Simplicien en terre suderone

5^ème jour de la 5^ème énéade de Karfias, 10^ème année du 11^ème cycle.

Il y avait des avantages, par un hiver pareil, à être marchand de fourrure, aimait dire Simplicien à qui voulait l'entendre. Il répétait également à l'envi que de vivre sur les routes lui seyait d'autant plus qu'il avait été autrefois fourreur à Serramire même, et qu'à l'air vicié du canal des tanneries, il eut préféré tout autre. Ainsi, l'existence de chaland demeurait une bénédiction, quand bien même il lui eut fallu frayer jusqu'aux frontières du royaume, pour acheter ses fourrures aux sauvageons des Wandres, et passer sa vie en carriole à redouter les brigands.

Tout cela, Simplicien le répétait d'autant plus qu'il ne s'agissait que d'un gros mensonge. L'histoire du bon pelletier fait camelot, il l'avait en effet conçue aux côtés du marquis, la veille de prendre la route pour le Sud de la Péninsule. Les fourrures, c'était le petit confort en plus ; puisqu'il fallait se grimer en gueux pour traverser les terres de la Ligue, autant le faire de manière à ce que le voyage fut confortable. Or avec ce temps, une pelisse de loup n'était pas du luxe ; mieux encore, c'était une assurance-vie.

Notre bon margoulin avait ainsi traversé la Péninsule du Nord au Sud, et quand on s'interrogeait de voir un marchand conserver son stock malgré les lieues déjà parcourues, il assénait ceci : « Je les réserve pour le baron d'Ancenis, qui seul saura apprécier au mieux mes biens ». À chaque étape, l'acheteur changeait. On avait bien tenté de le rançonner une fois : son écuyer, grimé en apprenti, avait alors décoché un carreau d'arbalète, tapis depuis les fourrures, et profitant de la cohue, les deux s'étaient frayés un passage.

Finalement, nos deux hommes avaient pu gagner les contrées Soltaries, où ils écouleraient cette fois-ci pour de bon leur marchandise, car c'était là que leur discrétion cessait. À moins que le duc ne fut un grand amateur de fourrures, il semblait en effet plus propice de s'annoncer à sa cour en tant que Geoffrey de Clairséan, chancelier de Serramire, plutôt que Simplicien le pelletier & son apprenti Jo le clodo.

Ainsi, lorsqu'il se présenta au palais ducal, Geoffrey avait revêtu un pourpoint des plus élégant, arborant ses couleurs propres. Il avait néanmoins gardé une pelisse de son stock, à laquelle il avait pris goût durant le voyage. Il se figurait que la chose lui conférerait une allure martiale toute nordique, mais à l'évidence, tout le monde s'en foutait, et il fut introduit auprès de son Altesse le Duc sans remarque aucune sur sa tenue.

~ L’homme est naturellement bon ; il aime à faire payer les services qu’on lui rend ~

Le mois de Karfias avançait et se faisait long. Lorsqu’il avait accédé au trône ducal, Franco di Celini s’était promis de faire en sorte de s’échapper de ce palais sombre et austère au moins une fois par mois. Mais voilà moins d’un an qu’il avait été couronné duc et il manquait déjà de faillir à l’une de ses promesses. L’hiver se faisait rude et long et il était de plus en plus difficile de voyager à travers le royaume. Les terres avoisinant Soltariel étaient relativement épargnées mais il était difficile d’entreprendre un voyage pour se rendre plus au nord sans rencontrer de réelles difficultés. Aussi, le duc était resté en ce début de mois sur ses terres et en avait profité pour gérer certaines affaires en interne, au palais.

