un long voyage où nous avons fait de fructueuses affaires. Vivement que nous puissions rejoindre une grande ville afin de refaire le plein d’équipement. Alors pour les friandises ?
- C’est ça, ouais … L’aubergiste grommela comme s’il ne comptait pas répondre à la question de Yenaël.Puis il le fit quand même.  Y’a des ruches quand vous sortez de l’auberge sur votre gauche. Allez voir le proprio, il doit bien lui rester un peu de miel de cet été.
- J’y vais de ce pas. Ah et, j’allais oublier, vous vendez du lait ?
- Oui bien sûr ! Du bon lait des chèvres de par ici.

Du lait de chèvre, beurk. Ma foi, Yenaël n’aurait d’autre choix que de s’en contenter. Le jeune homme n’attendit pas un instant de plus avant de quitter l’auberge. Il avait grandi dans ce genre d’endroits de passage et savait ce qu’il fallait dire pour en convaincre les tenanciers. Il vit tout de suite de quelle maison lui avait parlé l’aubergiste. En même temps, le village dans lequel les deux aventuriers s’étaient arrêtés était pour le moins minuscule. La météo semblait plutôt clémente aujourd’hui. Le sol était toujours couvert de neige mais le soleil était radieux, a un tel point que la température était presque agréable.


Le jeune homme toqua à la porte de la maison où il se rendait. Un homme à l’air rustre lui ouvrit. Yenaël avait l’impression de clairement le déranger mais il ne se dégonfla pas pour autant.

- Bonjour monsieur. Je loge à l’auberge et le propriétaire m’a dit que vous faisiez de succulents gâteaux au miel par ici. Euh … Je suis bien au bon endroit, j’espère ?
- Oui. L’homme avait l’air fermé et peu enclin au marchandage.
- Est-il possible de gouter à vos gâteaux fabrication maison ?

Réaction de l'homme:

- Hmmm. J’sais pas. J’veux pas d’argent. Mais tu m’as l’air jeune et assez costaud. J’ai des sacs de farine à déplacer dans ma grange. J’veux bien t’filer à bouffer si tu m’aide à les bouger.
- Ca me va ! J’vous suis.

Sans plus réfléchir, Yenaël emboita le pas de l’inconnu. Ils contournèrent la maison avant de se retrouver devant un immense corps de ferme. Cette homme n’avait pas l’air d’être riche, pourtant il semblait avoir une sacrée exploitation agricole qui lui appartenait. L’homme entra dans la grange sans même vérifier si Yenaël le suivait. Le jeune homme lui emboita le pas.

- Nous devons les déplacer de cet endroit. L’homme pointa une extrémité de la grange. Vers ici.  Il pointa l’autre extrémité. J’ai besoin de place pour garder le foin d’un collègue.

Succès de la mission :

Yenaël se mit tout de suite à l’œuvre. Il fit en sorte de saisir le premier sac. Il l’aggripa entre ses mains mais la toile de jute était peu pratique pour être saisie. Il s’accroupit afin de pousser avec ses jambes pour amener le sac sur ses épaules mais … Rien n’y fit.

- Oh, ils sont super lourds dis donc.

Réaction du fermier:

- Ouais, normal si t’as pas l’habitude. Je suis trop vieux pour les porter, moi. Je vais te les pousser sur les épaules depuis le haut de la pile et tu vas les charrier jusqu’à là-bas, c’est bon ?
- Essayons.

Essai avec la nouvelle méthode:

La tâche fut longue et fastidieuse. Yenaël en sorti épuisé après près d’une heure de travail. Le fermier semblait satisfait du résultat. Ils revinrent rapidement vers l’entrée de la maison, cette fois-ci Yenaël fut invité à rentrer.

- Dis gamin, ça se voit que t’es pas d’ici. Tu viens d’où ?
- Du sud. Yenaël ne voulait pas en dire trop pour éviter tout problème superflu.

Générosité de fermier:

L’homme sorti un pot d’un placard. Il dévissa le couvercle avant de tendre un sablé qui avait l’air succulent en direction du jeune homme. Il s’en empara aussitôt et fut surpris de n’avoir que ça, les gens du nord étaient vraiment des rustres.

- Est-ce que je peux en avoir au moins un deuxième s’il vous plait ? Celui-là comblera à peine mon estomac après tous les efforts physiques que j’ai dû faire.
- Tiens, je t’en donne un autre mais c’est tout. C’est l’hiver, j’ai de moins en moins de nourriture en stock. Désolé pour toi gamin. Allez file !

Yenaël prit le deuxième sablé, il quitta la maison sans demander son reste. Au fond de lui, il aurait bien espéré avoir un peu plus à proposer à Zaahrian. C’était déjà mieux que rien …

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Le jeune mage fit le chemin retour jusqu’à l’auberge avant de gravir les marches vers la chambre où ils avaient dormi sans même adresser la parole à l’aubergiste. Il n’avait pas d’argent sur lui et n’avait plus de temps pour en chercher, il ne pouvait donc pas lui acheter de lait.

Une fois arrivé à l’étage Yenaël ouvrit la porte avec douceur au cas où Zaahrian n’était toujours pas réveillé. A peine fut il entré dans la chambre et sans même avoir le temps de voir son ami qu’il s’exclama avec empressement.

-Zaahrian, réveille-toi ! Je nous ai trouvé de quoi manger !

— Tout à fait! Je t’ai déjà dit que j’ai travaillé un certain temps pour une princesse marchande? Elle avait quelques problèmes avec une guilde d’assassin qui voulait sa peau. Je devais l’entraîner et j’en ai profité pour former certains de ses hommes, mais notre association c’est brusquement terminée après une mission d’infiltration complètement raté. Il faut dire que sur ce coup, j’en prends la responsabilité. Ces drows sont tellement tarés de toute façon. Dommage que Tarin, un de mes élèves à l’époque, en ait perdu la vie.