Etant davantage disponible depuis quelques ennéades, Franco avait été plus souvent mandé pour des audiences. Les petits nobles des terres alentours avaient pu en profiter pour rencontrer leur nouveau suzerain pour la première fois et éventuellement renouveler leur serment. Mais, alors qu’une nouvelle journée froide et pluvieuse s’annonçait, un serviteur du palais vient annoncer la présence du chancelier de Serramire. Franco, surpris car n’ayant pas été averti plus tôt d’une pareille visite, confirma son intérêt et fit en sorte que l’homme soit accueilli comme il se doit et dirigé vers le bon endroit.

Le duc prit la direction de la salle d’audience officielle du palais sans plus attendre. Après avoir rencontré l’argentier de son Excellence, Messire de Brochant, deux mois plus tôt, c’était désormais au tour de son chancelier de l’honorer de sa présence. La précédente entrevue que Franco avait eu avec un dignitaire de Serramire s’était révélée proactive et avait permis au duc d’obtenir des informations importantes. Depuis ce jour, Franco était plutôt enclin à rencontrer des dignitaires en provenance de Serramire. Alors que le duc venait d’atteindre sa destination, il franchit la porte de la salle d’audience. Il fut légèrement surpris de voir non pas un seul homme mais deux, l’un était beaucoup plus âgé que l’autre.

- Je vous souhaite la bienvenue à Soltariel, messires. C’est un honneur pour moi de recevoir en ma maison des gens de la cour de son Excellence, Messire de Brochant.

Les mots de Franco étaient pesés et pensés. D’ordinaire très peu attaché à l’accoutrement des gens qu’il rencontrait, la tenue de l’inconnu qui était le plus âgé retint tout de même l’espace d’un instant l’attention du duc. L’homme était bien vêtu, comme un dignitaire d’une au service d’une grande maison, mais une peau de bête reposait sur ses épaules et descendait jusque dans son dos. L’espace d’un instant, Franco se demanda si l’homme ne revenait pas tout juste de ces terres lointaines appelées les Wandres et du comptoir qu’était Fort Norkan. En effet, le port veltérien avait été l’objet d’une partie de la conversation que Franco avait eu avec l’argentier de Serramire deux mois plus tôt. La curiosité du soltari ayant été attisée, il fit en sorte d’en savoir plus sur les intentions des deux hommes.

- Votre trajet n’a pas dû être des plus aisés par les temps qui courent. Cependant, je ne me fais pas d’illusions, j’imagine que pour des hommes aguerris comme vous, l’hiver n’est qu’une simple étape comme une autre. Enfin, je ne vais pas vous importuner plus longtemps, que me vaut l’honneur de votre présence ?

« Maintenant tiens toi droit, boucle là et observe », avant déclaré Clairséan à son écuyer, le jeune Hébert de Lonsargues, alors que face aux deux hommes s'était avancé le duc de Soltariel, Franco di Celini. Le seigneur avait joui d'une bonne presse, dans le Nord, après ses menées en acontre de l'intriguant Anoszia. Sa réputation s'était bonifiée par la suite, lorsqu'il avait honoré Serramire, en la personne de son argentier, Adelphe le scylléen, de son amitié.

Cependant, ce n'était pas pour entretenir cette entente que le chancelier avait été envoyé. Il n'avait d'ailleurs l'obséquiosité de son compère Bernazotti : Clairséan était un homme du Nord, d'une famille présente dans le septentrion depuis la conquête de celui-ci. Moins à l'aise que l'argentier lorsqu'il s'agissait de flatter son monde, lui-même s'était étonné que le marquis l'eut choisi pour représenter ses terres. Cependant, en sus de sa franchise, Geoffrey jouissait d'une qualité certaine : l'homme était loyal. Il s'était illustré en tenant la citadelle de Serramire lorsque la cité avait été à moitié conquise, et n'avait jamais failli au nouveau marquis. Ce dernier, du reste, un brin secret, goûtait à ce que ses représentant demeurassent brut de décoffrage, tant il est vrai qu'il aimait faire croire à cette image de rustre nordien.

« La guerre, hélas! », lança ainsi de but en blanc le chancelier, après s'être incliné devant son hôte. « La guerre qui embrasera le Médian dès le printemps venu, voila ce qui m'amène auprès de vous, Altesse, et pour laquelle mon seigneur le marquis mande votre assistance. » La chose avait été énoncée subitement, et avec gravité ; un silence s'ensuivit, rompu à nouveau, peu de temps après, par Clairséan : « Nous avons appris, dans le Nord, la confiance dont vous avait honoré le Roy en vous remettant l'amirauté ; sachez à votre tour que mon suzerain, le marquis Aymeric, a joui d'un honneur similaire, quand sa Majesté lui confia la tête de ses armées en le faisant son sénéchal. »

On devait probablement ignorer cet état de fait ; il n'avait été communiqué au marquis que par une simple lettre, et seulement alors, l'heureux récipiendaire de l'office royal s'était employé à diffuser la nouvelle. « Mon seigneur m'envoie ainsi auprès de vous pour veiller à ce que les vaisseaux et les soldats de sa Majesté puissent agir de concert, lorsque le printemps viendra. »

« Ils vont bien vite en besogne », voici ce qui traversa l’esprit de Franco quand le mot guerre fut prononcé une première fois. Et cette pensée fusa de nouveau lorsqu’il fut prononcé une seconde fois. Mais quelle pouvait bien être la raison de cette obsession qu’avaient les nordiens à toujours vouloir guerroyer ? Leurs pays étaient-ils si ennuyeux qu’ils s’en lassaient à la première période calme venue ?

Le duc de Soltariel laissa ses invités parler. Il ne bougea pas d’un pouce et resta planté à quelques pas d’eux tout en écoutant celui qui avait pris la parole. Durant son ancienne vie à arpenter les ports et les chantiers navals, Franco avait pris l’habitude de tenir des conversations debout ainsi tout en restant très concentré sur ses objectifs et sur ce qu’il allait dire. Ce qui retint le plus son attention dans la première partie du discours fut que le marquis de Serramire "mandait son assistance". Voilà une formule bien polie qui seyait fort bien au duc. Mais une nuance apparut dans la suite du discours qui lui déplu légèrement. Si le marquis de Serramire s’adressait au duc de Soltariel d’égal à égal ; il semblerait qu’il n’en était rien lorsqu’il s’agissait du sénéchal de sa majesté Bohémond qui s’adressait à l’amiral du même roi. La sémantique était parfois peu retenue par certains, mais Franco trouvait qu’elle dévoilait parfois bien des intentions. Aussi, le sénéchal du royaume pouvait bien se garder de "veiller" à ce que comptait faire Soltariel.

- Messire Roderik de Wenden, chancelier du Royaume, m’a informé des intentions de la couronne à propos du Médian et des terres ayant appartenu aux rebelles ligards. Tout d’abord, permettez-moi d’adresser mes plus sincères félicitations à votre suzerain, j’ose espérer que la mission que lui a confié notre roi lui siéra à merveille.  

Qui de mieux qu’un homme du nord pour diriger les armées ? Après tout, la chose était logique. Un simple élément gênait simplement le duc, il trouvait que les postes importants de l’entourage de sa majesté étaient de plus en plus adressés à des hommes du nord. Ces fameux hommes qui se retrouvent empêtrés dans des guerres intestines régulières. Messire de Brochant profitera-t-il de sa position préférentielle lorsque des différents l’opposeront à nombre de ses semblables nobliaux nordiens ?
Si la position de Franco avait été catégorique au sujet de la guerre lorsqu’il s’était rendu à Merval au début de l’hiver, les choses avaient légèrement changé depuis. Il avait rencontré certains dignitaires qui l’avaient convaincu, d’autres non.

- Comme prévu, Soltariel a œuvré depuis maintenant deux mois au rétablissement de la flotte royale. La demande de Cléophas d’Angleroy ainsi que ses délais ont été honorés et les navires sont à la disposition du roi dans le Port Royal.