Penser à l’humain laissait un goût d’amertume dans la bouche de Zaahrian. Il en voulait encore à Krish bien que sa colère ne soit plus aussi intense que sur le coup. Il reconnaissait sa part de responsabilité dans cette histoire. Après coup, il voyait tout ce qu’il aurait pu faire différemment, mais rien n’allait ramener l’humain d’entre les mots. Pour éviter de se laisser ronger par les remords, l’assassin était passé à autre chose. Après tout, la mort vient pour chacun d’entre nous à un moment ou à un autre.

— J’ai toujours été inquiétant. Je suis un assassin, par définition, je suis inquiétant. C’est toi qui n’es pas normal de m’avoir trouvé rassurant. Quant à ma maigreur… Une cuisse d’écureuil ne remplis pas un estomac…

Là-dessus, il était encore le responsable. Zaahrian possédait le plus d’expérience pour la chasse, mais ça ne signifiait pas qu’il était un bon chasseur. Il avait réussi à tuer un peu de gibier, assez pour les garder en vie, mais il ne s’était pas transformé en homme de la forêt pendant ce voyage. Zaahrian espérait maintenant qu’en étant de retour en ville, il soit en mesure de trouver un moyen de subsistance un peu plus stable. Malheureusement, et il ne l’avait toujours pas dit à Yenaël, s’il savait où aller à Thaar pour trouver des contrats juteux et des choses qui soient dans ses cordes, ce n’était pas le cas ici. Il n’était jamais allé en Péninsule. C’était nouveau et aussi excitant qu’inquiétant. Il devra se montrer particulièrement ingénieux et persuasif pour se trouver du travail, surtout dans un endroit aussi éprouvé. Zaahrian ne voulait surtout pas causer plus d’inquiétude chez Yenaël qui était si épuisé qu’il ne tarda pas à s’endormir dans ses bras. Le semi-elfe resta éveillé encore un peu à le regarder perdu dans ses pensées.

— Je me ramollis à cause de toi

Il déposa un baiser sur la tête du dormeur.

— Tu es mon point faible Yenaël… et je devrais te tuer pour ça…

Zaahrian ferma les yeux en soupirant. Ses pensées continuèrent à le hanter pendant un moment jusqu’à ce que la fatigue finisse par l’emporter sur le reste.

Au matin, alors que la lumière du jour inondait la chambre, Zaahrian dormait toujours profondément. Un tel état d’abandon n’avait rien d’habituel pour l’assassin qui se réveillait au moindre bruit. Il ne remarqua rien lorsque Yenaël quitta le confort du lit. Il continua à dormir jusqu’à son retour quelques heures plus tard ou, cette fois, le manque de discrétion de son ami le fit bondir du lit, dague au poing. Abruti par le sommeil, il regarda Yenaël, surpris de le trouver là plutôt que dans le lit. Il lui fallut tout de même un certain temps avant de réaliser qu’il n’y avait aucune menace. Zaahrian se redressa lentement et jeta la dague sur le lit.

— Désolé… il ne faut pas… faire ça. Je pensais te l’avoir dit. La prochaine fois, cogne à la porte. Je suis entrainé… Ce sont des réflexes pour ma survie… Je suis dangereux, je pourrais te blesser ou pire encore.

Il se frotta vigoureusement le visage à deux mains pour essayer de se réveiller complètement puis il s’étira dans le but de ramener un peu de vie dans ses membres engourdis. Zaahrian se sentait mal face à sa réaction. Entraîné à réagir face à la menace, ce comportement défensif était imprégner dans chaque fibre de son corps. Une habitude qui sera difficile à perdre s’il décidait de la corriger… et il n’avait aucune intention de le faire.

— Qu’as-tu ramené? Demanda-t-il enfin en se souvenant des paroles de Yenaël en revenant dans la chambre. Ça tombait bien, car il commençait vraiment à avoir faim.

La réaction de Zaahrian suite à l’entrée fracassante de Yenaël fut … prévisible. En fait, il s’était habitué lors de ces derniers mois de voyage à voir l’assassin avoir la dague facile à la moindre surprise. Mais la matinée était tout de même bien avancée, le jeune homme avait supposé que le semi-elfe serait déjà réveillé. Bref, peu importe. Personne n’avait été égorgé et ce ne serait pas les craintes et reflexes du semi-elfe qui couperaient court à l’enthousiasme du jeune homme.

- Je nous ai ramené de quoi manger. J’ai dû négocier un peu avec un paysan local mais j’ai deux sablés au miel pour le petit déjeuné. Tiens, ils ont l’air excellent.

Yen tendit les deux sablés à Zaahrian sans même en garder un pour lui. Le jeune mage avait eu l’habitude durant son enfance de ne pas toujours pouvoir manger à sa faim et de devoir faire des sacrifices. Il avait également légèrement atténué les mésaventures qu’il venait de connaître avec le paysan alonnan, il y a quelques minutes de cela. Après tout, Zaahrian n’avait pas besoin de savoir quels efforts avait fourni le jeune homme pour avoir un pareil présent à lui offrir.

Tout en s’asseyant aux côtés de Zaahrian sur le coin du lit qu’ils avaient partagé cette nuit, Yenaël commença à se demander ce qu’ils allaient bien pouvoir faire aujourd’hui. Aussi, il se devait de partager ses pensées avec son compagnon car ils prendraient certainement les décisions ensemble pour la suite de leur voyage.

- Zaahrian, qu’est-ce que tu as envie de faire aujourd’hui ? Attention, n’interprète pas mal ma question. Je ne te demande pas ce que nous devons faire pour survivre mais plutôt ce que tu as envie de faire maintenant que nous avons enfin atteint la terre des humains.

Yenaël fit un grand sourire à Zaahrian. Au cas où le semi-elfe ne l’avait pas remarqué, son ami voulait lui faire plaisir aujourd’hui. Le jeune mage avait toujours été d’un naturel plutôt positif. Malheureusement, les dernières ennéades de route entre l’Anaëh et le pays alonnan n’avaient pas été des plus joyeuses. Mais tout cela était derrière eux, ils avaient désormais atteint leur destination et ils pouvaient bien s’offrir quelques jours de villégiature.

- Nous pourrions chercher à nous acheter des vêtements neufs, ça te ferait plaisir ?

Yenaël savait pertinemment que son ami et conjoint avait eu l’habitude d’un cadre de vie légèrement plus luxueux que cette chambre d’hôtel des plus modestes, lorsqu’il vivait à Thaar Il savait également que, pour le moment, ils n’avaient ni l’un ni l’autre les moyens de s’offrir le moindre loisir. Cependant, même s’ils étaient épuisés par leur voyage, Yenaël et Zaahrian n’étaient pas les premiers péquenauds du coin. Zaahrian avait un talent indéniable pour son activité d’assassin. Même si le jeune homme ne l’avait jamais vraiment vu à l’œuvre lors de l’exécution d’un contrat, sa dextérité et son agilité avaient été maintes fois prouvées durant leur voyage. Yenaël quant à lui était un mage émérite, ce voyage lui avait permis de mettre à contribution ses aptitudes magiques et de s’entrainer sur le terrain. Deux personnes avec de pareilles compétences ne pouvaient et ne devaient pas se permettre de vivre comme des manants. Et pour se sortir de cette situation, ils devaient avoir des objectifs à atteindre et des envies, qui seraient source de motivation pour arriver à leurs fins.

Peut-être qu’ils voyageaient ensemble depuis trop longtemps pour que Yenaël s’habitue à ses réactions parfois explosives. Peu de gens pourraient y parvenir avec autant de calme, sachant que c’est un entraînement bien particulier qui avait rendu Zaahrian tel qu’il est. Pourtant, l’humain ne réagissait même pas. Il attendait simplement que le semi-elfe se ressaisisse avant de reprendre comme si de rien n’était. De son côté, Zaahrian n’arrivait toujours pas à se détendre entièrement. Une partie de lui refusait de lâcher prise et de faire confiance à Yenaël. Il ne pouvait faire confiance à personne sauf Guilin. Ils avaient traversé les mêmes épreuves. Ils avaient survécu à l’impossible et un lien unique les unissait. L’humain ne savait rien de l’entraînement qu’il avait enduré alors qu’il n’était qu’un enfant encore. Il lui avait raconté bien des choses, mais il y en avait d’autres qu’il gardait pour lui. Ce côté sombre de sa vie, il le cachait à grand renfort de sourires et une bonne dose d’arrogance. Zaahrian était une grande gueule affirmée, mais pour combien de temps encore la façade allait-elle tenir? Les épreuves du voyage l’avaient craquelé. Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’il ne sombre et il le savait. Son seul espoir résidait chez cet humain… À condition, bien sûr, qu’il finisse par entièrement lui faire confiance.

— Deux sablés seulement? Les gens de cette ville sont affreusement radins.

Les sablés avaient effectivement l’air délicieux, mais ils ne rempliraient pas son estomac bien longtemps. Yenaël les lui donna tous les deux sans en garder pour lui. Il l’interrogea du regard, mais voyant qu’il insistait pour qu’il les garde, Zaahrian les avala en deux bouchers. Ils avaient un bon goût de miel qui lui fit regretter le fait qu’il n’y en avait que deux.

— Tu as de la poudre blanche dans les cheveux. C’est quoi? De la farine?

Zaahrian balaya d’une main la poudre qu’il avait dans les cheveux en se demandant ce qu’il avait fait pour obtenir les sablés. À le voir, il était réveillé depuis un moment déjà.

— Qu’est-ce que j’ai envie de faire aujourd’hui? Me trouver un moyen de faire de l’argent rapidement avant qu’on nous mette à la porte. J’aimerais bien avoir de nouveaux vêtements, mais je n’ai rien pour les payer et je ne crois pas qu’on va pouvoir compter sur la générosité des habitants de la ville.

Zaahrian réfléchit pendant un instant. Après une bonne nuit de sommeil, il avait les idées plus claires. Il comprenait la précarité de leur situation et, même si Yenaël ne tenait pas particulièrement à y penser, ils ne pouvaient pas simplement l’ignorer.

— Je vais être très honnête avec toi, Yenaël, mais je ne sais pas trop comment m’y prendre ici. À Thaar, je sais où aller pour trouver des contrats et me faire de l’argent, mais pas ici. Chaque ville a sa taverne peu recommandable où les vies sont marchandées par des échanges discrets de sacs remplis d’or. Je me vois mal demander au paysan du coin où je dois aller pour ce genre d’activité. Je ne tiens pas non plus à me présenter devant le seigneur local pour lui offrir mes services. Je peux aussi bien me retrouver au bout d’une corde. Je vais devoir prendre des moyens détournés. Ça va me prendre un certain temps pour ratisser les tavernes, écouter les conversations et déterminer qui est vraiment sérieux dans ses démarches. Tu n’as pas idée de la quantité de gens qui, sous le coup de l’ivresse, peuvent désirer la mort de quelqu’un et totalement oublier leurs rancunes dès qu’ils ont dégrisé.

Il s’étira et fit rouler ses épaules.

— Ne t’inquiète pas. J’ai dit que ça ne sera pas facile, mais pas que c’était impossible. Dès qu’on aura un peu d’argent, nous irons vers le sud. En attendant, je propose qu’on fasse le tour des lieux. Qui sait, mon charisme légendaire m’attirera peut-être quelques faveurs des dieux!

Il se rapprocha de Yenaël, le regard fixé au sien. En bien meilleure forme après une bonne nuit de sommeil dans un vrai lit, il se sentait un peu plus lui-même. Il n’était pas trop certain encore de ce qu’était vraiment sa relation avec l’humain. Ce dernier lui avait bien avoué ses sentiments, mais il avait l’impression qu’une éternité était passée depuis.

— Mais nous ne sommes pas obligés de bouger maintenant. On peut rester ici… et profiter de la compagnie de l’autre.

Yenaël fut heureux de voir Zaahrian engloutir avec plaisir les deux sucreries qu’il avait obtenu à la sueur de son front. Il avait eu peur que l’assassin ne se sacrifie et refuse de les manger pour le lui en laisser. Mais si le jeune homme avait fait tous ces efforts, c’était pour lui faire plaisir à lui. Certainement pas pour remplir son propre estomac …

- Oh, oui c’est de la farine ! J’ai aidé rapidement un paysan du coin, j’ai dû me salir à ce moment-là.