Tout en essayant de ne pas trop en dévoiler sur ses intentions, le duc se mit à marcher comme pour faire une petite ronde. Il prit un air pensif, s’il avait bien une idée de ce qu’attendait Aymeric de Brochant de lui, les choses n’avaient pas encore été énoncées clairement. Aussi, il décida de jouer sur les faits avérés et non sur les paroles. Quitte à paraître presque ingénu.

- Nous avons même eu la bonté d’embarquer certains de nos meilleurs navigateurs à bord des navires livrés au roi. J’ose espérer que la contribution de Soltariel en terme de vaisseaux et d’hommes sera appréciée à sa juste valeur.  

Le chancelier de Serramire, bien qu'il fut appelé à jouer de la diplomatie et non de l'épée pour servir son seigneur, n'en était pas moins un homme de guerre. Pur produit de la noblesse septentrionale, il avait régulièrement mené les hommes et joué sa part durant les derniers conflits que le Nord avait subi. Peut-être était-ce pour cela qu'il avait été envoyé ici ; sous couvert de sa charge, on ne soupçonnerait peut-être pas la nature belliqueuse de son entreprise. C'est qu'à la guerre, on redoutait les espions, et le cour soltariie, fort lointaine, demeurait mystérieuse. Si son duc avait toujours agi selon les meilleures dispositions, pouvait-on étendre cela à l'ensemble des familiers ? Franco n'était après tout ici que depuis quelques mois, et avant lui s'étaient succédé nombre d’intrigants.

« Mon seigneur sera ravi d'apprendre tout cela, Altesse. À nul moment il n'a douté de votre zèle à l'endroit de sa Majesté, sachez le, et en vérité, la marine du Roy n'aurait pu être dans de meilleures mains. » L'homme s'inclina. « Mon maître Aymeric, apprenez le également, tient à vous faire savoir que dans cette entreprise, il n'entend nullement vous commander, vous considère comme son égal, et en appelle à votre entendement pour agir de concert avec lui contre les ligards. »

C'était plus une formule de politesse qu'une réalité : après tout, ce serait le Nord qui manœuvrerait. Geoffrey, quant à lui, se méfiait des navires en règle générale, attaché au plancher des vaches qu'il était. S'ouvrir ainsi des stratégies de son seigneur, quand il n'en comprenait guère l'intérêt, lui était malaisé : mais c'était les ordres, et il s'était borné à apprendre par cœur le message qu'il devait délivrer. « Mon seigneur m'a chargé de vous exposer ses plans pour quand le printemps viendra, ainsi que ses demandes... l'endroit est-il sûr ? Ces choses là sont sensibles. »

Franco fut ravi de constater qu’il avait rapidement réussi à convaincre le chancelier de Serramire à propos de l’engagement de Soltariel. L’homme paraissait être plutôt honorable et semblait prêt à écouter attentivement les paroles du duc. Ayant eu une longue carrière dans les affaires maritimes, Franco appréciait de traiter avec des gens qui étaient à l’écoute et prêts à entendre son point de vue. Cette entrevue et les paroles du nordien démontraient que le nord était prêt à dialoguer avec le sud : c’était une bonne chose. Franco avait beaucoup craint les tendances belliqueuses des nordiens lorsqu’il était arrivé sur le trône ducal. Non seulement parce que la guerre est mauvaise pour l’économie d’une terre mais aussi car il ne voulait pas avoir à engager personnellement les armées de son duché de manière trop précipitée. Si son règne devait marquer l’histoire, il espérait que ce soit par une autre voie que celle de la guerre.