Bien évidemment, le jeune mage resterait évasif sur la manière dont il avait obtenu les sablés, ne cherchant surtout pas à inquiéter son compagnon. Zaahrian répondit ensuite à sa question. Le fait qu’il parle directement d’argent mit en évidence que le semi-elfe était extrêmement mal à l’aise rien qu’à l’idée de se retrouver sans le moindre sou en poche. Il présenta ensuite son désarroi sur cette terre gelée et lointaine de la belle et grande Thaar qui l’avait accueilli pendant de nombreuses années. Yenaël cherchait un moyen de faire oublier sa condition actuelle à son ami mais il ne voyait pas vraiment, il n’osa donc pas prendre la parole. Zaahrian semblait vraiment fixé sur le fait que leur situation était complexe et qu’ils ne s’en sortiraient pas aussi facilement.

Puis vint la proposition. La proposition de rester ici, ensemble, au calme afin de partager enfin un moment ensemble. Une lueur apparut soudainement dans le regard de Yenaël et il eut une idée. Après tout, ce serait peut-être ça qui ferait oublier à Zaahrian sa condition actuelle. En fait, cela faisait maintenant bien longtemps que les deux hommes étaient ensemble sur les routes. Cela faisait bien longtemps qu’ils partageaient la même couche et qu’ils s’étaient avoués des sentiments mutuels. Pour autant, à cause de leur long voyage et des mauvaises conditions dans lesquelles ils avaient vécu ces derniers temps, Yen n’avait jamais franchi le pas. Il n’avait jamais essayé d’aller plus loin avec un Zaahrian épuisé, râleur et peu charismatique. Mais en le regardant droit dans les yeux, le jeune homme senti qu’une flamme s’était ravivée et que peut-être quelque chose était à nouveau possible.

Le semi-elfe s’était rapproché de lui et le jeune homme s’approcha à son tour. Il senti le contact du corps chaud et musculeux de son ami. Même si Zaahrian avait été affamé pendant plusieurs ennéades, il n’avait pas trop perdu de sa musculature. Sans dire un mot, Yenaël embrassa Zaahrian. Ce fut un baiser calme, posé et aguicheur. Même si l’attente avait été longue et qu’elle n’avait fait qu’attiser les appréhensions de Yenaël, il se sentait prêt. Comme guidé par son instinct, il laissa une main baladeuse caresser lentement le torse de Zaahrian. Elle descendit, lentement, alors que le jeune homme continuait d’embrasser celui qui faisait battre son cœur. Puis elle atteignit un endroit, l’endroit. Le contact était chaud et provocateur, même à travers les vêtements. Le jeune homme se mit à parler tout bas, au creux de l’oreille légèrement pointue de son ami.

- Quand tu parlais de compagnie, est-ce que tu parlais bien de ça ?

Le cœur de Yenaël battait vite, très vite. En fait, les battements étaient tellement puissants qu’ils arrivaient à couvrir l’ouïe du jeune homme. Il avait du mal à savoir s’il était angoissé ou excité. Peut-être un subtil mélange entre ces deux sentiments opposés mais si proches dans ce genre de situations.

Ce baiser, même calme et posé, éveilla chez Zaahrian des envies qu’il refoulait depuis un certain temps déjà. Yenaël lui avait avoué n’avoir aucune expérience en la matière, il avait donc été patient, attendant le moment parfait pour franchir cette étape. Cet élan de romantisme ne ressemblait pas à Zaahrian qui trouvait ses amants au hasard de ses rencontres avant de les laisser au petit matin après une nuit agitée. Il y avait chez Yenaël quelque chose qui faisait ressortir ce qu’il avait de meilleur en lui.

— Ça faisait partie des options…

Encouragé par l’audace de Yenaël, Zaahrian alla chercher un second baiser, plus appuyé cette fois. Il le fit s’étirer jusqu’à ce que le souffle lui manque. Il sentait son corps s’échauffer rapidement tout comme ce besoin viscéral d’avoir Yen contre lui. Il ne manquait pas d’expérience en la matière, mais il craignait d’aller trop vite. En de rares occasions, il avait initié quelqu’un. Il essaya de se souvenir de l’époque où il fut à la place de Yenaël, il y a si longtemps de ça déjà. Qu’est-ce qui se passait dans sa tête à ce moment? Une bonne dose d’insécurité qu’il avait cachée avec son arrogance habituelle. Zaahrian n’a pas beaucoup changé depuis qu’il est adulte. Il a oublié le nom de son premier partenaire depuis longtemps, mais il se souvient encore de son visage, du goût de ses lèvres et de la sensation de ses mains sur son corps. Il n’avait pas été doux, considérant sans doute que l’attitude de Zaahrian témoignait de son expérience. Évidemment, il ne lui a pas dit qu’il était puceau. Du coup, il savait ce qu’il ne devait pas faire. Le reste viendra sans doute de lui-même.

— S’il y a quelque chose qui te déplaît, n’hésite pas à le dire…

Il ne démontrait pas autant de sollicitude normalement, mais Yenaël n’était pas comme les autres. Le regard habituellement perçant et narquois de l’assassin se faisait tendre avec une pointe de désir qu’on ne pouvait pas ignorer. Zaahrian caressa une fois de plus le visage de son jeune amant en suivant le tracé de sa mâchoire. Plus il le regardait, plus il le désirait. Il avait ignoré ses pulsions un peu trop longtemps.

Zaahrian l’aida d’abord à se débarrasser de sa tunique avant d’en faire de même. L’envie de le toucher se fit plus pressante. Il posa une main sur son épaule et la fit descendre tranquillement en traçant des arabesques invisibles sur son épiderme. Il admirait son corps et les muscles que l’on devinait sous la peau. La vie au grand air l’avait façonné de façon exquise bien que l’on devinait la précarité de leur situation. Lui non plus n’était pas bien gras. Zaahrian sourit, puis poussa doucement Yenaël à s’étendre sur le lit. L’assassin affichait un air calme et confiant, mais il était en fait plus nerveux qu’il ne l’aurait imaginé. Il craignait vraiment de ne pas être à la hauteur et de le décevoir. Ce genre de doute n’avait rien d’habituel pour Zaahrian. Il préféra les chasser et suivre son instinct. À trop réfléchir, il risquait vraiment de ruiner le moment.

Avec beaucoup de douceur et une infinie patience, Zaahrian explora ce torse qui s’était dévoilé à lui sans pudeur. Attentif aux réactions de Yenaël, l’assassin marquait peu à peu son territoire que ce soit avec ses mains, ses lèvres et simplement son souffle. Il s’enivrait de la douceur de sa peau et de son odeur. À l’occasion, il délaissait le torse pour revenir à ses lèvres et l’embrasser. Puis il guidait Yenaël dans sa propre exploration en sachant très bien combien ça pouvait être intimidant.

Yenaël avait été à l’initiative du premier baiser. Cependant, Zaahrian avait bien vite repris le dessus et par la même occasion la direction de la suite des opérations. Plutôt rassuré de voir que son conjoint se montrait entreprenant, le jeune homme fut tenté par la passivité. En effet, le fait de se laisser entraîner sur des terrains encore inexplorés lorsque l’on est guidé par une personne expérimentée avait quelque chose de rassurant. Pourtant, la situation se voulait plus excitante que rassurante.

Yenaël s’était toujours demandé comment c’était. Comme ce serait. Il avait tâché maintes et maintes fois de s’imaginer la chose en fermant les yeux lors de certains plaisirs en solitaire mais … Tout semblait si différent maintenant que c’était réel. En fait, c’était différent mais différent ne veut pas dire moins bien. Bien au contraire, pour l’instant la situation telle qu’elle était en train de se mettre en place avait quelque chose d’extrêmement tentant et provoquait chez Yen des envies qu’il n’avait jamais eu auparavant. Une sorte d’envie de toujours plus.

Au fur et à mesure que Zaahrian progressait dans l’exploration de son anatomie, au plus le jeune homme se sentait tétanisé. Il aurait aimé dire des choses comme « c’est trop bien ! » ou encore « continue ! » mais rien ne venait. Son instinct avait pris le dessus et il lui intimait de se taire. Devait-il se taire pour éviter de rompre la magie de cet instant charnel ? Ne sachant trop que faire alors que le semi-elfe était en train de créer en lui une envie toujours plus grande, Yenaël entrepris de caresser le dos de l’homme qui le faisait vibrer. Il aimait le sentir dans ses bras et la chaleur que dégageait son corps avait quelque chose d’exquis.

Alors que Zaahrian se faisait de plus en plus entreprenant, le jeune homme ne put s’empêcher de parler. Après tout, le blond lui avait posé une question, il lui devait donc une réponse.

- Je te fais confiance. J’ai envie de tout découvrir avec toi. Tu as la chance d’avoir vécu plus de choses que moi alors … Impressionne moi !

Sur ces paroles, il embrassa celui qui faisait battre son cœur, un peu plus fougueusement cette fois. L’idée n’était pas de mettre Zaahrian dans l’embarras en lui fixant un niveau d’excellence à atteindre. Tout ce que voulait faire Yen, c’était vivre ce moment comme un homme. Un homme qui s’assume et qui n’a pas peur de faire tout ce qui lui fait envie. Cependant, pour cela il allait avoir besoin que son compagnon lui en montre davantage sur les plaisirs charnels.

Yenaël ne voulait pas mettre la pression à Zaahrian, mais sans le savoir, il le faisait quand même. La limite lui semblait bien mince entre impressionner une personne ou, au contraire, la rebuter. Il ne voulait surtout pas lui laisser une mauvaise impression en allant trop loin. Du coup, il recommençait à vouloir trop réfléchir. Dans sa vie, il n’a jamais autant voulu bien faire que présentement. Peu de chose lui tenait à cœur et Yenaël en faisait partie. Il faisait partie des rares privilégiés qui pourront toujours compter sur Zaahrian en cas de problèmes.

— T’impressionner? Je pensais que je t’impressionnais déjà.

Il lui offrit son plus charmant sourire avant d’être emporté par un autre baiser instigué par Yenaël. Pour la suite des choses, Zaarhian y avait longuement pensé et il savait que Yen aussi et c’était parfaitement normal. L’assassin n’était pas certain de vraiment comprendre le processus derrière tout ça, mais le corps finit par avoir des envies et la curiosité nous pousse à explorer ces désirs. Il voulait donc prendre tout son temps pour faire découvrir à son amant toutes ces choses. Personne ne les attendait et ils n’avaient de compte à ne rendre à personne. Sur cette terre qui n’était pas la leur, ils étaient coupés du reste du monde dans cette petite chambre d’auberge alors que l’hiver faisait rage à l’extérieur. Zaahrian prenait son temps, franchissant chaque étape avec douceur et une infinie patience qui ne lui ressemblait pas. Il se délectait du corps de son amant tout en lui laissant la chance de prendre ses propres initiatives. C’est un jeu qui se joue à deux, un échange durant lequel aucun ne devait rester passif. Il voulait aussi laisser à Yenaël la chance de se découvrir en tant qu’amant. Serait-il celui à prendre les initiatives où à se laisser guider par des partenaires plus dominants? Zaahrian avait déjà une idée en tête sur la question, mais il ne voulait pas l’influencer et il ne voulait surtout pas qu’il soit déçu de son expérience. C’est pour cela qu’avant même le dernier morceau de vêtement enlevé, Zaahrian inversa les positions, prenant la place sur le lit pour laisser à Yenaël l’occasion de s’amuser un peu. Zaa ne s’en plaindra pas, au contraire. S’il aime prendre les choses en main, il trouve également beaucoup de plaisir entre celles d’un partenaire entreprenant. Ici, il lui donnait simplement l’opportunité d’apprivoiser le corps d’un autre homme. Naturellement, étant lui-même de sexe masculin, rien n’allait surprendre Yenaël dans l’anatomie de Zaahrian, mais il comprenait que ça puisse être intimidant d’être aussi proche de quelqu’un d’autre pour la toute première fois. Les corps étaient semblables dans leur apparence, mais également diffèrent, car chacun avait ses préférences et ses endroits un peu plus sensibles aux caresses. Sans échanger un mot, il le guida dans les caresses qu’il aimait, lui faisant découvrir son corps non sans éprouver de la vanité, car il se savait séduisant. Le tout était accompagné par une multitude de baisers et de contacts qui se faisaient un peu plus insistants alors que les pulsions s’intensifiaient et que Zaahrian se sentait un peu plus à l’étroit dans son pantalon.