Si l’attitude du chancelier ainsi que celle de son laquais était fort agréable jusqu’alors, le duc allait rapidement se rappeler qu’en politique, aucun acte n’est commis à la légère et sans arrière-pensées. Lorsque le serramirois évoqua l’envie de son marquis de traiter Franco d’égal à égal, le duc se contenta d’incliner légèrement la tête en signe de respect pour la sagesse de sa décision. L’invité continua en passant désormais à ce qui semblait être « les choses sérieuses ». Franco vit que l’homme semblait légèrement mal à l’aise. Il jetait des regards en coin autour de lui, comme si un assassin allait sortir de l’ombre pour lui planter une dague en plein cœur. Sa question sur la sécurité de la salle d’audience heurta légèrement le duc. Cet homme devait se rassurer, il se trouvait à Soltariel. Même si des complots avaient été ourdis dans ce plais il y’a environ un an, l’homme qui avait commis ces actes odieux était désormais exilé et bien loin d’ici. S’il y avait quelque chose que Franco n’aimait pas, c’était bien la corruption.

- Soyez sans craintes, vous êtes ici dans la salle d’audience principale du palais de Soltariel. Avant vous se sont succédés nombre des notables du royaume et aucun n’est jamais venu nous accuser d’avoir des félons à notre cour.

Dans la salle, seulement quatre gardes étaient présents. Il s’agissait des membres de la très restreinte garde ducale. Ils avaient été triés sur le carreau, formés et servaient la couronne de manière irréprochable depuis de nombreuses années pour la plupart d’entre eux. Certains avaient travaillé pour Maciste le sybrond ou même Asdrubal le Soltarii déchu. Mais leur rôle n’était pas politique. Ils avaient fait un serment et les répercussions pouvaient être très graves s’ils venaient à rompre celui-ci. Quoiqu’il en soit, Franco connaissait bien toutes les personnes qu’il voyait dans cette pièce, excepté ses deux invités. Il tient donc à insister sur le caractère sécuritaire de la salle et de sa garde rapprochée.

- Messires, je puis vous assurer de la sécurité de ces lieux. Si vous avez besoin d’une carte pour m’exposer vos plans de manière plus détaillée, nous pouvons nous rendre dans une autre salle. Quoiqu’il en soit, dans cette pièce ou dans une autre, je me porte garant de l’absence d’espions en mon palais.

Si le serramirois souhaitait que la suite de l’entrevue ait lieu dans un autre lieu, il pouvait en faire la demande et Franco venait de l’y inviter. Quoiqu’il en soit, il ne pouvait de lui-même proposer d’aller ailleurs, ça aurait été une occasion pour les nordiens de faire perdurer la rumeur selon laquelle les cours du sud sont emplies d’espions et d’individus malfaisants.

Le chancelier s'inclina par politesse. Les assurances du duc ne l'avaient convaincu qu'à moitié ; en vérité, n'était-il meilleur endroit pour laisser trainer une oreille, sinon une grande salle d'audience ? Aymeric avait dans chaque cour du Nord quelques oreilles ; au moment de traiter des affaires sensibles, gagnait ses quartiers. Fort heureusement, le duc avait, peut-être volontairement, offert une porte de sortie à son invité. Geoffrey de Clairséan s'engouffra dedans : « Altesse, votre sagacité vous honore : je vous expliquerais au mieux le plan de mon maître devant une carte du Royaume. »

Il emboita dès lors le pas de son hôte, qu'il suivit à travers le palais soltarii jusqu'à déboucher dans menu cabinet. Au centre, sur une table, demeurait étendue une carte de la Péninsule. Était-ce ici que le Duc méditait ses stratégies ? Contemplant un instant le vélin, Geoffrey se remémora les directives élaborées par son maître, et que ce dernier lui avait confié avant son départ.