En fait, Yenaël ne savait pas trop comment s’y prendre. C’est-à-dire que … Le jeune homme n’avait pas grandi comme les autres. Au contact d’autres enfants ou dans les écoles de villages, le sujet du sexe était souvent abordé vers l’âge de l’adolescence. C’était une sorte de baptême du feu souvent franchi par les jeunes adultes suite à ce qu’ils avaient entendu raconté par leurs camarades. Mais, ayant été adopté et n’ayant grandi qu’au contact d’adultes bien plus âgés que lui, Yenaël n’avait jamais eu vraiment l’occasion d’en savoir plus sur le sujet. Disons qu’il savait comment ça fonctionnait mais c’était surtout son instinct qui allait le guider. Parce que le peu de choses qu’il avait entendu sortait de la bouche de vieux briscards trainant tard dans les auberges et buvant plus que ce que dix éponges de mer auraient pu absorber.

Alors que Zaahrian se montra enclin à laisser plus d’initiatives au jeune homme, Yenaël se demanda s’il en avait réellement envie. Il se sentait bien, sentant le corps de son bien-aimé au-dessus de lui. Il ressentait son contact chaud comme une protection et avait l’impression que rien ne pouvait lui arriver dans cette situation. Il accepta la proposition du semi-elfe et passa au-dessus. Il était ainsi plus libre de ses mouvements et de faire ce qu’il voulait à Zaahrian. Même si le jeune homme n’était pas forcément pressé de bruler les étapes, son désir intérieur lui intimait de le faire. Il continua de se laisser guider par le semi-elfe, découvrant toujours un peu plus son corps à travers des caresses et des baisers. C’était en parcourant le corps de son amant que le jeune mage découvrit nombre de muscles qu’il ne connaissait même pas. Le corps de Zaahrian était vraiment exquis en apparence.

Tout en prenant son temps, Yenaël se rendit compte que quelque chose le gênait de plus en plus. Son pantalon le serrait beaucoup trop et il allait devoir l’enlever s’il ne voulait pas se sentir comprimé plus longtemps. Alors qu’il était au-dessus, le jeune homme prit l’initiative de le faire de lui-même. Il s’écarta quelques secondes de Zaahrian pour procéder à l’opération. Il lui proposa même de faire la même chose.

- Tu peux enlever le tien aussi si tu veux.

Yenaël se retrouva simplement vêtue des braies en lin qu’il portait habituellement sous son pantalon pour se protéger de l’irritation de ce dernier. Beaucoup plus libre, il s’approcha à nouveau de Zaahrian. L’espace d’un instant, il se sentit hésitant. Son hésitation suffit à lui faire perdre sa confiance et il appela comme au secours son amant assassin.

- Zaahrian, guide moi s’il te plait. J’ai besoin que tu me fasses découvrir … Enfin, tu vois quoi.

Yenaël sourit. Il se sentait ignare et confus à la fois. Même s’il ne voulait pas le dire aussi ouvertement, il aurait clairement aimé que ce soit Zaahrian qui prenne le dessus en ce moment. Car il ne se sentait pas à la hauteur, mentalement comme physiquement. Et comme il l’avait dit un peu plus tôt de lui-même, Zaahrian l’impressionnait … légèrement.

Il ne s’était pas trompé en laissant un peu d’initiative à Yenaël. Il avait toujours besoin d’être guidé et Zaahrian le comprenait, mais en le laissant faire, il pouvait avancer à son rythme sans se presser et prendre le temps de découvrir le corps de l’autre. Très rapidement, les deux hommes se sentirent très à l’étroit dans leur pantalon et les derniers vêtements, rempart de leur intimité, furent enlevés. L’assassin ressentit aussitôt le besoin de se presser plus étroitement encore contre le corps du jeune homme. Naturellement, cette soudaine nudité mina la confiance de Yenaël qui exprima le besoin d’être guidé. Tant de choses pouvaient être faites. Autant de baisers, de caresses et de découvertes qui pouvaient intimider les novices. Acceptant le rôle d’amant attentif, Zaahrian inversa une fois de plus les positions pour avoir un meilleur contrôle de la situation.

— On peut faire beaucoup de choses. Murmura Zaahrian alors que sa main errait, nonchalante, sur le torse de Yenaël. Tout dépend des goûts de chacun. Deux hommes peuvent s’unir à la manière d’un homme et d’une femme, mais cette pratique peut être douloureuse. Par expérience, je sais que ce n’est pas tout le monde qui aime ce genre de chose. Ça implique d’avoir entièrement confiance en son partenaire, mais avant de se rendre là, il y a toute une panoplie de façon de faire avec les mains et même la bouche… Il lui fit un clin d’œil. Qui donne beaucoup de plaisir.

Il n’en dit pas plus et préféra plutôt passer à la pratique. La main baladeuse se fit plus téméraire et atteignit l’endroit où personne d’autre ne l’avait touché avant. Cette idée l’excita davantage et il dut lutter contre ses propres envies pour ne pas bousculer Yenaël. Il voulait le sentir fondre entre ses mains. Zaahrian se concentra donc à la tâche en ignorant son propre désir sur le point de lui enlever le peu de contenance qui lui restait.

Yenaël sentait son cœur battre dans sa poitrine. Très très fort. En fait, il était de plus en plus tétanisé. Il avait une confiance absolue en son partenaire et son cœur lui dictait de le laisser faire ce qui lui faisait envie. Finalement, c’était un peu l’histoire de leur relation depuis le début. Zaahrian, téméraire assassin qui emmène le jeune Yenaël dans des endroits où il n’est encore jamais allé. Même si, il est vrai, au cours de leur aventure Zaahrian a aussi eu besoin quelque fois du soutien de son compagnon de route. Le jeune mage avait donc imaginé leur relation au lit de la même manière que leur vie depuis plusieurs mois, Zaahrian qui guide, Yenaël qui vient à la rescousse quand l’assassin ne sait plus où aller.

- Tu as dit que si nous voulions nous unir, je devais te faire pleinement confiance. Tu sais que ma confiance en toi est absolue. Tu m’as déjà sauvé la vie plus d’une fois, tu es la personne sur terre à qui je fais le plus confiance.

Alors que le semi-elfe avait atteint des parties de l’intimité de Yenaël que personne n’avait jamais atteint auparavant, le jeune homme sentait de plus en plus l’envie de s’abandonner à Zaahrian. L’envie de ne rien faire de laisser le semi-elfes aux commandes de son propre corps. Après tout, lui savait comment s’amuser avec un autre homme, comment prendre du plaisir. Yenaël était jeune et bien trop ignorant pour oser prendre une quelconque initiative. Ainsi, il laisserait l’homme de son cœur lui faire tout ce dont il avait envie. Il le laisserait prendre du plaisir comme il en avait envie.

- Zaahrian, vas-y. Je veux dire, n’hésite pas. Fais ce que tu as à faire. Je te l’ai dit, tu as toute ma confiance.

Le jeune homme ne savait que trop peu comment dire les choses. Tout ce qu’il voulait c’était lui : Zaahrian. Il l’aimait de tout son cœur, de tout son corps, et était prêt à beaucoup pour satisfaire ses envies et ses besoins.

Zaahrian fut touché par la confiance de Yenaël. Il ne la méritait pas. Maintes fois il lui avait répété qu’il n’était pas quelqu’un de bien, mais l’humain n’en faisait qu’à sa tête. Rarement il avait vu quelqu’un d’aussi obstiné, mais son acharnement à vouloir lui prouver qu’il se trompait commençait à lui faire croire qu’il n’était peut-être pas aussi mauvais. Après tout, il n’était pas tellement différent d’un soldat ou d’un mercenaire qui sont payés pour défendre et tuer. Dans ce monde où rien n’était totalement blanc ou noir, Zaahrian avait sa place.

Il acquiesça d’un signe de tête. Ce qui se passa ensuite… Rarement cette chambre aura été témoin d’autant de tendresse, de patience et de dévotion. Zaahrian aimait s’amuser, mais cette fois il fut très sérieux. Yenaël lui remettait quelque chose d’incroyablement précieux et il ne voulait pas tout gâcher. Il prit le temps qu’il fallait. À travers maintes caresses et baisers, il rendit hommage au corps de ce jeune homme qui s’offrait à lui sans peur. Jamais il n’aurait imaginé que leur rencontre quelques mois plus tôt les mènerait jusque-là.

Au moment où les deux corps s’unirent enfin, Zaahrian ne le quitta pas des yeux. Il surveillait la moindre expression sur son visage alors que lui-même avait l’impression de se consumer de l’intérieur. Rien n’aurait pu être plus parfait que ce moment-là. Le monde pouvait s’écrouler et les nobles s’entretuer dans leurs guerres incessantes, Zaahrian n’en avait rien à faire. Il oublia brièvement le sang qu’il avait sur les mains et la colère qui le rongeaient de l’intérieur. Pendant un instant, il crut pouvoir pardonner à Daeron, entrevoyant ainsi un avenir bien meilleur où il pourrait, contre toute attente, être vraiment heureux.

L’extase fut sellée dans un dernier baiser. Le souffle court, la peau moite de sueur et le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, il garda Yenaël dans ses bras jusqu’à ce que son corps et son esprit s’apaisent. À nouveau ancré dans la réalité, Zaahrian reprenait peu à peu conscience de ce qui se passait autour de lui. Quelqu’un passa dans le couloir d’un pas trainant. Un autre montait les escaliers avant de s’engouffrer dans une chambre en claquant la porte derrière lui. La fenêtre craquait sous l’effet du vent qui soufflait à l’extérieur et le feu se mourrait tranquillement dans la cheminée. Il pensa aussitôt qu’il fallait y mettre une buche avant qu’il ne s’éteigne, sinon il sera difficile à allumer. Puis il se souvint qu’il était avec un élémentariste du feu et il chassa aussitôt l’urgence de sa tête. Pendant un bon moment, ils ne parlèrent pas. Le silence était bien plus éloquent que tous les mots qu’ils auraient pu prononcer, mais après un certain temps, Zaahrian voulait savoir comment se sentait Yenaël. Il lui caressait lentement le dos, s’imaginant qu’il devait dormir, mais son souffle indiquait que ce n’était pas le cas. Son entrainement lui permettait de savoir si quelqu’un dormait vraiment ou s’il faisait semblant. Yenaël était très détendu, mais il ne dormait pas.

— Ça va? C’était comme tu l’imaginais?

~ Les choses n’ont d’importance que celle qu’on leur donne ~

La perfection d’un instant. Les instants parfaits sont rares et précieux. Que ce soit dans la nature comme pour les hommes. Ils sont aussi précieux qu’une goutte de pluie dans le désert ou qu’un diamant dans une mine du Zagazorn. Et si les hommes ont du mal à réaliser la valeur de ces instants lorsqu’ils les vivent, c’est avec leur expérience qu’ils se rendent compte de la réelle valeur de ce qu’ils ont vécu. Certes, la vie de chaque homme est bien éphémère comparée à tout ce qui peut se faire d’autre dans l’univers. Mais quelle importance ? Que le flocon de neige soit frêle lorsqu’il se forme des suites de la cristallisation de l’eau, cette fugacité ne fait qu’accentuer sa valeur. Parce que ce qui est rare est cher. Et que ce qui est cher est forcément important aux yeux des hommes.