Il s'approcha de la table, pointant la chaîne de l'Avosne : « Voila ce qu'Aymeric prévoit de faire : lorsque les neiges auront fondue, il scindera l'armée coalisée en trois ostes : une prendra la route d'Erac, par le berthildois et la trouée d'enguerrand, pour ensuite entrer dans Velteroc. La suivante empruntera la passe d'Helderion, pour gagner le plateau hautvalois depuis les contreforts d'Erdelheim. La troisième, quittant Olysséa, gagnera l'Anceois en passant par la trouée de Mons. »

L'exposé était bel et bon ; cependant, le Duc devait certainement se demander quel serait son rôle dans tout cela. Geoffrey déroula : « Las, l'Avosne est bien défendu, et leur prise risque d'être longue et pénible. Tandis que nous assiégerons les Ligards, nos terres seront vulnérables, à la merci des navires de l'ennemi. Les Lagnecins nous ont prouvé qu'il ne rechignaient pas devant la guerre en mer, quant aux ancenois, ils conservent nombre de galères dans leur port de Berdes. On dit aussi que le Velterien avait fait armer des cogues. Tout ces navires pourraient être utilisés contre les armées du Nord, pour les frapper sur leurs arrières. Ainsi, mon seigneur vous implore, une fois les tempêtes passées, d'entreprendre le blocus des ports rebelles, jusqu'à ce que les ostes coalisées n’atteignent n'aient maté les ligards. »

Il claqua des doigts, avant de faire signe au jeune Hébert d'apporter sa besace. « C'est là un exposé bien sommaire que je vous ai fait : mon maître en a consigné tous les détails sur vélin. » Il tendit alors un long rouleau cacheté du sceau des Brochants à l'adresse du Duc.

Franco ne fut qu’à moitié surpris lorsque le chancelier de Serramire lui fit la demande de se rendre dans une salle plus petite. Il savait pertinemment qu’en plus de la carte, les nordiens craignaient les espions mal intentionnés. Après tout, peut-être que les serramirois tenaient un peu trop haut dans leur estime les médianais. D’après les dernières nouvelles qu’avait Franco, il semblerait tout de même que l’influence hautvaloise et veltérienne se faisait de plus en plus faible en ce monde …

Le duc ne chercha pas à comprendre davantage leurs motivations et obtempéra en conduisant ses deux invités dans son bureau personnel au palais. Ce n’était pas là qu’il prenait ses décisions les plus importantes mais toujours dans le manoir de la famille di Celini. Le bureau était bien équipé tout de même. Bien qu’un brin exigu, une grande table avec une carte se situait en plein milieu et ferait l’affaire pour les négociations.

Le duc de Soltariel écouta avec attention le déroulement des plans de son Excellence le marquis de Serramire. Il fut agréablement surpris de constater que le chancelier Roderik ne s’était pas trompé sur les capacités du marquis. Son plan semblait complet et assez bien pensé. Une simple question fit mouche dans l’esprit de Franco : qui était derrière cette « armée coalisée ». Est-ce que les trois marquisats du nord et leurs vassaux respectifs avaient réellement réussi à mettre de côté leurs différends afin de s’unir dans cette bataille ? Le duc restait perplexe.

Franco ne pipa mot pendant que le chancelier de Serramire lui dévoilait ses plans. Même s’il restait une fois de plus perplexe sur la prétendue puissance de feu que les nordiens allouaient aux armées médianaises. Il se contenta simplement de formuler une réponse simple et claire lorsque le nordien formula sa demande concernant les navires.

- Mes intentions en tant qu’Amiral de sa majesté son claires. La flotte royale a pour but principal de défendre et assurer la sécurité des mers attenantes aux terres royales. Si le Sénéchal du Royaume mande la flotte royale pour défendre les intérêts du roi, il va de soi que sa demande sera entendue et que j’y répondrai favorablement.

Le duc de Soltariel prit ensuite en main le vélin tendu par l’assistant du chancelier. Il le glissa dans l’une des poches de sa veste en velours et veilla à ce que le parchemin reste auprès de lui toute la journée durant. Même si Franco faisait confiance aux sujets envoyés par son Excellence, il veillerait à lui faire parvenir une réponse de lui-même afin la fin de l’hiver.