Yenaël avait dans son cœur des ressentis inédits. Si ce moment qu’il venait de vivre était son premier acte sexuel dans cette vie, pour son cœur c’était encore bien plus. Nombreux étaient les hommes qui usaient et abusaient de monnaie pour satisfaire leurs besoins les plus incongrus. Mais ces instants achetés n’avaient finalement aucune valeur sentimentale. Et si les plus fortunés de cette terre avaient tendance à vouloir faire croire aux plus miséreux que la fortune contribue au bonheur, c’est qu’ils n’avaient pas réellement compris que le bonheur est à la portée de tous. Yenaël était un homme, actuellement dans son plus simple apparat, possédant bien peu. Et pourtant, il était le plus heureux des hommes.

Manger à sa faim, s’habiller convenablement, avoir une famille et tant d’autres paramètres sont des vecteurs évidents du bonheur. Mais il suffit parfois de bien moins que tout cela pour atteindre l’idéal que se fixe tout un chacun. En simple homme qu’il était, le jeune mage avait su écouter son cœur. On le lui avait dit lors de son éducation, on le lui avait appris lors de son enseignement magique ; il n’avait jamais vraiment compris ce que voulait dire « écouter son cœur ». Mais maintenant qu’il avait d’autres difficultés dans la vie et qu’il était exposé au monde réel, Yenaël avait compris une chose : Il avait toujours écouté son cœur. Même si sa raison l’appelait à en faire autrement. Même si son éducation et ses savoirs le rappelaient à cette même raison.

Le voilà donc ici, allongé dans une petite auberge alonnaise dont il ne se rappelait même pas le nom, accompagné par l’élu de son cœur. Si l’amour était un ensemble de sentiments complexe, l’espace d’un instant Yenaël avait su y voir clair. Il savait que ce qu’il voulait, c’était ça. Revivre cet instant, encore et encore. Revivre un moment simple et calme comme celui qu’il venait de vivre. Ou deux êtres pourtant bien différents arrivaient à s’unir de manière quasi parfaite à grands coups de symbiose et d’harmonie. Jamais il ne regretterait d’avoir fait confiance à Zaahrian. Jamais il ne regretterait de s’être offert à lui ainsi en cette matinée d’hiver. Jamais il n’oublierait ce jour.

Le jeune homme vivait quelque chose d’inédit, il avait arrêté de penser. Lui qui était d’ordinaire un garçon réfléchit et toujours occupé à tergiverser sur les choses qu’il avait vécu ou les choses qu’il allait vivre ; il se retrouvait désormais face à un grand vide. On aurait presque dit que son cerveau profitait de cet instant de répit pour se ressourcer. Yenaël n’avait plus envie de penser à rien. Son plus grand souhait aurait été de pouvoir arrêter le temps et de rester ici, pour l’éternité, en compagnie de son amant. Zaahrian qui, même après l’acte, ne lésinait pas sur quelques gestes tendres à l’égard de son compagnon. Alors vint la question du semi-elfe. Une question simple et prononcée d’une voix calme et apaisante, comme seul lui savait le faire. Yenaël n’ayant pas envie de penser, il n’avait pas non plus envie de parler. Mais il tenait à rassurer l’élu de son cœur qui venait de lui faire vivre cet instant idyllique.

- Zaahrian, Merci.

Le jeune homme ne savait pas ce qu’il aurait pu dire d’autre. Pour rien au monde il n’aurait voulu briser la perfection de cet instant. Peut-être même qu’il ne revivrait plus de moments aussi importants au cours de sa vie. Alors, comme pour se convaincre lui-même que ce n’était que le début d’une longue histoire, le jeune homme se redressa afin de pouvoir regarder son amant droit dans les yeux. L’espace d’un instant, il plongea son regard dans le sien, sans dire un mot. Et alors que les battements de son cœur s’accéléraient, il ne put se retenir de déclarer à nouveau sa flamme.

- Je t’aime, tu sais …

En réponse à sa question, Yenaël le remercia. On lui avait dit tout au tas de choses dans sa vie, mais rarement on l’avait remercié et surtout pas pour ce qu’il venait de faire. Néanmoins, cela signifiait sans doute que l’humain avait apprécié ce moment d’échange et qu’il était heureux. Pour le semi-elfe, cela lui suffisait. Il resserra pendant un bref instant son étreinte sur le corps de Yenaël jusqu’à ce que celui-ci se redresse pour le regarder dans les yeux. Il lui réaffirma son amour, chose qu’il avait fait quelques ennéades plus tôt alors qu’ils étaient encore dans la forêt des elfes. À ce moment, Zaahrian avait alors tenté de le tempérer un peu, de lui rappeler ce qu’il est en réalité et qu’il était impossible de l’aimer. Sa tentative se révéla vaine. Aujourd’hui encore, il voulut lui rappeler ce qu’il lui avait dit, mais il savait qu’il se heurterait une fois encore à un mur. Il se contenta donc de sourire et de lui dire en levant la main pour une tendre caresse sur sa joue.

— Je sais…

Aussi parfait que ce moment puisse être, il devait prendre fin. Le monde ne s’arrêtait pas et Zaahrian était pressé de quitter les lieux. Ce fut à son tour de se redresser dans le lit non sans aller chercher un bref baiser sur les lèvres de Yenaël. Il frissonna au contact de l’air frais sur sa peau encore humide.

— Nous allons partir. Déclara Zaahrian en jetant un regard en direction de la fenêtre. Ce trou coupé de toute civilisation n’a rien à nous offrir hormis des problèmes. Puis tout ça a creusé mon appétit et je dois vraiment manger quelque chose. Les petits gâteaux que tu as rapportés ne sont pas suffisants je le crains.

À contrecœur, il abandonna la chaleur du lit et se leva sans se soucier de son apparente nudité. Il traversa la chambre en trois enjambées pour rejoindre la bassinette d’eau laissée à leur disposition pour se nettoyer. Évidemment, l’eau était glaciale et il pesta bruyamment lorsque l’eau coula sur son torse, mais il compléta sa toilette.

— Allez, c’est à ton tour…

Il laissa la place à Yenaël pour se rhabiller, un peu triste quand même de voir ce moment se terminer aussi abruptement et la vie reprendre son cours comme si rien n’était arrivé. Ils n’avaient pas le choix. Ils devaient partir.